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Les relations familiales dans les littératures françaises et francophones…

Les relations familiales dans les littératures françaises et francophones…

Publié le par Marc Escola (Source : Murielle Lucie Clément)

Compte rendu du colloque :

Relations familiales dans les littératures française et francophone
des XXe et XXIe siècles
Université d'Amsterdam (UVA)
25 et 26 octobre 2006


Faculté des Sciences Humaines
Département des langues romanes
(Franse taal- en letterkunde)
Spuistraat 134
1012 VT Amsterdam
Pays-Bas
www.uva.nl

Colloque organisé grâce au soutien financier de :

* Leerstoelgroep Franse Letterkunde van de Faculteit der Geesteswetenschappen
* Instituut voor Cultuuranalyse (ASCA)
* Instituut voor Cultuur en Geschiedenis (ICG)

* Koninklijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen

Colloque organisé par :
Sabine van Wesemael :  S.M.E.vanWesemael@uva.nl
Murielle Lucie Clément : m.l.clement1@mac.com


Les relations familiales et incestueuses dans
Les Séquestrés d’Altona de J.-P. Sartre
Abdullatif Acarlioglu
Université Anadolu

Dans la pièce Les séquestrés d’Altona de Sartre sont représentés presque tous les membres qui composent une famille. L’auteur décrit pleinement les relations familiales : père/fils aîné, père/fils cadet, père/fille, père/bru, époux/épouse, frère aîné/sœur, frère cadet/sœur, sœur/belle-sœur, frère/belle-sœur, frère cadet/frère aîné ainsi que les relations incestueuses : frère aîné/sœur, frère aîné/belle-sœur. Seule manque la mère dont le rôle est, je pense, occupé par la fille. Nous assistons aussi à une lutte particulièrement intéressante entre frères qui rappelle celle d’Abel et Caïn.
Les conversations ont lieu dans une atmosphère tendue. Ces échanges verbaux sont basés, non pas sur la pauvreté, mais sur la richesse, car il est question de l’administration du capital du père après sa mort. L’Entreprise pourrait être considérée comme un autre personnage puisqu’elle est à l’origine du conflit. Les rapports réciproques entre les membres de la famille sont extrêmement fragiles. Déchirés, ils se nuisent et se détestent mutuellement. Ils sont en conflit permanent : il n’y a pas deux personnages entre lesquels il n’existe pas de lutte et ils sont victimes à tour de rôle. Le passé des personnages, notamment celui de Frantz qui oriente leurs comportements par souci de purification, ne fait qu’augmenter la tension : l’auteur utilise pour cela des techniques narratives de rétrospection. Les personnages vivent sous le même toit, mais chacun est seul dans son propre espace clos comme le montre bien le titre de la pièce. Ils ne peuvent sortir de leur maison, ni se séparer. Cette séquestration est apparemment volontaire, mais elle est forcée, car personne ne s’enfermerait volontairement.
Le thème de la séquestration reste d’actualité plus qu’il ne l’a jamais été, dans notre société où tout le monde fuit tout le monde. Je vais tenter de savoir si nous sommes tous séquestrés et comment.

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Droit d’aînesse et autorité familiale chez
Daniel Biyaoula et Fatou Diome
Louis Bertin Amougou
Université de Dschang

En Afrique subsaharienne, les relations familiales sont d’une telle complexité que leur logique échappe à toute tentative d’analyse calquée sur le modèle de la famille nucléaire occidentale. Si certaines de ces relations ont fait l’objet d’études plus ou moins poussées, il en reste une qui attend toujours d’être examinée : la relation entre les membres d’une famille fondée sur le droit traditionnel d’aînesse. Un droit auquel l’évolution sociale, économique et politique du continent a imprimé des mutations fondamentales dont les dérives semblent aujourd’hui tenir en deux attitudes extrémistes. La première est figurée par la dictature que Samuel, du fait de sa puissance financière et matérielle, exerce sur l’ensemble de sa famille en général et Joseph Ngakula, son cadet, en particulier et qui  fait dire à ce dernier : « Les gens, quand ils croient qu’ils vous chapeautent, ils essaient d’accaparer votre tête, vos paroles, tout jusqu’à vos sentiments, vos émotions, qu’ils n’entendent pas rencontrer une quelconque opposition de la part de ceux qui sont censés être sous leur férule  ».
La seconde quant à elle est reflétée par la pression que Madické, resté au pays, exerce sur sa sœur aînée, Salie, émigrée en France, au point que celle-ci finit par se convaincre de l’obligation de « servir de sécurité sociale aux siens  » en prenant le moindre de leurs désirs pour des ordres.

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Le rapport familial père/enfants comme
symbolique d’un conflit social
Alassane Anne
Université Paul Valéry, Montpellier III

Le conflit père/enfants est au cœur des relations familiales dans la littérature française et francophone des années 30 aux années 70. Cela est prouvé dans cinquante ans de roman d’expression française : du Maghreb en France en passant par l’Afrique noire. Driss Chraïbi, Rachid Boudjedra, François Mauriac, Honoré de Balzac, Mongo Béti, pour ne citer que ceux-là, mettent en scène à leur façon un dramatique conflit de générations ; les pères, les vieux contre les enfants (fils et filles) et les jeunes.
Le passé simple de Chraïbi, comme La répudiation de Boudjedra, est le récit d’un enfant en colère, d’un adolescent en rébellion contre les injustices de sa famille, sa société, la bourgeoisie musulmane, bref contre l’autorité et le pouvoir sous toutes leurs formes. Si la théocratie musulmane et la famille patriarcale y sont soumises à la critique la plus acerbe des narrateurs dans les œuvres maghrébines, chez Mongo Béti, c’est la gérontocratie, système communautaire représenté par le père, qui est la cible de Medza, le fils révolté.
La seule œuvre d’Afrique noire choisie dans cette perspective comparative, Mission terminée, a longtemps été lue avec une large priorité thématique liée au système colonial et à ses méfaits. Combattre le père, ici, c’est lutter contre l’autorité sociale tyrannique des chefs, des aînés contre le système gérontocratique, contre l’autorité coloniale dont il est complice, contre le matérialisme mercantile et hypocrite de l’Occident, dont le père est le symbole vivant, contre tout abus de cette autorité. Ce roman, comme plusieurs autres productions littéraires africaines anté indépendantistes, ne méritent pas d’être toujours cantonné dans une critique historique, historiciste mais d’être lu dans son rapport à l’Universel. Cette fois-ci, l’œuvre de Béti est soumise à une lecture qui privilégie un regard strict sur les structures familiales et sociales africaines. Occupant une fine partie du roman, l’opposition virile entre Medza et son dictateur de père, à l’instar de ce qui se passe dans les œuvres maghrébines, est symptomatique d’une crise plus vaste dans les relations entre membres de la communauté.
Dans les œuvres françaises, l’argent, le patrimoine, le matériel, etc., sont au cœur des rapports conflictuels qui cimentent les deux familles de Louis et de Goriot. A l’image de ce que l’on retrouve dans les récits africains et maghrébins, ils font la force et l’autorité du père chez Mauriac et Balzac.
En effet, Louis, le narrateur du Nœud de vipères, déshérite sa famille pour se venger d’elle. Il engage un conflit familial qui se joue autour du patrimoine dont il est le seul garant. A la différence de Goriot (Le père Goriot), il refuse de donner mais dans les deux œuvres, la fortune semble justifier la paternité. Si le riche avocat dit : « un vieillard n’existe que par ce qu’il possède » (Le nœud de vipères, p. 314), le « christ de la paternité (Goriot) reconnaît qu’il est « un père aux écus » (le père Goriot, p. 314).
Dans tous les cas, l’objectif est de démontrer que les relations difficiles entre membres de la même famille sont révélatrices de conflits plus graves au niveau macro social.

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La Fratrie dans Le Lait de l’oranger et Fritna de Gisèle Halimi
Ramla Ayari
Université Paris VII- Denis Diderot /Faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis

Née en 1927 en Tunisie colonisée, élève brillantissime du Lycée français Armand Fallières de Tunis, Gisèle Halimi quitte son pays natal en 1945 pour  poursuivre ses études à Faculté de Droit de Paris. Militante farouche des Droits de l’Homme en général et de ceux de la Femme en particulier, fondatrice et présidente de l’association « Choisir la cause des femmes» aux côtés de Simone de Beauvoir, députée à l’Assemblée Nationale et ambassadrice de France auprès de l’UNESCO, elle est une des avocates les plus célèbres de la seconde moitié du XXème siècle.
Auteur de nombreux articles et ouvrages, elle s’arrête à un moment donné de sa vie sur son passé et écrit deux biographiques Le lait de l’oranger  en 1988 et Fritna  en 1999.
Dans ces deux textes, Gisèle Halimi retrace son enfance et son adolescence dans une famille tunisienne de confession juive à l’aube de l’Indépendance. Cette cellule familiale comporte une fratrie composée par le biographe, sa sœur Gaby et des deux frères Marcel et Henri, groupe de frères et sœurs chapeauté par les parents Edouard et Fortunée dite « Fritna ».
Le fonctionnement de cette famille au sens large et de cette fratrie en particulier, est décrit  par l’auteur autant dans Le Lait de l’oranger que dans Fritna, aussi bien en matière de cohésion, de division des rôles et des tâches qu’au niveau de l’environnement social dans lequel elle évolue.
En effet, il faudrait resituer Gisèle Halimi dans le contexte d’un pays sous Protectorat français où la femme n’avait que peu ou pas de droit, où les études étaient un luxe d’autant plus inabordable pour une femme. A cet aspect politique il faudrait ajouter un aspect social puisque la femme juive tunisienne -autant que sa concitoyenne musulmane- était vouée au mariage imposé et à la procréation, ce à quoi va se soumettre Gaby la sœur de Gisèle alors que celle-ci se rebellera.  
De plus, dans cette société patriarcale, il était du devoir de la sœur d’être sous l’emprise du frère à qui elle devait obéissance et respect et qui, lui, par contre, n’était soumis à aucune obligation d’ordre domestique et peu d’obligations familiales. Ce contre quoi aussi Gisèle se révoltera.
On pourrait alors dire que c’est à partir des relations au sein de la fratrie que se manifestent les premiers éléments de la personnalité de Gisèle Halimi : insoumise aux traditions et révoltée contre l’ordre établi.
Le but de cette communication sera donc tout d’abord de présenter les différents éléments de la fratrie décrite dans Le lait de l’oranger et dans Fritna puis, dans un second temps, d’analyser les différents types de relations qui la tissent. On s’intéressera dans une troisième partie à la place qu’occupe Gisèle Halimi,  le personnage central de ces deux biographies, au sein de cette fratrie.

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Franz Hellens,
« Naître et mourir ou la fusion avec l’élément maternel »
Aurora Manuela Bagiag
Université Babes-Bolyai, Cluj-Napoca
et Université de Haute Alsace, Mulhouse

Le complexe oedipien domine l’univers obsessionnel de Franz Hellens (1881–1972), écrivain belge de langue française, promoteur, entre autres, du roman poétique de veine autobiographique. La « suite romanesque » Naître et mourir (1948), amalgame de récits, lettres, fragments de journal, souvenirs et transcriptions de rêves, se construit sur les multiples enjeux de la métaphore maternelle. Se manifestant à la fois dans son expression directe, qui est l’attachement érotique de l’enfant mâle au parent de sexe opposé, et sous forme symbolique, voire la modulation du thème par la poétique de la liquidité, ainsi que son orchestration dans l’aventure de la création obscure du texte littéraire, la fascination pour la mère informe ce roman. Multiplication des figures maternelles, fascination de l’eau qui attire et effraie en même temps, naissance du roman, reposant sur une « base invisible » et avançant imprévisiblement, représentent autant d’avatars du motif conducteur de l’œuvre.
    Notre étude essaiera de dégager, à travers une analyse en trois volets, le rayonnement de cette image matricielle - la fusion avec la mère - dans les différentes couches de l’objet littéraire. Dans un premier temps nous nous attarderons sur le rapport complexe, mélange d’amour maternel/ filial et d’érotisme sublimé, qui se dessine entre Frédéric et sa mère. De la vision enfantine des seins maternels, qui lui procure le double sentiment de « volupté » et de « mort », au récit qu’elle lui fait de sa conception mystérieuse et de sa naissance à lui, « son troisième enfant », et en fin à la superposition de cette Nativité à l’image de la grossesse de sa femme, Frédéric baigne dans un univers nourricier. Si le fils redécouvre dans toutes les figures féminines de sa vie – amante, épouse, fille – l’élément maternel, inversement, la mère devenue veuve, fait de son fils une figure symbolique de la virilité, remplaçant le père et lui prélevant l’autorité. Nous tenterons ensuite de surprendre la modélisation du matériel psychanalytique par le biais de la symbolique aquatique. Le thème de l’eau, élément inquiétant par sa tranquillité et sa profondeur, est inconsciemment associé au désir, à l’idée de vie et de mort. La polarisation sexuelle des éléments, voire la situation du fluide et de l’obscurité du côté du féminin, opère aussi chez Hellens l’esquisse d’un mythe identitaire. Son ascendance flamande, son appartenance au pays des eaux et des brumes du Nord, reviennent sans cesse dans sa poétique. En fin nous parviendrons à considérer l’insertion de l’élément primitif – la nature et la vie qui recommencent et se renouvellent continuellement – dans le travail artistique qui s’exerce lui aussi sur une matière vivante. La composition d’un roman, évoquée par son auteur en termes de « fécondité » et d’avancée aléatoire, engendre le mythe de l’œuvre qui s’écrit naturellement, aspirant à l’imprévu et à la fraîcheur de la vie.

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La rencontre fils-père dans L’Africain
de J.M.G. Le Clézio
Adina Balint-Babos
Université de Toronto

L’Africain, le texte autobiographique de Le Clézio paru en 2004, peut se lire comme l’expérience poétique d’une double rencontre : celle du fils avec le père qui a longtemps quitté le foyer familial européen pour exercer le métier de « médecin itinérant » en Afrique, et celle du continent africain, terre neuve pour le narrateur leclézien, enfant de huit ans. À partir de ces prémisses, dans notre communication, nous proposons d’analyser la relation fils-père et ses répercussions sur le cheminement d’un éventuel processus de création artistique. Dans ce but, nous envisageons de réfléchir sur : (1) la rencontre du fils avec un père « inconnu et étrange, possiblement dangereux », en repérant les possibilités qui se donnent au fils à s’aménager un « territoire » (Gilles Deleuze) à lui et à se définir ainsi comme sujet dépendant et achevé par le biais d’un travail créateur ; (2) le rapport fils-père et les diverses manières de percevoir l’Afrique –  « le mélange des genres, des peuples, des langues » – à travers le corps, au moyen de la sensorialité ou par les ressources de la sensibilité ; (3) les marques discursives de la relation fils-père, précisément l’examen des comparaisons et de la « ritournelle », tout en soulignant que c’est grâce à l’éveil aux mots, voire à l’écriture, qu’il est possible de mieux comprendre « le monde d’aujourd’hui et le monde d’hier », et de transgresser certaines dimensions « mineures » de la subjectivité (la timidité, l’angoisse, la peur), qui se retrouvent exacerbées ou effacées dans les relations familiales.
Lorsqu’il sera question pour nous d’étudier les enjeux de la relation fils-père par rapport à un itinéraire initiatique et de création qui présuppose plusieurs étapes d’élaboration, nous ferons appel aux travaux psychanalytiques de Didier Anzieu sur la démarche créatrice, selon lesquels le processus de création représente un parcours dont le développement s’enchaîne à l’origine donnée de l’être humain, traverse les expériences du monde, afin d’atteindre un dépassement créateur. Si pour le narrateur leclézien « l’arrivée en Afrique a été l’entrée dans l’antichambre du monde adulte », nous nous appliquerons à cerner le cheminement formateur du fils, qui s’accomplit à la faveur de la rencontre avec le père, « inéluctablement étranger », et avec l’Afrique, « un autre monde, [qui] vous emportait vers une autre vie ». Il s’agira également de mettre à l’épreuve les concepts philosophiques deleuziens de  « déterritorialisation »/« territorialisation », car il s’avère légitime de penser que le fils et le père, ils parviennent tous les deux à installer un « territoire » à eux (spirituel et physique), différemment investi par la présence de l’autre. En dernier lieu, nous visons de mettre en lumière les phénomènes singuliers de « devenir » (Deleuze) qui balisent la narration de L’Africain – dans le registre événementiel, tout autant que dans le registre discursif –, puisque la relation fils-père est régie par le dynamisme, en entraînant sans cesse des mouvements et des voisinages inattendus : un « devenir-terre », un « devenir-imperceptible », et surtout, un « devenir-œuvre ».  

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La survivance d´un passé collectif et primordial
dans Les enfants du sabbat
Maria Cristina Batalha
Université de l´Etat de Rio de Janeiro

Examen du roman d´ Anne Hébert, Les enfants du sabbat, publié en 1975, en mettant en relief l´opposition entre les valeurs familiales de la protagoniste, soeur Julie de la Trinité, et le monde représenté par le couvent. Cette oeuvre traduit le débat intérieur mené par la soeur Julie, fille du diable et d´une sorcière, qui amène au couvent des Soeurs du Précieux-Sang les souvenirs d´une enfance terrible et merveilleuse à la fois, vécue au sein de sa famille, au fin fond de la province du Québec, marquée par des pratiques du sabbat et des rituels de magie.
On y voit confrontés deux ordres d´événements qui s´excluent entre eux car ils sont représentatifs de deux visions de monde, dotés de valeurs qui leur sont propres et où toute conciliation s´avérerait impossible. D´une part, l´espace de la liberté par laquelle les désirs les plus primitifs se réalisent, où tout un passé collectif est libéré et où les rapports de l´homme avec la terre ancestrale exprime une symbiose naturelle et immédiate, sans passer par le filtre de la culture ou de la morale. D´autre part, l´espace de l´ordre et du silence qui pèse sur tout ce qui relève de l´humain, dans lequel les rêves et les désirs doivent être ensevelis. Lorsqu´elle arrive au couvent, Julie croit pouvoir se libérer du monde de la cabane de son enfance et garder le secret sur son origine pour incorporer les lois de l “univers civilisé”, à savoir celui qui renie l´inceste, qui fait taire les désirs et qui cache le Mal. Néanmoins, elle ne réussit pas à se débarasser des visions de la cabane de son enfance. Les souvenirs de la montagne de B... deviennent alors un mode de résistance et de défi contre tout ce qui lui est interdit de révéler dans l´espace du couvent. La transgression apparaît ainsi comme une sorte de mise en scène des paradoxes et une réponse à la réalité contradictoire que l´on prétend à tort faire assimiler. Identifié à l´“intimité de la terre”, l´univers infantile de la soeur Julie se place en opposition au monde de la raison représenté par le monde du couvent, où domine le silence au nom d´une action civilisatoire.

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Représentations du père dans l'imaginaire de l'enfant et structures narratives dans les récits de vie « Géricault » par Andrée Chedid et « Magnus » par Sylvie Germain
Katarína Bednárová
Université Comenius de Bratislava

Andrée Chedid a rédigé le court récit de vie « Géricault » au début des années 1990 sur la demande de l’éditeur parisien J.-L. Flohic qui a créé la collection Musées secrets dont l’objectif était de présenter des portraits insolites des peintres/sculpteurs rédigés par des écrivains libres de choisir « son » peintre ainsi que la forme littéraire. Néanmoins limitée par les contraintes éditoriales (le texte de 37 pages max., accompagné par 38 reproductions des tableaux représentatifs correspondant au texte), Andrée Chedid dresse le portrait indirect de Théodore Géricault (1791–1824) tout en utilisant la matrice narrative dont le narrateur se révèle Géricault-fils (1818—1882), et elle emprunt la forme du journal intime tenu par ce dernier entre 1841—1875. Georges Hippolyte Géricault, fils illégitime du peintre, qui n’a jamais connu son père et même ignoré son existence jusqu’à l’âge de ses 22 ans, raconte son cheminement vers la reconstitution de la figure de son père tout en restituant sa propre identité. La narration et la présentation du peintre Théodore Géricault se construisent autour de la représentation du père par Géricault-fils en 3 images au fur et à mesure des années vécues: Géricault, considéré comme le père, le frère et finalement Géricault, considéré comme « le fils ». Dans la reconstitution de l’image de son père, Georges Hippolyte est confronté à la personne de son père en double facette : le père peintre (appelé dans le texte Géricault, peintre, artiste) et le père être humain/son proche (appelé Théodore, l’homme Géricault ou père). La reconstitution mentale des aspects physique et psychique du père se produit, outre les témoignages des personnes proches au père, par l’intermédiaire des documents : livres, lettres, articles de journaux dont la partie la plus importante dans le livre est constituée par les reproductions des tableaux, des esquisses et croquis du peintre correspondant au texte. Ainsi l’auteur laisse travailler l’imaginaire du fils (souvent introduit par l’énoncé « je l’imagine… ») qui tout en contemplant et en analysant la peinture reconstitue l’image du père mais parle en même temps du peintre et de son oeuvre
La forme littéraire du journal intime et la structure narrative du récit de vie oscillant entre la biographie « documentée » du père, personnage réel et connu, et l’autobiographie fragmentée fictive de son fils situent le récit « Géricault » à la frontière de la fiction (l’image fictionnelle de la quête du père par son fils) et du document (non-fiction référentielle par rapport aux personnages et à l’Histoire). « Géricault » s’inscrit dans le corpus des textes littéraires où le support de documents ainsi que l’intertextualité font partie intégrante de la structure narrative du récit et ils représentent l’élément constitutif de l’identification. La genèse et le concept du « Géricault » montrent bien le fait que l’intention première de l’auteur n’est pas de présenter la vie de Géricault-fils mais de créer le portrait du père par l’intermédiaire de l’imaginaire de son fils. La mystification au niveau de l’intention textuelle qui se traduit dans la matrice narrative se montre évidente.
L’analyse comparative partielle du roman « Magnus » de Sylvie Germain (Albin Michel, Paris 2005) qui s’inscrit dans la lignée des romans où le mystère familial et l’identité inconnue des parents exercent une influence considérable sur la vie de l’enfant permet de démontrer des points communs des deux textes présentés ainsi que de différentes manières du fonctionnement de l’imaginaire de l’enfant partout où Chedid laisse son récit en suspens et Germain le développe.


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Mentalité postmoderne dans Le Roi des Aulnes de Michel Tournier
Mariana Boca
Université Suceava – Roumanie

Je vous propose lire le roman Le Roi des Aulnes de Michel Tournier comme herméneutique subjective de l'univers mental postmoderne. L’étude critique du détournement des mythes bibliques devient un instrument analitique obligatoire, mais pas l’objectif de la démonstration. Abel Tiffauges renie la famille avec tout son espace relationnel accumulé par la tradition: “…je ne puis avoir qu’un père et une mère putatifs, et des enfants d’adoption.” La légitimité originaire de la famille est soumise à la déstructuration obtenue premièrement par une inouïe lecture de la Genèse. Le mythe de l’Adam supporte une configuration radicalement changée, pour affirmer la crédibilité du propre scénario familial d’Abel Tiffauges: “…s’il y a dans la Genèse une chute de l’homme, ce n’est pas dans l’épisode de la pomme […] mais dans cette dislocation qui brisa en trois l’Adam originel, faisant choir de l’homme la femme, puis l’enfant, créant d’un corps ces trois malheureux, l’enfant éternel orphelin, la femme esseulée, apeurée, toujours à la recherche d’un protecteur, l’homme léger, alerte, mais comme un roi qu’on a dépouillé de tous ces attributs pour le soumettre à des travaux serviles.” L’idéal d’Abel Tiffauges marque l’abandon de toute une civilisation historique consacrée à la famille: “restaurer l’Adam originel”, mais pas à travers le mariage (“solution dérisoire”). Le chemin vers son accomplissement se tourne dans une utopie de l’individualisme extrême, uni à un hermaphrodisme qui prend des formes héroïques, parce qu’il est né du tragisme de l’homme, projecté en orphelin éternel.
    À partir de la figure de l’orphelin, Charles Dickens imagine en David Copperfield l’histoire du capitalisme triomphant, où les valeurs de la famille traditionnelle donnent le sens même de la vie: “I see myself, with Agnes at my side, journing along the road of life. I see our children and aur friends around us; and I hear the roar of many voices, not indifferent to me as I travel on.”(David Copperfield, Chapiter 64: A last Retrospect) Michel Tournier nous dit en Le Roi des Aulnes une version de l’histoire troublante du modernisme postindustriel, nihiliste et en même temps à la recherche d’une nouvelle morale et d’autres normes éthiques.
    Les représentations multiples et contradictoires du mythe d’Adam et d'Abel et Cain nous conduit vers une projection dramatique de la postmodernité. Un espace fictionnel - où les inversions, les perversions et les conversions des signes communiquent pour mettre en cause le sens du Sacré, le sens de la Creation-même, le sens de la relation père-fils - construit un tissu déroutant et anxieux comme image provocatrice de la mentalité postmoderne. L'attitude postmoderne face à la memoire des mythes admet pour principe fondamental la liberté absolue et la relativisation sans fin des signes, à l'absence du recul critique. Le Roi des Aulnes ouvre la perspective vers un autre âge culturel, un autre âge de la Famille et de la Creation, utopique et tout de même d'un réalisme impossible à éviter.

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Les (non-)relations familiales comme conditions d’autodétermination identitaire dans Nikolski de Nicolas Dickner
Isabelle Boisclair
Université de Sherbrooke

Selon les anciens paradigmes, la famille est un référent fondamental de l’identité. Un nouvel horizon se dessine, faisant apparaître son caractère inessentiel. Le roman Nikolski de Nicolas Dickner (Nota bene, 2005) semble vouloir précisément illustrer cette nouvelle configuration et, plus encore, s’amuser de l’ancien paradigme. En effet, le récit est truffé de motifs et microrécits rappelant l’importance ancienne accordée à la famille, notamment aux ascendances parentales. Se situant plutôt sur l’horizon actuel, les personnages s’émancipent de ces cadres familiaux et réussissent à imposer leurs propres valeurs, dessinant leur parcours de façon autonome, faisant fi des lois familiales. Cette autodétermination identitaire touche également les conceptions de l’identité de sexe/genre, dans la mesure où, dans une économie patriarcale, les identités étaient définies en fonction du sexe et transmises par l’institution familiale.
C’est donc en prenant appui sur les théories constructivistes  de l’identité que nous nous pencherons sur trois temps de chacune des trajectoires des trois personnages du roman (le narrateur « Je », Noah et Joyce). D’abord, nous montrerons les valeurs rattachées à l’origine, nécessairement liées à la famille. Nous nous intéresserons ensuite aux moments et aux lieux où les trajectoires des trois personnages se croisent, sans que ceux-ci ne sachent cependant qu’ils sont liés par un lien familial – façon amusante de signifier la perte de pertinence du référent « famille ». En dernier lieu, c’est l’aboutissement de la trajectoire qui nous intéressera. On verra comment les héritages identitaires familiaux sont bien vite délaissés au profit d’une économie autonome de l’identité. Nous nous attacherons à décrire les parcours identitaires de chacun des trois personnages. Le déploiement narratif de ces parcours s’inscrit en faux contre les conceptions naturalistes, véhiculant une conception où l’identité est héritée d’une filiation verticale, figurée par la racine et dominée par la temporalité, à une conception où l’identité est modulée par les volontés, les expériences et les échanges horizontaux, figurée par le rhizome et privilégiant la spatialité.
Ainsi, même si la famille est un point de départ, elle n’est plus repère absolu – ce que l’une des métaphores du roman, la boussole indiquant le lieu habité par le père, éternellement absent, illustre avec force ironie : bien que le souvenir de la valeur absolue que le référent pater familias revêtait dans le passé persiste (La Loi du Père), il n’est plus désormais qu’un référent vide, déjanté. L’ordre de filiation étant rompu, il peut dès lors s’inverser à rebours : le roman met en scène un père qui s’engage à suivre son fils, et ce, même sans avoir l’assurance de sa paternité biologique. C’est dire que tous les schémas culturels dominants – fondés sur le naturalisme – sont mis à mal dans ce roman qui rafle actuellement de nombreux prix littéraires (Prix Anne-Hébert, Prix littéraire des collégiens, Prix des libraires), signe de la grande actualité de son propos. Enfin, nous verrons que dès lors qu’elle n’est plus soumise aux diktats patriarcaux, cette conception performative de l’identité va de pair avec une conception ouverte de l’identité sexuelle.

