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Les vers latins en France au XIXe siècle (Romain Jalabert)

Les vers latins en France au XIXe siècle (Romain Jalabert)

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Romain Jalabart)

Romain Jalabert soutiendra sa thèse de doctorat :

                          Les vers latins en France au XIXe siècle

qui se déroulera dans l'amphithéâtre Guizot à l’université Paris-Sorbonne, le jeudi 3 septembre, à partir de 14h.

Le jury sera composé de :

Mme Perrine Galand, Directeur d’études à l’EPHE
M. André Guyaux, Professeur à l’université Paris-Sorbonne (directeur de thèse)
M. Jean-Nicolas Illouz, Professeur à l’université Paris VIII
M. Bertrand Marchal, Professeur à l’université Paris-Sorbonne
M. Dirk Sacré, Professeur à l’Université Catholique de Leuven

Position de thèse :

La recherche que nous avons menée sur les vers latins composés et publiés en France au xixe siècle porte sur plus de trois mille huit cent cinquante références, partagées entre mille cent seize anonymes et mille deux cent soixante-neuf auteurs. Elle intègre et complète les références contenues dans la « Bibliographie intermédiaire des poètes et versificateurs latins en France au xixe siècle », que nous avons publiée avec Dirk Sacré, en 2010[1]. Des investigations systématiques ont été conduites dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France, en particulier parmi les ouvrages conservés sous la cote YC « poésie latine » de la cotation Clément, aux Archives nationales et dans les catalogues de bibliothèques de province. Les périodiques ont fait l’objet de relevés à partir des tables méthodiques, lorsqu’elles étaient disponibles, ou au moyen de dépouillements. Les revues spécialisées dans l’enseignement secondaire au xixe siècle ont été identifiées à partir de la banque de données PÉNÉLOPÉE sur la presse d’éducation, de l’IFÉ, qui reprend le travail de Pierre Caspard sur La Presse d’éducation et d’enseignement xviiie-1940[2]. Les publications des sociétés savantes l’ont été à partir de l’index des sociétés savantes établi par Jean-Pierre Chaline[3].

Notre travail se situe dans le contexte d’un regain d’intérêt pour l’histoire du latin, illustré par les ouvrages de Françoise Waquet, Le Latin ou l’empire d’un signe, et de Wilfried Stroh, Le Latin est mort, vive le latin ![4], et répond à une remarque de Jozef IJsewijn regrettant l’absence d’étude d’ensemble sur la poésie néo-latine du xixe siècle en France : « In the 19th century Latin poetry seems to disappear rapidly in France. That does not mean that no more Latin versifiers were at work. […] It is difficult to say much of these amusements of belated humanists, since virtually nothing has been written on them[5]. » Il complète l’important article de Dirk Sacré sur « la poésie néo-latine en France au xixe siècle[6] », les études de corpus de Dietrich Briesmeister, de Raúl Manchón Gómez, d’Hermann Krüssel, de Gérard Oberlé ou de Lázló Szörényi, les articles de Michel Murat, de Marie-France de Palacio, de Dirk Sacré, de Corinne Saminadayar-Perrin ou d’Alfonso Traina, et les éditions de poètes du xixe siècle composant en latin établies par André Guyaux, Giampietro Marconi ou George Hugo Tucker. Il prolonge les réflexions sur l’importance de la culture latine dans la littérature française du xixe siècle qui furent le sujet du colloque La Réception du latin du xixe siècle à nos jours, en septembre 1994, et d’une série d’études sur l’influence des classiques latins sur Lamartine, Hugo, Musset, Sainte-Beuve, Baudelaire ou Rimbaud. Il contribue à l’étude du champ littéraire, réglé, selon Bertrand Marchal, « par la force des institutions et des traditions[7] ». Il propose des analyses dans les domaines de l’histoire des pratiques poétiques, de l’histoire des institutions littéraires, de l’histoire de l’enseignement, de l’histoire du livre, de l’histoire de la pensée critique, de l’histoire des mentalités et de la vie intellectuelle et littéraire.

