Questions de société
Lettre ouverte à L. Carroué, président du Capes externe d'histoire-géographie, Inspecteur général (18/03/10)

Lettre ouverte à L. Carroué, président du Capes externe d'histoire-géographie, Inspecteur général (18/03/10)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Coordination Nationale des Universités)

Ci-dessous:

- Lettre ouverte à M. Laurent Carroué, président du Capes externe d'histoire et géographie, Inspecteur général de l'Éducation Nationale, par Jean-Baptiste Bonnard, Didier Lett, Sylvie Steinberg et Michelle Zancarini-Fournel. 18 mars 2010

-  Lettre de cadrage de Laurent Carroué sur le Capes externe histoire-géo. 15 mars 2010.

Lettre ouverte à M. Laurent Carroué, président du Capes externe d'histoire et géographie, Inspecteur général de l'Éducation Nationale, par Jean-Baptiste Bonnard, Didier Lett, Sylvie Steinberg et Michelle Zancarini-Fournel. 18 mars 2010


Monsieur le président,

Cher collègue,

Nous avons pris connaissance de votre note intitulée « De la rénovation du Capes externed'histoire et géographie » ainsi que de votre lettre de cadrage du 15 mars 2010, l'une sur la« philosophie » du concours, l'autre plus technique. Bien que vous y apportiez un certainnombre de précisions attendues sur la réforme du concours, nous aimerions obtenir quelqueséclaircissements supplémentaires, tant nous sommes, en tant que préparateurs aux épreuves,perplexes devant certains de ses dispositifs et peu satisfaits des interprétations que vous enproposez.

Présentant les épreuves elles-mêmes, vous expliquez que leur logique est de « mieuxdistinguer ce qui relève des universités, qui ont la responsabilité de la formation initiale detous les étudiants (…) de ce qui relève de l'Éducation nationale qui a la responsabilité durecrutement, de l'adaptation au métier et de la formation continue des professeurs ». Cetteformulation, nous l'avions déjà relevée sous la plume de M. Xavier Darcos, initiateur de laréforme dite de la masterisation, et sous celle d'un certain nombre de conseillers et hautsfonctionnaires en charge de ce dossier. Depuis un an et demi, elle ne laisse pas de noussurprendre. Dans la situation qui a prévalu jusqu'à présent, il semblait naturel, étant donné leniveau élevé d'exigence du concours et la nécessité de garantir la circulation de connaissancesvalides depuis l'université jusqu'aux plus petites classes, que des universitaires corrigent lesépreuves écrites et siègent dans le jury d'oral – c'était même le gage d'une bonne préparationaux épreuves. Laissez-vous entendre ici que cette situation devrait cesser ? Sinon, pour quelsmotifs insistez-vous sur cette nouvelle répartition des tâches ? S'agit-il pour vous de jeter ledoute sur les capacités des universitaires à comprendre les critères de recrutement duMinistère de l'Éducation Nationale dont ils sont, quels que soient les découpages ministériels,eux-mêmes membres ? Doit-on comprendre que vous vous êtes rallié à l'idée que lesuniversitaires, y compris ceux des IUFM désormais intégrés aux universités, sont desprestataires de service destinés uniquement à emplir des cerveaux de belles connaissances etque seuls des tiers « recruteurs » sauraient sélectionner ceux de ces cerveaux qui seraienthabiles à organiser et transmettre ces connaissances ? Sur quels fondements théoriques unetelle partition entre savoir, capacité de transmission et adaptation à des critères (non formulés)d'employabilité serait-elle possible ? À moins que les universitaires ne soient jugés par leMinistère de l'Éducation Nationale insuffisamment « éthiques et responsables » ?