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« Travail, Famille & Confrérie »
Pierre Bonnasse
UPPA/EPHE

Cette communication s’attachera à étudier les relations familiales dans l’œuvre et l’enseignement de G. I. Gurdjieff, en insistant notamment sur la relation père-fils dans Rencontre avec des hommes remarquables, ainsi que sur la relation grand-père/petit-fils dans les Récits de Belzébuth à son petit-fils, en montrant pourquoi et comment celles-ci basculent fondamentalement - par un travail d’écriture bien singulier - dans une relation de maître à disciple incarnée par la relation auteur/lecteur. Nous verrons que dans cet enseignement, la notion d’ « éducation » dépasse l’acception commune définit ainsi par Gurdjieff : « Apprendre et suggérer à leurs propres enfants la science de tromper les autres, et d’être menteurs en tout, s’élève même, chez les êtres de la planète Terre des temps actuels, à la conscience d’un devoir ; et c’est précisément là ce qu’ils désignent du fameux nom d’ « éducation ». » (Récits, p. 364) Pour Gurdjieff, l’éducateur doit d’abord être lui même bien « éduqué » avant de prétendre à toute éducation véritable, laquelle doit participer à une construction intégrale de l’être, travaillant au développement simultané et harmonieux de la pensée, du corps et des émotions. Dans cet enseignement, l’éducation – synonyme de transmission et d’enseignement - tend plutôt vers la recherche de la « vérité », dans une logique de sincérité envers soi-même et les autres, et s’inscrit plus précisément dans une quête initiatique dont l’enjeu concerne l’apprentissage de la sagesse par la connaissance de soi. Le fils est ici invité à devenir un homme « responsable » (la notion de « responsabilité est fondamentale chez Gurdjieff) qui sera lui-même chargé à son tour d’éduquer son propre fils, en lui transmettant ses connaissances, notamment sous la forme privilégiée de contes, d’histoires, de paraboles, de mythes et de symboles, et cela, de façon aussi bien orale qu’écrite, selon les traditions. Parce que le père (ou le grand-père), chez Gurdjieff, est celui qui sait, qui connaît : il fait figure, en quelque sorte, de « père spirituel », de « maître », c’est à dire « un homme qui en sait un peu plus que nous » - comme l’écrit René Daumal dans La Grande Beuverie. Nous ne manquerons pas aussi de nourrir notre analyse avec des références biographiques dans la mesure où Gurdjieff reçut une éducation paternelle singulière d’une part, mais aussi dans la mesure où il éduqua nombre d’enfants d’autre part, dont certains nous ont livré leurs témoignages, à l’instar de Fritz Peters dans Mon enfance avec Gurdjieff ou l’apprentissage de la sagesse : « Voici un livre absolument délicieux, écrit Henry Miller, et par délicieux je n’entends pas qu’il doit être pris à la légère. En fait, le qualificatif le plus juste pour le décrire serait glorieux. Non seulement rapporte-t-il des anecdotes savoureuses, mais il est aussi plein de sagesse, celle de la vie. J’ai lu ce livre à plusieurs reprises et ce fut chaque fois avec un intérêt renouvelé. D’une certaine façon, je le considère comme quelque chose d’égal à Alice au pays des merveilles, un véritable joyau de notre littérature. » C’est dire, à la lumière du commentaire d’Henry Miller, qu’un tel ouvrage dépasse le simple témoignage anecdotique sans intérêt pour s’inscrire pleinement dans une forme littéraire et poétique exceptionnelle. De la même façon que les Récits de Belzébuth, ouvrage considéré par Le Monde comme un véritable « coup de maître » à sa sortie en 1956, qualifié de « cas à part dans l’histoire des Lettres modernes » par le Magazine Littéraire en 1977, ou carrément considéré par André Breton comme « la plus grande entreprise littéraire du siècle ». Nous nous intéresserons aussi d’une façon plus générale aux relations familiales prises dans leur ensemble, cet enseignement préconisant et nécessitant la vie en société, l’harmonie au sein des relations familiales, amicales et professionnelles. Si les relations étudiées ici prennent quasi-systématiquement la forme fondamentale d’une relation de maître à élève (ou de « frère à frère »), c’est pour insister sur le point essentiel de la transmission (à la fois éducation intégrale et enseignement), laquelle nous le verrons, est résolument translittéraire, transpoétique et transdisciplinaire. Car comme il est dit dans la célèbre formule, « a candle loses nothing by lighting another candle.»

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Un air de famille : l’histoire familiale à l’épreuve des photographies
Séverine Bourdieu
Centre de recherche sur les modernités littéraires (Bordeaux 3)

Un certain nombre d’écrivains français actuels mettent en scène dans leurs livres un sujet aux prises avec sa mémoire familiale, un héritier problématique à la recherche de son identité et de ses origines. Tout se passe en effet comme si, en cette époque de grands bouleversements, d’accélération de l’histoire et de déshérence des savoirs, celui-ci éprouvait tout de même le besoin, pour pouvoir se saisir, d’effectuer un détour par ceux qui l’ont précédé. Si les œuvres de Jean Rouaud, d’Annie Ernaux, de Pierre Michon, de François Bon et de Patrick Modiano offrent un éventail aussi varié qu’intéressant des formes que peut investir cette nouvelle tendance, j’ai choisi dans un souci d’efficacité et de cohérence de centrer cette réflexion sur quelques livres de Pierre Bergounioux : La Maison rose (Gallimard, 1987), L’Orphelin (Gallimard, 1992), La Toussaint (Gallimard, 1995) et Miette (Gallimard, 1994).
Dans ces récits marqués par une forte rupture générationnelle intervenue au cours des années soixante, les relations parentales sont le plus souvent tendues, passionnelles : le fils et le père vivent sous le signe d’une incompréhension mutuelle, qui, de la part de ce dernier, va jusqu’à la non-reconnaissance de l’autre. Les questions de la transmission et de l’héritage – inhérentes à la constitution de soi – sont brouillées, déformées, déplacées par toutes sortes de considérations présentes et d’espoirs déçus qui exacerbent la rivalité filiale.
Il me semble alors que c’est plutôt à travers le lien qui se noue, se renoue et s’invente, au cours de l’écriture, avec les figures ancestrales disparues (et plus particulièrement les deux grands-pères) que se joue la réappropriation du passé familial et que sont réinvesties les questions susdites. Dans cette quête, les photographies de famille jouent un rôle fondamental : parce qu’elles donnent à voir un passé méconnu, parce qu’elles permettent au sujet de transcender les limites de sa mémoire et de son existence, parce qu’elles fixent les apparences les plus fugaces, elles sont le lieu où se révèlent la vérité du lignage et la dette de l’héritier. A travers elles, se développe un complexe système d’échanges, de transmission et de créances entre passé et présent, morts et vivants. C’est en effet pour ses morts, pour s’acquitter d’une dette dont il est né grevé que Pierre Bergounioux écrit : chacun de ses livres est une tentative pour comprendre les vies passées dont il procède afin d’en restituer symboliquement le sens à ceux qui, pour des raisons socio-historiques déterminées, en ont été privés.
Je me propose ainsi de montrer comment l’importation dans l’espace littéraire d’un objet aussi fascinant et ambivalent que la photographie renouvelle les problématiques mémorielles et permet de penser autrement le passé familial, entre reconstitution véridique des faits et récréation fictionnelle des liens distendus.

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Lire les mystères de la paternité
La passion d’Emile de René de Obaldia
Carmen Boustani
Université libanaise (Beyrouth)
 
Texte : L’expérience de la paternité s’avère être un véritable calvaire chez le personnage principal de La passion d’Emile (2002) paru chez Grasset, grand prix de l’humour noir 1956. Les souffrances d’Emile commencent avec l’apparition du ventre de sa femme, « objet monstrueux » auquel il tente de ne pas croire, espérant sa disparition providentielle. En effet, étant dans l’impossibilité d’assumer sa paternité et son identité, Emile choisira l’éviction souhaitée de sa personne.   Dans notre approche de l’inconscient du texte et en s’appuyant sur les analyses de Jean Bellemin-Noël, nous allons aborder les mystères de la paternité chez Emile par le recours à l’analyse des redondances, des métaphores et des métonymies du réseau signifiant du texte,. Les symboles paternels sont faibles, inefficaces. Ils connotent l’absence du père. Emile recherche l’image du père à travers les symboles donnés au soleil et de tout ce qui représentent l’ordre et la loi.
La paternité est perçue comme perte de soi, perte de la vie qui est en soi au profit de quelqu’un d’autre. Après la naissance Emile se réfugie dans son lit dans une tentative désespérée de retour au sein maternel. Il s’auto punit en s’empêchant de devenir puissant et tombe dans l’infantilisme. Il a besion lui-même d’un père pour grandir. Il ne réussit pas à assumer son rôle de père.
Durant la réception du texte, le lecteur éprouve de la sympathie  pour ce personnage noyé dans une attitude démissionnaire,  à la naissance de son fils, attitude qui ne tarde pas à tourner au tragique  et qui pousse  le lecteur dans un mouvement d’auto défense  pour assumer ses responsabilités d’adulte : « mon propre inconscient modifie ma vision de ce que je lis et ce que le livre esquisse dans la pénombre alimente en moi des rêveries qui prennent une couleur inattendue » . Si la lecture est un bouleversement, c’est moins en tant que violence que « cadre psychologique » où s’opère une recomposition de l’équilibre intérieur du sujet.
Emile est donc perçu comme figure mythique, mais théoriquement impossible dans le monde du lecteur. Son caractère fictionnel, conformément aux lois du récit est soigneusement mis en valeur. Sa densité référentielle est assez forte. Il est parfaitement intégré au roman dont il est le héros. C’est lui qui monopolise la parole.  Il s’adresse ainsi à l’inconscient du lecteur.  Car la lecture n’est pas uniquement  une opération cognitive, elle est en effet la participation. A partir de ce que nous lisons nous tirons des conclusions intéressantes.

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Au commencement …
Mythes et motifs familiaux au livre de la Genèse.
Lucienne Bozzetto-Ditto
Université de Provence

Dans l’univers culturel européen, l’essentiel des mythes familiaux semble avoir deux sources : l’une est grecque, l’autre biblique . Les mythes grecs font l’objet d’études abondantes , il n’en sera pas question ici. Pour ce qui est du monde biblique, l’histoire de l’humanité, issue d’un couple unique, est intégralement une histoire de famille(s), les fondations jouant un rôle essentiel et la continuité généalogique est soulignée constamment par ces chapitres d’engendrements qui structure le déroulement de l’histoire : rappelons qu’en hébreu « Histoire » se dit « toledot », engendrements.
L’ensemble s’organise dès le livre de la Genèse (« Be reshit »), à partir du projet, de « la tête » (rosh) de Dieu, et parfois contre ce projet. en matière de relations familiales. Dans ce premier livre biblique,  souvent l’intérêt retient surtout Caïn et Abel, parce que leur opposition rencontre d’autres mythes présents dans des cultures très diverses. Pourtant les différentes fratries et leurs histoires complexes  (Ismaël /Isaac, Jacob/Esau, Joseph et ses frères, Siméon, Lévy et Dina ) ne cessent de visiter notre imaginaire, littéraire certes, mais aussi bien social et politique . La figure centrale d’Abraham, donné comme ancêtre commun à nombre de peuples parfois opposés, manifeste que même les tensions entre Hébreux et Ammonites ou Moabites, par exemple, restent encore des problèmes à l’intérieur d’une parentèle de plus en plus large.
Parler des fratries suppose en fait l’examen  des familles dans leur ensemble, et le livre de la Genèse fait apparaître des situations très variables voire contradictoires : monogamie/polygamie, mère biologique/mère légale, exclusion /acceptation de l’inceste, valorisation  de la primogéniture ou de l’ultimo-géniture… La plupart des situations présentes en Genèse se retrouvent dans la suite des textes bibliques, ou  parfois en viennent. Le Nouveau Testament prolonge et renouvelle plusieurs de ces motifs.
Aux moments - pluriels - où textes et herméneutique se rencontrent dans une approche à la fois littéraire et théo-logique, se définissent progressivement un modèle familial et une dramaturgie qui se développent tant au plan humain qu’au plan divin (ou présenté comme tel par les écrivains bibliques) : ainsi la nécessité de l’adoption - mais les enfants aussi doivent adopter leurs parents -,  ou la séparation nécessaire entre parents et enfants pour ouvrir l’avenir.
En même temps, même si les récits proposent des schémas qui permettent la construction d’une vie familiale, celle-ci est toujours menacée ; y compris quand le Père est Dieu, comme le font apparaître les prophètes :
        Je les menais avec des attaches humaines,
        Avec des liens d’amour ;
        J’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson
        Tout contre leur joue (…)
        Mais plus je les appelais, plus ils s’écartaient de moi…
                    (Osée, 11, 2 +4)
Sans doute nous ne pourrons qu’indiquer des directions de travail ; ce que nous voudrions néanmoins souligner, c’est la manière dont le texte met en œuvre les rivalités mais aussi les réconciliations, aussi difficiles qu’elles soient. Il n’est pas indifférent que les versets bibliques ou la tradition juive fassent d’Abel et Caïn, de Jacob et Esaü, de Rachel et Léa des jumeaux et des jumelles. Les oppositions de Jacob et Esaü, de Joseph et de ses frères, exemplaires dans leurs résolutions, disent bien que nul ne peut vivre pleinement sinon dans la paix, et dans la paix fraternelle.
Récits fondateurs, qui soustendent fortement certaines œuvres très contemporaines : roman, théâtre, bande dessinée, cinéma, black metal.
On citera au moins Thomas Mann : Joseph et ses frères, Joaquim Maria Machado de Assis : Esaü et Jacob, Arlette Pierrot : Le baiser d’Esaü
Alexander Trocchi : le roman de Caïn (la figure du junkie héro¨¨inomane, révolté, à NY)1960
Farjallah Haïk : L’envers de Caïn
Emile Baumann : Abel et Caïn , roman.

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Le théâtre de Michel Tremblay et l'impasse communicative dans la relation frère-sœur : le cas d’Albertine et d’Édouard
Cory Alan Burns
Université de Toronto

Dans la dramaturgie québécoise contemporaine, la cellule familiale occupe une place principale. Sous la plume de Michel Tremblay, ce sujet est riche et complexe d’un point de vue relationnel, ses pièces traitant, parmi d’autres, les thèmes suivants : l’inceste, la folie, la mort parentale, l’orientation sexuelle et la notion de l’héritage.  Dans son œuvre, la dynamique conflictuelle atteint une sorte de paroxysme, au sein duquel prédomine ce qu’on pourrait appeler « l’impasse communicative ».  Tremblay transmet le caractère incontournable de cette impasse par un emploi de techniques dramatiques qui incorporent un jeu d’espace-temps, l’emploi d’éléments fantaisistes ainsi qu’une réappropriation innovatrice de la mise en scène traditionnelle.  Qui plus est, Tremblay révèle les barrières psychologiques et émotionnelles de ses personnages à travers leurs moyens d’expression verbale.
    Ma communication examinera les échanges dialogaux que partagent les personnages d’Albertine et d’Édouard, ainsi que leurs monologues, dans le but de repérer des instances d’impasse communicative. Albertine, frustrée, enragée, butée, égocentrique, fermée à la poésie, décide de souffrir plutôt que de faire face à la réalité. Son frère Édouard, travesti des quartiers populaires de Montréal, épris de culture française, tente de régler ses comptes avec la société et surtout avec Albertine, mêlant l’émotion, le pathétique et la dérision. Ces personnages névrosés et névralgiques figurent dans six des pièces de Tremblay: Le passé antérieur, La maison suspendue, En pièces détachées, Albertine en cinq temps, Demain matin, Montréal m'attend et La Duchesse de Langeais.
    L'impasse communicative se révèle principalement à travers ce que j’appelle le repli monologal et le dialogue conflictuel, deux moyens d’expression verbale qui fonctionnent comme des mécanismes de l’impasse communicative. Le monologue possède une qualité de dissociation qui le fait dégénérer en état d’introspection.  Le dialogue, quant à lui, démontre un rapport agressif, à la foi initiatif et réactif, composé de stratégies rhétoriques qui charpentent les interrelations entre les personnages de sorte que l’échange aboutit plutôt à une solitude à deux qui les pousse encore davantage dans la voie de l'aliénation. Les deux mécanismes bloquent donc le processus communicatif.  Dans les pièces à l'étude, ces mécanismes sont le résultat de ce qu’on pourrait appeler une dynamique d’incommunicabilité dont l’origine est l’influence inéluctable du dysfonctionnement familial qui assure ainsi l’isolement de la sœur et du frère.

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Une mère et son fils. L’importance du ‘drame originel’
dans la vie et l’œuvre de Jean-Paul Sartre.
Maarten van Buuren
Université d’Utrecht

Quoi de plus intime que le lien exclusif entre mère et fils, si en plus le père est mort et que la mère considère l’éducation de son enfant comme l’objectif de sa vie? Jean-Paul Sartre a vécu les premières années de sa vie dans une telle intimité. Intimité qui prenait les dimensions d’une symbiose qu’aucune censure paternelle ne venait jamais troubler. C’était le paradis, mais qui ne sera perçu par Jean-Paul comme tel qu’une fois qu’il avait été perdu.
En 1917 la mère de Jean-Paul se remarie avec Joseph Mancy. Le jeune couple déménage avec Jean-Paul qui a douze ans à ce moment vers La Rochelle où Joseph est directeur d’un chantier naval. C’est la fin du paradis et le début de la période la plus misérable de sa vie. Jean-Paul vit l’événement comme une véritable chute et il passera la reste de sa vie à transformer cette chute en un ‘choix originel’.
Jamais, Sartre ne fait mention de cette période. Dans Les mots, il saute de l’évocation de sa vie paradisiaque en Alsace, vers sa période d’étudiant et ses premières tentatives de devenir écrivain. C’est par des témoignages indirects (Simone de Beauvoir) qu’on sait la haine qu’il vouait à Joseph Mancy. Plus ce drame est refoulé, plus il revient sous une foule de formes indirectes. A notre avis, le ‘drame originel’ a influencé la vie de Jean-Paul Sartre dans toutes ses dimensions. Signalons-en les principales articulations:
*Quel rôle le drame a-t-il joué dans l’élaboration de la philosophie existentielle? La chute du paradis enfantin se laisse facilement reconnaître dans la contingence, considérée par Sartre comme une chute dans la matière. La fuite d’une réalité insupportable que Sartre a essayé de dominer par sa conscience se retrouve dans la transcendance graduelle de l’en-soi par le pour-soi.
*Ce développement pénible et douloureux est dominé par la figure du narcisse. Sartre a essayé sa vie durant de transformer le monde en un immense miroir qui lui réfléchit son image mille fois agrandie. Le processus narcissique résume l’effort de récupérer le monde symbiotique d’où il avait été expulsé.
*Dans une large mesure, Sartre a exprimé ses idées sous la forme de biographies. Ce sont des biographies d’écrivains (Baudelaire, Genet, Mallarmé, Flaubert) qui le fascinent parce qu’il croit reconnaître au début de leur carrière d’écrivain le même point de départ d’où il était parti lui-même. Les biographies lui permettent de décrire par le biais d’un figure proche le drame qu’il ne peut exprimer directement. Ces écrivains le fascinent  également parce qu’il suppose (et ‘prouve’ dans ses biographies) qu’un rapport étroit lie la carrière d’écrivain au fait d’être chassée d’un paradis enfantin.
* Quel est ce rapport entre le drame originel et la décision de devenir écrivain? L’écriture de Sartre se révèle en fin de compte comme un effort de récupérer dans et par l’écriture le paradis qui lui avait été volé.  

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Liens familiaux et quête des origines dans la littérature des Acadiens de Louisiane : une écriture généalogique au service de la mémoire collective
Cécilia Camoin-Nicolas
Centre International d’Etudes Francophones, Paris IV-La Sorbonne

Assimilés entre 1921 (date de l’interdiction du français dans les écoles), et 1968 (proclamation de la Louisiane comme un Etat bilingue –francophone et anglophone-), les Acadiens de Louisiane durent leur survivance au noyau familial dans lequel ils continuaient de pratiquer leur langue et leur culture. Durant le XXème siècle, ils vécurent leur identité dans l’espace clôt de la famille. Cette autarcie est à rapprocher du terroirisme et des valeurs des Québécois d’avant la ‘Révolution Tranquille’ : famille, terre, foi catholique et langue française. Le microcosme familial est alors le lieu de tous les questionnements identitaires, collectifs comme personnels. Dans la littérature cadienne, les relations familiales font écho aux relations trans-nationales, et l’écriture sera une recherche des origines, une quête de lien, tant scriptural que généalogique. Cette enquête s’opèrera à travers trois grands types de relations : la connexion parents/enfants ; le lien adoptant/adopté ; et le rapport avec le parent mort.
En premier lieu, le lien parents-enfants est marqué par une rupture. Tout d’abord, les relations mère/fille, mère/fils et père/fille se caractérisent par l’absence. Cette carence renvoie d’une part à la génération sacrifiée par l’assimilation et, d’autre part, à l’abandon de la mère patrie, la France, lors du terrible épisode du ‘Grand Dérangement’, en1755.
En second lieu, le thème récurrent de l’adoption instaure un nouveau lien familial. L’adoption première est celle de la Louisiane, qui, dans les années 1785, accueillit les déportés d’Acadie. Premièrement, le rapport père adoptif/fille adoptive signifie un enrichissement de la culture. Deuxièmement, l’adoption trans-générationnelle, avec notamment les rapports grand-mère/petite-fille et grand-mère/petit-fils, signe le lien entre la génération d’avant l’assimilation et celle de l’après libération linguistique. De même, le rapport grand-père/petit-fils se concentre sur l’idée d’un grand-père faisant figure de sage, face à un petit-fils happé par les sirènes de l’hégémonie anglo-américaine. Enfin, le lien entre époux, qui peut être considéré comme une adoption collatérale entre adultes, est soumis à l’inégalité entre les hommes et les femmes.  
En troisième lieu, cette pluralité et cette ambiguïté des liens familiaux atteint son paroxysme dans la volonté de créer une écriture généalogique, où le rapport entre le narrateur et ses aïeux défunts est marqué concomitamment par la biologie et une idéalisation du passé. Le Cadien moderne, dans sa quête d’Histoire et de mémoire, se confond avec ses Anciens, selon la théorie lacanienne de l’empreinte générationnelle. La relation avec les parents morts crée des personnages à la fois fantomatiques et omniprésents, tandis que la figure de l’arbre généalogique fait du livre une tribune, prenant le végétal comme modèle calligraphique et stylistique.
De cette manière, les liens familiaux stigmatisent les problèmes linguistiques et sociologiques des Franco-louisianais. Ils sont à la fois l’objet de souffrance et le lieu de la construction identitaire.


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D’un homme l’autre : la figure de l’oncle
dans l’univers romanesque de Claude Simon
Inès Cazalas
Université de Strasbourg II

L’œuvre de Claude Simon se donne à lire, et ce de manière de plus en plus ouvertement autobiographique, comme un vaste roman généalogique. Seul homme encore vivant dans un univers de veuves, le personnage de l’oncle Charles joue pour le narrateur un rôle crucial. D’Histoire aux Géorgiques en passant par La Bataille de Pharsale, on déploiera les enjeux de cette relation complexe en alliant les perspectives psychanalytique, littéraire et philosophique.
L’oncle est d’abord un substitut paternel et un double imaginaire, selon un jeu de projection bien analysé par Lacan. C’est par lui que le narrateur parvient à appréhender le désir interdit (inceste, adultère) ainsi que la culpabilité qu’il engendre ; l’évocation de sa vie et du suicide de son épouse sert à masquer tout autant qu’à révéler la propre histoire amoureuse du narrateur. On se demandera comment les modalités de cette relation de transfert sont figurées par des stratégies textuelles de surimpression – avec notamment les jeux énonciatifs, la récurrence de motifs qui orchestre la superposition des deux existences et les références intertextuelles à Proust et à Faulkner.
Ouvrant la voie à la lecture du texte simonien comme palimpseste, l’oncle devient une figure tutélaire de l’écrivain. Il guide le narrateur dans les méandres et les non-dits de l’histoire familiale, l’aide à en percer les secrets les plus inavouables et, dans un geste fondateur, lui transmet les archives familiales qui deviendront un matériau fécond de l’invention romanesque. La quête de l’origine se fait ainsi engendrement de l’écriture. En remettant au narrateur les manuscrits d’un ancêtre général de l’Empire, l’oncle identifie les deux générations l’une à l’autre (« vous avez quelque chose en commun : tu as fait toi-même la guerre sur un cheval »), dans un processus indissociable d’une vision de l’Histoire qualifiée de « cyclique » et présentée comme un « éternel recommencement », celui de la terre et de la guerre. Sur les relations familiales vient donc se calquer une conception de l’Histoire qui se donne comme la répétition de la geste de l’Ancêtre. Après l’hérédité zolienne, la « compulsion de répétition » freudienne dotée de l’ampleur apocalyptique du mythe apparaît donc comme une nouvelle forme de fatalité mêlant l’intime et le public.
Nimbée d’une autorité patriarcale, érigée en voix officielle, l’interprétation de l’oncle Charles est devenue une sorte de doxa massivement glosée par la critique simonienne. Pourtant la répétition de l’histoire, qu’elle soit familiale ou collective, est loin d’être réductible au retour du même : elle se laisse plutôt appréhender, selon la définition qu’en propose Deleuze dans Différence et répétition, comme une répétition « qui comprend la différence, et se comprend elle-même dans l’altérité de l’Idée, dans l’hétérogénéité d’une ‘apprésentation’ ». Si l’oncle fait figure de passeur et rétablit le lien entre les générations, le roman simonien ne peut pour autant être ramené à un simple cycle ni figé en une théorie unitaire. La généalogie se construit avant tout comme une fiction et l’écriture, en ce qu’elle accomplit un travail de deuil et s’ouvre au pluriel, fait de la répétition le creuset de l’altérité.

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Le silence de la famille dans la vie
et l'œuvre d'Albert Camus
Zahida Chebchoub               
Université des Emirats Arabes Unis (UAE University/Al Ain, UAE)

La singularité de l’oeuvre camusienne émane principalement de la relation exclusive que Camus a eue avec sa famille mais d’une façon particulière avec sa mère. J’aborderai ainsi les relations suivantes: fils/mère, fils/père, petit-fils/grand-mère, neveu/oncle et frère/frère. Tout d’abord, le lien qui le rattache à sa mère est le plus fort car entre lui et cette dernière, une relation assez singulière s’était établie du fait que cette mère était en quelque sorte une invalide puisqu’elle ne possédait pas le don de l’élocution. Malgré son handicap, c’est bien cette mère qui a le plus influencé Camus par son silence. Ce silence a surtout offert à Camus son aspect positif même si quelques incidents relatés à travers l’oeuvre camusienne nous poussent à penser le contraire. Mais c’est du résultat final de cette influence que nous devons tirer des conclusions. Si nous étions appelée à donner un synonyme à l’expression silence maternel, nous dicterions le terme sérénité. L’oeuvre camusienne a pour source principale et racine indestructible le silence maternel. C’est bien dans ce silence que Camus a puisé sa force intérieure, sa paix inépuisable et surtout son style qui se veut constamment simple mais profond. Lorsqu’on écoute le silence de Camus, on s’en imprègne, on comprend ce silence sous toutes ses formes car il est l’un des deux éléments primordiaux qui ont influencé la vie et l’oeuvre de Camus. En effet, le silence est un pilier principal qui a façonné le style camusien. Le silence fut toujours une force conductrice qui a contribué à la création du style ou lyrisme camusien. Il a régi la vie de Camus pour ensuite façonner son écriture en lui donnant de la parcimonie et de la sobriété. Cette écriture camusienne se résume en trois expressions principales: style profond, style concis, style imprégné de silence. Le silence de Camus a commencé dans la famille de ce dernier. Dès son plus jeune âge, l’auteur est enveloppé par ce silence, surtout celui de sa mère. Les autres membres de la famille de Camus eux aussi ont touché la vie et l’oeuvre de l’auteur à leur manière, c’est-à-dire par leur silence et aussi leurs actes et paroles. Nous retrouvons alors la mère, le père, la grand-mère, l’oncle et le frère à travers l’oeuvre de Camus en tant que personnages fictifs (dans La mort heureuse, L’envers et l’endroit, La peste, etc.) ou réels (Le premier homme).

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Les rapports familiaux affectifs et culturels dans les romans
d’Andreï Makine et d’Azzouz Begag
Cristina-Ioana Chilea
Université de Bacau, Roumanie

Pour l’écrivain « francographe », qu’il soit un exilé volontaire (Makine) ou un descendant de l’immigration maghrébine (Begag), la famille représente le point d’ancrage essentiel dans le monde aux facettes multiples dans lequel ils vivent. Déracinement et en-patriment dans la langue française, les deux thèmes sont présents chez les deux auteurs que nous nous proposons d’étudier en parallèle.
Chez Makine, c’est la femme qui est valorisée et implicitement les rapports qu’elle entretient avec les autres personnages. Elle incarne à la fois la femme du dedans (la mère ou tout autre parent qui a pour but l’initiation, la transmission du savoir et des traditions par sa manière de faire perdurer l’attachement aux valeurs ancestrales et au pays natal, en tant que « vestale de la tradition » et la femme du dehors (l’étrangère illustrant la fascination pour un autre monde) car elle est cette « étrangère étrange » par son refus de conformisme, de se plier aux normes. Par exemple la grande-mère, ou celle qui remplit cette fonction, la femme qui donne vie et envie : une nouvelle vie, l’initiation, la découverte d’un autre monde par le biais des livres permettant aux jeunes narrateurs de découvrir la France magique, telles Charlotte, Alexandra, Sacha, des vielles femmes aux cheveux d’argent dont le seul et plus précieux trésor est la langue française.
En échange, chez Begag, c’est l’image du père qui est mise en évidence. Les rapports entre le père et le fils semblent être déterminés par la langue. L’appropriation du français éloigne le fils de son père et cette distance serait la taxe de l’intégration, le tribut à payer.  Le refus du père de bien parler français est aussi sa manière de prendre sa revanche sur un pays  qui n’est pas le sien. La mort du père, son enterrement en Maroc permettront à l’écrivain de faire un retour aux origines, retour d’autant plus précieux parce qu’il est accompagné par sa fille.
Dans notre communication nous allons tenter de souligner le rapport intrinsèque entre la langue et les relations affectives familiales. En effet ce qui réunit les personnages makiniens c’est la passion pour la culture et la civilisation françaises, l’amour pour la langue devient un symbole de l’amour pour la personne qui transmet cette langue. Il suffit de nous rappeler une scène du roman La Terre et le ciel de Jacques Dormes, paru chez Mercure de France en 2003, dans laquelle le narrateur adulte se souvient d’une des nombreuses séances de lecture faites en compagnie d’Alexandra lors de laquelle il réalise que l’amour maternel peut être ressenti et vécu dans une autre langue que celle de la mère. Chez Begag, la situation est tout autre. L’apprentissage de la langue française par le fils et son insertion dans la société du «colonisateur» provoque une tension entre celui-ci et son père qui s’obstine à garder les distances envers les natifs français et à vivre avec la nostalgie de sa terre natale.