La poésie néo-latine en France au xixe siècle a connu une vitalité comparable à celle qu’elle a connue dans les autres pays d’Europe. L’impression d’une pratique réduite à quelques humanistes tardifs (« belated humanists[8] ») peut être rapportée au sentiment que les poètes néo-latins eurent de leur propre pratique, aux témoignages acerbes de Jules Vallès, dans L’Enfant et Le Bachelier, ou à la fortune de « Franciscae meae laudes » de Baudelaire et du latin décadent dans la littérature française. Elle correspond au climat d’instabilité des programmes scolaires, à la querelle du latin et à l’abandon progressif de la pédagogie formaliste. Elle s’explique par la discrétion des Français dans les concours internationaux de poésie néo-latine comme le Certamen Hoeufftianum (1845-1978) ou le Concours pour un poème latin sur le pontificat de S. S. Léon XIII (1883), à l’exception de l’abbé Pigot, de François-Xavier Reuss et d’Adhémar d’Alès ; elle s’explique aussi par l’absence de poète néo-latin de la renommée de Giovanni Pascoli (1855-1912) et de Léon XIII (1810-1903). Elle naît du manque de formes institutionnelles de valorisation des vers latins, après leur suppression du concours général, et du renoncement plus général des institutions culturelles françaises aux concours de poésie à sujet officiel, au profit du parrainage de recueils déjà parus[9].

L’importance des compositions d’élèves dans l’ensemble de la bibliographie rappelle que les vers latins furent un exercice scolaire, pour « deux à trois pourcents de la classe d’âge masculine[10] ». De l’Empire à Jules Ferry, et jusqu’au début du xxe siècle pour les petits séminaires, les vers latins ont symbolisé, avec le discours latin, l’enseignement humaniste restauré, centré sur le latin et sur la connaissance de soi. Ils furent au programme des principales procédures d’évaluation et de sélection de l’Université, en Lettres, à l’exception du baccalauréat. Les matières de vers reflétaient les enjeux politiques de la discipline dans les collèges publics, invitant à réconcilier les héritages de l’Ancien Régime, de la Révolution et de l’Empire, ou traduisaient le recentrement du modèle latin autour de la Rome antique, dans les années 1860. Elles étaient volontiers narratives ou descriptives, mais pouvaient intégrer une part de critique littéraire. Les collégiens suivaient, chaque semaine, deux classes de vers latins, et leur consacraient quatre heures d’étude. Ils composaient, en outre, pour les fêtes de souveraineté et pour les fêtes scolaires, pour le banquet de la Saint-Charlemagne, par exemple. Des vers latins de collégiens étaient publiés dans des périodiques, dans des manuels ou en brochures. Ils purent favoriser une carrière dans l’enseignement, dans l’administration ou dans les lettres, ou accompagner une entrée dans le monde. Les normaliens de la génération de Taine, Edmond About notamment, ou ceux qui entrèrent à l’Académie française, à partir de 1890 et jusque dans les années 1920, comme Paul Bourget ou Abel Hermant, composèrent des vers latins, parfois avec succès. Si le renforcement du caractère normatif des examens et des concours, à mesure que se précisaient les règlements des épreuves écrites, a pu contribuer à l’essoufflement de l’exercice, son absence au baccalauréat put lui garantir, au collège, un rôle récréatif, son caractère élitiste faisant écho aux théories de l’inspiration et de l’élection du poète. Les vers latins mobilisaient l’imagination des élèves, leur mémoire des textes mais également leur expérience et leurs émotions. Ils requéraient une maîtrise du rythme et des figures de rhétorique, une capacité à traiter les lieux communs et des talents d’amplification. Ils initiaient au goût et à l’élégance, qualités qui, dans la pensée classique, s’assimilaient à une idée de la poésie mêlant un savoir-faire à une sensibilité et à la morale, et échappant aux manuels scolaires. Ils nourrissaient, chez certains élèves, un imaginaire de la création associant l’effort et le feu de l’inspiration. L’évaluation par les professeurs ne se limitait pas à la correction des fautes de métrique. Elle ancrait les vers latin dans les belles-lettres, Horace incarnant, davantage que Virgile, une autorité poétique qui convenait à la fois aux collégiens et à leurs professeurs.

