Revue
Nouvelle parution
Ligature, n° 7

Ligature, n° 7

Publié le par Marc Escola (Source : Serge Chamchinov)

Référence bibliographique : Ligature n°7, Association LAAC, 2015. EAN13 : ISSN22700404.

 

Ligature n°7 (quatrième année)

 

Revue critique du livre d’artiste achevée d’imprimer le 1 juillet 2015, 120 p., 29,5x29,5cm, 18 ill. hors texte, 26 exemplaires (H.C. avec 6 dessins originaux), ISSN : 2270-0404

 

Contenu

 

premiÈre Rubrique : DIScours

Caterina Toschi (Laboratoire de Recherche et Formation pour l’Art Contemporain, Florence, Italie) : « La vision de la page : la rencontre du livre cubo-futuriste avec la nouvelle typographie de Filippo Tommaso Marinetti (1912-1916) »

 

DeuxiÈme rubrique : PRATIQUE

Maïa Varsimashvili-Raphael (Centre de recherches en littérature et poétique comparées, Université Paris Ouest Nanterre, France) : « La période géorgienne d’Ilia Zdanevitch – “grand faiseur de livres” »

 

troisiÈme rubrique : POÉSIE

Caroline Berenger (Université de Caen, France): « Le chapeau melon de Mandelstam »

Ossip Mandelstam : poème J’implore comme une pitié… (1937), traduction inédite française par d’Anne Arc (2013). Présentation du livre d’artiste « La vigne tordue », 2014

 

QuatriÈme rubrique : ArChives

Fedor Lvov (Fribourg, Suisse) : « Quelques notes dans les marges ». Extrait du journal de l’artiste (1990-1995). Dossier du livre d’artiste Les Chansons du langage des étoiles (Velimir Khlebnikov), éd. Ѣ, Saint-Pétersbourg, 2006

 

CinquiÈme rubrique : Projet

Henri de l’Amous, François Isson (Montpellier, France) : Projet du livre d’artiste Pythagore. Tout est nombre (éd. Laboratoire du livre d’artiste. Section « Arts graphiques », Granville, 2015)

 

Ligne éditoriale

À l’horizon de la littérature critique consacrée au livre d’artiste, la revue Ligature met en évidence le fil ininterrompu de la création dans ce domaine, de la deuxième moitié du XIXe siècle jusqu’à nos jours, et tente d’orienter les nouvelles recherches vers les points cruciaux et actualisés du développement de ce genre qu’est le livre d’artiste. Aujourd’hui il existe très peu de travaux qui synthétisent la problématique du livre d’artiste en prenant en compte et en conjuguant ses différents aspects. Les ouvrages consacrés à ce sujet se limitent souvent à une thématique particulière : histoire de l’art du livre au sens large, histoire de la reliure d’art, présentation de livres de gravures ou de livres illustrés, albums photographiques, « dialogue » entre le texte et l’image, dimension régionaliste, singularité des démarches ponctuelles. Aucun de ces travaux n’éclaire la question du livre d’artiste dans sa globalité et sa spécificité originelle. Pris dans leur ensemble, ils composent un tableau incomplet et discordant de la situation. De plus, la plupart des études contemporaines ignore un point de repère important pour le genre du livre d’artiste. En effet, c’est le catalogue The Artist and the Book in France, The 20th Century Livre d’artiste, Londres, 1969, qui constitue une source bibliographique première et incontestable (cf. : Bénia Krik, Walter John Strachan, dans Ligature, n° 2, novembre 2012). L’expression « livre d’artiste » y désigne des créations issues de la tradition française, réunies, exposées et répertoriées par Walter John Strachan. Il est remarquable que ce terme y apparaît tel quel, en français, pour la première fois dans la littérature critique. Dans ce livre l’auteur présente de nombreux artistes de la période des années vingt jusqu’aux années soixante. La méconnaissance de cette référence bibliographique induit en erreur les chercheurs et les critiques d’art et entretient la confusion entre les notions de « livre d’artiste » et d’« artist’s book ».

