Questions de société

"Lettre ouverte aux enseignant.e.s des universités en lutte en général (et à ceux de Nancy en particulier)", mai 2018

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Yara Greyjoy)

Lettre ouverte aux enseignant.e.s des universités en lutte en général (et à ceux de Nancy en particulier)

Anonyme

 

C’est un.e pair.e qui vous écrit. Cela ne donnera sûrement pas beaucoup de crédit à ce qui va suivre, mais c’est une tentative :

 

Qui que nous soyons, quoique nous pensions de la loi ORE, si même nous en pensons quelque chose et si tant est que l’enjeu ne se réduise qu’à cela,

On aurait pu s’attendre, peut-être naïvement, à nous voir un peu plus sur le campus de la fac des lettres de Nancy par exemple, depuis son « blocage », le 22 mars,

 

Et ce, d’autant qu’un début d’université populaire, depuis baptisée Université Populaire du Sapin, s’est mis en place, et n’a cessé de croître et de s’étendre jusqu’au (temporaire ?) coup d’arrêt du 25 avril 2018 avec l’entrée des forces de l’ordre sur le campus.

 

On aurait pu espérer que nous vinssions y proposer éventuellement quelques cours ou ateliers qui nous auraient tenu à cœur, sortant peut-être de nos programmes habituels, pour continuer à prodiguer notre savoir, sous un autre format, dans un autre climat.

 

On aurait pu penser que nous nous serions saisis de cette opportunité pour réfléchir à ce que l’on peut attendre, vouloir, espérer de ce lieu qu’est l’université (lieu dont par ailleurs, depuis quelques années, nous ne cessons de déplorer la baisse des moyens, des « niveaux », de l’intérêt), et pour commencer à expérimenter ces réflexions, en profitant de ce mouvement, que nous l’approuvions ou non dans sa forme ou dans ses revendications.

 

On aurait pu penser que nous, qui sommes attachés aux mots de « transmission », de « formation », nous nous serions emparés de cette occasion pour transmettre enfin ce qui nous semblait important à dire.

 

On aurait pu espérer que nous réagissions amplement et non pas sporadiquement aux violences policières et interpellations violentes qui ont eu lieu le 3 mai 2018 sur ce même campus lettres, que nous manifestions massivement notre soutien aux étudiant.e.s brutalisé.e.s et arrêtée.e.s, que nous en appelions à la démission de notre président d’université.

 

Tout cela on aurait pu l’espérer, on l’espère encore, et cela n’est pourtant presque jamais arrivé.

 

Que doit-on en conclure ?

Que nous n’avons dans le fond rien à transmettre ? Rien envie de transmettre ? Que tout ces beaux discours ne sont que vent ?

Mais quel monde préparons-nous alors si nous ne transmettons plus rien ? Préparons-nous même un monde, quand, en des occasions aussi ouvertes, chacun reste chez soi, silencieux, sans discours aucun à tenir ?

 

Que doit-on espérer ?

Que les choses s’embrasent encore davantage, qu’il y ait des morts du côté étudiant, ou que l’on touche à notre statut, pour qu’enfin nous nous sentions nous aussi touchés au cœur ?

Pour qu’enfin la routine et le confort n’aient plus aucun sens et que nous soyons en mesure de les quitter, Pour que la vie vivante arrive jusqu’à nous ?

 

À moins que de ce côté-ci du monde, il n’y ait définitivement plus rien à espérer ?

 

N’avons-nous donc rien à dire, rien d’autre à faire qu’à assurer la poursuite de la session d’examens, pour les faire passer, comme si de rien n’était, comme si l’université n’avait pas été violemment « libérée » par les forces de l’ordre à la demande de son président il y a quelques jours ?

Ne s’est-il rien passé ? Ne doit-il rien se passer ?

 

Sommes-nous encore vivants ?

 

Ne pourrions-nous pas enfin sortir de notre silence, nous grouper, plutôt que de rester quelques un.e.s à nous sentir honteux.ses de faire partie de ce corps silencieux et endormi des enseigant.e.s-chercheurs.ses ?

Qui irons voir ailleurs si la vie n’y serait pas.