S'agissant des programmes eux-mêmes, vous indiquez que le fait qu'ils se réfèrent auxprogrammes scolaires est un gage que soient articulés «  plus étroitement démarches etcontenus scientifiques et maîtrise et mise en oeuvre professionnelles ». Nous sommes làencore perplexes : sur certaines questions présentes dans les programmes scolaires, larecherche est pratiquement inexistante tandis que d'autres questions sont renouvelées par leschercheurs sans qu'il y en ait la moindre trace dans les programmes scolaires. Certainespériodes ont disparu ou quasiment disparu des programmes des collèges et lycées (parexemple la formation des royaumes barbares ou même l'Ancien Régime français) tout commecertaines aires géographiques. Quel genre de connaissances devons-nous dès lors dispenser ànos étudiants durant leur cursus ? De solides connaissances sur des sujets jugés par eux« inutiles » car impossibles à réinvestir dans une dissertation ou une leçon de Capes ou desconnaissances approximatives, vieillies voire périmées, mais qui auront une immédiate utilité dans la mesure où elles figurent dans les programmes scolaires ? Ayant reçu une telleformation, sur quelle curiosité intellectuelle et à partir de quelles nouveautés de la rechercheles futurs enseignants pourront-ils fonder le renouvellement de leurs enseignements ? Mais ilest vrai que le Ministère de l'Éducation Nationale sera désormais seul en charge de leurformation continue.

À propos de l'épreuve sur dossier d'oral, vous indiquez qu'il s'agit d'une épreuved'épistémologie, d'histoire des disciplines et de leur enseignement. Les candidats y serontaussi invités à réfléchir sur les « finalités de leur enseignement (dimension didactique etcivique) ». Contrairement aux préparateurs d'autres Capes dont l'épreuve sur dossier était trèsdifférente de ces indications, nous croyons être ici en terrain familier, si ce n'est qu'estréintroduite la dimension didactique que les jurys antérieurs avaient écartée. Néanmoins, unequestion nous taraude : comment ce premier exercice sera-t-il enchaîné avec la question «  agiren fonctionnaire de l'État » ? Les candidats passeront-ils – ce n'est qu'un exemple – d'unequestion sur l'historiographie de la Résistance où ils pourraient, comme c'était le casautrefois, montrer la difficulté de faire dialoguer histoire et mémoire à une question surl'injonction présidentielle de lire la dernière lettre de Guy Môquet à une date fixe de l'annéescolaire dans toutes les classes ? À quel genre de réponse le jury peut-il bien s'attendre ?

Vous vous félicitez ensuite de ce que le Capes sera désormais réellement bivalent. Certes, lenombre des épreuves sera, comme pour tous les Capes, réduit à quatre quand l'ancienneformule en présentait cinq qui, comme chacun en conviendra, est un chiffre impair. Mais ceque nous observons quotidiennement dans les universités n'a rien à voir avec ce problèmed'arithmétique élémentaire : si les étudiants sont moins bien formés à la géographie qu'àl'histoire, c'est que le choix des étudiants de géographie s'oriente davantage vers desdébouchés autres que l'enseignement et que les programmes de recherche des laboratoires degéographie n'ont qu'un très lointain rapport avec la géographie scolaire. Pour remédier à ceproblème, il faudrait soit recruter dans les universités des enseignants qui s'intéressent à lagéographie scolaire, soit renoncer à interroger les candidats au concours sur cette géographiescolaire. À supposer que les moyens et la politique de recrutement dans l'universitépermettent de tels aménagements, il faudrait des années pour en voir les réels effets. Enattendant, dans la nouvelle architecture du Capes, on se contentera de pénaliser les étudiantsqui auront la malchance d'être évalués sur ce qu'ils ne maîtrisent pas et, au bout du compte,plutôt que d'avoir à disposition des critères d'évaluation fiables, on écartera les bons étudiantsau profit des chanceux. Mais nous ne saurions évidemment, dans ce Capes « rénové », nousmêler des critères d'évaluation.