En dehors des compositions de collégiens, les auteurs de poèmes néo-latins étaient majoritairement des professeurs et relevaient d’une pratique académique de la poésie. Le nombre des compliments lyriques ne se limite pas aux références de notre bibliographie. Ils se sont abondamment développés dans le milieu ecclésiastique. Cependant, des fonctionnaires, des militaires, des hommes de lettres, des médecins, des hommes politiques, des avocats et des imprimeurs purent également composer des vers latins, en particulier dans le premier tiers du xixe siècle. S’ils faisaient écho au goût de l’époque pour les poètes latins mineurs et s’ils prolongeaient une tradition humaniste, leurs vers relevaient des belles-lettres, comme le laissent penser les nombreuses traductions de poètes français classiques et contemporains. Ils témoignent de l’essoufflement de l’épopée et de la fin de l’âge d’or de la fable. Ils soulignent l’importance d’Athalie et de Phèdre dans la culture littéraire, et rappellent la fortune des genres didactiques et descriptifs, le grand nombre d’épigrammes, d’inscriptions, d’épitaphes, d’énigmes, de charades ou de logogriphes se rattachant à une conception récréative de la poésie, héritière de la tradition jésuite et de Voltaire. La vogue de l’ode civique, dans le premier tiers du xixe siècle, fut également néo-latine. Elle représente, dans notre bibliographie, environ deux cent quatre-vingts poèmes, publiés majoritairement avant 1830, même si le Second Empire fut lui aussi célébré en latin. L’engouement poétique pour Napoléon peut être relié à un renouvellement de la classe politique. Les odes de la Restauration font écho au goût de Louis XVIII pour le latin et à sa politique scolaire. La majorité des poèmes étaient l’expression d’une adhésion spontanée, où l’émotion donnait l’impulsion de l’écriture, et où la surenchère accentuait l’euphorie de l’éloge, soulignant son caractère rituel et sa visée fédératrice. Les poètes n’avaient pas de lien avec le mécénat, même si certains d’entre eux, comme Paul-Henri Marron, Louis-François Cauchy, Paul-Gabriel Le Preux ou Simon-Abel Lonqueüe, se rapprochaient d’une pratique professionnelle de l’éloge. Le lyrisme intime néo-latin se rattachait à une circonstance qui justifiait l’expression d’une émotion, dans la tradition du « calor subitus » et de la « mimèsis des sentiments ». Il s’opposait au romantisme français, dont la mélancolie était jugée factice. La réflexion sur le lyrisme éthique est contemporaine d’une recherche de synthèse entre l’esthétique classique et la philosophie sensualiste. Le romantisme néo-latin, d’inspiration spiritualiste, a pu prendre la forme de traductions d’œuvres d’inspiration religieuse et métaphysique, de Lamartine notamment. Le recueil Vidui desideria, consolatorius liber. Mon veuvage, regrets et consolations, d’Eugène Cauchy, où apparaît une tendance à fondre le deuil dans un mal existentiel, constitue un cas remarquable de romantisme néo-latin. À la fin des années 1860, parallèlement à Jamque novus…, inspiré de L’Ange et l’enfant de Jean Reboul, et aux Étrennes des orphelins, Rimbaud composait des vers romantiques en latin et en français, qui intégraient également l’héritage sensualiste[11] :

 

Tacito spectacula visu

Attonitus contemplabar : pectusque calentis

Insinuabat amor ruris[12].

 

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :

Mais l’amour infini me montera dans l’âme[13].