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Le cas Maria Chapdelaine ou
une famille dans tous ses états
Geneviève Chovrelat
IUT Belfort-Montbéliard

Le roman Maria Chapdelaine, écrit par un auteur français mais généralement étiqueté « littérature francophone », offre un cas saisissant de rapport familiaux qui se jouent entre littérature et fiction. La publication relève de l’histoire familiale, des rapports tendus entre un fils et son père qui a consacré ses dernières forces à faire publier l’oeuvre de ce fils défunt. Le récit conte les travaux et les jours d’une famille de défricheurs au début du XXe siècle dans une zone déshéritée du Québec où tout est à bâtir. Le roman a été lu longtemps comme une histoire de famille édifiante aussi bien en France qu’au Québec. L’héroïne éponyme, promue figure emblématique du sacrifice à la famille, a dans une lecture nationaliste, symbolisé la fidélité à la terre. Cette métaphore, filée par des écrivains du Canada français, a accentué une représentation traditionaliste de la famille marquée par le genre selon une répartition sexiste des rôles. Le succès sans précédent obtenu par l’éditeur Bernard Grasset a amené un après-texte qui a largement débordé le champ littéraire. Puisque le « récit du Canada français » a été longtemps présenté comme un chef d’œuvre catholique, il convenait de faire de son auteur un homme tout à fait convenable. C’est Marie, la sœur de Louis Hémon qui, prenant la pause de la gardienne de l’œuvre, a imposé une censure dont la conséquence fut double, littéraire et familiale. Elle a retardé de trente ans la parution d’un livre, Monsieur Ripois et la Némésis, trahissant ainsi son frère qui souhaitait tout particulièrement voir en ouvrage de librairie son dernier roman écrit à Londres. Elle s’était accordée avec l’éditeur qui, lui, ne voulait pas heurter le public catholique de Maria Chapdelaine. Le livre sentait le soufre car la vision de la famille était mise à mal par tous les personnages, de l’anti-héros éponyme à toutes les femmes victimes du séducteur prédateur. La sœur de l’écrivain qui a élevé la fille de son frère, a gardé non seulement le silence sur Ripois mais aussi sur l’existence de la compagne anglaise, la faisant passer pour morte même à sa propre nièce. Il a été difficile de lire Maria Chapdelaine en oubliant tous ces clichés à la fin du XXe siècle ; certaines écrivaines québécoises ont rejeté l’héroïne comme si elle véhiculait l’aliénation féminine au sein de la famille. D’autres, ignorant tout de l’histoire personnelle de Louis Hémon, l’ont accusé de malhonnêteté intellectuelle, écrivain édifiant dans son œuvre et peu recommandable dans la réalité. Maria Chapdelaine donne à voir des relations familiales selon un axe rare pour l’époque. La relation père-fille, mise en valeur tout au long du récit, est métaphorique et ressortit aux masques de l’écriture. Le père Chapdelaine fait de la terre comme l’écrivain accomplit son œuvre en langue française comme Maria se mariera sans amour pour vivre dans sa langue. Les rapports familiaux mis en question par la fiction suggèrent un proche éclatement de la cellule familiale et la solitude de l’écrivain.

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De la famille chez Andreï Makine
Murielle Lucie Clément
Université d’Amsterdam

Dans les romans d’Andreï Makine, la famille apparaît comme une entité maltraitée, unie tout en étant de composition disparate lorsqu’elle n’est pas réduite à sa plus simple expression de couple, inexistante dans ses ramifications. Ses membres, dûment représentés, que ce soit mère, fils, père, tante, fille, grand-mère, frère, se profilent au fil des pages sans être ce qu’ils paraissent au premier abord.  L’ambivalence règne parmi la fonction qu’ils remplissent au sein du cocon familial, cercueil plombé jaloux de ses proies plus que chrysalide d’où s’envolerait dans un bruissement chatoyant un papillon soyeux. Quelle est cette famille et que représente-t-elle ?
Les parents et leur progéniture sont souvent liés par des attaches trempées de sang et de mort jusqu’à tisser un amour absolu. Les secrets sont tus jusqu’au trépas. Monnaie courante, le mensonge par omission protège, jusqu’à ce que mort s’ensuive, l’âme juvénile si ce n’est celle de l’adulte. Les enfants ne recevront les confidences qu’une fois l’âge de raison atteint ; les parents n’apprendront certaines vérités qu’arrivés au seuil de la folie ou du décès. N’est-ce pas là le concept même de l’enfance : être gardée, défendue des aléas de la vie d’adulte. Tout dépend des secrets gardés et chez Makine ils sont très lourds : inceste, cannibalisme, internement barbares, massacres, viols sauvages et famines planifiées : symboles et métaphores d’un système cruel, broyeur de vies humaines.
La famille pâtit sous le joug totalitaire et le regard sociétal. Tiraillée jusqu’à l’écartèlement, meurtrie, disloquée, pantin désarticulé, elle gît moribonde dans le crime de sang, bafouée dans le simulacre, ignorée dans la fraternité, exécrée dans l’attente. Béatifiée dans les bras des madones, elle ressurgit tel un phénix de ses cendres et, meurt d’épuisement sous l’effort dans un pays où le nous a remplacé le je.
Nous nous proposons d’offrir un aperçu de la famille, des liens familiaux et de leurs représentations dans les différents romans de l’écrivain et d’en dégager les symboles respectifs et leurs implications. L’approche méthodologique utilisée sera celle du « close reading », la plus appropriée à l’analyse critico-spectrale que nous entreprenons.

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Un «médiateur» familiale?
La figure de la baby-sitter dans les romans pour la jeunesse:
Marie-Sophie Vermot, Fanny Joly, Geneviève Brisac,
Susie Morgenstern, Marie-Aude Murail.
Anna Marchioni Cucchiella
Università Roma III

La proposition voudrait aborder la construction de l’identité de l’enfant et des relations familiales dans la littérature de jeunesse. En s’interrogeant sur l’entourage proche de l’enfant un personnage clé s’est détaché: il s’agit de la baby-sitter.
En effet, hormis ses parents, quels sont les adultes qui sont présents de façon régulière dans la vie de l’enfant? On peut penser à la baby-sitter qui endosse le rôle des parents de temps en temps: soit après l’école le temps, soit pendant les vacances, soit lors d’occasions particulière.
De plus, si la figure de la baby-sitter est souvent présente le temps de l’enfance, elle peut dans certains cas perdurer quand arrive l’adolescence mais pas sans une certaine évolution. Dans cette optique, l’ex-enfant devient à son tour baby-sitter et la situation ainsi inversée lui semble toute différente. Sachant tout cela, on peut s’interroger sur la façon dont est décrite la baby-sitter dans les romans de littérature de jeunesse et se demander en quoi la figure de la baby-sitter joue-t-elle un rôle important dans la construction identitaire de l’enfant. Pour tenter de proposer une réponse à cette question, nous nous proposons d’étudier un corpus de cinq oeuvres selon le plan suivant: dans un premier temps, voyons l’importance accordée au dépassement des préjugés et des stéréotypes, puis la figure de la baby-sitter comme facteur d’aide à la responsabilisation pour les enfants mais aussi pour les parents.

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De quelques histoires de famille à la naissance de Chloé Delaume
Marc Décimo
Université d’Orléans

Chloé Delaume est un écrivain français actuel. Elle est née en 1973. Je souhaiterais montrer comment sa venue à la Littérature, son intérêt pour l’« autofiction » dans ses romans et, en particulier, dans Les juins ont tous la même peau. Rapport sur Boris Vian (2005), sont conditionnés par ce qui pourrait n’apparaître que comme une anecdote, que comme un fait divers, que comme une histoire de famille terriblement dramatique. Et, surtout, je souhaiterais montrer comment un événement particulièrement traumatique exerce son ananké dans le travail que Chloé Delaume poursuit sur la langue (vocabulaire et syntaxe en particulier), travail qui lui confère un « style » et sa singularité.

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Mélancolie des origines
Laurent Demanze
Centre Roman 20-50

Depuis les années 1980, s’impose dans la littérature française ce que Dominique Viart a appelé le récit de filiation. De Pierre Michon à Annie Ernaux, de Pierre Bergounioux à Jean Rouaud, se dit un désir de connaissance de soi, mais à travers l’histoire des ascendants.  Or la geste familiale est une geste brisée par l’accélération de l’histoire qui marque notre modernité. Le temps des ascendants dont hérite le sujet est un temps marqué par la lacune et la faille : l’individu contemporain est confronté à des traces éparses, à des reliques défaillantes s’il veut restituer sa genèse familiale.
    Dès lors l’individu contemporain s’éprouve comme celui à qui le passé fait défaut. Aussi les récits de filiation se font récits mélancoliques où l’emporte la part manquante de l’histoire familiale. Il s’agit de restituer des figures effacées, des êtres mal épanouis dans un récit où l’hypothèse critique le dispute à la fiction rêveuse. Ainsi, le sujet s’éprouve comme un orphelin, comme celui qui éprouve un deuil inconsolable. On sait depuis Freud ce que la mélancolie doit au deuil impossible et à la culpabilité. En effet, dans le récit de filiation, l’écrivain se sent endetté envers ses ancêtres, et entame bien souvent les litanies de l’aveu coupable (Pierre Bergounioux) et le sentiment vif d’une trahison (Pierre Michon, Annie Ernaux).
    La mélancolie des origines dit l’impossible retour du sujet au pays d’enfance. Car le récit qui dit le temps des ascendants est en même temps un récit qui constate sa perte, voire la redouble. L’écriture du récit redouble en effet la perte, puisqu’elle risque de déformer ou de recouvrir la vérité singulière des ascendants. L’écriture est dès lors souvent ressentie comme le lieu d’une césure entre soi et ses ancêtres, entre la constitution d’un livre et une famille souvent modeste ou illettrée.
    Le récit de filiation est dès lors un récit incertain et inquiet, qui à la manière du mélancolique met en exergue son impuissance et le risque de l’échec. Récit interminable et ressassant (Jean Rouaud, Pierre Bergounioux), le récit de filiation mène une enquête interminable qui bute sans cesse sur le vide ou le silence des ascendants. Le récit de filiation est ainsi le symptôme d’une époque qui fouille et scrute un passé à proportion qu’il lui fait défaut. D’une époque qui archive sans fin, prise dans une frénésie de l’histoire, de la commémoration, mais parce que la mémoire comme l’a montré Pierre Nora est désormais une mémoire en miettes.

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Père amant, père absent…la  figure paternelle entre absence et imposture dans le théâtre  de  Marie Ndiaye  (Papa doit manger, 2003)
Annie Demeyère
Université Paris X Nanterre

Après dix ans d’absence un père africain cherche à reconquérir sa femme et ses deux filles, Mina et Ami, adolescentes. Du rejet initial de Mina, attachée à son beau-père, en passant par la pitié, l’intérêt, un incertain amour filial et la fascination pour ce demi inconnu, la relation  Père / fille  se jouera sur la scène truquée des faux-semblants, des mensonges réciproques.
En quoi l’absence nourrit-elle la perversion des rapports filiaux ?
Deux formes d’absence de la figure paternelle peuvent brouiller les pistes de l’identité : la configuration matriarcale de la famille, où la mère est phallique, omniprésente, castratrice, fait du père présent « physiquement » un symptôme du manque, du vide imaginaire. De nombreux récits de filles, de fils de « mamma » méditerranéenne ou orientale appellent à la rescousse le père « en chair et en os » pour qu’il habite de son verbe l’autorité défaillante.
 Dans Papa doit manger, le propos, plus classique fait du père absent un revenant, un étranger. C’est le corps du père qui a manqué à sa femme, à ses filles. Au nom de cette très longue absence, les filles contestent le lien génétique, rompent le lien du sang. Les prérogatives de la paternité sont des simulacres intéressés. Le discours itératif du père se heurte à la sagacité des filles. Ce sont elles, à la place de la mère qui veulent faire du dévoilement de l’imposteur  un acte de salubrité familiale.
      L’absence peut idéaliser la figure paternelle, nimbée de cette autorité que la psychanalyse prête à la Loi. Le Père présent  fonctionne comme un repère. Mais le Père absent prend-il la place de l’amant dans les rêveries adolescentes ? Et la posture narcissique, incantatoire Je suis papa, face à l’incantation filiale Il me suffit que tu sois vivant et que tu sois mon père suffisent-elles à effacer le scandale du mensonge et de l’imposture de Papa ? Dans le registre pervers se racontent aussi les confidences entre père et fille.
L’imaginaire incestueux Je suis riche et je veux être séduit, mes filles douces comme des chattes comme dans tous les romans de Marie Ndiaye marqués du sceau de l’étrangeté familiale, hante la pièce, tandis que l’amour investit de sa lumière le rapport entre Ahmed/Aimé, le revenant, et l’épouse abandonnée. Cet amour passionnel qu’elle entretient pour son ex mari, le Beau Noir dandy, narcissique, nourri de l’érotisme de l’autre race comme d’un autre continent la met en concurrence avec ses filles. A la manière des pères absents dans l’œuvre de Patrick Modiano, le vide laissé par Papa a nourri les rancœurs, le mépris. Ami, la sœur effacée, junkie, représente le côté le plus noir de cette relation inégale.
     Si La loi invite les enfants à s’occuper de leurs parents, c’est en Antigone que Mina se lève contre les conventions sociales. Tout écrivain dénonce l’absurde des liens du sang. Mina éprouve dégoût, répulsion envers ce père encombrant qui, dans le retournement classique de la vieillesse  devient l’enfant de sa propre fille. La relation Père/Fille est restée prisonnière des malentendus de l’absence. Le père a contracté une dette. Cet argent que la mère encore amoureuse est prête à donner, les filles en usent avec leur père comme d’une monnaie d’échange. Entre Père et Fille, l’argent vient contaminer les relations des mêmes arrières pensées que celles entretenues dans la prostitution.
La rédemption semble absente des relations Père/ Fille, Enfant/Parent en général,  tandis que seul  l’amour conjugal résiste au  désenchantement.

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Conjugalisme et familialisme dans
la littérature féminine contemporaine
Christine Détrez
Ecole Normale Supérieure Lettres et Sciences Humaines

 J’ai mené en collaboration avec Anne Simon (chargée de recherches au CNRS en littérature) un travail sur la littérature féminine française contemporaine, à partir d’un large corpus de romans (Bouraoui, Darrieussecq, Delaume, Nobécourt, Despentes, Laurens, Ernaux, Cusset, Millet, Ferney, Rozen, N’Diaye, etc.) . Au coeur de notre travail étaient les représentations de la famille brossées dans ces œuvres, à travers deux thèmes abondamment traités par chacun des romans : les rapports à la maternité et les rapports conjugaux. C’est l’articulation dialectique de ces deux aspects et le passage de l’un à l’autre que je souhaiterais aborder dans ma communication. En effet, les relations familiales dans cette littérature féminine contemporaine suivent deux mouvements complémentaires : d’une part, il semblerait que, pour prendre leurs distances avec une représentation du féminin stéréotypée, certaines de ces romancières, inspirée par une forme de féminisme radical, rejettent avec violence la maternité : une des héroïnes de Chloé Delaume jure ainsi que « jamais génitrice elle ne s’achèverait », accumule « pilule, préservatif et stérilet, suppliant les médecins d’accélérer en elle le règne ménopause » (Certainement pas, 2004, p. 248) et quitte ses compagnons au moindre signe menaçant d’attendrissement devant les enfants des autres… L’assimilation de la femme à la mère, du ventre à la matrice, est vécue comme une réduction. Mais la dénonciation de cette vision « utérine » de la femme laisse place à un second cliché : à la mère succède la maîtresse et amante, et pour faire bref, à la matrice le vagin. En raison de cette apparente focalisation sur une sexualité affranchie des structures familiales classiques, la plupart de ces romancières sont décrites par la critique et les médias comme iconoclastes et provocatrices : elles oeuvreraient à la dissolution des structures familiales au profit de l’affirmation de la liberté et de la sexualité individuelles. Mais cette analyse ne résiste guère à une lecture attentive des textes : paradoxalement, les relations extraconjugales restent en effet dirigées vers la protection du couple, celui-ci apparaissant comme la structure élémentaire de la famille. Or, il est intéressant de mettre en relation cette évolution avec des tendances générales de la société contemporaine, et notamment la corrélation mise au jour par les démographes entre le retard de l’âge au premier enfant et une nouvelle norme qui serait la croissance de la durée de la vie à deux, avant les enfants. Ainsi, il semblerait que dans ce corpus, même si la relation familiale privilégiée n’est plus celle qui relie la mère et l’enfant, mais la femme et son conjoint, la famille reste néanmoins le pivot central de la société, au prix d’une reformulation contemporaine de l’amour romantique, dont il s’agira en conclusion d’analyser les enjeux sociaux.


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L’écrivain, « fils de sa mère » :
de la représentation sociale à la symbolisation
Cheikh M. S. Diop
Université Paul Valéry – Montpellier III
La mère représente dans les cultures d’Afrique la première créature. Equivalente de la Terre, elle a été forgée même de la main du Dieu, à qui elle servira d’épouse ensuite. Mais son "inconduite" lui a valu la colère de celui-ci. Ce début de mythe donne deux formes de conception de la femme : celle à qui on doit tout et celle par la faute de qui tout malheur est arrivé. La première est plutôt la réaction du fils et la seconde celle du mari. Celui-ci ne tarit pas de reproches à l’égard de sa femme alors que l’enfant sublime souvent la mère. Du point de vue artistique, notamment littéraire, ces différentes perceptions traditionnelles sont à la base de deux types de représentation comme on peut le voir dans des textes francophones du Maghreb ou d’Afrique de l’ouest. Par exemple, L’escargot entêté de Rachid Boudjedra est la sublimation de la mère-gardienne de la tradition orale; L’enfant de sable de Tahar Ben Jelloun en offre plus l’image d’une femme bâillonnée par l’abusive autorité masculine ; et dans En attendant le vote des bêtes sauvages (ou même Monnè, outrages et défis) de Ahmadou Kourouma, la mère et l’épouse gardent la place qui est la leur dans une culture à la base matriarcale. Mais de part et d’autre, l’écrivain est « le fils de sa mère » puisqu’il tire son inspiration de l’imaginaire de sa terre natale.
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« La famille chez Marguerite Duras:
variations autour d’un mythe ».
Hamida Drissi
Université de Marne-La-Vallée

Marguerite Duras ne cesse de revenir sur l’importance de la famille dans la constitution de sa personnalité et de son univers romanesque. Elle souligne, tout au long de son œuvre, la complexité et l’ambivalence des relations familiales. Des Impudents à L’Amant de la Chine du Nord, elle met en scène « une famille en pierre, pétrifiée dans une épaisseur sans accès aucun » et évoque une histoire « de ruine et de mort », de haine et d’amour mêlés (cf. L’Amant, Ed. Minuit, 1984, p.69).
Au centre du noyau familial, la mère, personnage hautement ambivalent. Elle apparaît tantôt comme une mère nourricière sacrifiant sa vie pour ses enfants, tantôt comme un monstre mythique et dévastateur battant sa fille et vouant un amour fou à son fils aîné Pierre. Cette préférence indéfectible qu’elle a pour le grand frère exclut les deux autres enfants : Marguerite et Paul. Ces derniers, constamment menacés par la cruauté du frère aîné, ont survécu grâce à l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Au fil des textes, l’écrivain révèlera le caractère incestueux de cet amour. En effet, l’inceste entre frère et sœur est l’un des topoi des récits durassiens, évoquant le mythe de l’Androgyne et révélant la fragilité des personnages du frère et de la sœur face à l’injustice de la mère.
Dans l’œuvre durassienne, le clan familial se construit et se déconstruit autour de la préférence indéniable que la mère avait pour son fils aîné et autour de la confrontation tragique des deux frères. Cette confrontation acquiert petit à petit une dimension poétique et symbolique dans la mesure où elle nous renvoie au mythe de Caïn et Abel.
D’où la problématique qui guidera notre communication « La famille chez Marguerite Duras: variations autour d’un mythe »: Dans quelle mesure l’écriture durassienne procède à une réécriture personnelle du mythe de Caïn et Abel? Peut-on dire que seule l’écriture permet à Duras de conjurer la violence, la haine et l’exclusion ? Est-il possible que l’origine de l’activité littéraire, chez Duras, soit à chercher au sein même de cette famille à la fois adorée et haïe ? Autrement dit, à quel point la mythologie familiale, comme foyer de tensions, alimente la création durassienne ? Au total est-ce que l’œuvre, née du rejet de la mère, est à interpréter justement comme une structure destinée à dissimuler ce rejet ?

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Père ou fils de ses œuvres ?
Sylvie Ducas
Université de Paris X-Nanterre

Depuis une vingtaine d’années, la littérature française est le théâtre d’un retour en force d’autobiographies ou plutôt de récits de filiation qui revisitent la question de l’identité et de l’individu à l’aune des figures et relations familiales qui la fondent.
Parmi elles, la figure du Père occupe une place de choix, comme si la fiction de soi ne pouvait faire l’économie d’une réflexion, moins sur l’hérédité que sur l’héritage dont tout fils (ou fille) est le produit.
Dans la continuité de mes travaux sur la construction identitaire de l’écrivain, cette communication se propose donc d’étudier cette problématique à partir des œuvres de Pierre Michon (Vies minuscules), Pierre Bergounioux (L’Orphelin, La Toussaint…), Jean Rouaud (Des Hommes illustres, Pour vos cadeaux, Sur la scène comme au ciel…), Annie Ernaux (La Place, La Honte…) et Marie Nimier (Reine du silence).
Pour tous ces auteurs en effet le père n’a plus rien d’évident : père absent, père issu de classes sociales modestes ou provinciales, ou encore père obsédant à la présence excessive, il n’est plus une fonction au sens psychanalytique du terme ni un modèle à imiter, encore moins une figure d’autorité ou le garant d’un système de pensée.
Du coup, la relation au père devient un enjeu existentiel mais aussi littéraire : savoir ce dont on hérite, ce qu’on subit, rejette ou ignore d’un tel héritage revient à la fois à s’interroger sur les outils de l’investigation (enquête, archives, hypothèses, fiction…) et sur la langue ou la poétique la mieux à même d’en rendre compte (écriture « plate », pastiche, détournement de genres, lyrisme, etc).
Mais par-delà ces projets d’écriture singuliers, on tentera de montrer que cette crise du Père recouvre plus largement une crise de l’écriture contemporaine marquée par le soupçon, la désillusion, la faillite historique des convictions et des idéologies.
En destituant la figure paternelle de sa valeur exemplaire et en l’instituant en figure du manque, les fictions de soi contemporaines y perdent certes en assertion et en certitude, mais y gagnent un espace de liberté inédit : repenser ce qui jusque-là faisait autorité et s’affirmer comme l’auteur de son père et non l’œuvre de ce dernier. Car ce père inventé, ce père de papier, offre à l’écrivain de devenir, comme l’écrit Pierre Michon, « le fils de ses propres œuvres ».

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Reconstruction de l’image du père : stratégies textuelles
dans La Reine du silence de Marie Nimier
Valérie Dusaillant-Fernandes
Université de Toronto, Ontario, Canada

Auteure de romans, d’histoires pour enfants et de textes chansonniers, Marie Nimier ne cesse d’écrire depuis 1985. Toutefois, il faut attendre La Reine du silence (2004) pour découvrir un livre qui s’attaque à la figure du père. Ce texte autobiographique, prix Médicis en 2004, est un retour au passé, un vendredi de l’année 1962, date à laquelle son enfance chavire : du haut de ses cinq ans, elle apprend la mort de son père, Roger Nimier, au volant de sa voiture. Nimier se souvient de cet événement traumatique et s’interroge : qui était ce père célèbre qu’elle a si peu connu. Elle reconstruit l’image de ce « papa » absent en s’aidant de ses maigres souvenirs, de témoignages, de rêves et de lettres. Partant de sa question obsédante « Comment ça marche un père? » (La Reine du silence 170), Nimier va rassembler les pièces du puzzle en fouillant son passé mais aussi en essayant de comprendre le présent notamment sa relation avec ses propres enfants marqués par l’absence du grand-père.
Chez Nimier, l’énonciation hybride (une double voix qui aide et guide le « je » narrant), les remarques métatextuelles, les descriptions de traces matérielles (un stylo à pompe, deux feuillets dactylographiés, une carte postale, une photographie, pour ne citer que ces exemples), les formes du silence (titre de l’ouvrage, nombreuses questions sans réponses, les phrases incomplètes, etc.) et les constantes références aux événements du présent qui semblent liés à la disparition du père participent à l’inscription textuelle de la fragmentation du sujet. Je montrerai que c’est non seulement à travers ces différents procédés textuels mais aussi avec la mémoire des proches et des amis du père que la reconstruction identitaire se réalise, que les souvenirs refont surface. Nimier revisite la perte de son père en allant à la recherche de témoins qui vont lui permettre d’aller vers « le chemin de la reconnaissance » (53). En effet, c’est par la mémoire des proches que la reconstruction identitaire se réalise, que les souvenirs refont surface : les amis du père (11), son demi-frère Hughes (23), de son frère aîné Martin (35), sa mère (57). Dans ma communication, je me pencherai sur ces différentes stratégies textuelles mises en place pour effectuer ce travail de reconnaissance, comme un père reconnaît son enfant. Ce faisant, Nimier finit par se constituer une image fantomatique du père qui la mène à un apaisement intérieur.

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Les relations familiales dans les livres de jeunesse au Maroc
Latifa El Hadrati
Université Hassan II, Mohammedia, Maroc

Notre étude aborde la littérature de jeunesse francophone au Maroc, elle traite des relations familiales qui s’instaurent entre les différents personnages du récit : -fille/père ; -fille/belle-mère ; -fille/mère ; -fille/grand-mère ; -fille/cousin ; -fils/père ; -fils/mère ; -fils/belle mère ; -fils/grand-mère ; -époux/épouse ; -etc.
Elle portera sur une centaine d’ouvrages publiés au Maroc entre 1990 et 2006, écrits dans la majorité des cas par des Marocains, ils sont de différents genres : récits courts, romans, contes, pièces de théâtre ou bandes dessinées.
Nous précisons si les personnages mentionnés ci-dessus entretiennent vraiment un rapport entre eux, et nous dévoilons les types de relations qui s’établissent entre eux.  
Notre étude analysera spécialement le discours. Elle consiste à répondre à certaines questions qui nous paraissent importantes : -Est ce que la famille est valorisée dans la littérature de jeunesse marocaine ? -Quelle est le statut de la famille marocaine tel qu’il est souligné dans les livres de jeunesse ? -Est ce que le pouvoir patriarcal apparaît dans les livres ? -La mère est-elle en situation dominée, dominante ou jouit du même statut que celui du père ? -Les enfants réussissent-ils à communiquer avec leurs parents ? Si oui, quel est le membre avec qui ils communiquent le plus ?
Ces questions nous permettent de réfléchir sur le problème du statut de la famille dans la littérature de jeunesse au Maroc et d’amener les auteurs à accorder davantage d’intérêt à ce

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L’enfant disparu : deuil, famille et écriture
Pierre-Louis Fort
Université Paris 7 – Denis Diderot

Articulée autour de la question du deuil, cette communication propose d’appréhender la problématique des relations familiales en liaison avec la mort. Il ne s’agira pas d’étudier ici la disparition du père ou de la mère dans les textes que les enfants peuvent leur consacrer  mais celle de l’enfant dans les textes écrit par des parents endeuillés.
L’étude interrogera cette relation brisée en examinant comment la rupture thanatique  remet en jeu la filiation et la parentalité, bouleverse les identités et renverse les normes établies. Elle montrera comment le texte participe du deuil quand il n’est pas travail du deuil lui-même et mettra en perspective le sens que peuvent prendre les idées de famille ou de « relations familiales » lorsqu’elles sont placées sous le signe de la mort infantile. Qu’advient-il alors il de la maternité et de la paternité ? On se demandera ainsi ce que la mort de l’enfant nous dit sur la famille et ce que la famille peut – ou ne peut pas– dire sur la mort de l’enfant.
La communication s’appuiera sur des textes contemporains, notamment sur Philippe  de Camille Laurens, L’Enfant éternel  de Philippe Forest et A ce soir  de Laure Adler (tout en se permettant de faire brièvement allusion à George Sand et Sénèque).
    Méthodologiquement, l’étude recourra à des références historiques, sociologiques, philosophiques et psychanalytiques. Conformément au souhait émis dans l’appel à communication, elle privilégiera les critiques francophones en utilisant des travaux aussi variés et différents que ceux de Philippe Ariès, Muriel Flis-Trèves, André Green, Julia Kristeva, Nicole Loraux, Michel de M’Uzan, Louis-Vincent Thomas et Michel Vovelle.