Vous évoquez le nouveau calendrier des épreuves, dont, précisez-vous, le Ministère est seulresponsable (mais qui est le Ministère ?) À ce sujet, nous n'avons qu'une seule question àvous poser : quand comptez-vous que nous fassions cours ? Si, comme vous l'écrivez, lesprogrammes seront connus au 15 avril de l'année même du concours, compte tenu desimpératifs des étudiants eux-mêmes qui doivent passer leur Master 1 en juin voire pournombre d'entre eux en septembre, de leur nécessité à gagner de l'argent pour financer uneannée d'étude supplémentaire, du délai nécessaire aux préparateurs pour préparer des coursavec un minimum d'avance, compte tenu du fait que les universités sont fermées en juillet etaoût, que les enseignants-chercheurs ont pour mission de faire de la recherche, ce qu'ils fontégalement durant l'été, que les sessions de septembre les occupent dès le début de l'annéeuniversitaire, il ne reste qu'un mois environ entre la mi-septembre et la mi-octobre pourdispenser quelques cours, avant que les candidats ne se consacrent à leurs révisions pourpasser le concours en novembre. À moins que le Ministère de l'Éducation Nationale n'ait dans l'idée de laisser se développer des officines privées d'été pour régler une partie desrevendications salariales des universitaires, nous ne voyons pas bien comment des cours depréparation à l'écrit pourront avoir lieu. Sans doute l'absence de préparation participe-t-ellede l'élévation du niveau de recrutement ?

Sur la vitesse de rotation des questions, vous laissez le champ ouvert à diverses possibilités,l'arrêté ministériel du 28 décembre 2009 n'ayant précisé qu'une chose : que leurrenouvellement doit être périodique. Cette incertitude pourrait révéler le degréd'improvisation de cette politique de «  rénovation » des concours. Elle pourraitéventuellement viser à montrer à quel point le Ministère est à l'écoute des critiques qui se fontjour. À nos yeux, cette incertitude est surtout un bon moyen de générer de l'angoisse chez lesétudiants et les préparateurs, qui se trouvent soumis à l'obligation de s'adapter trimestre aprèstrimestre aux errements du Ministère. Quand les universitaires se seront épuisés dans unecourse à l'adaptation de leurs formations, quand les départements et les UFR se seront diviséssur la réponse à apporter aux directives du Ministère, quand aura joué à plein laculpabilisation des préparateurs sommés de « sauver » leurs formations et leurs étudiants faceà la concurrence de l'université voisine ou à la menace de fermeture (IUFM), de quelleréserve d'enthousiasme et de dévouement disposerez-vous pour enseigner leur métier auxplus jeunes ?

Vous concluez en vous disant «  conscient des difficultés qui peuvent se faire jour ». En fait dedifficultés, nous ne voyons que des impasses insurmontables, dénoncées par l'ensemble desacteurs de la formation depuis plus d'un an. En fait de « novations », des nouveautés absurdesqui mettent en péril le niveau de formation théorique et pratique des futurs enseignants,l'entrée sereine dans leur métier de nos étudiants, l'avenir des Masters recherche, lespréparations à l'Agrégation dans les centres universitaires autres que parisiens et lyonnais,pour nous en tenir à leurs effets les plus évidents et immédiats.

Dans l'attente de vos éclaircissements, nous vous prions de recevoir, Monsieur le président etcher collègue, nos sincères salutations,

Paris, le 18 mars 2010

Jean-Baptiste Bonnard, MCF d'Histoire antique, Université de Caen, ex-membre du jury duCapes

Didier Lett, professeur d'Histoire médiévale, Université Paris 7-Diderot, coordinateur desconcours

Sylvie Steinberg, MCF d'Histoire moderne, Université de Rouen, coordinatrice des concours

Michelle Zancarini-Fournel, professeur d'Histoire contemporaine, Université Lyon I-IUFM,préparatrice de l'épreuve professionnelle puis sur dossier depuis 19 ans.

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 Lettre de cadrage de Laurent Carroué sur le Capes externe histoire-géo. 15 mars 2010.

Madame, Monsieur, 


Comme vous le savez sans doute, le *Capes externe d'histoire et de géographie va connaître en 2011 d'importants changements. Afin d'aider au mieux les centres de préparation et les futurs candidats dans la réalisation de leurs maquettes pédagogiques et/ou dans leurs préparations à cet important concours national de recrutement des futurs enseignants de nos disciplines, il m'a semblé nécessaire de rédiger une Lettre de cadrage. Je vous demande d'en assurer - si vous le jugez utile et nécessaire -une trés large diffusion. En vous remerciant par avance. 
CordialementLaurent CARROUE
Inspecteur général

Président du jury du CAPES externe d'histoire et géographie

La lettre est à télécharger ci-dessous (document joint).