Nous proposons à nos contributeurs de suivre et d’étudier de façon systématique l’histoire du développement de ce genre, sa diversité, sa typologie dans un contexte interdisciplinaire et de présenter analytiquement ses tendances actuelles. Nous défendons ainsi le « livre d’artiste » en tant que genre d’art plastique sans référence prioritaire ni au texte, ni à l’image, en tant que système multidimensionnel dans lequel l’élément plastique et l’élément écrit peuvent entrer en interaction. Qu’il soit un ensemble de pages ou qu’il soit conçu sur d’autres supports, le livre est un espace expérimental unique explorant la synthétisation du langage verbal (langage partagé, discours) et non-verbal (langage non-partagé, figures).

La vision du livre comme objet d’art trouve son origine à la fin du XIXe siècle, chez Stéphane Mallarmé. Ce fait littéraire réfute l’hypothèse de l’apport intellectuel américain attribué à tort comme primordial dans la création du genre du livre d’artiste au milieu du XXe siècle. Le terme « artist’s book » employé par certains critiques d’art est une implantation artificielle, sacrifiant à la mode anglo-américaine, qui a tenté dans les années quatre-vingt-dix de se substituer à l’expression française « livre d’artiste », en négligeant sciemment le contexte historiographique. En cherchant la « naissance » du livre d’artiste dans les années 1960-1970, sans prendre en compte les traditions antérieures de cet art, les adeptes de l’idéologie de l’« artist’s book » ont imposé un point de repère postérieur à la date d’apparition du « livre d’artiste » en France. Ils cultivent et diffusent massivement des affirmations à caractère rhétorique, visant la seule promotion commerciale des ouvrages dits « artist’s book », menaçant ainsi le livre en tant qu’objet d’art et appliquant au domaine du « livre d’artiste » une production en série de plaquettes d’images (surtout de photographies) ou de livres édités au tirage dit « illimité » selon une approche purement publicitaire.

         « Un commerce, résumé d’intérêts énormes et élémentaires, ceux du nombre, emploie l’imprimerie, pour la propagande d’opinions, le narré du fait divers et cela devient plausible, dans la Presse, limitée à la publicité, il semble, omettant un art. » (Stéphane Mallarmé, Quant au livre

Pour le livre d’artiste d’aujourd’hui en tant qu’œuvre d’art plastique et graphique originale, c’est la question de la création même qui est déterminante et non celle de l’édition au sens de multiplication et de diffusion. Lorsque certains critiques d’art utilisent les expressions « édition », « art multiple », « apparence ordinaire », « démocratisation », « tirage illimité » à propos du livre d’artiste, ils provoquent une confusion dans sa définition et freinent le développement des recherches consacrées à ce sujet. Pour combler cette lacune, la revue Ligature explore les différentes facettes de l’art du livre et l’expérience plastique sur le livre. En dépit des pronostics quant à la disparition, au sein de notre société, du livre papier et de l’œuvre d’art qu’est le livre d’artiste, le processus lié à sa création, prouve le contraire. Les discours catastrophistes qui affirment l’effacement du lien livre/société, ne sont que des spéculations autour du « livre à venir ».  Pour répondre à ce type d’affirmations, nous reprenons les paroles de Jacques Derrida : « le livre ne peut être menacé que par le rien, le non-être, le non-sens ». 

Toutefois, le livre d’artiste résiste à la « dématérialisation » du livre, ses acteurs jouent maintenant un rôle de plus en plus important pour le présent et le futur de l’art du livre. Paradoxalement, ce sont les technologies actuelles qui permettent parfois aux artistes de créer leurs œuvres, de les enrichir d’effets visuels nouveaux. Ainsi, par son origine hybride, le livre d’artiste intègre de nouveaux procédés dans son expérience avec l’objet-livre.