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La double filiation des Weyergans
Bibiane Fréché
University of Oxford - Université libre de Bruxelles

« Je suis un auteur très familial. »
François Weyergans, dans Lire, déc. 1997-janv. 1998

On a beaucoup parlé de Trois jours chez ma mère, qui a valu à François Weyergans le Prix Goncourt. Il importe également de se pencher sur les relations que l’écrivain entretenait avec son père et qu’il décrit dans Franz et François. Son père, Franz Weyergans, était un écrivain catholique, reconnu dans le monde catholique belge. Le roman Franz et François relate l’histoire mouvementée des relations entre le père Franz et le fils François. Mais au-delà de la simple relation père-fils, le roman fait part d’une autre filiation, la filiation littéraire qui unit le jeune écrivain à son père écrivain. Le roman raconte donc à la fois le chemin parcouru par le fils pour exister par rapport au père, mais aussi le chemin parcouru par l’écrivain, pour exister, sur la scène littéraire, par rapport à son père écrivain.
    La question du rapport du fils François à son père Franz est d’autant plus intéressante que Franz a lui-même écrit des ouvrages sur ses enfants, dont Enfants de ma patience. Par ailleurs, Franz était un auteur passionné, en grand chrétien catholique, par la défense de la famille nombreuse et du mariage.
Les ouvrages de François Weyergans s’inscrivent donc de différentes manières dans le thème des relations familiales. Et c’est tout logiquement qu’on peut parler d’une double filiation chez les Weyergans, dans le sens d’une filiation à la fois familiale et littéraire, mais aussi dans le sens d’une relation père-fils écrite en miroir, à la fois par le père et par le fils, fait littéraire assez rare.
    Dans un premier temps, nous étudierons le contexte biographique et historique très différent de Franz et de François Weyergans. Nous verrons en quoi l’enfant a dépassé le père, que ce soit par son lieu de naissance, sa scolarité ou par sa littérature.
Nous analyserons ensuite le roman à l’aune de la double filiation, familiale et littéraire. Nous montrerons en quoi François se démarque de son père, en transgressant par exemple l’éducation catholique qu’il a reçue, l’image de la famille que son père lui a inculquée ou encore l’interdiction de devenir écrivain. Le scandale sert en fait de pièce maîtresse dans le processus de distinction du fils par rapport au père. Nous verrons cependant que François aborde également constamment les points de filiation qui l’unissent à son père. Parallèlement à l’analyse de Franz et François, nous aurons recours aux textes de Franz Weyergans qui ont trait à son fils François. D’autres textes de François Weyergans, dont Trois jours chez ma mère ou le capital Je suis écrivain, viendront également étayer le propos.
Enfin, nous nous interrogerons sur les liens de parenté qui unissent d’autres écrivains belges à leurs parents écrivains (Jean Mogin et Paul Nothomb par rapport à leur père Norge et Pierre Nothomb ; Paul Willems et Françoise Mallet-Joris par rapport à leur mère Marie Gevers et Suzanne Lilar ; Charles Bertin par rapport à son oncle Charles Plisnier). Il s’agira de voir si le scandale et la distinction violente sont une manière récurrente de se distinguer du parent écrivain. C’est par exemple le cas pour le premier ouvrage de François Mallet (qui ne signait pas encore Mallet-Joris), Le Rempart des Béguines, qui avait fait scandale lors de sa parution en 1951. D’un cas concret, nous tenterons donc d’étendre la réflexion d’une part à d’autres cas de relation père-fils et d’autre part à d’autres cas de filiation littéraire.

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Des pères et des filles à travers l’oeuvre de Assia Djebar
Margarita Garcia Casado
Université de Cantabria

L’image de la relation entre les pères et leur descendance féminine est une image récurrente de l’oeuvre de Assia Djebar. La lecture de ses plus récents romans comme Vaste est la prison offre le portrait d’un père idéalisé ayant préservé sa fille, Isma, du voile et de l’emmurement. Toutefois, une lecture attentive des relations entre pères et filles à travers le parcours littéraire de Djebar montrera que cette vision positive contient aussi des zones d’ombre et équivaut non pas au portrait d’un seul homme mais à une écriture cheminant au travers de multiples figures paternelles et de leurs relations avec leurs filles. Alors que Djebar s’étend longuement sur les relations positives entre un père et sa fille, il semblerait qu’elle n’évoque qu’à contrecoeur les conflits existant entre pères et filles.
    Ses premiers écrits comme Les enfants du nouveau monde (1962) et Les alouettes naïves (1967) offrent des images opposées de la relation entre père et fille. Dans Les enfants du nouveau monde, le père de Lila, l’un des multiples personnages de ce roman à plusieurs voix, préfigure le père dépeind dans Vaste est la prison. Mais nous trouvons dans le même texte d’autres portraits de figures paternelles. Portraits tronqués certes mais qui méritent du fait même de leur brève description que l’on s’arrête sur le silence de l’auteure quand à ces figures paternelles. En effet, il existe d’autres personnages féminins dans ce texte mais la relation qui les liait au père est à peine évoquée si ce n’est par la mort. Dans le cas de Salima et de Hassiba, le texte ne s’étend pas, outre la mention de la mort de la figure paternelle, sur ce qu’était la relation entre ces personnages et leur géniteur. Salima représente le miroir inverse de la relation qui unit Lila à son père : ce sera par sa mort que son père la délivrera du sort qui lui était dévolu de par son sexe. De même, le texte ne nous dit rien sur la relation qui unissait Hassiba à son père, si ce n’est qu’il n’est plus. Enfin Djebar ne citera le père de Touma qui comme celui de Lila envoya sa fille à l’école française, que pour clore cette évocation par la mention de sa mort. De plus, il existe des portraits plus sombres de pères qui tuent leur fille pour punir l’atteinte faite à l’honneur de la famille.
    Pareillement le père de Nfissa, principal personnage féminin de Les alouettes naïves constitue une copie de celle du père de Lila et de Isma. Mais ce portrait présente une facette contradictoire car bien qu’il ait permi que ces deux dernières filles aillent à l’école française, il n’eut pas cette largesse d’esprit pour Houria et Djamila, ses aînées, qui furent voilées dès l’âge de huit ans.  
    Il semblerait donc que l’écriture de Djebar répugne à approfondir les zones d’ombre qui constituent toute relation entre père et fille. Comme si seule prévalait la vision positive de la figure paternelle.
    S’agit-il de pudeur ? de respect face à la dignité de la umma, de la communauté arabo-musulmane ou d’une réécriture personalisée et idéalisée de la première figure paternelle du monde islamique ? De la figure du prophète en tant que père. Un père qui ne saurait être qu’aimant, compréhensif et compatissant face au bonheur de Fatima, sa fille, la seule personne à travers laquelle il donnera descendance à la communauté musulmane.  

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La Veuve : personnage emblématique de la thématique
et de la poétique alduciennes
Bernard-Marie Garreau
Université d’Orléans (Laboratoire Littérature et Histoire)

L’évolution du substantif puis de l’adjectif veuve souligne à quel point le mot et la notion ne touchent fondamentalement que la femme dans notre Histoire des mentalités. Le masculin n’apparaît que tardivement, à la fin du XVIe siècle.
On trouve en effet très peu de veufs dans la production de Marguerite Audoux*, qui sacrifie ainsi à la tradition.
Le veuvage féminin, dans son œuvre, est finalement l’un des statuts qui permet à la famille d’exister, tant il est vrai que l’image, déjà dépréciée, d’un père doit, d’une façon ou d’une autre, être anéantie pour que cette famille continue à fonctionner. L’altération d’autobiographèmes avérés en est déjà le signe, dans Marie Claire (1910), où la veuve Deslois est celle qui inflige une blessure définitive à la jeune héroïne en lui refusant l’accès à son clan : dans la réalité (une lettre d’Alain Fournier à Jeanne Bruneau en témoigne), c’est le mari, bien vivant, qui chasse la jeune bergère   scénario qui sera rétabli in fine dans Douce Lumière (1937). De même, la première fermière qui s’occupe de Marie Claire est rendue veuve trente six ans plus tôt que dans la réalité.
Parfois victime, mais souvent bourreau, et liée, quoi qu’il en soit, au mal et au malheur, la veuve est ainsi au principe d’une recherche désespérée de la famille chez tous les personnages, principalement féminins, qui suivent   parfois d’autres veuves qui reprennent le flambeau. Telle madame Dalignac, la patronne de l’atelier de couture du deuxième roman, dont la mère était une veuve abusive qui la battait, et qui, elle-même veuve, est à l’origine de la famille sociale que décrit L’Atelier de Marie Claire (1920). Telle encore, dans le troisième roman, De la ville au moulin (1926), Manine, veuve d’un garçon meunier qui ne voit pas la naissance de sa seconde fille. Et les exemples abondent encore dans les contes, La Fiancée (1932), peu connus, et cependant dignes d’intérêt.
L’acte solitaire et non moins désespéré que représente l’écriture, pour Marguerite Audoux, obéit aux mêmes lois. Jusqu’au bout, dans sa salle de travail, la romancière solitaire, veuve de tout ce que l’existence lui a refusé, aspirera à une impossible parthénogenèse qui ressemble à sa vie d’orpheline adoptante. Une métaphore de la création littéraire se trouve dans le dernier roman, Douce Lumière (posthume, puisque l’écrivaine remet à l’aîné de ses fils adoptifs le manuscrit tout juste achevé quelques jours avant sa mort…) : Christine met au monde un enfant qui ne survivra pas, né des œuvres d’un homme lui même disparu pendant la grossesse, avant que la mère ne décède à son tour, des suites de l’accouchement.
Thématique et poétique, intimement liées à la vie dans cet œuvre foncièrement autobiographique, existent ainsi à travers un principe de mort, une thanatogenèse représentée au premier chef par le veuvage – motif qui pourrait fort bien être « le » thème alducien.
* Marguerite Audoux naît à Sancoins, dans le centre de la France, en 1937. Orpheline à trois ans, elle passe neuf ans à l’Hôpital Général de Bourges, puis est placée quatre années comme servante et bergère d’agneaux en Sologne. Elle monte ensuite à Paris, où elle mène une vie difficile de couturière. Le hasard lui fait rencontrer, en 1900, un groupe d’artistes et d’écrivains qui découvrent qu’elle écrit ses souvenirs. L’un d’eux confie le manuscrit à Octave Mirbeau, qui fait obtenir à ce roman autobiographique (Marie-Claire) le Prix Femina. La vie et l’œuvre connaissent ensuite un lent decrescendo.

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Les mots de la (petite) tribu
Maria Teresa Giaveri
Università degli Studi di Napoli « l ‘Orientale »

Le point de départ de  ma communication est le roman Le Toutounier  de Colette  (1939): un roman dédié aux rapports affectifs, aux aventures quotidiennes et surtout au « lexique familier » (selon le célèbre titre de Natalia Ginzburg) de quatre sœurs.
La petite tribu sororale avait été évoquée en marge de Duo, un roman précédent dont le titre emprunté à la musique ne cachait pas l’asphyxie d’un rapport à deux et d’un dialogue qui revenait continuellement sur le même sujet : une trahison découverte tardivement et qui se révélait intolérable. Dans le couple qui se faisait face, la ressource secrète de la femme était liée surtout à l’évocation du réseau complice formé par ses trois sœurs; après le suicide de son mari ( le final de Duo) elle rentrera chez ses sœurs, dont elle retrouvera le système d’entre aide et les codes jamais oubliés, à partir du code linguistique ( cft. le titre : Le Toutounier).
    Je  prendrai en examen deux aspects du roman de Colette : a) le modèle de ce qu’on pourrait nommer « l’histoire à quatre », dont l’exemple le plus connu par le publique féminin est naturellement le roman Little Women de Louise M. Alcott.  Publié en 1868, rapidement traduit en français - sous les titres Petites femmes (1872), Les quatre filles du docteur Marsch (sic. 1880), Les quatre sœurs March etc. -  le roman a été pour le jeune public féminin du XIXme et XXme siècles l’équivalent du roman populaire qui célébrait l’amitié et la solidarité masculine : Les trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas (une « histoire à quatre », malgré le titre). Comme Little Women, le roman de Colette est structuré selon une formule narrative « 3 + 1 »,  qui réduit la multiplicité des relations et simplifie le plot ; j’analyserai cette formule non seulement dans Le Toutounier mais dans des multiples utilisations, à partir des innombrables réécritures de Little Women (dont je citerai quelques exemples récents parus dans des littératures différentes) jusqu’à certaines propositions du thème de la sororité  (de sang ou d’élection) qui ont été présentées récemment à la télévision. b) la question de l’invention d’un « lexique familier». Le thème est devenu presque incontournable dans tout récit sur la famille, après le succès international du roman Lessico famigliare de Natalia Ginzburg ; mais le livre de Colette le posait bien avant l’écrivaine italienne et avec beaucoup plus de radicalité.
Ce dernier aspect pose aussi une question passionnante, que je vais aborder : la traduction de ce « lexique familier » fait de néologismes. Une dernière partie de ma communication va donc toucher des problèmes de traductologie et d’histoire de la traduction, à propos de Alcott et de Colette.

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Le rôle du père pour l’initiation masculine dans
Le fou du père de Robert Lalonde
Liliana Goilan-Sandu
Université de Pitesti

Dans son roman, l’écrivain québécois nous présente son héros-narrateur – un écrivain de 30 ans – qui laisse derrière lui la ville et la femme qu’il aime pour remonter la rivière et passer quelques jours avec son père. Revenu dans le pays de son enfance pour (r)essayer de le faire parler, le narrateur cherche, comme depuis qu’il était petit, l’amour paternel qui lui a été toujours refusé. C’est donc autour de cette relation père-fils que le récit homodiégétique se construit.
Dans notre étude nous nous proposons d’aborder cette relation d’une perspective sociologique qui met l’accent sur la socialisation. Celle-ci est définie comme le processus continu par lequel les ensembles humains transmettent leur culture, standardisent la personnalité de leurs membres et leur permettent de s’adapter au milieu social où ils vivent.
    L’un des plus importants facteurs de la socialisation, peut-être le plus important, est la famille. Elle donne à l’individu son identité sociale initiale et, en même temps, elle est le monde social où celui-ci établit ses premières relations intimes.
     En analysant le discours du narrateur, nous nous arrêterons sur (i) le rôle que le père, présent physiquement, mais absent affectivement, a joué dans le développement de sa personnalité tout au long de son enfance, sur (ii) le besoin de socialisation qu’il ressent une fois l’enfance passée et (iii) qui le mène finalement jusqu'à une resocialisation volontaire.

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Relations orageuses :
le jeune héros de la fiction et ses parents
Hans Hartje
Université de Pau (France)

Le genre de l’ « Adoleszenzroman » (roman dont un adolescent est le héros) est plutôt bien établi dans la littérature de langue allemande, depuis Les Désarrois de l’élève Törleß de Robert Musil et L’Ornière de Hermann Hesse. Il n’en va pas de même en littérature française – et à plus forte raison, francophone -, ce dont témoigne a contrario le faible nombre d’études critiques. Les choses ont toutefois l’air d’être en train d’évoluer, comme en atteste la parution récente d’une (brève) étude consacrée à ce sujet et destinée à priori au grand public (Magali Wiéner, On n’est pas sérieux quand on a quinze ans. Adolescence et littérature, coll. « GF Etonnants classiques », 2003).
Ce ne sont pourtant pas les œuvres qui manquent. Sans souci d’exhaustivité, mais avec celui d’une certaine qualité on peut citer Le grand Meaulnes d’Alain-Fournier, Louis Lambert de Balzac, Vipère au poing d’Hervé Bazin, Mouchette de Bernanos, Le Blé en herbe de Colette, Le petit Chose de Daudet, Fermina Marquez de Larbaud, Les Garçons de Montherlant, Les Amitiés particulières de Peyrefitte, Le Diable au corps de Raymond Radiguet, L’Enfant de Vallès et Battling le ténébreux d’Alexandre Vialatte, pour montrer que la littérature française du XIXe et de la première moitié du XXe siècle n’est nullement passée à côté du sujet. Si on y ajoute – toujours sans souci d’exhaustivité - La Vie devant soi d’Emile Ajar, La Classe de neige d’Emmanuel Carrère, Les petits soldats de Yannick Haenel, Le petit Sauvage d’Alexandre Jardin, L’année de l’éveil de Charles Juliet, De si braves garçons de Patrick Modiano, Antéchrista d’Amélie Nothomb ou encore Messieurs les enfants de Daniel Pennac, on ne fait qu’attester de l’actualité du sujet. Enfin, L’aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane ou Le grand Cahier d’Agota Kristof montrent, si besoin en était, que la littérature francophone n’est pas en reste quand il s’agit d’explorer les méandres de la vie adolescente.
Tous les textes mentionnés ont été écrits par des écrivains – hommes ou femmes – adultes et s’adressent a priori à des lecteurs également adultes. Or dire l’adolescence quand on en a passé l’âge revient à faire un travail sur soi, en réfléchissant à ce qu’on a été et comment on est devenu ce qu’on est – ou croit être. Les traces de ce travail se lisent généralement dans la façon dont le personnage jeune vit sa relation au personnage adulte, et en premier lieu à ses parents.
Dans ma communication je chercherai à établir une typologie de ces relations, sur fond de crises et d’épreuves comme il en arrive dans toutes les familles et en tenant compte de l’évolution des mœurs.

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Regard, violence et mutisme : la relation filles-père dans
La voyeuse interdite (1991) de Nina Bourauoi
Bernadette Höfer
Harvard University

Nous proposons d’étudier le premier roman de Nina Bouraoui La voyeuse interdite (1991) sous l’aspect de la relation entre trois filles et leur père. Le titre du roman fait référence à la jeune narratrice, Fikria, de nationalité algérienne et à ses deux sœurs Zohr et Leyla qui sont entourées d’interdictions et de lois érigées par « le père dictateur » musulman (p. 11). Le roman décrit d’un côté la cruauté impitoyable du père et de l’autre les répercussions sur la psyché de ses filles qui provoquent des réactions extrêmes pernicieuses : l’automutilation physique chez Fikria et Zohr et le blocage corporel et mental chez leur petite sœur Leyla.
D’abord nous allons analyser le contenu, les raisons et les conséquences de l’autotarisme paternel qui arbore le mutisme, l’agressivité et la haine envers ses filles. Il s’agit d’expliquer que l’aversion du père envers ses trois filles provient de l’accusation tacite de la société de son incapacité à engendrer un héritier mâle, ce qui indique un échec personnel et une effémination décriée. Puis, nous allons examiner la réaction des trois sœurs face au regard haineux, à la violence et au mutisme paternel. Fikria souffre de « l’austérité » des relations familiales et de « l’enfer quotidien imposé » (p. 63) qui cause un climat de terreur. Elle réagit au manque d’affection paternelle par l’automutilation afin de se prouver qu’elle existe, qu’elle ressent, et est un être autonome. Sa sœur majeure, Zohr, renie sa féminité en tentant de récupérer l’asexualité enfantine, se renferme dans le mutisme et l’anorexie. Finalement, c’est Leyla, le petit être retardé, qui endure le plus la violence et le ressentiment parental. Nous conclurons par l’observation du manque de complicité et de toute marque affective entre les sœurs qui demeurent incapables de transmettre leur souffrance ressentie.
Notre étude, s’inspirera entre autres de Abdelwahab Boudhiba, La sexualité en Islam ; de Noria Allami, Voilées, dévoilées. Etre femme dans le monde arabe ; Dominique Fisher, « Rue du fantasme » ; Ghassan Ascha, Mariage, polygamie et répudiation en Islam et de Rosalia Bivona, « La voyeuse interdite de Nina Bouraoui ».

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L’enfant sacrifiée :  figures de la soeur aînée dans
la littérature française du XXe siècle
Pascale Hummel
CNRS-INRP, Paris

La littérature romanesque et théâtrale du XXe siècle met volontiers en scène des fratries à travers la complexité (ou non) des liens qui unissent leurs membres. Envisagés du point de vue externe des parents ou des autres maillons de la famille, ainsi que du point de vue interne de leurs propres échanges à l’intérieur du cercle fraternel, les frères et les sœurs ne font pas toujours l’objet d’un traitement différencié. La présente étude invite à une réflexion sur la place reconnue au premier né, et plus particulièrement à la sœur aînée, au sein de la fratrie et de la famille. Ouvrant la voie, citée en modèle, la sœur aînée se voit souvent chargée de la fonction de conseillère, voire de seconde mère, privée de sa propre enfance et plus tard d’une vraie vie, et condamnée surtout au rôle de bouc émissaire de tous les dysfonctionnements familiaux. Les exemples de cet exposé seront puisés dans un corpus large et varié, choisi en fonction de la pertinence des figures de la sœur aînée mises en scène dans les œuvres à considérer.

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Relations familiales dans le théâtre de Jean-Paul Sartre
Renata Jakubczuk
Université Marie Curie-Skłodowska à Lublin (Pologne)

Les Mouches où on retrouve la famille mythique des Atrides avec Electre, la soeur et Oreste, le frère ainsi que Les Séquestrés d'Altona, création originale de Sartre, un peu oubliée par les critiques, « une pièce plus tragique que dramatique, plus problématique que dialectique, aussi dense que difficile »; une sorte de synthèse de la création dramatique de Sartre, de sa philosophie existentialiste et philosophie littéraire concernant une littérature engagée : les seules pièces de Sartre dans lesquelles les protagonistes soient des proches. Evidemment, ceux qui sont familiers de l'oeuvre de Sartre reconnaissent tout de suite les personnages sartriens types: salauds - bourgeois – chefs dans Les Séquestrés d'Altona, meprisés par l'auteur ou les personnages idéalistes dans Les Mouches grâce auxquels il illustre mieux ses idées philosophiques.
Si l'on s'en tient aux textes des pièces que l'on se propose d'étudier, il convient de dire avec Loris que dans Les Séquestrés d'Altona deux problèmes sont envisagés: 1) un problème historique qui s'attache à la culpabilité d'un régime et à la responsabilité de l'homme dans ce régime; 2) un problème familial qui traite de la culpabilité d'un père et de la responsabilité d'un fils. Il est bien évident que c'est ce dernier qui est susceptible d'être traité dans les cadres du sujet du colloque. C'est aux liens familiaux donc et, par corollaire, aux conflits passionnels qui en resultent que veut se référer notre reflexion.
Pierre-Henri Simon formule un jugement sur l'ensemble de l'oeuvre sartrienne: « Dans tous les cas, les rapports avec l'autre sont ambigus: ils sont conflits et communion, refus et solidarité, redoutable antipathie et sympathie désirable. Que le théâtre de Sartre insiste sur le côté négatif, sur la solitude irritée et blessée du moi livré aux autres, c'est d'abord évident; et pourtant, toutes les portes ne sont pas fermées, la liberté de l'un ne s'accomplit pas nécessairement dans l'assujettissement de l'autre, encore moins dans l'exclusion de tous ». Quelles sont donc les bases relationnelles qui lient les personnages dans Les Séquestrés d'Altona et Les Mouches?

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De la mère au fils ou du fils à la mère à travers le père : une famille magico mystérieuse en quête d’une édification africaine
à travers le roman « Le fils de- la –femme- mâle »
de Maurice Bandaman
Faustin Kabanza
Professeur Assistant au KIST/Kigali/Rwanda
Chercheur associé au CRTH (Cergy Pontoise/France)

« Père, tu me feras entrer dans ton sexe et, dès ton arrivée chez toi,
tu coucheras avec ta femme, puis tu me feras entrer dans son ventre.
 Et, quand mon jour viendra, je naîtrai » p.21.

C’est bel et bien cette famille mystérieuse et magique qui concourt à temps et à contre temps pour changer l’Afrique, libérer l’homme et la femme sous la misère et l’assujettissement des pouvoirs qui se sont succédé.
L’accomplissement de cette tâche, délicate, dans son fond et dans sa forme, qui se métamorphose au rythme des jours, nécessite des personnes et des moyens qui sortent de l’ordinaire et de l’habituel : une mère et son fils, avec des moyens alimentés du surnaturel,  parviennent à édifier la société africaine et mondiale. A travers ces deux personnages-clé du conte romanesque, l’injustice, l’inégalité et la brutalité qu’exercent les pouvoirs politiques africains sur la population sont dénoncées et les victimes sont dédommagées.
Depuis le déclenchement de l’action jusqu’à son aboutissement, les membres d’une famille évoluent côte à côte jusqu’à se  confondre mutuellement. Le père qui est un moyen et un outil disparaîtra d’ailleurs très tôt, pour laisser le combat à ceux qui en sont capables (la femme et l’enfant). C’est donc le renversement des tendances, des habitudes : les hommes ne sont plus forts, la force est à rechercher ailleurs, chez les femmes et les enfants.  Bien sûr il ne s’agit pas de n’importe lesquels, il faut confier la lutte à la mère et à son fils (et non avec sa fille), car tout est possible grâce à leur collaboration et leur compréhension ainsi qu’à la souplesse, la tolérance, l’écoute et l’amour à son fils ou à sa mère - qu’ils se doivent naturellement, l’un envers l’autre : « un mari peut divorcer d’avec sa femme, rarement un enfant divorce d’avec sa mère » p.143.
Toutes ces qualités interactives permettront à ce petit noyau familial, au de là de toute considération de force, de corriger les torts des « grands hommes » et des « hommes forts », dominés par leur libido et tous les instincts insatiables qui obscurcissent et brouillent leur vision à aller de l’avant : « Maître, pour que tu prennes le pouvoir, il faut que tu possèdes toutes les femmes. Femmes et pouvoir vont ensemble » p.118.
Bref,  le romancier déçu du pouvoir des hommes (mâles) fait confiance aux femmes et aux enfants, mission chargée à une famille qui la supportera jusqu’au bout, grâce à une mère et son fils, favorisés par les  relations interpersonnelles naturelles qui les lient.
On pourrait s’imaginer, à l’instant, que c’est peut-être le rêve de l’auteur qui commence à se réaliser avec l’exemple récent du Libéria.  

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La métaphore de la famille chez Marie NDiaye
Egle Kackute
Université de Vilnius

L’œuvre de Marie NDiaye est particulièrement uniforme. Elle examine minutieusement la vie de famille. L’omniprésence de la famille dans l’œuvre de Marie NDiaye prend une dimension symbolique et métaphorique. Cette intervention a pour but d’interpréter la métaphore de la famille chez Marie NDiaye en tant qu’une double métaphore de soi et de la communauté. Ce qui intrigue dans ce point de vue est le fait que les rapports entre le soi et l’autre sont représentés comme des rapports internes de la famille. Ainsi, la différence apparaît à l’intérieur du soi, ce qui suggère que la famille chez NDiaye représente le soi en tant qu’une identité multiple et contradictoire. Cette représentation du soi implique également que la notion de la différence, l’autre, est située à l’intérieur de soi. Qu’est-ce que cette représentation d’étrangeté au sein du soi pourrait-elle signifier ?
Paradoxalement, l’œuvre de NDiaye porte sur l’inefficacité et l’indivisibilité de la famille nucléaire. Les rapports entre les membres des familles fictives sont conflictuels, souvent violents, et pourtant ces membres sont incapables de se dissocier du reste de la famille qu’ils détestent. Une des conséquences de la configuration de la famille en tant qu’une métaphore de multiple soi, qui intègre le différent l’autre, est que cela change la signification de la violence contre l’autre. Si on considère que l’autre fait partie du soi, la violence contre l’autre est la violence contre soi. Cela porte un message profondément étique.
D’autre part cela sert à l’auteur d’une façon d’émanciper à la fois le sujet et le concept de la famille (ou bien une communauté plus large) des contraints de l’autorité singulière. Les identités de tous les personnages, qui sont membres de la même famille sont établies à travers les autres membres de la même famille. Cela est particulièrement évident dans le contexte des identités des parents et de leurs enfants. La plupart des couples des parents sont des couples séparés, pourtant jamais définitivement. Papa dans la pièce Papa doit manger (2003) revient chez Maman après plusieurs années d’absence; les parents de Lili dans le roman La Sorcière (1996) ne vivent plus ensemble mais ne sont pas divorcés ; dans le cas des vieux Carpes dans le roman Rosie Carpe (2000) la mère est enceinte d’un enfant d’un autre homme, ce que ne l’empêche pas de continuer à vivre avec le père Carpe et ainsi de suite. Pour voir comment l’identité des parents peut être dépendante des enfants, prenons l’exemple de Papa. Il revient chez Maman en tant qu’un époux légitime, mais son retour passe d’abord par les filles. La façon même dont le personnage est surnommé dans la pièce, Papa, signifie qu’il n’est un mari pour sa femme que dans sa capacité de papa pour les filles de sa femme. Nous observons que pour établir son identité du mari de Maman, Papa est obligé d’établir son identité en tant que père par rapport à ses filles d’abord. Papa, donc, apparaît privé de son autorité paternelle et masculine. Nous allons voir le même principe d’absence d’autorité dans les personnages des mères chez M. NDiaye. Les enfants (surtout les enfants adultes) jouent le rôle des médiateurs entre les parents, leurs identités à eux, dépendants des identités de leurs parents.
En conclusion, les représentations systématiques des identités interdépendantes, floues, instables, à la fois familières et  étrangères, aussi bien que très négatives chez NDiaye, présentent une nouvelle politique de la construction d’identité et de société.

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Sylvie Germain, L’enfant abandonné
Mariska Koopman-Thurlings
Radboud Universiteit Nijmegen

Sylvie Germain est l’auteur d’une œuvre considérable. Depuis son entrée sur la scène littéraire en 1985 avec Le Livre des Nuits, aussitôt distingué par plusieurs prix littéraires, Sylvie Germain n’a cessé de publier des romans et un grand nombre d’essais sur la peinture, la création artistique et la pensée philosophique et théologique. Dans ses romans (Le Livre des Nuits (1885) ; Nuit-d’Ambre (1987); Jours de colère (1989); Opéra muet (1989) ; L’Enfant Méduse (1991); La Pleurante des rues de Prague (1992) ; Immensités (1994); Éclats de sel (1996), Tobie des marais (1998), Chanson des mal-aimants (2002), Magnus (2005) où le réalisme de l’Histoire côtoie le merveilleux et le fantastique, Sylvie Germain pose avec insistance le problème du mal dans le monde, un mal fondamental symbolisé par le cri par lequel l’enfant annonce son entrée dans la vie. Si dans le grand cycle romanesque des deux premiers romans l’auteur a voulu exposer l’enchaînement des effets de la guerre sur l’homme, avec leurs répercussions sur les générations suivantes, ces romans ouvrent aussi à la problématique de l’enfant abandonné, sujet capital qui traverse comme un leitmotiv l’œuvre entière de Sylvie Germain. Quelles que soient les configurations familiales dans ses œuvres, elles se caractérisent toutes par la figure de l’enfant abandonné. Cet abandon subi ou éprouvé par un(e) enfant, avec ses souffrances propres, est un motif qui se prolonge par les abandons de l’âge adulte, d’un amant ou d’une amante. Chaque fois l’abandon entraîne une crise d’identité du personnage qui se débat avec ses problèmes d’ordre existentiel. Si la mère, castratrice et abandonnique, joue un rôle important dans ce sentiment de solitude, le rôle du père est loin d’être négligeable. Aimant sa femme d’un amour trop exclusif, le père est souvent un personnage efféminé qui ne s’occupe guère de son enfant. À cette configuration s’ajoute le frère qui, également victime d’un abandon, peut devenir lui-même un agent du mal. Entre une mère abandonnique, un père effacé et un frère trop possessif, l’enfant a-t-elle une chance de survie ? Cette question sera étudiée à partir de quelques œuvres majeures de Sylvie Germain, en particulier Nuit-d’Ambre et L’Enfant Méduse.

