Édition
Nouvelle parution
L.F. Céline, Lettres à Albert Paraz

L.F. Céline, Lettres à Albert Paraz

Publié le par Bérenger Boulay

Louis-Ferdinand Céline
LETTRES À ALBERT PARAZ(1947-1957) [1980]. 

Édition de Jean Paul Louis. Nouvelle édition révisée en 2009.

Paris: Gallimard, coll. "Les Cahiers de la NRF", 2009, 560 p.

  • ISBN 9782070122448.
  • 36,50 €


Présentation de l'éditeur:

« À partir de mars 1947, ayant quitté la prison pour l'hôpital de Copenhague, Céline peut écrire librement. Son activité épistolaire se développe alors considérablement, avec ses anciens amis restés en France et avec de nouveaux venus qui se manifestent à lui. C'est le cas de l'écrivain Albert Paraz (1899-1957) qui entame sa correspondance avec l'exilé en juin 1947.
Elle durera dix ans et compte 353 lettres. Ce qui en fait l'une des plus étendues après celle que Céline entretient avec sa secrétaire Marie Canavaggia depuis 1936. Cependant elle présente un caractère qui la distingue de toutes les autres : Paraz a l'idée, acceptée avec réserves puis contrôlée par son correspondant, de mêler les lettres qu'il reçoit du Danemark à ses écrits autobiographiques, Le Gala des vaches (1948) et Valsez, saucisses (1950) – ce qui fait de lui le premier éditeur d'une correspondance de Céline. »
Jean Paul Louis.

*  *  *

Dans Le Monde des livres du 5/6/9, on pouvait lire un article sur cette édition:

Critique "Lettres à Albert Paraz 1947-1957", de Céline : Céline, tempo d'enfer LE MONDE DES LIVRES | 04.06.09 |


Le13 mars 1951, sur le point de rentrer en France après six ans d'exilmouvementé et plus de 200 lettres à l'écrivain Albert Paraz, Céline luifait cette confidence d'un genre rare : "J'aurais voulu m'offrir lechronographe Patek Philippe, le plus cher du monde, avec les heures quisonnent, la lune, les jours - tout !" Dans cet émerveillement venutout droit de l'enfance, émouvant désir de gosse, se lit aussi lasagesse instinctive de qui doit absolument reprendre la main sur leTemps, maudit fût-il. Posséder "un Temple et le Dieu du Temps dans sa poche" ? Pourquoi pas. Rappelons que c'est l'époque où Céline termine Féerie pour une autre fois qu'il songe à titrer La Bataille du Styx, voire Maudits soupirs pour une autre fois. Comme quoi, si "la seule catastrophe, c'est le Temps perdu", le salut consistera bien à le retrouver, en gloire, après avoir traversé l'Enfer en "fétichiste des secondes".

empty.gif Emprisonné un an au Danemark en 1946 suite àune demande française d'extradition (1), puis hospitalisé mais toujourspassible d'une condamnation à mort pour trahison, Céline est abritéavec sa femme, à partir de mai 1948, dans le cabanon de son avocat àKlarskovgaard. Là, il réattaque sa correspondance tous azimuts avec sasecrétaire (2), quelques amis, des éditeurs (3), le but étant dereprendre progressivement pied en France. Une stratégie dans laquelleParaz, qui lui écrit dès juin 1947, va jouer un rôle important. D'abordréticent, Céline comprend vite le parti qu'il peut tirer de ce zélateurqui se démène comme un diable pour le faire absoudre et le défendraplus tard comme critique, n'hésitant pas, alors qu'il est complètementtabou, à publier ses lettres dans son Gala des vaches, fin 1948 - livre bientôt suivi d'un Valsez, saucissesintégrant le même procédé, deux ans plus tard. Instrumentalisationréciproque non dénuée d'arrière-pensées de part et d'autre ? Certes,mais qui fait néanmoins de Paraz le premier "éditeur" d'unecorrespondance célinienne et davantage encore.

"C'EST LE PAGEOT QUI COMPTE"

Car Céline a beau se plaindre de "bouffer du néant"en bord de Baltique, ses lettres le montrent surmené : affaireséditoriales d'avant-guerre à régler, textes à envoyer (extraits de Casse-Pipe à Paulhan, A l'agité du bocalen réponse aux attaques de Sartre), recherche d'éditeurs suisses oubelges pour rééditions, mais surtout, défense à organiser dans laperspective de son procès. Dans ces tâches, Paraz le soutient, luicommunique des articles, le tient informé des rumeurs. Qualifié dansd'autres lettres de "brave garçon pas bien réveillé assez agaçant par sa manie de discutailler sur des points de bêtises", de "furieuse commère" ou de "bien gentil" mais "courageux", Paraz est parfois maladroit, trop empressé, gênant. Céline le rabroue alors et l'envoie bouler en l'appelant "grand benêt" !

Impossiblede détailler ici l'ampleur des imbroglios, ragots et carambouilles enfusion auxquels Céline réagit dans ses célèbres rafales d'éructations.C'est un régal d'humour ravageur dont il faudrait presque tout citer.Il ne s'agit pas de "bonheurs d'expression", mais d'un incessant tourniquet à trouvailles où les pépites éclatent en geysers, rafales musicales d'une langue en rut : "Ilsnous font chier avec l'argot on prend la langue qu'on peut on latortille comme on peut elle jouit ou elle jouit pas... c'est le pageotqui compte, pas le dictionnaire ! Les mots ne sont rien s'ils ne sontpas notes d'une musique du tronc..."

