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"Le front syndical n'est pas unanime sur les solutions, mais récusela vision gouvernementale de la réforme de la formation desenseignants. Nouvel épisode : l'UNSA et le CFDT ont envoyé une lettrecommune aux deux ministres qui détaille leur vision de la réforme.
Quelleréponse auront-ils ? Les ministres, confortés par le résultats desélections européennes, auront-il envie de ralentir le cours desréformes alors qu'ils ont plutôt donné des signes montrant leurimpatience d'en finir ?"
Patrick GONTHIER,
Secrétaire général,
FÉDÉRATION UNSA ÉDUCATION,
87 bis avenue Georges Gosnat
94853 — Ivry‐sur‐Seine Cedex
Thierry CADART,
Secrétaire général,
FÉDÉRATION DES SGEN‐CFDT
47/49 avenue Simon‐Bolivar,
75950 — Paris Cedex 19
à
Madame Valérie PÉCRESSE,
Ministre de l'Enseignement supérieur
et de la Recherche
Monsieur Xavier DARCOS,
Ministre de l'Éducation nationale
Objet : formation et recrutement des enseignants
Madame la Ministre,
Monsieur le Ministre,
La formation des enseignants est à la croisée des chemins. Compte tenu de l'urgence de la situation, la fédération des SGEN‐CFDT et la fédération UNSA Éducation ont jugé nécessaire de vous interpeller solennellement.
En effet, l'examen précipité des projets de décrets sur les concours de recrutement par le Comité technique paritaire ministériel de l'Éducation nationale et, bientôt, par le Conseil supérieur de la fonction publique de l'État, « préempte » l'avenir, alors même que la commission de concertation Marois‐Filâtre n'a pas achevé ses travaux. Une rupture risque d'en découler, notamment avec le monde universitaire.
Nous avons pourtant enregistré, dans la procédure de concertation qui s'était amorcée, des avancées réelles, qu'il s'agisse des mesures transitoires, du contenu des concours, de l'année de fonctionnaire stagiaire ou d'une rénovation, fondée sur un plus haut degré d'exigence, de l'agrégation.
Nous comprenons d'autant moins une crispation que rien n'explique. Les organisations syndicales présentes lors de la concertation ont exprimé leur accord avec la nécessité, pour les futurs enseignants, de recevoir le grade de master (M2) avant d'être nommés fonctionnaires stagiaires. Or quatre questions majeures risquent de mettre en péril un fragile équilibre : la place du concours ; la prise en compte, pour tous les enseignants, du « référentiel de compétences » ; la nécessité d'un cadrage national ; la situation des IUFM. La place du concours, envisagée en cours de deuxième année de master (M2) pose un triple‐problème :
Elle risque de conduire dans l'impasse cinq étudiants sur six engagés dans un master « enseignement » qui n'auraient aucune perspective d'emploi, avec un mécanisme désastreux, socialement inacceptable, générant quelque 100 000 « reçus collés », alors même que l'insertion professionnelle figure dans les missions que la loi donne aujourd'hui à l'Université. L'argument visant à évoquer des « masters larges » paraît vain, tant il est évident que la dimension professionnelle sera nécessairement très prégnante.;
Pour des raisons d'organisation que tout président d'université, directeur d'UFR ou responsable de master connaît, elle conduirait à la « cannibalisation » des autres masters qu'il serait impossible d'organiser et qui pourraient purement et simplement disparaître. La situation serait notamment catastrophique à court terme en lettres et sciences humaines, quand, pourtant, le besoin d'élargir les recrutements à des formations qui ne soient pas seulement fondées sur le « tout mathématique » sont
ressenties jusque dans les écoles de commerce.
Enfin, elle poserait des problèmes considérables en matière d'organisation de stages de terrain qui, de surcroît devraient s'exercer « en responsabilité ». Ce ne serait ni dans l'intérêt des étudiants ni dans celui des élèves.
Les deux fédérations (UNSA Éducation et SGEN‐CFDT) ont proposé une autre solution,
compatible avec l'esprit de la mastérisation : un concours organisé sur une année en
glissement, avec, en fin de M1, une admissibilité calibrée (en fonction des besoins de
recrutement étendus aux recrutements sur listes complémentaires et à une marge de
sécurité) et, à l'issue du M2, les épreuves définitives d'admission.
Cette proposition permettrait, au travers de ce que nous avons nommé une « organisation
des masters en râteau (forte dimension disciplinaire en M1 avec une initiation à la
recherche, spécialisations plus variées en M2 dans le cadre de masters « unifiés »,
professionnels ou de recherche), de prendre en compte la situation des étudiants non
admissibles ne souhaitant pas refaire une année supplémentaire de préparation aux
concours.
La question du « référentiel unique de compétences », élément de l'unicité du métier
enseignant est une question majeure. Enseigner est un métier qui nécessite tout à la fois la
maîtrise des connaissances et compétences que requiert l'enseignement de la ou des
disciplines, mais aussi la connaissance du milieu professionnel dans lequel exercent les
enseignants. La première compétence requise des enseignants est qu'ils agissent en
fonctionnaires de l'État, avec les droits mais aussi les obligations que cela implique.
Cette dimension doit être présente dans le concours. Elle implique, pour l'ensemble des
concours, une épreuve de connaissance générale du système éducatif. Au moment même où
l'on insiste sur la nécessité de développer la sensibilité de tous les acteurs aux enjeux d'une
orientation active, ou encore sur la continuité entre les différents ordres d'enseignement,
nos deux fédérations (SGEN‐CFDT et UNSA Éducation) considèrent que cette exigence
s'impose pour tous les enseignants.