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Œdipe et les Fils des Indépendances Africaines
Neil ten Kortenaar
University of Toronto

Parmi la première génération de romanciers africains, dont les carrières coïncidèrent avec les indépendances des nouveaux pays africains, beaucoup sont ceux qui ont rêvé à une nouvelle dispensation où l’individu pourrait s’échapper aux demandes de l’ethnie et de la famille en s’identifiant avec l’état.  Souvent les protagonistes (presque toujours des jeunes hommes qui accédaient à l’état d’homme au même instant que leur pays devinrent indépendants) rejettent leurs pères avec l’intention de devenir eux-mêmes citoyens de leurs patries.  Si l’Afrique avait vraiment atteint l’indépendance économique et psychologique à l’époque, on aurait attendu à ce que ces fils des indépendances achevèrent une révolution œdipienne, telle que la révolution bourgeoise européenne décrite par Carol Pateman.  Selon Pateman, les bourgeois européens déposèrent les rois-tyrans-pères et instaurèrent un contrat social qui transférait les droits du patriarche à l’état  Ainsi ils ont pu préserver les pouvoirs associés au père.  Le père est mort ; que vive le pére!
Mais une révolution œdipienne n’eut pas lieu en Afrique.  Cela se voit très clairement dans les romans des camerounais Mongo Beti et Ferdinand Oyono.  Dans les quatre premiers romans de Beti, publiés entre 1954 et 1958 (le Cameroun devint indépendant in 1960), et dans le premier roman d’Oyono (1956), les protagonistes sont le plus souvent des jeunes hommes en rébellion contre leurs pères et contre les pouvoirs de la gérontocratie traditionnelle.  (Beti raconte aussi les histoires de deux patriarches qui meurent où qui prennent la retraite, sans que la prochaine génération puisse les succéder).  Leurs pères sont des colonisés; alors leur pouvoir n’est pas celui que les fils cherchent.  Les protagonistes rejettent leurs pères mais, faute d’imagination, ils cherchent toujours un autre pour les remplacer.  L’unique façon qu’ont les fils de se concevoir l’indépendance, c’est de s’imaginer un autre père : ils ressentent toujours le besoin de quelqu’un dont ils peuvent hériter.  Les protagonistes cherchent un père chez les administrateurs coloniales et chez les missionnaires (tout à fait un autre type de père) mais sans succès.  Voilà la raison pour laquelle le cri de « A nous la liberté », lancé par Jean-Baptiste Medza dans Mission Terminée de Beti, reste toujours un cri de désespoir.  
Dans cette communication je discuterai de l’échec de la révolution œdipienne dans les romans de Beti et Oyono et ce que cela représente pour la politique africaine, où les dirigeants posent souvent en pères de leurs nations mais où les peuples, leurs « enfants », restent des sujets au lieu de devenir des cityens.  J’examinerai aussi ce que la quête d’un père par les fils représente pour leurs sœurs, qui, encore plus que les jeunes hommes, sont les victimes de la patriarchie traditionnelle et moderne.          

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L’Algérie de père en fille : vision(s) et filiation
dans l’œuvre autobiographique de Nina Bouraoui
Elsa Laflamme
Université de Montréal

Auteure franco-algérienne née en 1967, Nina Bouraoui publie depuis une quinzaine d’années une œuvre faite tant de romans que de récits autobiographiques. Depuis Le Jour du séisme (1999) jusqu’au tout récent Mes mauvaises pensées (Prix Renaudot 2005) en passant par Garçon manqué (2000), le versant autobiographique de l’œuvre de Bouraoui tient lieu de radiographie psychique et familiale, largement influencée par les outils de la psychanalyse. L’auteure emprunte ainsi la voix d’une narratrice se décrivant avant tout comme « la fille de [s]on père » (Mes mauvaises pensées), puis  s’engage dans l’exploration de ses relations familiales (grands-parents, mère, père), recollant les morceaux d’une identité déchirée entre deux origines, la culture française de la mère et celle algérienne du père. Tel un miroir que l’on retourne vers le plus intime de soi, l’écriture autobiographique intervient en effet chez Nina Bouraoui comme une ultime tentative de renouer des liens défaits par le cours des événements familiaux, mais aussi de rétablir une filiation menacée par l’exil géographique et émotif de la jeune Nina, obligée de quitter l’Algérie à l’âge de quinze ans, alors qu’elle y a passé toute son enfance.
La présente communication vise précisément à examiner deux récits autobiographiques de Nina Bouraoui sous l’angle de cette filiation reconstruite, à la fois lien singulier au père et évocation de l’Algérie, pays de l’enfance et de la mémoire : « quand je regarde mon père, » affirme la narratrice de Mes mauvaises pensées, « je sais qu’il est plus qu’un père, il est mon seul lien avec le pays où j’ai grandi ». Nous entendons démontrer que, dans Le Jour du séisme et Mes mauvaises pensées, une telle filiation passe d’abord par le regard et la vision de la narratrice. L’œil photographique de cette dernière qui « transme[t] les voix » et « rapporte les images » (Le Jour du séisme) permet la transmission de la mémoire familiale, tout en se faisant œil de remplacement à la vision défaillante du père qui, lui, ne voit pas les trois dimensions. Ce travail de filiation, redevable à la vision de la narratrice, s’accentue dans Mes mauvaises pensées pour devenir le fil même de l’écriture. Le père apparaît alors comme la matrice de l’écriture et la filiation se déploie à travers les visions de violence, puis de consolation qui assaillent la narratrice et la poussent à se raconter. Finalement, nous entendons prouver qu’au centre de ce rapport père-fille marqué par les images de l’enfance et les visions de l’écriture se trouve l’Algérie, paradis perdu et pays intérieur, fantasme d’une réparation des liens familiaux comme de l’identité fragmentée de la narratrice.

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Le Français, une Tunique de Nessus pour vivre
La relation père-fille dans L’Amour, la fantasia d’Assia Djebar
Sofiane Laghouati
Université La Sorbonne (Paris III)

Cette intervention portera sur la relation fondamentale entre la narratrice et son père, et par ce truchement aux différentes figures masculines du roman. Entre le roman autobiographique et le roman historique, ce récit dépeint, au-delà du cadre historique de la colonisation française, la venue à l’écriture d’Assia Djebar. Ce rapport singulier qu’elle entretient avec la langue française s’origine à l’incipit du roman par la figure d’un père, instituteur de français dans une société algérienne en plein conflit colonial. En effet, celui-ci la sauve de la claustration par l’instruction tout en ne lui permettant pas de jouir pleinement des nouvelles libertés acquises.
Ce sont différents microcosmes qui se trouvent confrontés de la sorte, et les tensions sont exacerbées dans la relation père-fille. Ainsi nomme-t-elle l’accès à la langue française, qui est un don du père, « la tunique de Nessus », ou autrement dit un don d’amour qui se révèle être un cadeau empoisonné.
Et c’est par le biais du mythe d’Hercule, que j’aborderai les deux thèmes complémentaires et interdépendants dans L’Amour, la fantasia : le rapport à l’écriture ; et le rapport entre masculin et féminin.
C’est dans le cadre d’une Algérie coloniale culturellement plurielle, et non pas seulement duelle, que va se jouer la relation père-fille. Il y a tout d’abord une société exclusivement féminine, organisée au sein des demeures en matriarcat, qui vit en parallèle des hommes, avec ses codes et ses tabous. Chaque clan est scindé en différents sous-groupes : selon l’âge, le statut, ou l’appartenance ethnique. Il y a aussi la société des hommes arabo-musulmans, société de « l’extérieur », exposée de façon plus frontale au risque et à la mort. Puis il y a la société française, qui apparaît tout d’abord en opposition aux deux autres, mais on voit peu à peu, tout au long du récit, qu’elle leur est non seulement indissociable, mais qu’elle permet, par l’ambivalence qu’elle apporte, d’entrevoir la construction et l’interdépendance des différents microcosmes qu’elle a en partie générés, en partie entretenus.
Dans ce cadre pluriel à plus d’un titre, la relation père-fille, par la transgression qu’elle opère, permet non seulement d’exhausser puis d’analyser la construction et l’organisation des différents microcosmes qu’elle énonce ; mais elle permet d’entendre la poïétique de l’écriture djebarienne dans la relation masculin/féminin qui la fonde, et toute la symbolique qui leur est inhérente dans L’Amour, la fantasia.

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« La figure maternelle et ses rapports à l’écriture :
Albert Cohen et Charles Juliet »
Sylvie Lannegrand
N.U.I., Galway, Ireland

La communication proposée entend analyser la relation mère-fils dans deux ouvrages qui, bien que publiés à quelque quarante ans de distance, fournissent d’intéressants parallèles : Le livre de ma mère d’Albert Cohen et Lambeaux de Charles Juliet, parus respectivement en 1954 et 1995. Après avoir dégagé les modalités de représentation de la figure maternelle dans les deux ouvrages, l’étude portera essentiellement sur une élucidation du rapport entre la mère et l’écriture. Dans les deux cas, ce rapport complexe et douloureux occupe une place centrale dans l’activité de création.
    Par l’écriture, et dans Lambeaux en particulier, Charles Juliet redonne vie et réalité à une mère qu’il n’a pas connue, morte dans des circonstances tragiques. Ce faisant, il retrouve la force d’accepter le passé et l’équilibre nécessaire à une approche sereine de la vie. Les obstacles jusque-là rencontrés dans le processus créatif et dans la vie de tous les jours sont surmontés par la rédaction même de ce livre, que l’auteur aura mis plus de dix ans à écrire, et qui marque un réel tournant dans son parcours tant personnel que littéraire. Avec Le livre de ma mère, Albert Cohen consacre lui aussi un ouvrage à la mère décédée. Il cherche à révéler les qualités d’une femme modeste et effacée et à lui exprimer l’amour qu’il n’a pas toujours su lui montrer. Ce livre-hommage est toutefois empli de la conscience de ses limites. C’est là l’une des principales différences avec l’ouvrage de Charles Juliet dans lequel l’écriture s’avère rédemptrice et libératrice, aboutissant à l’acceptation et à la sérénité dans la vie quotidienne, et dans l’écriture à la certitude d’avoir trouvé sa voie. Le livre de ma mère par contre, est parsemé de commentaires qui disent l’inanité d’une écriture visant à retrouver l’amour perdu et à se délester d’un sentiment de culpabilité difficilement supportable. La blessure, transmuée par la création artistique chez Juliet, reste de toute évidence à vif chez Cohen.
    Il s’agira d’établir dans quelle mesure ces deux ouvrages se font écho (représentation et rôle de la figure maternelle, sentiment de culpabilité, manière dont est envisagée l’écriture) mais aussi se distinguent (structure de l’ouvrage, aboutissement de l’acte de création). Par-delà la représentation littéraire de la relation mère-fils, le livre d’Albert Cohen comme celui de Charles Juliet proposent une conception et une pratique de l’écriture dans ses rapports avec la mère, sujet qui permet d’entamer une réflexion plus vaste sur la nature de la création littéraire en général et de l’écriture autobiographique en particulier.

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Jean Muno, Rages et ratures ou le journal d’une filiation exécrée
Rodica Lascu-Pop
Université « Babes-Bolyai » de Cluj-Napoca (Roumanie)

Nous nous proposons d’examiner, à partir du journal posthume rages et ratures , les rapports conflictuels entre Jean Muno (pseudonyme littéraire de Robert Burniaux) et son père, le romancier Constant Burniaux. Ce livre ra(va)geur et féroce, publié en 1998 par Jean-Marc Burniaux, le fils de Muno, n’est pas un accident dans la création munolienne, deux autres romans d’inspiration autobiographique, contemporains au journal, Ripple-Marks (1976) et Histoire exécrable d’un héros brabançon (1982), relèvent de cette même littérature de liquidation. Car on peut parler d’un véritable règlement de comptes avec les parents, d’une « sorte de parenticide par le verbe » (p.14) selon l’expression de Muno fils, et, à travers la famille, d’une remise en question des fausses valeurs de la société, d’une démolition du Système (institutionnel, politique, moral). C’est dans les pages de son journal que Muno prend sa revanche contre le Système : «Voilà bien la difficulté, mon cher David, car écrire contre le Système avec cette ironie que tu apprécies revient pour moi, précisément, à écrire contre mon père et ma mère qui, depuis l’enfance, incarnent à mes yeux exemplairement ce que le Système engendre de plus odieux :le désir forcené d’en être et de s’y maintenir à tout prix.» (p.58).      Fils unique d`un couple d’instituteurs entichés de pédagogie,  Muno a subi dès sa petite enfance, ce qu’il appelle non sans dérision « les bienfaits d’une bonne éducation ». Une enfance solitaire et triste, anéantie par l’austérité et le puritanisme du «Couple exemplaire », car, comme le note ironiquement le fils de Muno, «chez les Burniaux, on cultive l’ennui comme d’autres les chicons. » (p.18). Dans ce monde maussade « de l’obligation et du devoir», le plaisir et le rêve sont bannis, tout ce qui compte c’est « le pouvoir créateur » du Père, un mythe que la Mère, Directrice d’école, défend farouchement.  Muno est impitoyable avec les adultes, ces « chacals immondes » qui lui avaient volé la vie. C’est toujours au père qu’il s’en prend lorsqu’il dénonce la routine, la suffisance,  l’ennui, le compromis,  l’opportunisme bourgeois. Ce père qu’il exècre  lui avait légué, cruelle ironie,  sa carrière pédagogique, Muno ayant, malgré lui, embrassé la profession d’enseignant, sa vocation d’écrivain et ses honneurs académiques (comme son père, Muno a été élu membre de l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique). Un héritage lourd dont il ne peut se défaire qu’à travers l’écriture : « Le père et le grand-père de l’Académie. Mettre cela dans un roman? Ecrire une caricature de l’ascension sociale par les Belles-Lettres? Jusqu’à son dernier souffle...et même au-delà! C’est lourd, et difficile, et périlleux. Il faudrait le faire, je sais. Mais quel livre déplaisant.» (p.58).

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Filles du père ? Le spectre paternel chez
quelques auteures contemporaines
Evelyne Ledoux-Beaugrand
Université de Montréal

Depuis quelques décennies, en particulier depuis la deuxième vague du féminisme occidental, la relation mère-fille s’avère omniprésente dans la littérature des femmes, de même qu’elle constitue un enjeu majeur pour la critique féministe qui cherche à travers elle à (re)penser l’identité féminine.  Parallèlement à l’accent ainsi mis sur la filiation féminine, la question du père semble avoir été, quant à elle, occultée.  Or, depuis peu les liens père-fille occupent une place de plus en plus importante chez les auteures contemporaines et dans plusieurs leurs récits, le père fait effectivement retour.  De Un père de Sibylle Lacan (1994) à La reine du silence (2004) de Marie Nimier, en passant par Lettre morte (1999) de Linda Lê et Le cri du sablier (2001) de Chloé Delaume – pour ne mentionner que les textes faisant l’objet de cette communication –, il est une figure centrale dans chacun de ces textes narrés à la première personne du singulier par une femme qui énonce blâmes et griefs envers ce père mais, dans un geste paradoxal, se présente du même coup, à travers cette litanie de reproches, comme sa fille, comme la fille du père, voire se réclame exclusivement de celui-ci, désormais disparu, et dont la mort vient en fait radicaliser l’absence le caractérisant déjà.
Ainsi, c’est non seulement un père mort que mettent en scène ces textes, mais un père fantôme, spectre qui vient hanter sa descendance féminine, que ce soit littéralement comme chez Linda Lê et Chloé Delaume où le père prend des airs menaçants, refusant de laisser en paix son héritière, ou plus métaphoriquement tel qu’il se retrouve chez Marie Nimier et Sibylle Lacan, toutes deux en quête de leur illustre père qui, en raison du nom qu’il leur a légué, leur colle à la peau, bien que son image floue et parcellaire leur échappe constamment.  Quoiqu’il en soit, si le père fait sentir sa présence dans ces textes, c’est précisément en raison de son absence : par définition, le spectre est la trace d’une absence, d’un non-dit, d’un passé refoulé qui refait surface.  C’est donc au sens freudien du terme que ce revenant paternel fait retour.  Le père serait-il « quelque chose qui est pour la vie psychique familier de tout temps, et qui ne lui est devenu étranger que par le processus de refoulement » (Freud, 1985 : 246)?  Que dit ce surgissement du familier, qui est ici familial et paternel, de la littérature des femmes?  
Il s’agit, dans le cadre de cette communication, d’interroger l’imaginaire du père fantôme tel qu’il se retrouve dans les récits de Chloé Delaume, Sibylle Lacan, Linda Lê et Marie Nimier et de questionner le savoir refoulé mis au jour par ce spectre paternel.  Celui-ci serait-il, tel que le conçoit Didier Dumas dans L’Ange et le fantôme (1985), la manifestation d’un impensé généalogique?  Que révèle-t-il de l’appartenance filiale de ces filles?  Y aurait-il réhabilitation de la filiation paternelle?  Autrement dit, ces auteures contemporaines que l’on dit pourtant héritières de la mère au sens où elles constituent la première génération de femmes à véritablement bénéficier d’une riche tradition d’écriture au féminin (Rye et Worton, 2002), seraient-elles plutôt les filles du père, inscrites dès lors dans une lignée impossible, hantée par ce père qui n’arrive pas à trouver repos dans la mort?

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La relation mère-fils dans les œuvres fictionnelles
et auto-fictionnelles d’André Gide
Diana-Adriana Lefter
Université de Pitesti, Roumanie

André Gide est l’un des écrivains français qui marque la fin du XIXème siècle et la première moitié du XXème siècle surtout par le fait qu’il manifeste dans ses productions littéraires une mentalité souvent d’avant-garde par rapport à celle de l’époque.
Les relations familiales préoccupent Gide et trouvent une illustration non indifférente dans sa création romanesque, même si cet aspect n’est pas celui primordial. Beaucoup d’écrits fictionnels et auto-fictionnels de Gide suivent la construction du moi d’un personnage central masculin, parachèvement individuel dans lequel l’interaction avec la mère a une importance singulière. Ne citons que André Walter, ou Michel ou, plus tard, André Gide, personnage de Si le grain…
Souvent, pour ces personnages gidiens, la famille est centrée autour de la figure maternelle, qui devient à la fois modèle et élément contraignant. Parfois, l’influence de la mère sur son enfant s’avère castratrice, empêchant le jeune de chercher à l ’âge mature une femme désirable. Son attention se focalise plutôt sur des femmes qui lui rappellent la figure maternelle.  Dans la maturité des personnages, la figure maternelle se projète et se prolonge dans celle de l’épouse, ce qui conduit à un rapport paradoxal parfois entre l’homme et sa femme.
Dans le cas d’André Walter, par exemple, la figure paternelle est presque inexistante et les seules images qui dominent l’existence du jeune Walter sont celles de la mère, de la sœur et celle de la femme aimée. Pour Michel de L’Immoraliste, l’autorité de la mère se prolonge même après sa mort et pose son empreinte aussi bien sur le développement de Michel que sur sa relation avec Marcelline.
Certes, en prenant en discussion tous ces cas, on ne pourra pas ignorer un fait de nature biographique : la fort influence que Madame Paul Gide a exercée sur son fils André, une influence qui n’est pas contre balancée par celle du père.
Notre travail se propose d’analyser les relations fils-mère dans quelques écrits gidiens et de monter en quoi la figure maternelle marque le développement ultérieur du fils. Notre approche n’est pas de nature biographique, parce qu’il est évident que, réduire les fictions de Gide à de simples auto-fictions, ce serait une perspective aussi simpliste qu’erronée. Notre approche est plutôt influencée par la mythocritique puisque nous voulons montrer que tous les personnages sur lesquels nous concentrons notre analyse, ce sont des êtres fortement influencés par le mythe de Narcisse et qu’ils manifestent les caractéristiques des êtres narcissiques.

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Les relations père-fils dans le roman-fleuve
Les Thibault  de Roger Martin du Gard
Ilia Lengu
Université de Tirana

Dans le roman-fleuve  Les Thibault  de R. Martin du Gard (Prix Nobel, 1937), qu’Albert Camus a appelé notre « perpétuel contemporain »,  il y a une analyse très approfondie dans un éclairage à la fois social et psychologique des relations entre un père très autoritaire et ses deux fils qui ont des caractères, des personnalités, des sensibilités différentes et qui vont choisir chacun sa voie pour s’affirmer et construire leur propre personnalité et leur vie. Le père, Oscar, vaniteux et orgueilleux, cherche à s’imposer à tout prix et manifeste  une intransigeance rigide à chaque signe de contestation ou de remise en question de son autorité paternelle et de son modèle qu’il considère indiscutables, voire même exemplaires et irréprochables. Seules la maladie et la souffrance physique vont lui donner une dimension plus humaine. L’euthanasie, pratiquée par le fils aîné, Antoine, est un aspect très intéressant également et si actuel. Antoine, sans s’opposer ouvertement à son père, et quoique fier d’être un Thibault, s’affirmera comme être humain et dans sa vie professionnelle dans un esprit sensiblement différent que celui du modèle paternel. Quoique fier « d’être un Thibault », il reconnaît qu’au fond entre lui et son père il n’y a pas eu de vrais rapports, mais plutôt une « fonction – la fonction paternelle » et que ce dernier n’a été qu’ « un pontife social considéré et craint ». Esprit lucide et ouvert, (et à travers lui, son créateur)  il s’interroge sur des questions essentielles relatives à la condition humaine, l’homme et le sens de la vie à un moment où tout bascule et le destin de l’individu est pris dans le tourbillon impétueux de l’Histoire.  L’autre fils, Jacques, s’insurge très tôt contre l’autorité paternelle. Entre lui et son père il y a incompréhension et incommunicabilité absolues. Il fige de façon très dure le portrait moral de son père dans une nouvelle qu’il publie sans s’identifier : « une réussite sociale... Autorité officielle, consacrée, agressive... Majestueuse caricature, qui s’est imposée au respect de tous, à la crainte. ... Une force. Mieux, un poids. Non pas une force agissante, mais une force inerte, qui pèse ». Jacques passe des fugues juvéniles à la révolte contre son milieux familial et social et décide de couper tous les ponts avec la vision du monde et l’esprit dominant dans sa famille et dans sa classe d’origine. Il sacrifie sa jeune vie à son idéal de paix et de justice dans le monde. Avec la mort volontaire d’Antoine, victime gazée incurable de la guerre, « l’Arbre Thibault » s’éteint. Le fils de Jacques ne portera pas le nom de « l’illustre » famille que l’orgueil et la vanité du père a fait éclater.
Ce roman reste, à côté de ses valeurs artistiques multiples, une chronique qui a fixé un moment de l’histoire de l’humanité ainsi que des relations sociales au sein d’une famille représentant la riche bourgeoisie française de la fin du XIX et du début du XXème siècle.

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Le Rôle de la mère dans le processus créatif ou l’existence de l’artiste par procuration : La Promesse de l’aube de Romain Gary
Anna Lushenkova
Université de Limoges

La Promesse de l’aube de Romain Gary représente un Künstlerroman dans lequel le rôle joué par la mère du héros dans son devenir de l’artiste est particulièrement important.
L’amour étouffant de la mère du personnage de La Promesse de l’aube provoque des difficultés dans la construction de son identité. Devenir écrivain lui apparaît comme la seule possibilité pour accomplir les espoirs de l’amour écrasant de sa mère et aussi comme la seule échappatoire afin de donner naissance à son moi.
Tout en se rendant compte qu’il ne vit que par procuration, Romain parle de ses identités changeantes qui dépendent entièrement de sa mère. Le sentiment étrange « d’être quelqu’un d’autre »  et l’impossibilité de séparer son moi de celui de sa mère l’accompagne tout au long du roman : « […] elle devint véritablement moi, avec toute sa violence, ses sautes d’humeur, son manque de mesure, son agressivité, ses attitudes, son goût du drame, tous ces traits d’un caractère excessif » .
En se perdant dans les identités engendrées par sa mère,  le héros aspire à retrouver son essence profonde. La réflexion sur sa personnalité apparaît au moment où il donne ses réflexions sur la nature de l’art. L’aspiration au chef-d’œuvre se trouve être un trait qui prédéfini son moi. L’impossibilité d’atteindre l’idéal est à l’origine de sa tragédie personnelle.
En même temps, l’art lui apparaît comme « une façon de rendre l’âme pour demeurer vivant » . Romain espère que l'art lui permettra de se libérer de l’identité de sa mère qui réside en lui.
Son idée est que la création d’une œuvre littéraire lui permettra finalement de toucher à son but qui est de donner un sens à la vie de sa mère, et commencer ainsi son propre existence. Romain voit dans l’art la possibilité de lutter contre son « éternelle frustration » , contre « le tumulte indigné »  de son sang, contre son « besoin de ressusciter, de vaincre, de surmonter, de sortir de là » . Lorsqu’il sait que son premier roman sera publié, il se sent être né.
Néanmoins, les aspirations de la libération du « souffle »  de sa mère à travers la création littéraire ne se réalisent pas. Sa mère décède avant qu’il n’ait pu finir sa première œuvre. Ainsi, Romain n’a pas eu le temps de lui rendre justice. Il est mort avec elle.
Il n’a donc pas réussi à savoir qui il était réellement, cette connaissance étant emportée par sa mère :  « Elle avait toujours su qui j’étais » .
Néanmoins il continue sa narration en cherchant désespérément jusqu’à la fin de prouver que sa vie a réellement eu lieu. « J’ai vécu » , affirme-t-il dans la dernière phrase de son roman, tout en acceptant le fait que sa vie soit finie ainsi que son oeuvre.

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Le roman familial de Nancy Huston :
les filles abandonnées par la mère
Mihoko Martens-Okada
Université d’Amsterdam

Depuis quelques décennies, beaucoup de livres ont été publiés sur la relation fille-mère dans le cadre des études féminines. Pour ce colloque, je vise sur l’aspect plutôt négatif et peu étudié, c’est le cas de l’abandon.
Dans ce cadre, les romans de Nancy Huston sont traités. Cette femme anglophone Canadienne, installée en France depuis les années 1970, écrit ses romans en français. Sa mère a quitté le foyer lorsqu’elle avait six ans, et elle traite ce sujet souvent dans ces romans, par exemple dans La virevolte (1994) où il s’agit d’une héroïne qui abandonne ses enfants afin de devenir une danseuse professionnelle.
L’écriture de Huston dépeint les relations complexes entre fille-mère à la fois violentes et passionnantes. Les personnages féminins de La virevolte souffrent mutuellement face à ce nouveau choix de la vie de femme : la liberté. La mère n’arrive pas à assumer à la fois la vie familiale et sa passion pour la danse. Finalement elle quitte le foyer afin de mener entièrement sa vie d’artiste pourtant elle devra désormais se battre contre la culpabilité et le regret. Quant à ses deux filles, elles sont obligées de respecter le choix de leur mère et de supporter le poids d’être des enfants abandonnées. Cette blessure irréparable consolide le lien entre les deux sœurs et elles essaient de combler ce vide, c’est-à-dire, l’absence de leur mère, chacune à sa manière.
Pourquoi la mère a-t-elle abandonne ses enfants ? En Occident, le statut de la femme semble considérablement évolué depuis un siècle. Si une des fonctions de la littérature est de peindre la société, la trace de ce changement des moeurs doit être visible ou implicite dans la création littéraire de notre temps. Y a-t-il des raisons pour commettre un tel acte qui ont changé ?
Pour mieux comprendre le développement d’une telle relation je compare les livres de Huston avec ceux de dix-neuvième siècle où il y a  des écrivains inspirés par ce sujet. George Sand, par exemple, traite à plusieurs reprises ce problème d’enfants laissés par leurs mères qui n’ont pas d’autres choix à faire car elles ont été aussi abandonnées par leurs amants ou leurs maris.
Ma recherche se base sur la théorie de l’écriture féminine, bien que ce thème ne soit pas encore bien défini jusqu’à maintenant, il existe un bon nombre d’études consacrées sur ce sujet, par exemple, La jeune née (1975) de Hélène Cixous et Catherine Clément, Ce sexe qui n’en est pas un (1977) de Luce Irigaray. Je recours également aux études psychanalytiques de Julia Kristeva, Pouvoirs de l’horreur. Essai sur l’abjection (1980) et Soleil noir. Dépression et mélancolie (1987), sur la relation fille-mère. Les livres de Michelle Perrot, Politique et polémiques (1997) et Les femmes ou les silences de l’histoire (1998), m’aident à comprendre la place de la mère dans le contexte historique. Enfin il me faut encore quelques éléments sur le mythe de la mère, comme L’amour en plus. Histoire de l’amour maternel du XVIIe au  XXe siècle (1980) d’Elisabeth Badinter, pour mesurer la problématique de la maternité de nos jours.