Dernier point. Nous répondons à ceux qui reprochent au livre d’artiste son élitisme, son contenu chargé des significations multiples. Nous reprenons à notre compte ce que disait Paul Celan à propos de ses poèmes : « ils ne sont pas plus hermétiques ou plus géométriques <…> ils ne s’éloignent pas toujours plus du quotidien, ils existent, <…> ils existent dans l’aujourd’hui ». Effectivement, les livres d’artistes en tant qu’œuvres d’art « existent dans l’aujourd’hui », et il faut rendre compte de leur valeur intellectuelle, matérielle, technique, philosophique, esthétique, conceptuelle, plastique, et leur donner toute leur place dans l’art actuel. Par ailleurs, la question d’Arno Schmidt s’adressant aux lecteurs qui ne comprennent pas le Finnegans Wake de James Joyce : « Vous dites ‘ça ne me dit rien’, et vous croyez en être quitte ? » pourrait être posée aussi dans notre contexte. 

Nous proposons aux lecteurs du numéro 7 de Ligature de suivre les interventions de chercheurs, poètes et artistes sur les expériences avec le livre – en particulier l’apport des futuristes russes et italiens –, les découvertes et les inventions (typographiques, graphiques, plastiques) du début du XXe siècle qui sont toujours actuelles dans la création artistique des livres d’aujourd’hui. Le panorama des noms des artistes et poètes avant-gardistes – ceux qui ont travaillé sur le « corps du livre », sur la visualisation du textuel, sur l’abstraction par rapport à l’écriture et sur l’image sous toutes ses formes en tant que langage graphique – est très riche, la revue invite à découvrir des documents rares et inédits autour des œuvres de Filippo Tommaso Marinetti, Velimir Khlebnikov, Ilia Zdanevitch (Iliazd), Ossip Mandelstam…

Dans son essai « La vision de la page. La rencontre du livre cubo-futuriste avec la nouvelle typographie de Filippo Tommaso Marinetti (1912-1916) », Caterina Toschi montre comment le livre cubo-futuriste russe hérite de la nouvelle typographie de Filippo Tommaso Marinetti. Elle étudie les Verse ohne Worte de Hugo Ball qui théorise les fondements de la poésie phonétique de Raoul Hausmann. Elle analyse également les réflexions de Hausmann sur la relation entre le zaum’ russe et la Lautgedicht dadaïste.

Dans son article « La période géorgienne d’Ilia Zdanevitch – ‘grand faiseur de livres’ » Maïa Varsimashvili-Raphael évoque des expérimentations de l’avant-garde de Tbilissi, et souligne l’apport de la tradition culturelle et artistique géorgienne dans la conception du livre d’artiste d’Iliazd. L’œuvre du peintre Pirosmani, les fresques médiévales, l’architecture des églises, l’écriture géorgienne ne cessent de fasciner Ilia Zdanevitch même après son émigration en France en 1920 jusqu’à sa mort en 1975.

Le « Chapeau melon de Mandelstam » Caroline Bérenger est une lecture d’un poème d’Ossip Mandelstam, traduit et mis en mouvement dans le livre d’artiste d’Anne Arc, La Vignes tordue. Comment retrouver un contact direct et immédiat avec les mots du poète, entendre sa voix dans une autre langue et un autre temps ?

Les extraits du journal de l’artiste Fedor Lvov suivis du dossier de son livre Les chansons du langage des étoiles (poème de Velimir Khlebnikov) font découvrir la démarche de l’un des derniers futuristes russes qui a vécu à Saint-Pétersbourg et qui se réfugie   maintenant dans un petit village du canton Fribourg.

Le présent numéro est pensé comme une œuvre collective, non seulement critique et poétique, mais aussi plastique. Nous remercions les artistes du Sphinx Blanc, Henri de l’Amous et François Isson, qui ont contribué à la revue avec une série de collages, issue de leur œuvre Pythagore. Tout est nombre (1 collage original dans chaque de 21 exemplaires de la revue). Ce courant artistique Sphinx Blanc est à la pointe de l’avant-garde et regroupe aujourd’hui, dans le domaine du livre d’artiste, plusieurs artistes de la nouvelle génération, qui conçoivent le processus artistique créatif comme mise en forme de livre (cf. : Anna Samson, Sphinx blanc : le nouveau mouvement artistique ?, dans Ligature n° 3, juin 2013).

Serge Chamchinov,pour le Comité de la rédaction