 

Enfin, les vers latins pouvaient être au service d’un usage social et politique de la poésie, identifiable à un échange de dons et de contre-dons. Ils favorisaient la communication d’un proviseur avec son ministre de tutelle. Ils accompagnaient des demandes de promotion, d’indemnité ou d’encouragements littéraires, comme dans le cas de Simon-Abel Lonqueüe, autoproclamé « poète lyrique latin de la Restauration ». La pratique poétique était en général sous-évaluée, identifiée à l’exercice scolaire et qualifiée d’anachronique, dans les notices biographiques et dans la presse. La revue latine Hermes romanus témoigne cependant de l’unanimité des courants politiques de la Restauration sur les questions d’éducation. Le mot d’ordre de Louis XVIII (« Il n’y a que ceux qui savent bien le latin qui sachent le français ») fut mis en vers latins et repris par les défenseurs des humanités, durant tout le siècle. L’Hermes romanus eut également une diffusion européenne et put être conçu comme un signe de la bonne volonté de la France, après l’épisode des Cent-jours, son éditeur, Joseph-Nicolas Barbier-Vémars, recevant le titre de « premier humaniste de l’Europe ». L’arrêt de la publication de la revue fut ressenti, à l’époque, comme la fin d’une période faste, allant de 1750 à 1830, qui correspondait à un âge d’or des humanités, symbolisé par l’institution Sainte-Barbe et le concours général, et à une génération d’élèves et de professeurs arrivés aux responsabilités à la fin du xviiie siècle et revenus au pouvoir au retour des Bourbon. La poésie de cette période eut une inspiration commune, en latin ou en français.

 

[1]. Romain Jalabert, Dirk Sacré, « Bibliographie intermédiaire des poètes et versificateurs latins en France au xixe siècle », Humanistica Lovaniensia, n° LIX, 2010, p. 223-304.

[2]. La Presse d’éducation et d’enseignement XVIIIe-1940, dir. Pierre Caspard, Paris, INRP-CNRS, 1981-1991.

[3]. Jean-Pierre Chaline, Sociabilité et érudition. Les sociétés savantes en France, xixe-xxe siècle, Éditions du CTHS, 1995, p. 455-464.

[4]. Françoise Waquet, Le Latin ou l’empire d’un signe. xvie-xxe siècle, Paris, Albin Michel, 1998 ; Wilfried Stroh, Le Latin est mort, vive le latin ! Petite histoire d'une grande langue, Paris, Les Belles lettres, 2008.

[5]. Jozef IJsewijn, Companion to Neo-Latin Studies, I : « History and Diffusion of Neo-Latin Literature », Supplementa Humanistica Lovaniensia, no V, 2e éd., Leuven University Press, 1990, p. 138.

[6]. Dirk Sacré, « La poésie néo-latine en France au xixe siècle », dans La Réception du latin du xixe siècle à nos jours. Actes du colloque d’Angers des 23 et 24 septembre 1994, éd. Georges Cesbron et Laurence Richer, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 1996, p. 67-77.

[7]. Bertrand Marchal, « La poésie », dans La Littérature française : dynamique et histoire, dir. Jean-Yves Tadié, Gallimard, coll. « Folio Essais », t. II p. 374.

[8]. Jozef IJsewijn, Companion to Neo-Latin Studies, op. cit., p. 138.

[9]. Voir Lise Sabourin, « Poètes et poésie à l’Académie française au xixe siècle (1803-1914) », Francofonia, n° 67, automne 2014, p. 139-156.

[10]. Pierre Albertini, L’École en France, xixe-xxe siècle, de la maternelle à l’université, Paris, Hachette, 1992, p. 12.

[11]. Sur l’héritage de la grammaire sensualiste chez Rimbaud, voir l’article d’Olivier Bivort, « La “grammaire” de Rimbaud », dans Vies et poétiques de Rimbaud, Charleville-Mézières, dir. Steve Murphy, Gérard Martin et Alain Tourneux, Parade Sauvage, Colloque n° 5, 2005, p. 17-37.

[12]. Rimbaud, « Ver erat… », dans Œuvres complètes, édition établie par André Guyaux avec la collaboration d’Aurélia Cervoni, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 9. « Stupéfié, je contemplais ces spectacles avec recueillement. Et l’amour de la chaude campagne pénétrait mon âme. » (Traduction de Marie-France de Palacio, ibid.)

[13]. Rimbaud, Sensation, ibid., p. 16.