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Vivre ou réfléchir ? La relation à soi et les relations familiales
dans la trilogie d’Yvon Rivard
Lyne Martineau
Université Laval

La trilogie d’Yvon Rivard (Les Silences du corbeau, Boréal, 1986, Le Milieu du jour, Boréal, 1996, Le Siècle de Jeanne, Boréal, 2005) constitue une œuvre majeure de la littérature francophone, car, comme toute grande œuvre, elle nous amène au large de la condition humaine, et ce, grâce au langage qui rend présent le sens à travers l’expérience existentielle qui commence et finit dans le langage.
En effet, Les Silences du corbeau met en scène Alexandre, un scénariste dans la trentaine, marié et père d’une fillette, entreprenant un séjour spirituel en Inde dans l’espoir de découvrir avec laquelle des deux femmes il souhaite véritablement vivre : son épouse Françoise qui lui offre la vie de l’imaginaire ou sa jeune maîtresse Clara qui le « cloue au réel »? Il revient avec, pour toute réponse, les silences obstinés du corbeau, cette conscience noire de laquelle il espérait extraire quelque lumière.
Le Milieu du Jour, présente le héros qui, bien que séparé de sa femme, continue à tergiverser. En effet, depuis le début de sa double vie, chaque femme connaît l’existence de l’autre et accepte d’attendre la décision de l’homme qu’elles aiment. Alexandre, quant à lui, se questionne constamment sur le mal qu’il fait à chacune et peut-être à sa fille qui s’éveille à l’amour et à la vie de couple. À la vérité, cette relation alambiquée s’avère une dynamique nourrie par les trois adultes. Par ailleurs, si Alexandre hésite entre deux femmes, il hésite aussi entre deux modes de vie, deux façons d’être au monde, cherchant à découvrir la façon d’intégrer les exigences de la vie de création dans la réalité du quotidien.
Enfin, dans Le Siècle de Jeanne, le héros, devenu grand-père, reste un amoureux indécis. Il s’interroge cette fois sur la responsabilité qu’il a dans le mal de vivre et d’aimer qu’éprouve sa fille. Mais Jeanne, sa petite-fille, le réclame pour jouer, lui pose maintes questions, bref, elle le replonge dans son enfance, l’entraîne là où, depuis Les Silences du corbeau, il essayait et refusait tout à la fois de se rendre. C’est la fillette qui, réunissant ainsi le merveilleux de l’imaginaire (Françoise, l’écriture) et la force du réel (Clara, le concret), lui apprend à vivre dans l’instant même, plutôt que de se réfugier dans la réflexion, voire dans la rationalisation. Autrement dit, elle lui enseigne à vivre le merveilleux de la réalité, et, infiniment lentement, lui apprend à aimer et à se laisser aimer.
Je montrerai que si l’intrigue a comme toile de fond les amours difficultueuses d’un homme de trente, quarante puis cinquante ans, l’œuvre romanesque de l’écrivain québécois Yvon Rivard entreprend l’exploration de la conscience humaine dans sa quête d’amour et les relations qui en découlent et illustre que si la rencontre véritable avec l’Autre est ardue, et, partant, les relations familiales, la raison n’en est pas tant la peur de l’Autre, que la peur de Soi, cet être intime rarement apprivoisé, à moins que l’on ait, comme le héros, une enfant de cinq ans aux questions incessantes qui nous prend par la main pour nous mener à nous-mêmes, en ayant l’air de jouer.

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Les relations petite-fille/grand-mère et grand-tante à  travers la transmission de la mode dans Gigi de Colette
Shoshana-Rose Marzel
Université de Bar-Ilan, Israël

Cette communication propose une analyse du rôle de la mode dans le tissu des relations familiales. Gigi, roman de Colette daté de 1944, en propose une parfaite illustration. Effectivement, ce roman étant centré sur la question de l’avenir du personnage de Gigi, sa grand-mère et sa grand-tante lui inculquent une éducation des plus contradictoires, dans laquelle la mode et sa transmission occupent une place prépondérante.
La première scène du roman, en première page, exprime déjà le paradoxe ; Gigi se fait coiffer par sa grand-mère pour aller visiter sa grand-tante qui parfait son éducation en lui enseignant le B.A ba de toute cocotte. A cette occasion, la jeune fille s’enhardit et demande “un cran d’ondulation sur le côté,” à quoi sa grand-mère retorque que “[d]es boucles à l’extremité des cheveux c’est le maximum d’excentricité pour une jeune fille de ton âge.”  Ainsi la convenabilité est de suite mise en cause, alors que Gigi est en chemin pour apprendre l’inverse. Tout le roman est une suite de situations analogues, dans lesquelles Gigi reçoit l’éducation conventionnelle d’une bourgeoise bien élevée, alors que le but de son éducation est de lui apprendre le déshonneur, à devenir une prostituée.
Véhicule du non-dit, la mode s’articule à plusieurs niveaux ; en premier lieu, elle permet aux aïeules de transmettre leurs “valeurs”, d’après lesquelles la mode a un rôle social autant qu’un but lucratif : le vêtement embellit une personne et sert surtout à assurer une image et une rentabilité s’il est bien exploité. De plus, l’apprentissage de la mode étant mêlé de façon manipulative aux secrets du métier – il pertube également les relations transgénérationnelles.
Vaguement consciente du but de son éducation et des intrigues qui se trament derrière son dos, Gigi développe pourtant sa propre personnalité en adoptant des valeurs inverses, desquelles elle exclue la mode, pour mieux rejeter encore les préceptes de ses aîeules.  
Représentante de l’écriture féminine, Colette examine dans ce roman des relations et des pratiques féminines mises en œuvre pour exploiter les hommes. Cette conférence dévellopera le thème du rôle de la mode dans ce cadre, en se basant également sur des études critiques, parmi lesquelles celles de M.F. Berthu-Courtivron, Mère & Fille : l’enjeu du pouvoir – essai sur les écrits autobiographiqes de Colette, Droz, Genève, 1993; de Valerie Steele, Paris Fashion – A Cultural History, Oxford University Press, Oxford-New York, 1988 ainsi que de François Boucher, Histoire du costume en Occident, des origines à nos jours, Flammarion, Paris, 1996.

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Relations familiales dans Les Noces barbares et
Boris après l’amour de Yann Queffelec
Méké Meite
Université de Cocody – Abidjan.

Les travaux de J.L.Curtis montrent que le vaste domaine qu’est la littérature s’effrite peu à peu. Au dix-neuvième siècle déjà, la philosophie d’abord jadis incluse en elle, a conquis son indépendance. Puis, le domaine littéraire a connu les dissidences d’autres disciplines comme l’histoire, la réflexion politique, la psychologie, la sociologie…qui se sont constituées en sciences autonomes.   Malgré ce rétrécissement du domaine de la littérature, certaines notions ne peuvent être comprises cependant que dans le sens que lui prêtent les sciences humaines autrefois. Il en est ainsi de la fratrie et subséquemment des relations familiales.D’emblée, afin de lever toute ambiguïté éventuelle, « la fratrie» est entendue(comprise) non pas dans le sens politique des phratries  athéniennes mais bien dans le sens « moderne » que lui donnent justement les sciences humaines lorsqu’elles posent la question des frères et des sœurs qu’on retrouve dans les familles issues de couples dits normaux ou de familles « reconstituées ».
Dans l’œuvre de Y.Queffélec, cette notion de fratrie, de relations familiales est fort présente avec le thème de l’éducation, son corollaire. Pour cet auteur, toute éducation n’est pas nécessairement dans le cadre d’une institution éducative (l’école par exemple). La relation mère / enfant est le lieu de la première éducation. Ainsi, son roman Les noces barbares soulève le problème de l’éducation d’un enfant, Ludovic, fruit d’un viol collectif, par une fille-mère, Nicole dont l’inefficacité en la matière est flagrante et patente. Par ailleurs, les relations entre Ludovic et ses grands-parents sont difficiles comme celles qu’il a avec sa mère. Dans Boris après l’amour, Y.Queffélec traduit également l’éducation d’un enfant, Boris, fruit incestueux dans une société bourgeoise et puritaine.
       Notre réflexion se construira donc autour de ces deux romans de Queffélec pour montrer les types de relations familiales dans la littérature française du XXè siècle. Autrement dit, il s’agira de nous interroger sur les relations fraternelles mises en place dans l’univers romanesque de Y.Queffélec.. Quelles relations entre Boris, Ludovic avec leurs proches (mère et fils, grands-parents, frères consanguins et cousins) ? Quelle(s) enfance(s) est décrite dans ce monde de Queffélec ?
      A la lumière de la psychologie et de la psychanalyse, nous tenterons d’apporter une lecture des relations fraternelles chez Y.Queffélec, auteur complexe français du XXè siècle.

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« De la relation Père-Mère et fille dans L’Amant de Marguerite Duras »
Charles Edgar Mombo
Université de Libreville

Avec la parution de L’Amant (1984) aux éditions Minuit, Marguerite Duras étonne toute la classe critique tant universitaire que journalistique. En effet, cet énième ouvrage de l’écrivaine française rethématise l’enfance et surtout l’adolescence du personnage principal. Dans ce sens, L’Amant, demeure le livre bilan de toute la production durassienne. Et, au-delà de l’histoire, il y a que Duras présente de façon ouverte les relations supposées ou non vécues entre sa mère et elle, d’une part et, son père d’autre part. L’œuvre devient ce lieu et ce réceptacle qui ressasse l’adolescence de l’auteur en présentant des « zones d’ombre » dissimulées à travers une écriture qui se voudrait alors « autobiographique ». Le contexte familial y apparaît précisément dès lors que l’auteur n’a plus de repères d’identité. Il va alors se lire une espèce de rivalité entre la mère et la fille teintée de l’absence d’un paternel maladif. La question de l’identité se trouve alors pointée. Et l’ouvrage « possibilise » l’intérêt d’une lecture orientée vers l’exposition des relations familiales.

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Le fils, la mère, la grand-mère et la Patrie dans l'oeuvre
romanesque d'Andrei Makine.
Marek Mosakowski
Université de Gdansk

De l’Oedipe roi de Sophocle au fameux complexe d’Oedipe de Freud nombreuses sont les représentations et les avatars littéraires de ce personage mythique, tous visant à dévoiler sa complexité psychologique et les conséquences de ses actes. Affligé par la fatalité inexorable ou victimisé par les Dieux, Oedipe reste, par son destin exemplaire, un mythe fondateur non seulement de l’ordonnance logique du monde et de ses interdits, mais aussi de la culture occidentale tout court. Mais Oedipe, le fils qui tue son père et épouse sa mère, un héro emblématique que le destin pousse dans l’engrenage d’évenements qui provoquent sa malédiction et sa chute est surtout un indivudu en quête de son identité. Il est en fait une figure paradigmatique de la connaissance de soi, figure déchirée qui symbolize le rapport de l’homme au monde extérieur. Car la quête d’Oedipe implique l’impossible, c’est à dire le déchiffrage du monde extérieur que l’on ne saurait jamais déchiffrer, la tentative manquée de la redéfinition de l’indéfinissable. On peut dire à juste titre que la recherche oedipienne de soi est une grande narration de l’aventure individuelle, un processus infini, mais en meme temps voué à l’échec, de l’individuation.
C’est dans ce contexte oedipien en tant que quête d’identité que nous voulons analyser le roman d’Andrei Makine intitulé Le crime d’Olga Arbélina. Ce roman, dont l’action se déroule dans le milieu des émigrés russes en France, raconte une relation incestueuse entre le fils, un adolescent maladif, et sa mère, traumatisés tous les deux par l’hémophilie du garçon, l’expérience de l’exile et l’expulsion hors de leur contexte identitaire natal. Des quêtes d’identité il y en a plusieurs dans ce texte, une évidente, liée avec l’héroine éponime du roman, Olga Arbélina, mère séduite par le fils qui dépend essentiellement de sa présence physique et symbolique. Cette verité déroutante lui est d’abord cachée mais les multiples signes provenant du passé déja vecu aussi bien que du présent dévoilent le mystère et par conséquent plongent Olga dans la folie et le crime imaginaire. La prise de conscience incestueuse coincide chez Olga avec la découverte de l’abjet. La dernière étape de sa formation en tant que sujet constitue paradoxalement une chute irréversible dans l’horreur de l’abjection, anéantissement radicale de sa femininité retrouvée. Nous tenons donc à présenter sa quête identitaire dans le cadre de la psychanalise kristévienne.
 Mais nous désirons placer dans le même cadre kristévien une autre quête identitaire, qui nous semble plus complexe et moins évidente, celle du fils d’Olga, son séducteur et bourreau. Retrouver la loi du père, les codes masculins de la Russie perdue dans le corps insouciant et victimisé de la mère, la création de soi masculine à la base de l’abjet féminin, l’apprentissage de la Patrie lointaine à travers le vampirisme exercé sur la femme, voilà les thèmes récurrants dans les textes d’Andrei Makine. Car une autre histoire identitaire de cette sorte, bien que moins déroutante et plus anodine, apparait dans Le Testament français, le roman antérieur à Olga Arbélina. Tracer les rapports entre le fils, la mère, la grand-mère et la Patrie, le seul véritable objet de désir masculin, voilà le but de notre communication.

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L’adoption comme acte rédempteur
chez les héroïnes de Gisèle Pineau
Ayelevi Novivor
Chercheur indépendant

Gisèle Pineau accorde systématiquement dans ses œuvres une place de choix à l’édification minutieuse de portraits de femmes, toutes générations confondues. Le point commun les liant se niche dans une meurtrissure insondable. Misérabilisme social et domination masculine résonnent comme des paramètres récurrents dans ces parcours chaotiques, semés d’obstacles où la nostalgie et les secrets prévalent. Ainsi, une solidarité féminine aux contours ambigus, se forge dans la douleur des réminiscences de rencontres hasardeuses, voire, incestueuses ou délétères. Les liens biologiques sont de fait, difficiles à tisser ou à consolider, tandis que ceux de l’amitié et des unions éphémères, trouvent a contrario une forme d’expression privilégiée. Les sentiments mitigés qui unissent les êtres n’ont rien d’évidents; plus qu’une recréation d’un socle familial, il s’agit dans les romans de Pineau, de palier l’urgence du quotidien en y inventant autant que possible,  la configuration de relations harmonieuses entre les individus. Dans ce contexte, les mères adoptives, et les foyers dans lesquels évoluent les personnages, demeurent de grands facteurs d’instabilité en dépit des bonnes volontés mises en œuvre, comme si l’accueil ne résolvait pas les problèmes inhérents liés à des situations originelles dramatiques. Les femmes d’âge mûr ne sont guère épargnées par les séquelles inattendues de ces remous lointains. Au fond, elles sont façonnées par toutes les tribulations suscitées d’une suite de désamours, de rejets, de sévices. Plus aptes à recueillir et élever l’enfant d’une autre – à l’instar de leurs petits-enfants ou d’enfants abandonnés – elles semblent incapables de leur propre chef, d’accomplir des gestes maternels envers leur progéniture, actes qui rouvriraient sûrement des plaies mal cicatrisées. D’où la profusion d’apories dans les romans de Gisèle Pineau entraînant moult avortements, infanticides et abandons. Tout se joue donc par procuration, comme si l’expiation d’une vie non désirée se faisait par le biais d’une main tendue. Dès lors, le thème de la déstructuration familiale s’ancre invariablement dans ses récits. Rien de plus anormal qu’un nucleus familial traditionnel composé d’un père, d’une mère, de frères et de sœurs. A plus forte raison, les liens avec les personnages masculins semblent toujours distordus, tandis que ceux entre les personnages féminins relèvent d’un mysticisme névralgique où secrets et non-dits obstruent les chemins de l’épanouissement.
C’est pour ces motifs que la matrifocalisation est au cœur de cette étude, c’est-à-dire l’organisation entièrement féminine du cercle familial comme paradigme catalyseur de l’œuvre de Gisèle Pineau. Par quelles variantes, ce thème devient une obsession qui conditionne la faillite et occasionnellement la renaissance des femmes ? Sur le plan du politique, Gisèle Pineau cherche-t-elle par le truchement de ces voix féminines à faire admettre des conditions sine qua non à l’épanouissement de la femme antillaise? Est-il le reflet d’un combat contre l’homme antillais, contre les hommes ou contre l’Homme ? Pour corroborer ce propos, le critique Spivak  postule que le discours féminin est compromis dans le roman; la femme étant à la fois victime du discours hégémonique du colonialiste et du discours patriarcal qui la confine irrémédiablement dans un rôle de subalterne. Qu’en est-il dans l’œuvre de Pineau ? Ces axes seront traités en vue de faire valoir les quêtes et les apories de ces personnages.

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Le rôle de la famille franco-américaine dans les romans
de Normand Beaupré et de Robert B. Perreault
Peggy Pacini
Université Paris IV-La Sorbonne, France

On s’intéressera ici à l’image de la famille franco-américaine et à l’importance des rapports générationnels au cours du XXe siècle dans trois romans Le Petit Mangeur de fleurs (1999), Deux Femmes, Deux Rêves (2005)  et L’héritage (1983) , ainsi que dans la nouvelle « Les mains du père et du fils » (2000-2001) . Dans ce contexte communautaire émigré et transplanté du Québec en Nouvelle-Angleterre, on essaiera de faire ressortir l’importance de la famille dans la préservation de la culture canadienne française et son rôle décisif dans la conservation de la langue française. Longtemps considérée comme le troisième pilier de la survivance canadienne française en Amérique du Nord, la famille reste la clé de voûte de la transmission et de la survie de l’héritage ancestral francophone et catholique dans un environnement anglophone et protestant.
Dans son roman Deux Femmes, Deux Rêves, Beaupré montre clairement comment les relations familiales sont conditionnées par les structures et les valeurs héritées de l’idéologie la survivance. La famille, unité sociale fondamentale, est responsable de l’individu, de son éducation et de sa protection. Les rôles y sont clairement définis et l’autorité du père contraste avec la soumission de la mère qui consent à bien des sacrifices pour la paix et l’unité familiales. On s’attachera donc à faire la part belle à cette gardienne de l’unité familiale mais aussi communautaire. Dans les romans de Beaupré, on s’intéressera tout particulièrement à la parole des mères que l’on opposera aux silences des pères, ainsi qu’à la dialectique de la lumière et de l’obscurité dans l’exploration des figures féminines/maternelles et masculines/paternelles dans le Petit Mangeur de fleurs.
Après avoir isolé les figures dominantes de l’enclos familial (le père, la mère, oncle, tante, frère et sœur, grand-mère et grand-père), on étudiera tout particulièrement les rapports parents-enfants, des rapports générationnels développés autour de deux isotopes : la continuité et la fracture. On analysera cette dialectique au regard de la perte et de la survie du fait français et francophone en Nouvelle-Angleterre, ce qui conduira inévitablement à traiter deux autres isotopes : l’identité et la mémoire. On s’attardera donc sur les différentes déclinaisons de ces rapports générationnels selon qu’ils s’inscrivent dans la continuité ou dans la rupture, dans la tradition ou la modernité : rapport de continuité mère-fille dans Deux-Femmes, Deux Rêves, rapport de continuité mère-fils dans Le Petit Mangeur de fleurs, rapport de rupture père-fille dans L’héritage, rapport de rupture et de continuité père-fils dans « Les mains du père et du fils ».
Enfin, on conclura par l’importance de ces rapports générationnels, harmonieux ou conflictuels, dans la construction de la figure de l’écrivain-narrateur dans Le Petit Mangeur de fleurs et « Les mains du père et du fils », deux récits autobiographiques.

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Origines manquantes, origines en trop :
héritage et filiation dans l’œuvre de Ying Chen
Anne Martine Parent
Université du Québec à Chicoutimi

L’œuvre de Ying Chen, écrivaine québécoise d’origine chinoise, tourne constamment autour de relations familiales problématiques qui viennent interroger, de manière étrangement inquiétante, les notions de filiation, d’origine et d’héritage. Son dernier roman, Le mangeur (2006), est à cet égard particulièrement révélateur. Un père et sa fille vivent seuls, après que la mère les a abandonnés, découragée de constater que sa fille appartient à une lignée à laquelle elle sera elle-même toujours étrangère. Le père aurait en effet parmi ses ancêtres une femme qui s’était éprise d’un poisson. Par la suite, les descendants de cette aïeule sont affectés d’une maladie insolite, dont souffre d’ailleurs le père de la narratrice, maladie qui le pousse à prendre de longs et fréquents bains et à manger sans discernement tout ce qui lui tombe sous la main, jusqu’au jour où il en vient à manger sa propre fille.
La narratrice de ce récit – qui aurait été, dans une autre vie, la fille dévorée par son père – est la même que celle des trois romans précédents de Ying Chen (Immobile, 1998 ; Le champ dans la mer, 2002 ; Querelle d’un squelette avec son double, 2003) qui forment ainsi un cycle ayant pour personnage principal une femme qui semble échapper aux lois du temps et de l’espace, des origines et de la filiation. Dans chacun des livres, la narratrice se rappelle une autre vie, une autre identité ; l’auteure met également en scène, en ce qui concerne les trois derniers textes (Le champ dans la mer, Querelle d’un squelette avec son double, Le mangeur), des relations familiales dysfonctionnelles.
Dans ma communication, j’étudierai ces trois romans à la fois individuellement, comme configuration de relations familiales singulières, et dans l’ensemble qu’ils forment, en tant que l’écriture d’un cycle qui se veut une interrogation sur la mémoire, les origines et la filiation. La notion qui servira de fil conducteur à mon analyse sera celle d’héritage, telle que conceptualisée notamment par René Kaës (voir Transmission de la vie psychique entre générations, Paris ; Dunod, 2003). Je suggère de lire les textes de Ying Chen comme une exploration de ce que veut dire être le sujet d’un héritage. La narratrice de ses romans est en effet un être assujettie à ses origines multiples, à ce – ceux, celles – qui la précède. Or, comme le souligne René Kaës, « l’origine est précisément ce qui nous échappe, ce de quoi nous sommes irrémédiablement absent, et qui manque à notre emprise dans le mouvement même où nous sommes constitués dans et par le désir d’un autre, de plus d’un autre qui nous précède » (2003 :3). Ainsi, la mise en scène des diverses vies et filiations de la narratrice habitée par plusieurs « autres », doubles d’elle-même, n’est-elle pas une fable sur notre condition en tant que sujet, sur l’héritage qui nous fonde et nous constitue, et surtout sur cette part de notre héritage qui nous demeure étrangère, « présence obscure et inconnue en [nous] d’un autre ou de plus d’un autre » (Kaës, 2003 : 5) ?

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Œdipe par temps de catastrophe : Incendies, de Wajdi Mouawad
Lydie Parisse
Université de Toulouse le Mirail

Incendies (2003), pièce de Wajdi Mouawad, auteur libanais actuellement domicilié au Québec, a ceci de particulier qu’elle réalise une synthèse : elle relève d’un théâtre de temps de catastrophe - la guerre du Liban - tout en proposant une relecture des mythes et de la tragédie grecque - l’histoire d’Œdipe et de Jocaste. Au centre de cette synthèse s’opère une mise en interrogation des relations familiales, et plus particulièrement des phénomènes d’héritage et de transmission, sur lesquels met l’accent la relation de la grand-mère et de la petite fille. Cette relation, caractéristique des relations initiatiques, marque la fin d’un monde archaïque par le refus, de la part de la grand-mère, de souscrire aux schèmes d’oppression des femmes propres à la culture traditionnelle. Mais, partant de ce désir d’émancipation, la jeune fille Nawal, fuyant enceinte sa famille, coupée de celui qu’elle aime et ne peut épouser, sera ensuite coupée de ses propres enfants. Précipitée malgré elle au milieu d’une guerre, elle se retrouve en butte à des schémas plus archaïques encore : elle devra subir les crimes, perpétrés sur sa personne, d’un bourreau dont elle ignore qu’il est son fils. La pièce commence dans un présent qui relègue cette histoire à un passé de légende, lorsqu’après la mort de leur mère Nawal, devenue muette, et dont ils ne savent rien, les jumeaux Simon et Jeanne, âgés de vingt-deux ans, sont soumis aux dernières volontés de celle-ci, et partent à la recherche de leur demi-frère et de leur père, tout en ignorant que ces deux individus ne font qu’une seule personne.
Nous nous proposons d’étudier comment, au carrefour de l’histoire intime et collective, les personnages féminins - la grand-mère, la fille, la petite fille – de ce théâtre de la cruauté  racontent l’évolution d’une société et les ruptures entre les générations dans la transmission de l’héritage féminin, tout en amenant, par les solutions vitales qu’ils  apportent, une alternative au tragique.
C’est dans l’absence du père, et  dans la tension entre le masculin et le féminin que se construisent  à la fois un hommage et un renouvellement de l’esthétique de la tragédie antique. Car si la pièce donne l’impression d’en emprunter les thèmes et les hantises, ce n’est pas tant pour sublimer des aspects particulièrement sordides de cet épisode de l’histoire du Liban, que  pour mettre en perspective la notion de tragique en l’intégrant à l’espace de la mémoire :  entre amnésie et devoir de mémoire, les personnages  suivent un chemin chaotique et un parcours initiatique.
L’aspect kaléidoscopique de la pièce génère un éclatement de la temporalité propre à installer une  structure polyphonique. La forme « puzzle » met en évidence la nécessité d’établir du lien : lien formel, lien filial, lien identitaire. Si l’ensemble est réintégré dans l’espace de la fable, du conte, les personnages, comme les spectateurs soucieux de reconstituer l’intrigue, sont sommés de recréer du lien, avec leur mère, entre eux, avec l’altérité irrécupérable qui coïncide avec l’évidence de leur origine.

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De l’inceste au parricide,
la relation père-fille dans deux romans de Julien Green
Edith Perry
Lycée Watteau, Valenciennes

Il est une constante dans les romans de Julien Green : la culpabilité du père. Il abandonne sa famille, la ruine ou pire provoque la mort de la mère. Nous nous intéresserons particulièrement  ici à Adrienne Mesurat, roman du parricide et au deuxième récit de Varouna,  « Hélène », centré sur le désir incestueux d’un père pour sa fille, soit une variante de l’infanticide. Du mythe d’Œdipe au mythe d’Iphigénie, la tragédie greenienne est familiale.
    Dans ces deux textes, le père est une figure de l’ordre social, il use de son pouvoir pour imposer la répétition du même et couper les ailes du désir. En enfermant définitivement Adrienne dans l’enfance ou en obligeant Hélène à prendre la place de sa mère décédée à sa naissance, ces pères refusent à leur fille tout devenir, ils les immobilisent dans un ordre mortifère. Tyrans, ils enferment, surveillent, interrogent, jugent et punissent au nom de la morale.
    Les filles, néanmoins, se révoltent, transgressent les interdits de la loi en sortant des limites spatiales imposées par le père et en aimant à son insu. Reste que cette transgression est vouée à l’échec et qu’elles sont incapables de faire triompher leur amour, car elles ont intériorisé la loi du père et sont écrasées par leur Surmoi. Ainsi, après la mort du père, Adrienne n’ose plus sortir et renonce à avouer son amour à Maurecourt tandis qu’Hélène entre au couvent.
    On pourra alors se demander si ces figures de l’ordre social ne sont pas mises au service d’une dénonciation de cet ordre qui n’est qu’apparent. Tout en effet n’est que masque et comédie et le récit intitulé « Hélène » est à cet égard éclairant dans la mesure où le père barre le désir chez sa fille mais s’autorise le pire des désirs.
    Green s’est montré critique envers la psychanalyse, pourtant ses romans mettent en fiction le complexe d’Œdipe. Les thèmes de l’inceste et du parricide y réfèrent, bien que la figure maternelle soit absente, comme si l’auteur voulait brouiller la réception. Le lecteur de l’autobiographie repèrera bien des analogies entre la vie et l’œuvre. De fait, un aveu tardif de l’auteur, « Adrienne Mesurat c’est moi », permet de comprendre qu’il transpose et détourne les mythes pour dire le tragique de l’amour homosexuel. Le père d’Hélène apparaît alors comme un avatar de l’auteur, car si l’un est coupable d’aimer celle qui est du même sang, l’autre est accusé d’aimer celui qui est du même sexe. C’est dire toute l’ambiguïté de la figure paternelle.

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Mère-abîme, mère-miroir, les relations mère-fille dans
Desirada de Maryse Condé.
Jacqueline Phaeton
Université des Antilles et de la Guyane.
Centre d’Études et de Recherches Caribéennes.

En Guadeloupe, la relation mère-fille diffère des représentations à l’européenne dans la mesure où la femme guadeloupéenne du début du 20ème a souvent éduqué seule une ribambelle d’enfants issus de plusieurs lits. L’amertume palpable de ces femmes, la jalousie, le rejet ou au contraire la protection à outrance ont souvent rythmé les relations mères-filles. Cet état de faits transparaît dans l’œuvre de M. Condé, mais c’est surtout autour de secrets bien plus graves et « honteux » que se construit la relation entre la mère Reynalda et la fille Marie-Noëlle que 16 années séparent.
La construction ou plutôt la déconstruction édifiante du personnage central de l’œuvre de M. Condé Desirada se fait à cause et grâce à l’absence totale ô combien douloureuse d’amour médié par des paroles, des gestes et des attentions dans la relation mère-fille. Repoussant farouchement aux confins de son cœur une mère qui semble se désintéresser d’elle, Marie-Noëlle passe ses dix premières années de vie en Guadeloupe bercée par les caresses et l’amour d’une mère d’adoption à la réputation sulfureuse mais qui d’emblée s’inscrit avec l’enfant dans un rapport d’amour filial. Le bonheur sera vite interrompu par l’autre, la mère naturelle, qui est annoncée comme la venue d’un cyclone. L’arrivée en Métropole de la fillette aux côtés de sa mère biologique se révèle être de l’ordre de l’obligation, du devoir. Quoiqu’il en soit, ce retour programmé de la fille aux côtés de sa mère ne fait pas renaître ou naître cette relation mère-fille pourtant secrètement désirée par la fille. Malgré son appartenance à une société très fortement marquée par le matriarcat et au sein de laquelle les familles monoparentales où les femmes-mères sont les piliers centraux, Reynalda ne semble pas pouvoir aimer cette enfant. En conséquence, le parcours affectif sinueux de Marie-Noëlle doublé des vicissitudes de la vie forge un être incapable d’être ou de devenir. Dans le roman de M. Condé, l’absence de la mère au cours des mois et des années qui passent se manifeste par un désarrois inconscient de la fille, un déséquilibre affectif qui la conduit vers des abîmes parfois très profonds d’où l’on ne réchappe pas. Lorsque le désamour apparent dans la relation mère-fille se fait si prégnant, la négation de soi et les grandes souffrances qui en découlent équivalent à la mort. Il conviendrait de porter une attention particulière aux éléments de construction du personnage de Marie-Noëlle directement hérité de son rejet conscient et inconscient de sa relation ou de l’absence de relation avec sa mère, à ses actions qui s’inscrivent dans le prolongement de son vécu avec sa mère et à sa relation avec les hommes que le secret douloureux de sa naissance ne cesse de polluer.

