Questions de société
Lettre ouverte des formateurs de l'Iufm de Grenoble aux universitaires (25/03/10)

Lettre ouverte des formateurs de l'Iufm de Grenoble aux universitaires (25/03/10)

Publié le par Bérenger Boulay

Lettre ouverte des formateurs de l'IUFM de Grenoble aux universitaires

Les formateurs du Collectif de l'IUFM de Grenoble      
collectif.iufmgrenoble@yahoo.fr

à La communauté universitaire de l'académie de Grenoble

le 25 mars 2010


Objet : Lettre ouverte sur la «  Mastérisation » et les conséquences de nos décisions

Chers collègues,

La réforme de la formation des maîtres, à laquelle l'ensemble de la communauté universitaire s'est opposé, prend concrètement forme, aujourd'hui, avec la réalisation des maquettes de masters. En tant que formateurs – universitaires, enseignants issus du premier ou du second degré – engagés dans la formation des maîtres, nous avons analysé avec précision les propositions de maquettes et nous jugeons important, à cette étape du processus, de nous adresser ouvertement à vous pour vous faire part de notre analyse du contenu et des effets de cette réforme.

Sans remettre en cause le travail et l'implication des collègues qui ont participé à l'élaboration de ces maquettes, force est de constater qu'elles sont inacceptables, parce que, contrairement aux discours ministériels, l'organisation des enseignements et les volumes de formation qu'elles proposent ne permettront ni une préparation aux concours, ni une préparation à l'entrée dans le métier d'enseignant. Doublement insatisfaisantes, ces maquettes de master mèneront les étudiants dans une impasse.

Sur le seul aspect de la professionnalisation, la disparition de l'actuelle alternance dans l'année de stage qui suit l'obtention du concours – CRPE ou CAPES –, alternance qui s'étale sur un an et propose des rythmes permettant une réelle formation des stagiaires, annonce un futur désastre dans de nombreuses classes  :

- difficultés attendues pour de nombreux étudiants placés en situation de remplacer pendant le stage « 108 heures » les fonctionnaires stagiaires qui auront obtenu le concours l'année précédente ;

- désastre pour des enseignants non formés, qui, pour l'essentiel, devront trouver eux-mêmes (et en eux-mêmes) des solutions à des situations qu'ils ne sauront pas gérer professionnellement ;

- désastre pour des élèves qui seront les sacrifiés de cette réforme.

Et personne ne peut aujourd'hui invoquer un r attrapage ultérieur de ce désastre puisque la formation continuée sera quasiment inexistante et faite hors temps de service, comme le préconise le projet d'arrêté de mars 2010 dénoncé vigoureusement par La CPU du 18 mars 2010.


Une professionnalisation démantelée :

Les maquettes actuelles prévoient la disparition pure et simple de 50% (en PE) à 65 à 85% (en PLC) des formations non strictement disciplinaires préparant les futurs enseignants

Le stage « 108 heures » ne peut pas être considéré comme un outil de formation, pour trois raisons :

- il est trop restreint (actuellement, un stagiaire PLC2 en fait environ le double et un stagiaire PE2 exactement le triple)

- l'étudiant de M2 remplacera un fonctionnaire stagiaire… non formé, ce qui accroît les difficultés quant à la prise en charge de la classe

- son organisation groupée sur quelques semaines interdit tout processus d'analyse réflexive par aller-retour théorie-pratique.

Le téléscopage de logiques incompatibles :

Etant donné la place des concours (en début de M2) et la sélection prévue entre le M1 et le M2 dans ces maquettes, un nombre important d'admissibles aux concours ne seront pas admis en M2 : ainsi, sur l'académie, en PE, il y aura l'an prochain environ 600 admissibles pour 400 places en M2 , cela signifie que dans le meilleur des cas seulement 2/3 des admissibles pourront suivre un M2… Que vont faire les autres ?

Pour la très grande majorité des étudiants, mener de front préparation au concours, obtention d'un master et entrée dans le métier sera tout simplement impossible et nous pouvons déjà avancer l'hypothèse que nombre d'entre eux, contraints de mener successivement ces différents aspects de leur formation, auront besoin d'une année supplémentaire, ce qui accroîtra d'autant la durée de leur cursus et pénalisera financièrement les familles les plus modestes.

A très court terme, la préparation à la prochaine session des concours relève de la mission impossible puisqu'il faudrait que cette préparation ait lieu… l'été ! Certaines UFR ont déjà annoncé leur décision de ne pas organiser de prépa CAPES pour la session de novembre 2010.

Nous avancions l'idée, depuis plus d'une année, que cette réforme étaient impossible à mettre en place parce qu'elle supposait d'articuler sur deux ans réussite au concours, réussite au Master et préparation au métier. Nous le vérifions clairement aujourd'hui.

Alors que les échéances se rapprochent, nous devons nous positionner collectivement :

- en dénonçant clairement les discours ministériels : non, la formation des maîtres ne sera pas améliorée ; non, l'alternance ne sera pas renforcée ; non, les conditions d'entrée dans le métier ne seront pas « optimisées » !

- en refusant la casse des statuts de la fonction publique (les reçus-collés étant recrutés sans concours et donc sans garanties statutaires) et la destruction progressive du service public de l'école ;

- en refusant qu'une école sans maîtres réellement formés ne devienne, plus encore qu'aujourd'hui, le lieu de la sélection sociale.

Loin d'être isolée, la communauté universitaire peut s'appuyer aujourd'hui sur des soutiens convergents qui émanent de l'ensemble des usagers de l'école :

- la FSU, principale fédération de syndicats d'enseignants, dans un communiqué Snesup en date du 7 mars, « estime que la bataille doit se poursuivre. Elle continue de demander l'abandon de la réforme, le retrait des textes d'application concernant la formation et la remise à plat de l'ensemble de cette réforme ;

- elle appelle les collègues des universités à ne pas proposer de formations de Master se soumettant aux injonctions ministérielles incompatibles avec une formation de qualité des enseignants. Elle exige dans le prolongement de l'année de transition, la révision du calendrier des concours 2011 » ;

- la principale fédération de parents d'élèves, la FCPE, dans une lettre adressée le 17 mars au premier ministre et au président de la République, demande l'abandon de la réforme ;

- de nombreux enseignants du premier et du second degré refusent d'être tuteurs, compte tenu des conditions de stage. Des appels nationaux se font jour dans ce sens. Enseigner est un métier, former des enseignants l'est tout autant !

Devant une telle analyse, unanimement partagée, des effets néfastes de cette réforme, l'Université va-t-elle enclencher ce processus destructeur de l'école publique en France ? Pouvons-nous accepter de mettre en place ce que nous jugeons professionnellement infaisable et éthiquement inacceptable ?

Sommes-nous obligés de nous précipiter et d'hypothéquer ainsi pour longtemps tout autre projet ?