La demande d'un cadrage national, copiloté par vos deux ministères a fait l'objet d'un
accord large des organisations présentes à la concertation. Ce cadrage doit servir à la fois à
définir le contenu attendu des nouveaux masters, à guider la place de chaque composante
dans leur mise en place , à expliciter les apprentissages requis et à établir une carte
nationale des formations pour éviter que ne se créent des « déserts ». Les deux fédérations
UNSA Éducation et SGEN‐CFDT demandent que, au‐delà de déclarations d'intention, cette
question soit traitée concrètement. Si chacun des deux ministères concernés a ses
responsabilités et sa sphère d'intervention propres, il n'en demeure pas moins que toute
décision prise ici peut avoir des répercussions, et non des moindres comme nous l'avons
montré sur la question des concours, là.
Sans remettre en cause l'autonomie des universités ou l'indépendance pédagogique des
structures de formation (comme les actuels IUFM ou les UFR assurant des préparations aux
concours), il faut veiller à la cohérence qu'imposent des concours à caractère national. Cette
cohérence passe par deux éléments : une grille d'évaluation s'appuyant sur le référentiel
unique de compétences et l'obligation d'une signature des maquettes à la fois par une
composante professionnelle et une composante académique. L'importance du référentiel
unique de compétences doit être réaffirmée à cet égard. Mais il faut aussi veiller à un
équilibrage géographique des préparations, y compris pour des raisons d'attractivité du
vivier.
La question des stages de terrain est un élément important d'un tel cadrage. Poser les
stagiaires comme des pions avant de les ramener en formation universitaire n'a guère de
sens et ne donne guère de sens au stage, réduit à une expérience nécessairement limitée
dans le temps.
Les deux fédérations SGEN‐CFDT et UNSA Éducation préconisent donc la mise en oeuvre de
stages co‐préparés, sous co‐tutelle et co‐évalués. Cela implique, en fonction de la nature de
celui‐ci (observation, pratique accompagnée, responsabilité), qu'un cahier des charges et un
référentiel précis permettent des définir ce qui est attendu de l'Université, de
l'établissement (ou des formateurs de terrain dans le premier degré) et des stagiaires. Ce
serait là, à nos yeux, la meilleure manière de mettre en pratique le concept d'alternance
professionnelle que nous appelons de nos voeux. Il va de soi qu'un tel système doit prendre
en considération d'autres paramètres, comme l'autonomie des EPLE et leur charte de
pilotage.
La situation des IUFM doit être regardée sans apriori idéologique. Ils représentent
aujourd'hui un réseau de formateurs variés (enseignants‐chercheurs, enseignants des
premier et second degrés, formateurs de terrain), avec un maillage territorial sans
équivalent (centres départementaux et locaux) et, surtout, des compétences en termes
d'ingénierie de la formation des enseignants qu'il s'agit de valoriser.
La loi de 2005 sur l'éducation (intégration des IUFM, établissements publics administratifs,
dans les universités avec le statut d'« école interne » qui s'applique aujourd'hui aux IUT, IAE
ou même à des écoles d'ingénieurs) a rendu inéluctables des évolutions qu'accentue la
mastérisation. Nonobstant certains raisonnements aussi caricaturaux que saugrenus, les
deux fédérations UNSA Éducation et SGEN‐CFDT refusent le retour aux écoles normales de
jadis.
Les deux fédérations SGEN‐CFDT et UNSA Éducation demandent donc des incitations fortes
pour que se développent les coopérations entre UFR des universités, intégratrices ou non, et
les IUFM. Elles ne sauraient accepter que leur rôle se réduise à celui d'un simple prestataire
de service chargé de l'intendance des stages professionnels ou d'un repli, de fait, sur le
premier degré ce qui conduirait paradoxalement à une régression de type « école normale ».
Nous n'avons pas voulu, dans ce courrier, revenir dans les détails sur d'autres chantiers tout
aussi importants à nos yeux, qu'il s'agisse des aides aux étudiants dans un contexte
d'allongement de la durée d'études requises, de la nécessité de regarder de près la question
des viviers (spécifiquement, mais pas exclusivement, outre‐mer ou pour certaines spécialités
professionnelles), les conséquences des changements en cours sur les formations ASH ou de
psychologues, etc.
Il y a aujourd'hui des points clés qui peuvent rendre impraticable la mastérisation en
risquant au passage de transformer aussi bien la formation des enseignants que le second
cycle universitaire en champs de ruine en raison de décisions précipitées, à l'impact
insuffisamment mesuré quelles qu'aient été nos interventions. Il y aussi le risque d'une
coupure profonde, durable entre le monde universitaire et le ministère de l'Éducation
nationale, au risque de faire durer des situations aussi improductives que conflictuelles.
La fédération UNSA Éducation et la fédération des SGEN‐CFDT en appellent à votre sens
des responsabilités. Il est nécessaire de différer l'examen — et à tout le moins la
publication — de projets de décrets tant que n'auront pas été examinées de manière
sereine les conclusions de la mission Marois‐Filâtre qui doit pouvoir mener ses travaux
jusqu'à son terme en toute sérénité.
Il est indispensable de sortir d'une logique de passage en force aujourd'hui dépassée. Nos
organisations ont su prendre leurs responsabilités, tout récemment encore dans
l'enseignement supérieur ; elles considèrent que le processus de discussions doit permettre
d'aboutir à la sortie de crise. C'est dans cet esprit que s'inscrivent les propositions de nos
fédérations. Elles ne remettent pas en cause la mastérisation : elles la rendent possible.
Il vous appartient, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, de donner des signes rapides
et décisifs à tous ceux qui pensent que la logique de négociation peut prévaloir encore.
Veuillez agréer, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, l'expression de notre profond
attachement au service public d'éducation.
Patrick GONTHIER, Secrétaire Général de la fédération UNSA Éducation
Thierry CADART, Secrétaire Général de la fédération des SGEN‐CFDT