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Que devient la relation père-fille lors du détournement des contes
dans la littérature de jeunesse contemporaine ?
Christiane Pintado
IUFM d’Aquitaine, CELAM, Rennes 2

À partir des années 70, marquées par le renouveau de la pensée critique et le développement des théories de l’intertextualité et de la réception, on observe une forte expansion du détournement des contes dans la littérature de jeunesse. Réécrits, revisités, parodiés, les contes se prêtent à toutes les manipulations et révèlent ainsi leur plasticité pour s’adapter au contexte contemporain. Situés dans le cadre de la famille, révélateurs des tensions qui l’habitent, comme le met en relief la psychanalyse qui les exploite en thérapie, les contes permettent d’aborder les principales relations familiales, entre parents et enfants, dans les familles « recomposées », souvent avec une marâtre, et dans la fratrie.
    Nous nous proposons d’interroger la relation père-fille dans les contes détournés à partir de deux exemples : les réécritures du Petit Chaperon rouge et celles de Peau d’Âne. Dans le premier cas, nous pouvons observer que la dynastie féminine – mère, grand-mère, fillette, telle qu’elle est analysée par l’ethnologue Yvonne Verdier, se trouve parfois « normalisée » par la réintroduction d’un père qui joue le rôle de sauveur. Autre transgression de la tradition, un album de Béatrice Poncelet superpose dans son illustration les figures viriles du loup et du père, pour une héroïne contemporaine qui n’a pas encore liquidé son Œdipe. Dans le second cas, celui de Peau d’Âne, la relation père-fille est à considérer à travers l’épineuse question de l’inceste, dont le traitement évolue de façon tout à fait remarquable au cours du XXe siècle, des adaptations censurant le désir incestueux du roi à celles qui le justifient par un « coup de folie », ou qui tentent de contourner le problème par des subterfuges narratifs. Tout récemment, révélatrices de l’évolution des mentalités face à ce drame, dans une société qui lève l’étouffoir et libère la parole pour aider les  victimes, certaines réécritures abordent le sujet de façon plus frontale : dans son adaptation de Peau d’Âne, Gérard Moncomble n’hésite pas à dénoncer l’attitude du roi qualifiée ouvertement de « crime » ; Michel Piquemal va plus loin dans Le cœur de Violette, réécriture-réappropriation du conte où il met en scène, de façon métaphorique, la consommation de l’inceste.
    À l’époque de Perrault, Philippe Ariès l’a montré, le « sentiment de l’enfance » émerge à peine, et le pouvoir paternel apparaît, à l’image du pouvoir royal analysé par Louis Marin, comme pouvoir absolu. Aujourd’hui, où l’enfant est devenu une personne et où, en particulier, la petite fille, grâce à l’émergence des mouvements féministes, s’affranchit de l’omnipotente tutelle paternelle, les contes détournés apparaissent comme les témoins privilégiés de cette évolution.

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Les Vies minuscules de Pierre Michon :
résurrections familiales et avènement littéraire
Florian Préclaire
Centre de Recherche Textes et Francophonies / Université de Cergy-Pontoise

Cette étude se propose de considérer plusieurs types de rapports familiaux dans les Vies minuscules. Ce premier livre de Pierre Michon, paru chez Gallimard en 1984, se présente tout à la fois comme un « roman familial littéraire » au sens freudien et une « autobiographie oblique et fragmentée » . La configuration du schème familial, exposée ici par le récit de « vies » successives (celle des grands-parents paternels, « Vies d’Eugène et de Clara », celle de la petite sœur morte née « Vie de la petite morte » ; celle du père Aimé Michon, qui est le « dédicataire noir »  de l’œuvre) dessine ainsi en creux – et en biais – l’identité de l’écrivain lui-même, envisagée comme composite complexe des identités familiales. La conjuration d’un manque originel (celui du père) et le legs maternel (celui de la langue) y forment en outre les deux pôles moteurs d’un même désir accompli par l’ouvrage : celui d’une résurrection familiale. Notre propos s’attachera ainsi à l’analyse de la relation entre père et fils : elle est marquée du sceau de l’abandon ; elle est conjointement donnée biographique et motif littéraire. Nous verrons par ailleurs que la relation entre mère et fils – plus largement la relation entre les figures féminines du livre et le narrateur-auteur – est essentiellement incarnée par la passation langagière et donc symbolique. Enfin, élargissant ici la dénomination de famille, nous évoquerons certaines figures « alternatives » ou « secondaires ». En effet, un rapport filial fantasmatique et néanmoins efficient se met en place pour permettre l’écriture. La figure de Faulkner est à ce titre décisive et exemplaire, une identification-filiation a lieu, et ce « père ou ce frère »  semble fournir, dans l’économie psychique de l’écrivain, une légitimation que l’absence du père avait originellement interdite.

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« Plus de médium, plus d´image... » – Le remplacement du lien familial par le clonage dans l´oeuvre de Michel Houellebecq: Une possibilité de survie ?
Julia Pröll
Université d´Innsbruck

L´oeuvre de Michel Houellebecq met en scène le remplacement du paradigme familial traditionnel par un nouveau paradigme, celui du clonage. Tandis que l´idée du clonage est la conclusion de son second roman, Les particules élémentaires, elle constitue le point de départ dans La possibilité d´une île – un roman qui ne peint pas seulement la vie de la nouvelle espèce mais qui traite aussi des possibles rapports entre les clones et leurs ancêtres, les hommes en chair et en os. Mais, dans ce contexte, des mots comme « ancêtres » ou « descendance » ne sont-ils pas dénués de sens? Baudrillard constate dans La transparence du mal que par le clonage, « le stade du miroir est aboli […] ou plutôt il y est comme parodié d´une façon monstrueuse […]. Plus de médium, plus d´image – pas plus qu´un objet industriel n´est le miroir de celui, identique, qui lui succède dans la série. L´un n´est jamais le mirage, idéal ou mortel, de l´autre […] et s´ils ne peuvent que s´additionner, c´est qu´ils n´ont pas été engendrés sexuellement et ne connaissent pas la mort »  . Et le philosophe allemand Sloterdijk remarque que le mot « clone » vient du grec et veut dire « branche ». Le clonage serait donc le processus d´autoreproduction, où la branche développe des rhizomes sans recours à un partenaire. Ainsi, contrairement à la théorie poststructuraliste le rhizome devient dans une telle conception le symbole pour la fin d´une identité qui passe nécessairement par l´autre – passage nécessaire dans toute relation familiale traditionnelle entre parents et enfants (cf. Lacan).
À l´aide des théories esquissées la présente étude se consacre à l´analyse de deux paradigmes de relations familiales présents dans l´oeuvre houellebecquienne, l´un traditionnel, l´autre « génétique ». Seront traitées également les interactions posssibles entre ces deux modèles comme ils apparaissent dans Les particules élémentaires, La possibilité d´une île et un « texte mineur » de Houellebecq intitulé Consolation technique. Nous nous demanderons dans ce contexte si le clonage constitue vraiment une alternative « viable » aux relations familiales traditionnelles qui s´avèrent souvent traumatisantes pour les personnages houellebecquiens. Ainsi, dans La possibilité d´une île la soeur du protagoniste Daniel n´apparaît que sous les désignations de « conne » et de « pétasse »; le fils de Daniel se suicide – un mort volontaire qui ne le touche pas du tout. Ainsi lit-on dans La possibilité d´une île : « Le jour du suicide de mon fils, je me suis fait des oeufs à la tomate. »  Une autre relation familiale dans le livre se caractérise par un lien plutôt faible: celle entre Vincent et « le prophète », dirigeant de la secte des élohimites.
Le paradigme relationnel du clonage pourrait-il éventuellement constituer un contrepoids ou une échappatoire à l´état misérable de la vie de famille peint par Houellebecq ? Quel rôle incombe, par exemple, à la « Soeur Suprême », être énigmatique dans La possibilité d´une île qui garantit l´ordre et la discipline de la « communauté des clones »? Et quel rapport y-a-t-il entre les clones Daniel24 et 25 et leur « original », Daniel1, entre Marie23 et Marie1? Le lien qui semble subsister entre eux n´est plus le cordon ombilical mais une « littérature nombriliste » tel que le récit de vie de Daniel1.

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Inceste culturel et relation père-fille dans
La Favorite de dix ans (1940) de Makhāli Phāl.
Emmanuelle Radar
Universiteit van Amsterdam

La Favorite de dix ans (1940) est le premier roman de la poétesse et romancière Makhāli Phāl, métisse franco-cambodgienne, écrivain « francophone » inconnue, non seulement des lecteurs mais aussi de la grande majorité des critiques littéraires contemporains, alors qu’elle bénéficiait, dans les années 50, de l’admiration d’un Claudel ou d’un Senghor. Dans ce texte, Makhāli Phāl confronte son lecteur au cycle de vie d’Atman, elle aussi métisse franco-cambodgienne, cycle qui se déroule dans un aller-retour géographique, spirituel et culturel entre le Cambodge et la France à l’apogée du colonialisme français. Bien que le style soit peu traditionnel, La Favorite de dix ans est le récit d’un véritable voyage initiatique.
Dans la première partie, nous découvrons Atman petite fille, jouant à l’orée de la jungle mystérieuse dans des temples khmers abandonnés ; baignant dans un univers où se mélangent indistinctement passé et présent (les temples d’Angkor au XIVème siècle et le palais de son père, un prince cambodgien, au début du XXème siècle) ; faisant son apprentissage culturel et spirituel à l’hindouisme, au bouddhisme et à l’animisme et conjuguant ses multiples identités, et ce qui nous intéresse plus particulièrement, celle de fille de son père et celle de danseuse-épouse du même prince, l’élue de son harem : « la favorite de dix ans ». Cette partie du roman, à l’ambiance « mystico-onirique », tourne autour de la construction identitaire d’Atman et de ses relations incestueuses avec ce prince khmer, père distant et amant violent. La seconde partie suit une logique et une structure narrative plus traditionnelles et transporte en France une Atman adolescente. Son oncle maternel, un Français, vient la chercher et l’emmène à Paris où il guide, en exclusivité, son éducation « française ». Ce vieux professeur patient et doux réussira à la transformer en jeune fille cultivée et donc aussi en compagne idéale pour tout Français. Il lui propose de l’épouser et elle accepte. Fiancée à son oncle, elle rentre au Cambodge pour célébrer leur union et obtenir l’accord de son père. Celui-ci la rejette et elle meurt dans la forêt. Voyage initiatique à l’ère coloniale, le roman se termine sur l’assassinat rituel de la protagoniste par une tribu sauvage.
Les relations familiales qui sont à la base de la construction identitaire de la jeune métisse et qui déterminent ses relations au monde, sont placées sous le signe de l’inceste avec les figures paternelles. Cependant, si l’on peut considérer, avec Lacan, que le ‘père’ est une fonction, en particulier une fonction culturelle, et, avec Edward Said, que tout texte écrit à partir de l’expérience du colonialisme est à relire à la lumière de cette expérience même ; l’inceste ne se définit plus exclusivement comme « relation sexuelle avec un membre de la famille » ; il peut également devenir le signe de relations ambiguës, malsaines et étouffantes entre l’individu et ce qui porte la fonction de ‘père’ dans l’univers colonial. Alors, quelles sont les fonctions des ‘pères’ successifs d’Atman et comment lire ces relations incestueuses dans le contexte historique et politique ? Peut-on considérer que l’inceste, dans La Favorite de dix ans, représente, plus qu’une relation sexuelle interdite, un outil de critique culturelle, un instrument d’analyse de la confrontation Orient-Occident, thème cher à l’écrivain et déjà traité en 1937 dans son poème Chant de Paix ? Si l’inceste est une stratégie d’analyse culturelle, quelles sont les répercussions sur les choix textuels et linguistiques de Makhāli Phāl ?

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La relation fille-père  dans les oeuvres d’Ananda Devi
Vicram Ramharai
Institut de Pédagogie, Réduit, Moka, Ile Maurice

Ananda Devi est d’origine mauricienne.  Nouvelliste et romancière de langue française, elle évoque surtout la condition de la femme - fille, épouse, bru – dans ses récits.  La fille prend en charge la narration dans la majorité des récits.  Que la fille soit née dans une famille créole ou hindoue, cela ne fait aucune différence  car elle se sent toujours délaissée par son père.  Celui-ci au lieu de s’occuper d’elle et lui témoigner son amour, l’abandonne à son sort, la rend parfois coupable de ses malheurs quand il ne la rend responsible de l’absence d’un fils dans la maison.  Aussi, le père devient-il méchant et insulte la fille.  Celle-ci dans certains récits cherche à se venger de cette indifference et de cette accusation en transgressant les valeurs de la famille.  La fille s’élève contre les valeurs culturelles dans lesquelles elle a été élevée car non seulment elles rendent aveugle le père mais aussi elles tue le père et le remplace par un être sans Coeur.  La relation entre la fille et le père dès lors ne peut qu’être conflictuelle.
Cette problématique recoupe le problème  de point de vue dans les oeuvres d’Ananda Devi.  Comme c’est la fille qui prend en charge la narration, son récit n’es pas exempt de parti-pris.  C’est pour cette raison qu’au lieu de relation entre le père et la fille, nous avons opté pour celle qui existe entre la fille et son père dans notre réflexion sur les oeuvres d’Ananda Devi.  

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Les photographies dans le lien au défunt,
le père chez Le Clézio et la mère chez Ernaux
Isabelle Roussel-Gillet
Université de Lille 2

La littérature contemporaine autobiographique fait entrer en son corps textuel le médium photographique. Le roman d’Annie Ernaux, L’usage de la photo (2005), pose la question du rôle de la médiation de la photographie dans le rapport à l’amant. Dans les œuvres précédentes des photographies étaient décrites (non insérées), elles étaient des portraits de la  mère, du père, d’elle-même… Ici, la photographie n’expose jamais le corps d’A. Ernaux. Le corps politique chez Ernaux, corps incorporation d’habitus, est confronté au corps autre, au sexe autre ; sidération et intrusion que nous problématiserons à la lumière des écrits de Jean-Luc Nancy. Le corps ici malade est aussi lié à l’image de la mère et de la sœur. Le roman problématise le rapport au corps comme rapport au temps, à l’intrusif, à la perte et au deuil. Chez A. Ernaux, l’objet matériel confronte au réel - à l’absence/présence- et au symbolique - à Eros/Thanatos. Le vêtement, omniprésent comme objet photographié, rappelle les mères mortes, celle de Marc Marie aussi. Dans ce propos annoncé comme érotique, est-il question aussi d’une autre jouissance, liée à la pulsion de mort ?
Modiano insère les lettres du père dans Pedigree, Le Clézio, lui, insère des photographies prises par le père. Les photographies de L’Africain (2004) de Le Clézio interrogent le rapport fils-père, celui de la reconnaissance posthume, longtemps après Onitsha, une fiction qui évoquait ce père autoritaire sous les traits de Geoffrey. Dans cet hommage au défunt se diffuse toute la sensualité de l’Afrique, abandon des vêtements et nudité des femmes. Et le corps maternel fait retour, ce corps qui enveloppe dès l’incipit et encore à la clôture la rencontre d’un fils de 8 ans avec son père. Le père est « potentiellement dangereux », étranger. La figure paternelle dans l’ensemble de l’œuvre est par ailleurs souvent absente.
Chez A. Ernaux, la peau est de cire, annonce de la mort. Chez Le Clézio, elle est vivante et surface à peindre. Elles sont toutes deux en contrepoint d’autres peaux mortes : vêtements, secondes enveloppes, ou masques, déposés au musée. Les deux textes, en dialogue avec des photographies, - dont la présence matérielle dans ces deux livres est en lien avec le thème de l’empreinte-, s’inscrivent dans une esthétique de la trace, une réflexion sur le rituel et mettent ainsi la peau en relation avec le temps.   
Dans ces deux récits autobiographiques, quelles fonctions recouvrent les objets (vêtement, photographies) dans le rapport aux parents absents ? Comment se re-tissent le lien à la fratrie : la sœur (morte d’Ernaux) et le frère (absent jusqu’ici des textes de Le Clézio) ? Comment les relations familiales sont-elles médiées par des objets investis sur le plan imaginaire ? Qu’est-ce qui se transmet, à l’enfant, de la mémoire des parents ?

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La relation père / fils dans le triptyque de Philippe Le Guillou
Michelle Ruivo Coppin
Laboratoire de recherches en modalités du fictionnel
Université du Littoral Côte d’Opale, Dunkerque.

Dans ce triptyque, composé de Livres des guerriers d’or, des Sept Noms du peintre et de Douze Années dans l’enfance du monde, le père naturel est systématiquement éliminé. Ecarter méthodiquement le père naturel, c’est pour Philippe Le Guillou redonner au fils la possibilité de se créer une autre filiation, en recherchant une paternité spirituelle et donc de proposer par la suite la transposition du célèbre complexe d’Œdipe sur une nouvelle figure : celle du maître, avec des émotions et des hypothèses bien plus larges que celles proposées par le père naturel, sans cesse limitées à cause de son contexte éthique. En d’autres termes, l’esthétisme de la mise en pièces du père s’offre comme une plate-forme psychologique privilégiée pour tisser entre les personnages des relations chargées d’ambiguïté à travers lesquelles l’écrivain trouve un procédé efficace afin de maintenir l’intensité que lui inspire « les combats entre les images bénéfiques et maléfiques mais toutes-puissantes »  du père.
        Toutefois, le triptyque se présente-t-il comme trois tentatives pour tenter de contourner, de dépasser, ou d’éviter les conséquences liées au couple père / fils ? Ou alors décline-t-il trois variations sur le même thème ?
           Pour répondre à cette question, trois axes seront proposés : 1) Tout d’abord, il est nécessaire de redéfinir la nature et la fonction du père. Avec au départ pour mode de reconnaissance l’ambivalence affective, la relation père / fils est purement imitative, révélant ainsi que la fonction du père est avant tout culturelle. Si pour P-L. Assoun, le père est un lieu , il est le lieu d’un conflit inévitable selon René Girard  : Les Sept Noms du peintre et Douze Années dans l’enfance du monde illustrent la violence de ce conflit. 2) Cependant, chez Philippe Le Guillou, le mythe du meurtre du père tel qu’il a été retranscrit par Freud , est reconduit sur le fils. Douze Années dans l’enfance du monde anticipe la crucifixion. Le père s’évanouit alors dans le fils selon la formule de J-L Scheffer . 3) Finalement, malgré les conflits représentés, le triptyque, à la manière du 22ème chapitre de la Genèse, donne à voir un non-événement ; c’est donc sur le fantasme inversé du mythe d’Abraham qu’il faut se tourner. 388
    Paradoxalement, toutes les attaques visant le père ne font que renforcer sa toute puissance et son influence. Tuer le père signifie en fait éprouver le père, c’est-à-dire la tradition avant de l’intégrer. Pour Philippe Le Guillou, il s’agit avant tout d’œuvrer pour la conservation du moi ; le triptyque devient plate-forme expérimentale à travers laquelle s’exposent les mécanismes liés à la transmission. Point d’atteinte subversive, au contraire, la dynamique du va-et-vient entre blasphème et rédemption véhicule les valeurs jadis transmises par le père et la lutte pour le moi se fond alors dans celle pour la sauvegarde du passé.

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De l'absence au meurtre: penser la relation père-fille
dans la littérature québécoise contemporaine
Lori Saint-Martin
Professeure titulaire Université du Québec, Montréal

Seront passés en revue certains thèmes dominants de la relation père-fille dans les textes actuels, dont l'absence du père, le procès du père/des pères, le père incestueux, le père mort et, le plus étonnant peut-être, le meurtre du père par la fille. Lori Saint-Martin terminera en parlant de quelques bons pères, habituellement "hors normes" d'une façon ou d'une autre, et d'un phénomène récent: la prise de parole par les pères mêmes (plutôt que la seule perspective de l'enfant sur lui).

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Relation père-fille dans l’œuvre de Gabrielle Roy :
dynamique oscillatoire entre rapprochement et éloignement
Maria Savic
Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3

Gabrielle Roy (1909-1983) est l’écrivain québécois dont l’œuvre est considérée comme classique aussi bien au Québec qu’au Canada anglophone.
           En tant que figure littéraire, le père de Gabrielle Roy est double: c’est, d’abord, le père véritable de la romancière, mais ce père est aussi « fictionnalisé » à travers le personnage d’Edouard, le père de Christine (le double de la romancière et l’héroïne des récits Rue Deschambault, La route d’Altamont et Un jardin au bout du monde). Par conséquent, dans son dédoublement, la figure du père imite le dédoublement de la romancière elle-même. Cette « fictionnalisation » permet un peu de recul, davantage de liberté et de sincérité dans le traitement de la figure paternelle, donnant plus de densité aux rapports père-fille. Nous examinons les deux couples, en ne pas oubliant que la ligne séparatrice est très fine.         
          Ces deux êtres entretiennent un rapport problématique. D’un côté, la méfiance est mutuelle, la méconnaissance de l’autrui inspirant la crainte et la hargne. Dotés de naturels distincts (Gabrielle Roy/Christine est expansive, rêveuse, ludique, alors que le père/Edouard est taciturne, renfermé, pragmatique, vigilant, sévère), leur présence dans les récits permet la constatation des irréconciliables différences.
          Cependant, il nous semble que de ces dissemblances évidentes naît la curiosité, poussant les deux éléments à tenter un rapprochement. Certaines facettes de la personnalité du père fascinent la fille ; le père, à son tour, se voit parfois sans défenses, séduit devant la nature rêveuse et imaginative de sa progéniture. Ces deux êtres semblent se compléter, s’apportant mutuellement les valeurs jugées manquantes. De cette manière, l’apprentissage de soi et du monde que fait l’enfant se charge affectivement, et le point de vue d’adulte dont est porteur le père se modifie au contact enrichissant de sa fille. Dans ce sens, la grande différence d’âge qui sépare l’enfant et le père (quand Gabrielle Roy est née, son père était âgé de 59 ans) se rangerait parmi ces catalyseurs évoqués plus haut, mobilisant la curiosité que l’autre suscite.
          Dans notre contribution au colloque, nous examinerons comment la dynamique de ce rapport marque l’œuvre de Gabrielle Roy. Afin d’y arriver, nous aimerions répondre aux question suivantes à propos de la relation père-fille : Quelles sont les modalités du rapprochement effectué entre ces deux ? Quelles sont la portée et la durée de « réconciliation » ? Le sentiment de la peur et de la méfiance, disparaît-il ou bien subit-il une transformation ? La voix de Gabrielle Roy qui choisit de se pencher sur son passé et d’en témoigner, en quoi contribue-t-elle à la peinture universelle des rapports familiaux ? Il est important d’analyser les limites de la familiarité entre le père et la fille, de préciser sur quels niveaux ils arrivent à communiquer et sur quels niveaux la barrière s’érige entre eux. Nous tenterons de voir si la fille fonctionne comme l’image de son père ou bien comme son contraire ; le père, est-il une source pour sa fille ou bien une référence négative, dont il faut se démarquer à tout prix ?

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La quête de la langue maternelle chez
Vassilis Alexakis et Denis Lachaud
Stéphane Sawas
INALCO (Paris)

Les romans La Langue maternelle (1995) de Vassilis Alexakis et J’apprends l’allemand (1998) de Denis Lachaud se présentent dès leur titre comme une réflexion littéraire sur la langue maternelle. Dans les deux cas, les personnages principaux partent à la conquête de la langue de leurs parents, identifiée progressivement à leur langue maternelle, que l’éloignement du pays d’origine a rendue étrange, et même étrangère. En redécouvrant leur langue maternelle à distance par la médiation d’un travail littéraire en langue française, les personnages redécouvrent le lien linguistique qui les unit à leurs parents. La langue maternelle, véritable « carrefour de métaphores » (pour reprendre l’expression d’Andrée Tabouret-Keller), se prête du reste tout particulièrement au traitement littéraire. Elle est en effet l’outil de l’écrivain qu’il a hérité de sa mère et/ou de son père. Cette communication envisagera les stratégies à l’œuvre dans ces deux romans visant à éclairer par la littérature la transmission de la langue maternelle. Dans les deux cas, le retour à la langue maternelle par l’intermédiaire du retour au pays constitue un choc culturel et permet au personnage principal de repenser sa relation à la mère en particulier chez Vassilis Alexakis, à l’ascendance plus largement chez Denis Lachaud. Le roman La Langue maternelle s’inscrit dans la seconde période de Vassilis Alexakis, inaugurée en 1992 par son septième roman Avant, où la perte de la mère incite le narrateur, double de l’auteur, à une réflexion sur les langues de son travail littéraire : dans La Langue maternelle, Vassilis Alexakis passe ainsi, par le biais de l’auto-traduction, de la langue de ses parents (le grec) à celle de ses enfants (le français). Dans J’apprends l’allemand, premier roman de Denis Lachaud, certains indices (âge, lieu de résidence) rapprochent le personnage principal, Ernst, de l’auteur : dans les années 1970 à Paris, Ernst choisit d’apprendre au collège la langue de sa famille, l’allemand, que ses parents refusent de parler avec leurs enfants. Au cours du roman où la narration est menée tantôt à la première personne tantôt à la troisième personne, l’auteur met à jour le fossé qui se creuse entre Ernst et le reste de sa famille (en particulier son frère) dans son rapport à la mémoire familiale : en apprenant la langue maternelle comme une langue étrangère, Ernst met à nu les ambiguïtés de l’héritage familial ; par l’intermédiaire du français, il fait de nouveau sienne la langue maternelle que ses parents ont refusé de lui transmettre. Cette décision qui émane d’un adolescent au départ introverti fait éclater le foyer familial. Les deux auteurs posent ainsi, à trois ans d’intervalle, un regard nouveau sur la langue maternelle, souvent tenue pour donnée, mais qui est ici peut-être, comme le dit Vassilis Alexakis, « la première langue étrangère que l’on apprend ».

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La relation familiale comme récit et comme lien :
Ma vie parmi les ombres de Richard Millet
Maïté Snauwaert
Université McGill

Considérant que ce roman est paroxystique de la prégnance actuelle de la relation familiale dans le domaine français, qu’il en révèle à la fois la valeur proprement littéraire et la signification historique, je souhaite proposer une analyse du livre de Richard Millet Ma vie parmi les ombres. Celle-ci s’inscrirait dans plusieurs axes qui pourront valoir, au-delà de la production particulière de cet auteur néanmoins prolifique, à titre d’indices des mutations contemporaines du genre voire de la littérature. D’abord, il s’agira de placer l’analyse dans l’optique générale de l’œuvre de Millet, soit celle des légendes de la terre et des histoires traditionnelles de pays, dont la dimension est pour ainsi dire mythique, tant elles sont constituantes d’une identité locale. Puis, dans la manière dont ces histoires de bouche à oreille informent l’écriture du roman en lui fournissant ses fils, sa matière, sa trame narrative complexe, entrecroisant intrigues générationnelles et régionales multiples, et comment ce passage à l’écrit garantit plus sûrement leur pérennité de mythes. Ensuite, il conviendra de mettre le livre en rapport avec le tournant du siècle et le contexte socio-historico-littéraire d’un renouveau du roman qui pourrait paradoxalement passer par un renouement avec la tradition de la saga familiale et du roman de la terre ou régional. Enfin, l’analyse des modalités énonciatives fera de Ma vie parmi les ombres le parangon de ce renouvellement, en raison du positionnement explicite de « narrateur » attribué au dernier héritier de cette filiation, dépositaire solitaire, sur la dernière ligne d’un arbre généalogique placé en exergue avant le texte du roman, d’une histoire qu’il faut raconter avant que ne meure complètement le monde dont elle rend compte. De ce point de vue, il y aura aussi à faire une place à l’interrogation du lien ambivalent entre autobiographie et autofiction, du fait de l’amorce du titre qui annonce la confession, de sa contradiction par le sous-titre générique « roman », et du remplacement du nom d’état-civil par le nom commun de « narrateur ». Plus qu’une ambivalence, tout indique que celui qui entreprend le récit d’une histoire familiale entre nécessairement dans le terrain du littéraire et du fictionnel – non du fictif mais de l’invention d’histoire, au sens où il faut faire œuvre de création pour donner une existence écrite à ce qui a une existence, si ce n’est seulement empirique mais également verbale, du moins seulement orale et dite de proche en proche.
    On tentera ainsi de mesurer la nature de la relation lorsqu’elle est à la fois un récit et un lien, voire lorsque le lien généalogique lui-même se tisse comme un récit.