D'ailleurs, suffisammentde temps ayant passé pour établir solidement son dossier et que noussachions à quoi nous en tenir sur son cas idéologique, Céline passionneici beaucoup moins par sa victimisation lassante, ses argutiesdouteuses, ses injures haineuses, que parce qu'il écrit de lalittérature, de ses contemporains, du milieu littéraire. S'adressant àun autre écrivain, il se livre ici comme nulle part ailleurs sur sonart, se définissant comme "lyrique comique" et poète - "c'est pas loin du vers mon tapin". Ses livres ? "Des grandes machines à voix et trompettes et tambours - avec ballets mêlés." Ce qu'il crée ? des "jardins d'harmonies". Ecrire ? "Du boulot d'âme." Ce qu'il est ? "Musicien du français", "langue royale" - il n'en démordra plus, et c'est magnifique : "Loindu "parler français" je meurs - il y a peu de Français ou semi-Françaisactuellement en France qui aient véritablement besoin du français ! musique."

Car il y a la langue qu'il forge, lui, "création vivante", et le français "raplati, mort"des traductions. D'où ses diatribes contre la littérature américainequ'il trouve, de ce point de vue, complètement surestimée : "Lesbanlieusards veulent de l'américain, ne bandant qu'à l'américain... dumoment que ça leur vient du Carthage atomique ! Ils avalent toutes lesmerdes pourvu qu'on leur présente en chewing-gums !" Lucidité prophétique de Céline ? C'est l'évidence. L'Histoire ? "On n'en sortira que robots", par insensibilité ("90% des individus ont des nerfs en zinc... réagissent plus guère qu'aux bombes..."). Les auteurs ? "Netiennent que par l'effet publicitaire... Après leur premier livre, ilss'éreintent à se survivre - mais au fond ils sont déjà morts pour lepublic..." Les éditeurs ? "On tire, on empoche et on s'en va ! Au suivant !" Le livre ? "Agonique... ce ne sont plus des livres, les romans actuels, ce sont des scénarios - le cinéma bouffe tout..."

Demeure la grâce de lire - Montluc, Tallemant des Réaux, Vauvenargues, Chamfort, Voltaire, Chateaubriand, etc. "Que je suis jaloux des classiques", s'exclame-t-il un jour. "Je travaille classique moi", déclare-t-il un autre. Son heure viendra et il le sait : "Ma vénération pour le Temps est absolue". Patek Philippe peut garder son platine, Céline fourbit ses lingots en Pléiade.

LETTRES À ALBERT PARAZ 1947-1957 de Céline. Nouvelle édition établie par Jean-Paul Louis. Cahiers de la NRF, Gallimard, 560 p., 36,50 €.

(1) Voir L'Affaire Louis-Ferdinand Céline, de David Alliot, Horay, 2007 et Un autre Céline, d'Henri Godard, Textuel, 2008.
(2) Voir Lettres à Marie Canavaggia 1936-1960, Gallimard, 2007.
(3) Voir Ferdinand furieux (avec 313 lettres inédites de L-F. Céline), de Pierre Monnier, L'Age d'Homme, 1979.

A noter également la parution de Céline, d'Yves Buin, Gallimard, "Folio biographies" inédit, 468 p., 8,60 €.


Cécile GuilbertExtrait

"Meudon, le 4 août 1952
Mon cher JJ -
Tu vas joliment mieux, ces chiffres que tu me donnes font frétiller levieux médecin que je suis. C'est beau. C'est des chiffres. Encore un oudeux ans et tu seras sur la rive - sauvé -
C'est des jeux de vanitétoutes les littératures - ça mérite pas la corde - Quels vents ! Y ades styles des modes - C'est le Temps notre maître - tu trouves le trucdu Temps - de l'actuel - tu baises tout le monde - c'est facile.
Je parle : la musique du Temps, pas les faits qui eux sont rien - chieribom pour Hebdomadaires, les extraordinaires histoires toujours si niaises- des redites d'un siècle à l'autre - mais la musique du Temps changeet n'est jamais la même d'un siècle à l'autre - Seulement c'est la mortqui donne cette musique et elle seulement - il faut payer- c'est atroce et triste - Moi j'y tiens pas, moi si peinard, sianonyme, si retiré de nature et de destin - moi qui aime tant être rien- J'ai été doué tout de travers - Quant à tous ces bafouillants delittérature ils y comprennent absolument pouic - les plus versés - lesplus enragés - C'est tout à côté tout de travers. Ils ressemblent auxgens qui goûtaient l'urine pour estimer la fièvre autrefois. C'est lethermomètre qu'il faut - Ils s'en doutent pas - ils en veulent pas - etque je te glougloute l'urine - ! la merde ! la radio ! la Sorbonne ! leFigaro ! tout -
A toi fils qui va mieux"

Lettres à Albert Paraz 1947-1957 (p. 421).


Article paru dans l'édition du 05.06.09