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Hélène Cixous et le livre du frère : Tours promises
Christa Stevens
Chercheur indépendant

Depuis une dizaine d’années, la figure du frère occupe une place importante dans les (auto-) fictions d’Hélène Cixous. Partenaire de la « je » énonciatrice-scriptrice dans l’exploration de la « machine mythique » que constitue la scène familiale, double porteur de l’élément masculin conducteur, le frère – « monfrère » – occupe à la fois la place de personnage, devenu de plus en plus spectaculaire, comparable, selon l’auteur, « à celui d’un Hamlet-Cixous » (« Prière d’insérer », Tours promises, Paris, Galilée, 2004) et celle de substitut vital, « premier représentant éclaireur et acteur » (ibid.) dans les récits des relations de l’énonciatrice avec son bien-aimé.
Dans ma communication je me propose d’analyser cette place deux fois essentielle du frère textuel – ou pas seulement textuel, car Tours promises, l’avant-dernier texte de Cixous, est justement centré sur l’interdiction du frère réel de figurer comme personnage dans les romans de sa sœur.

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Le père chassé par la mère -  des exclusions du père de la
relation mère/fille dans la littérature féminine
Agnieszka Stobierska
Université de Nice Sophia Antipolis
    
Le sujet de mon exposé se conçoit comme une réflexion sur la place de la figure paternelle dans le lien mère/fille, et notamment sur sa position manquant dans cet huis clos féminin.
Le lien fusionnel qu'une mère peut nouer avec sa fille cause fréquemment une infériorisation du rôle du père auprès de la fille: "(…) les femmes parlent peu de leur père. Le plus souvent, c'est la mère qui occupe le devant de la scène. Le père est passé sous silence" - constate la psychanalyste québécoise Louise Grenier. Lorsque le père est perçu par la mère comme un intrus, un autre et non semblable, ou même comme un obstacle  pour créer et vivre dans la symbiose avec une fille - miroir,  la mère entreprend de l’effacer.
    Nous proposons d'étudier des différentes formes d'exclusion du père de la "complicité" mère/fille à travers la fiction féminine française de la dernière décennie.     
Ce choix s'explique par  deux tendances opposées de la littérature des femmes abordant le problème des liaisons familiales : d'un côté, le thème du rapport mère/fille avec un fort accent mis sur l'absence du père et l'exclusivité de ce lien semble être toujours à la mode, et d'un autre côté, il y a de plus en plus de textes cherchant à évoquer la figure du père disparu, manquant, voué à l'oubli, peut être, par une mère.
Sur quoi repose l'exclusion du père de la relation qui lie la mère et sa fille?  Quels sont les événements face auxquels la mère réduit le père: "au mieux, à la transparence, au pire, - au statut d'obstacle, voire l'ennemi à abattre"?  Qu’en est-il de son image littéraire?  Comment les auteurs français telles que: Aline Schulman, Solange Fasquelle et Claire Castillon, ou encore Noëlle Châtelet représentent-ils les filles dont les pères ont été mis à l’écart par leurs mères?
     Mon exposé s'articule autour de quatre parties qui correspondent à quatre "scènes d'exclusion du père" que nous révèlent les textes étudiés.  
Les notions de maturation et d'éducation de la fille ouvrent la première scène de cette exclusion analysée à travers le roman de Solange Fasquelle  Mère  et les nouvelles de Claire Castillon. Nous y rencontrons les figures des pères expulsés de la vie de leurs filles faute de connaissance du "devenir femme". Paradoxalement, le comportement des mères les rend ridicules et haïes par les jeunes femmes, qui se retournent cependant vers leurs pères.
Dans une deuxième partie nous chercherons à nous interroger sur l'exclusion du père qui se manifeste face aux événements tels que la grossesse, l'enfantement,  la maternité.  
La réflexion sur les motifs du père qui abandonne sa famille, laissant  la mère s'accrocher jusqu'à l’abus à sa fille, sera exposée dans la troisième partie.  
La dernière scène  présente le cas d'élimination radicale du père, vis-à-vis de la maladie ou de la mort de la fille chérie. Dans Paloma d'Aline Schulman, le drame familial devient une exclusivité maternelle où le père ne mérite même pas, le statut du géniteur de la fille mourante. Les nouvelles de Claire Castillon intitulées Münchhausen par procuration et Nœud -noeud dévoilent les représentations manquantes du père dans les combats des filles avec une maladie.  
    En conclusion nous réfléchirons sur les caractéristiques du style dévoilant le portrait d'un "père inexistant",  qui joue, néanmoins, un rôle marquant dans la création du récit.
 
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Condition masculine, origine féminine :
mères et fils dans la littérature québécoise
Katri Suhonen
Université de Tampere

La mère joue un rôle de premier ordre dans l’évolution de l’être humain, autant dans la vie réelle que dans une vie fictive et imaginée. Il n’est donc pas étonnant que cette figure constitue le pivot de l’identité de nombre de personnages littéraires, au Québec comme ailleurs. Lori Saint-Martin a étudié l’influence du rapport entre mères et filles sur l’écriture québécoise (Le nom de la mère. Mères, filles et écriture dans la littérature québécoise au féminin, 1999) et quelques chercheurs ont porté leur regard sur le rapport entre mères et fils (p.ex. Gérard Bessette sur Alexandre Chenevert, 1969, et Sylvie Lamarre sur La Montagne secrète, 1996, de Gabrielle Roy, ou bien Chantal Ringuet qui a écrit une thèse doctorale encore inédite sur le rapport mère-fils dans la littérature québécoise contemporaine).
Si le personnage de la mère a donné suite surtout à des analyses de la condition féminine (les études sur le rapport mère-enfant se concentrent souvent sur la figure de la mère), un projet de recherche récent sur le portait de l’homme dans l’œuvre des romancières québécoises montre que la mère joue également un rôle important dans l’évolution de l’identité masculine (Prêter la voix. Condition masculine et romancières québécoises de Katri Suhonen, à paraître). Plusieurs textes québécois de production féminine qui se penchent sur l’expérience masculine mettent le rapport mère-fils au cœur de l’intrigue : p.ex., La Chair décevante de Jovette Bernier (1931), « Le torrent » d’Anne Hébert (1950), Tête blanche et L’Insoumise de Marie-Claire Blais (1960 et 1962/1966) dans le corpus plus lointain, ou bien Homme invisible à la fenêtre de Monique Proulx (1993), Choses crues de Lise Bissonnette (1995), La démarche du crabe de Monique LaRue (1995), L’Enfant chargé de songes, Est-ce que je te dérange ? et Un habit de lumière d’Anne Hébert (1992, 1998 et 1999), Homme au complet d’Aude (1999) et Rouge, mère et fils de Suzanne Jacob (2003) sont quelques exemples du phénomène dans le corpus contemporain. Ce rapport, présenté sous plusieurs angles dans ce corpus varié, est sans exception décrit comme problématique. C’est la raison de la crise identitaire du protagoniste masculin dans plusieurs récits, sa solution dans d’autres.
Bien que l’influence maternelle sur l’évolution du personnage masculin soit manifeste dans le corpus romanesque, elle a suscité peu d’attention dans la théorisation et l’analyse de la condition masculine. Les analystes se sont concentrés plutôt sur l’influence du modèle donné par les pères (voir p.ex. Stiffed : The Betrayal of The American Man de Susan Faludi, 1999, qui étudie l’héritage laissé de père en fils dans les sociétés occidentales ou XY. De l’identité masculine d’Élisabeth Badinter, 1992, qui expose l’histoire et les piliers de l’identité masculine « normative » dans plusieurs sociétés).
L’objectif de l’étude est d’esquisser quelques schémas que les enjeux entre mères et fils constituent dans la littérature québécoise (les romans mentionnés comme exemples et les études soulevées comme base de la réflexion) afin d’en comprendre l’évolution, les régularités ou les irrégularités de même que les conséquences sur l’identité masculine. J’espère pouvoir ainsi confirmer et/ou mettre en lumière des modèles qui démontrent l’importance de l’origine féminine pour le personnage masculin, proposer des théories pour l’analyse de la condition masculine et élargir le nombre, encore relativement restreint, des études sur le sujet.

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Entre absence et jouissance : la famille
dans les récits de Georges Bataille
Tomasz Swoboda
Université de Gdańsk

Traumatisé par ses propres expériences familiales, Georges Bataille a créé des récits où la famille – ou plutôt ses bribes, ses lambeaux, ses Ersatz de toute sorte – joue un rôle importissime, ne serait-ce que comme fond de la recherche du sacré à travers l’obscène. À cause même de la biographie de leur auteur, ses récits se prêtent parfaitement à une analyse psychanalytique, Histoire de l’œil, le plus connu de ces textes, étant d’ailleurs lui-même une « écriture psychanalytique », prescrite par le thérapeute de l’écrivain, Adrien Borel. Les relations familiales dans la fiction bataillienne ne se réduisent pourtant pas à ce côté psychanalytique ; tout au contraire, il serait abusif de traiter ce thème comme une pure expression du refoulé, une formulation thérapeutique d’un moi à la recherche de son identité. Or, ce n’est pas par hasard que les héros de L’abbé C. sont deux frères jumeaux, que les jeunes protagonistes d’Histoire de l’œil offensent leurs parents, que la troisième partie de L’Impossible est intitulée « Orestie », que l’héroïne de Julie, un des récits abandonnés, attend impatiemment l’arrivée de son père, que Le Petit et Ma mère enfin déploient leurs réseaux fantasmatiques autour d’une mère morte, suscitant un désir nécrophile de la part du fils. Il faut en effet inscrire tous ses motifs dans un contexte plus large de l’œuvre de Bataille, celui où la réalité révèle sa nature hétérogène, mettant en relief le côté « gauche » du sacré, c’est-à-dire l’ordure, la sexualité, les excrétions. Dans le cadre de ce procédé, la famille, participant, dans les sociétés traditionnelles, du côté « droit » du sacré, avec leur culte des morts et l’importance attribuée à l’héritage, dévoile elle aussi des liens qui ne permettent pas de l’arracher à la « part maudite » de l’humain. La jumellité apparaît ainsi comme le meilleur exemple du principe de scissiparité, un des théorèmes les plus fascinants de Bataille, et les relations incestueuses sont éclairées par des considérations des membres du Collège de Sociologie sur les sociétés primitives. Mais les récits de Bataille ne sont pas que des illustrations des idées philosophiques de leur auteur ; loin de là, l’auteur du Bleu du ciel, s’il n’excelle pas dans l’intrigue romanesque, sait tirer de l’histoire racontée ce qui chez d’autres auteurs resterait informulé, voire absent. La langue de Bataille, qui est celle de l’érotisme et du désespoir, affecte les relations familiales, les ronge de l’intérieur pour en révéler les côtés jusque-là négligés ou inaperçus.

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Du « complexe d’Electre » à « la toile de l’araignée » :
Electre ou la chute des masques de Marguerite Yourcenar
Mieke Taat
Université d’Amsterdam

Electre ou la chute des masques – première Electre signée par une femme, écrite en 1942 et accompagnée, depuis sa première publication chez Plon en 1954, d’un Avant-propos intéressant sur la longue tradition des drames d’Electre – a dû attendre une quarantaine d’années avant de faire l’objet de représentations scéniques et d’études critiques, assez peu nombreuses jusqu’ici. C’est que le théâtre de Yourcenar a la réputation de manquer de potentialité scénique : monologues intérieurs alternés, plutôt que « vrais dialogues », qui sont en outre conçus en un langage « peu naturel », souvent « incongru », qui  « rompt le charme ».
Les noms et le nombre des personnages ayant été empruntés à la version d’Euripide, on tend généralement à considérer la configuration des « caractères » comme une reprise peu originale et maladroite de ce présumé « modèle antique ». Là où Euripide recherche la vraisemblance et la nuance psychologiques, Yourcenar s’attache beaucoup trop, juge-t-on, à schématiser le contraste entre les jeunes « bourreaux » (« l’insoutenable cruauté » d’Electre, l’irresponsable passivité, et le froid cynisme de, respectivement, Electre, Oreste et Pylade) et leurs « victimes » (l’indulgence résignée d’une Clytemnestre « profondément humaine » ; la « sagesse paternelle » d’un Egisthe clément ; et enfin la « bonté naïve » du jardinier dont Electre partage la cabane servant de décor à l’action, et qui est destiné à payer le prix du double meurtre accompli en son absence). On se croirait en effet en plein mélodrame, à lire ces commentaires psycho-moralistes, y inclus ceux expliquent « le comportement dominant et agressif » de l’héroïne par son « complexe d’Electre » inconscient.
Quant à l’action de la pièce, les critiques ont tendance à souligner ce qu’ils perçoivent comme les touches d’absurdisme apportées aux meurtres proprement dits (Electre se découvre meurtrière d’une mère qui, atteinte d’une maladie incurable, n’aurait de toute façon plus vécu longtemps ; et Oreste se découvre parricide au moment suprême où il avance son couteau vers la poitrine d’Egisthe, usurpateur présumé). Ces péripéties qui paraissent  « inventées pour plaire à un public moderne » sont généralement jugé constituer une preuve de plus des maladresses d’un écrivain qui ne disposerait guère de « sens du théâtre », voire qui mènerait une guerre obstinée contre l’illusion qui constitue la condition sine qua non du théâtre.
    Pour ouvrir une autre perspective sur cette Electre, je me tournerai vers les allusions, parsemées dans le texte de cette pièce comme dans son Avant-propos, à ce qu’Etienne Souriau désigne comme  « la grosse et délicate question du point de vue dans les pièces de théâtre ». Ces allusions, qui mettent en avant une analogie entre le théâtre et le rêve, pointent du coup vers la nécessité d’une lecture analytique patiente, attentive et contemplative du jeu de la lettre (lecture d’orientation lacanienne plutôt que freudienne). Il s’agit bien de nous ouvrir à la signifiance étrangement inquiétante du texte en tant que tissu de mots et constellation d’images, qui nous livrent peu à peu les éléments non pas d’un drame de famille, mais d’un roman familial : un scénario fantasmatique tout entier construit du point de vue d’Electre, c'est-à-dire de la fille. Lue de ce point de vue, l’Electre de Yourcenar révèle non seulement ses dimensions déconstructive et analytique longtemps méconnues par ses critiques, mais encore une théâtralité originale, toute intérieure, qui puise aux sources oniriques du théâtre.

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De l’enquête familiale à l’enquête historique : La vie scélérate de Maryse Condé (1987) et Le Labyrinthe du monde de Marguerite Yourcenar (1974-1988)
Fabienne Viala
Université Paris III

Dans un roman d’un côté, dans une monographie familiale proche du roman historico-didactique de l’autre, les narratrices – Claude Louis et Marguerite de Crayencour – reviennent sur le passé de leurs aïeuls, sur les méandres de leur lignage en tentant de faire la lumière sur un monde révolu. Ce qu’on lit à travers les recherches biographiques de l’une et de l’autre n’est rien moins qu’une tentative de reconstruire l’histoire d’une époque et d’un peuple – la haute bourgeoisie des Flandres, le peuple noir des Antilles – par le truchement d’une démarche apparemment individuelle.
Le schéma de l’enquête familiale, qui prend des allures de saga avec ses stations obligées et ses étapes initiatiques fonctionne à la fois comme schéma narratif – avec alternance de lettres, de photographies commentées, d’indices historiques insérés dans la trame du récit – et à la fois comme programme éthique. Il s’agit en effet d’atteindre l’authenticité historique en passant par la mise en scène fictionnelle et, in fine, de faire la lumière sur un passé oublié ou dévoyé : la dynastie Crayencour est pour Yourcenar représentative de l’humanité toute entière, la famille Louis est le blason de l’histoire du peuple noir depuis la fin de l’esclavage jusqu’au milieu du vingtième siècle.
Les relations familiales souvent problématiques ouvrent une brèche allégorique qui permet à la famille de se faire microcosme des sociétés humaines et par là, de mieux comprendre notre nature. C’est par ce biais là que l’histoire peut se faire « école de liberté », pour reprendre une expression chère à Yourcenar, et nous donner les moyen d’affronter les impasses et les incohérences de la vie avec lucidité.
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La relation fils/mère/grand-mère chez Proust et chez Houellebecq
Bruno Viard
Université de Provence

Les intermittences du cœur ne sont pas un monopole proustien : comme Marcel, le héros des Particules élémentaires retrouve « par intermittences » le souvenir d’une grand-mère bien aimée dont la tendresse sans défaut contraste avec la relation défectueuse avec la mère. Les  deux auteurs qui encadrent le XX° siècle ont fait de la relation avec mère la pierre angulaire de leurs œuvres.
Dans les deux cas, autant que sur la relation du fils avec sa mère et sa grand-mère, on se penchera, en aval, sur la relation de ce fils avec ses partenaires féminines pour constater une perpétuation du déséquilibre affectif qui débouche sur l’impossibilité du couple. Chez Proust, un fil discret mais certain relie la déception jalouse dont la mère est l’objet, l’impossibilité de l’amour réussi avec les jeunes filles, et finalement le dégoût du monde et le saut dans l’art pur. Ce cheminement ne diffère pas de l’itinéraire houellebecquien au terme duquel l’écriture est le dernier rempart contre le suicide.
On aura matière à s’interroger sur la généralisation à l’œuvre dans les deux cas. Houellebecq ne parle-t-il que de lui ou offre-t-il un juste miroir de notre temps ? De quel droit Proust généralise-t-il, comme il le fait, à l’amour et aux hommes des analyses qui semblent d’abord ne concerner que la névrose du petit Marcel ?
Il conviendra de souligner que les rapprochements que suggèrent les deux œuvres procèdent de contextes psychologiques et sociologiques complètement différents. Michel fut un enfant délaissé dans le contexte anomique des années 1960 et 1970, et Marcel un enfant surprotégé dans une ambiance familiale moralisatrice. Alors causes opposées, résultats analogues ?
Mes outils théoriques seront fournis par Marcel Mauss dont L’essai sur le don est aussi pertinent à échelle psychologique qu’à échelle sociologique, et par Paul Diel dont l’immense œuvre méconnue constitue une psychologie des profondeurs concurrente de celle de Freud et qui s’ajuste exactement avec les vues de Mauss.

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La famille dans deux romans de Julien Green
(Adrienne Mesurat, L’Autre) : perdition ou salut de l’héroïne ?
Nadège Vultaggio-Grenglet
Collège Jules Ferry de Douai

La famille, présente ou absente, est un thème central dans les romans de Julien Green (1900-1998). L’auteur s’intéresse particulièrement aux relations entretenues par le personnage principal, jeune homme ou jeune femme, avec un père, une mère, une sœur, un tuteur ou une tutrice. Ceux-ci jouent un rôle moteur dans l’histoire et déterminant dans la caractérisation, les actes, le parcours, l’évolution et le destin du héros.
    Une ombre plane toujours au-dessus des familles greeniennes : absence d’un père et/ou d’une mère, père et/ou mère tyrannique, avare, possessif…, sœur malade, mère folle, père suicidé… Même absente, la famille est là, obsédante, par des souvenirs, des paroles, des objets, des motifs… qui rappellent sans cesse au héros son pouvoir. La famille pose donc problème chez Julien Green et les relations avec le héros en sont affectées, révélant son mal-être, son besoin d’amour, sa volonté de voler de ses propres ailes.
    Quels rapports le héros entretient-il avec sa famille ? En est-il victime et pourquoi ? Est-elle totalement responsable de ce qu’il lui arrive ? Comment doit-il donc assumer ses relations familiales pour espérer atteindre le Bonheur, trouver le salut ? Julien Green nous amène à réfléchir sur la nature des relations familiales, leurs effets, leurs conséquences sur le héros dans la constitution de sa personnalité et la prise en main de son destin. Selon l’auteur, deux cheminements s’offrent au héros : soit il subit l’oppression familiale et n’y fait face que par le désespoir, le meurtre, la folie… ; soit, même s’il commet dans un premier temps les mêmes fautes que son père…, il se tourne vers la religion et l’espérance devient possible.  
    Ma perspective sera fondée à la fois sur la poétique, la rhétorique et la phénoménologie de la lecture. Je m’appuierai pour cela surtout sur deux romans de Julien Green, Adrienne Mesurat (1927) et L’Autre (1971), qui présentent tous les deux une héroïne. La première est en conflit avec son père, sa sœur au point de devenir meurtrière ; la seconde est tiraillée entre l’éducation religieuse d’une mère qui est devenue folle et les infidélités d’un père qui s’est suicidé. Ces deux romans me permettront d’analyser le traitement greenien, riche et complexe, des relations familiales et d’en montrer l’évolution : d’une représentation pessimiste, naturaliste marquée par le concept de l’hérédité, la psychanalyse, même niée par l’auteur, à une dimension optimiste, spirituelle où la famille génère des épreuves indispensables à surmonter pour se construire et être sauvé.

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Philippe Vilain penché au miroir de son enfance
Sabine van Wesemael
Université d’Amsterdam

Pour Vilain, l’enfance est le vrai réservoir de la création littéraire. Il retourne sans cesse à ses années d’enfance malheureuse. Une enfance marquée par l’alcoolisme du père et par l’absence de la mère. Vilain raconte comment son père, saoul, menace de se suicider obligeant le petit garçon d’intervenir, il parle des cures de désintoxication et de sa mort prématurée à l’âge de 54 ans. La mère, par contre, est réduite à l’absence et au néant ; elle ne joue qu’un rôle très effacé. Ne supportant la consommation excessive d’alcool de son mari, elle décide de le quitter, lui et son fils. Grosso modo l’œuvre de Vilain est érigée en une critique du mythe de l’enfance. Ses romans oscillent constamment entre les pôles fictionnels et autobiographiques. Selon l’auteur, l’assimilation de l’écriture autobiographique à l’amour-propre est trop simpliste. Ceci n’empêche que Vilain décrit en quelque sorte l’état mental de Narcisse en ce sens qu’il met sans cesse en lumière le procédé de dédoublement. C’est en effet un complexe de miroirs qui compose ses romans. Vilain s’essaie constamment à des opérations complexes de substitution, d’abord celle de la femme-mère avec laquelle il désire fusionner et qui lui permet de vivre une enfance différée, attardée mais aussi celle du père  nourricier alcoolique.

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Les relations familiales dans le roman d’Amélie Nothomb Antéchrista
Ewa M. Wierzbowska
Université de Gdansk

Une famille, selon toute apparence, normale, les parents formés, une fille de seize ans. Blanche aime ses parents même si elle ne sait pas montrer ses sentiments. Rien d’étonnant, car ils restent indifférents envers leur propre enfant. On peut dire que l’héroïne n’est pas consciente du manque de liaison familiale. Enfin, l’arrivée de Christa chez sa famille fait montrer qu’à vrai dire il n’y a pas de liens entre eux. Christa crée des liens familiaux, des liens faux (elle ne s’engage pas, elle fait semblant de manifester ses sentiments), mais qui rendent heureux les parents de Blanche. Blanche est devenue invisible pour ses parents ou elle sert de point de repère négatif pour mettre en relief les qualités de Christa. Celle qui pourrait être le sauveur de Blanche, qui pourrait la libérer de ses complexes devient son bourreau. Les sentiments paternels et maternels sont transmis sur Christa. C’est elle qui réalise le rêve des parents d’une fille ravissante, joyeuse, radieuse, etc. Les baisers, les touchers tendres sont gardés pour Christa. Le problème qui émerge est l’incapacité d’aimer l’enfant qui ne réalise pas les attentes de ses parents. Blanche n’éveille pas chez ses parents le sentiment de tendresse, le besoin de la présenter au monde, etc. Ils sont superficiels, ils ne savent pas retrouver de le profondeur dans les sentiments de sa fille, ils la cherchent ailleurs. Mais malgré tout Blanche reste fidèle à ses parents. Elle se sent responsable d’eux après l’accusation absurde de Christa. La focalisation interne nous permet d’observer l’évolution du psychisme de Blanche.
Les relations familiales influencent les relations sociales. Le roman de Nothomb exprime cette vérité évidente. Dans le cas de Blanche ce ne sont même pas les relations fausses mais c’est l’absence complète de relations sociales. L’indifférence de ses collègues accompagne celle des parents. Blanche est invisible chez elle, de même à l’université. Seule position de la « souris » ou de la « sardine » est possible à accepter. Et puis son nom signifiant – Blanche qui fait référence à la couleur. La couleur blanche est indifférente, très souvent – invisible. Comme l’héroïne du roman de Nothomb.
Le nom d’un double de Blanche, Christa, fait référence à Jésus Christ par analogie  à Antéchrista vs Antéchrist. Et ce ne sont pas les uniques références bibliques. Il y en a d’autres. On peut faire aussi la référence au mythe d’Abel et Caïn parce que Blanche se figure plusieurs fois une annonce de journal où elle est présentée comme assassin de ses parents et de son amie, sa « sœur ». Deux personnages du roman, Blanche et Christa, créent un chiasme sémantique, l’une est le reflet inversé de l’autre.
Une énorme solitude commence et finit ce roman.

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Une désacralisation ambiguë : le lien filial dans l’œuvre romanesque de Paul Nizan
Jean-Michel Wittmann
Université Paul Verlaine - Metz

L’interrogation sur le lien filial est centrale dans l’œuvre romanesque de Paul Nizan, qui en fait la matière même de son premier livre. Dans Antoine Bloyé (1933), il revient au fils, nanti des armes de la culture bourgeoise que lui a léguées la trahison de classe de son père, d’analyser avec une lucidité qui va jusqu’à la cruauté le destin d’un père d’origine ouvrière devenu ingénieur, étranger au monde qu’il a rejoint et dans lequel il s’est emprisonné. La trahison du père appelle celle du fils, en vertu d’une nécessité que Nizan explicitera dans son troisième roman, La Conspiration (1938) : Bernard Rosenthal, le fils normalien, est sommé par le père de jouer les intercesseurs, en rachetant la matière par l’esprit, autrement dit en devenant un intellectuel, produit de la société bourgeoise voué à sa démystification voire à sa liquidation.
Trahison et rédemption sont au cœur de l’analyse proposée dans ses romans par Paul Nizan, intellectuel communiste sommé en ces années 1930 – aux côtés d’Aragon – de diffuser dans les milieux littéraires français les principes du réalisme socialiste, conscient pourtant de la nécessité de dépasser les principes simplificateurs promulgués en U.R.S.S sous l’égide de Jdanov. L’intérêt du regard porté par Nizan tient donc aussi bien au parti pris d’envisager le lien filial dans la perspective du matérialisme historique, qu’à la volonté d’atteindre à l’universel en accommodant aux réalités contemporaines l’esprit de la tragédie antique, comme il s’en explique dans ses nombreux essais critiques. S’il démystifie le lien filial en l’analysant dans sa dimension sociale, il s’attache à en restituer la dimension presque sacrée. Il recourt notamment à des images ou à des notions chrétiennes, à la fois démystifiées ironiquement et exploitées pour leur capacité à rendre compte du drame humain, existentiel, qui se joue par delà la « lugubre farce sociale » des familles dénoncée par Aragon à la même époque dans Les Voyageurs de l’impériale. S’il est entendu qu’il faut tuer le père pour devenir soi-même, Nizan montre des fils qui, voulant tuer le père, se tuent eux-mêmes, parfois littéralement, comme dans La Conspiration. Si le père rêve d’un fils capable de jouer les intercesseurs, le fils, en dépit de la distance critique que lui permet de prendre son statut d’intellectuel, reste condamné à devenir un martyr : père et fils apparaissent finalement comme les victimes expiatoires d’un lien dont ils ne peuvent que constater le pourrissement par les mécanisme sociaux.

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Ménage-à-trois : maman – bébé - psychanalyse
Olga Wrońska
Université de Gdańsk

« Mère : infantilisation, culpabilisation, castration. Gnognoteries, gnangnardises, rototo. Repli. Névrose. Autisme. Ombilic. Prendre la liberté, d’inventer, les phrases, l’amour, la merveille, ce programme de vie, de désir : être mère. »
« Que le bébé soit, pour la mère le phallus manquant, c’est là un tel lieu commun, une telle vérité d’évidence, qu’il me paraît inutile d’y revenir. La misogynie et la vulgarité de la proposition, même valide, m’agacent. Dans cette systématique, il me semble que le bébé, mouillé, teteur, avaleur, chaud est pour le père un symétrique exact : le vagin manquant. Le bébé vient, par essence, en plus.
La fonction symbolique du père est connue : séparer l’enfant de la mère, prévenir l’inceste. Mais le bébé est à la fois une érection et un trou, c’est sur tous les fronts qu’il s’agit de tempérer l’amour géniteur. »
Marie Darrieussecq, Le bébé, POL, 2002.
Les rapports mère - enfant sont à inscrire dans la figure du triangle bien avant le Nom-de-Père. Le facteur qui complexifie la dyade imaginaire c’est la psychanalyse ; une psychanalyse installée dans les foyers français par le biais de la littérature.
Portée par la vogue de Dolto et de Lacan dans les années 70 (et les vulgarisations qui leur faisaient pendant), la psychanalyse a imprégné la culture générale de l’Hexagone et notamment ses romans. Nichée dans le romanesque, elle a non seulement survécu à un certain désintérêt du public, mais a su profiter de ce chemin détourné pour doubler l’impact. Et cela d’autant plus qu’il est question d’une littérature nullement élitiste.
Ainsi Le bébé de M. Darrieussecq transcrit une relation mère - enfant à cheval entre l’art et le quotidien en sortant la psychanalyse de l’ombre. Mise en relief mais aussi en caution, la psychanalyse est filtrée par une intelligence du féminin.
Agençons un autre texte de Darrieussecq, Le mal de mère avec India Song de Duras par le relais des (psych)analyses de M. Marini. Il s’avère alors que la course-poursuite d’elle (pronom qui chez Darrieussecq con-fond trois générations des femmes) arrêtée par la carcasse de la ville/balaine qu’a vomie l’antre maritime, fait écho aux déambulations indochinoise d’une mendiante privée d’identité, poisson qui suit le placenta des fleuves en quête des re-mères. Le mater-iel est le même. C’est la solution qui varie d’un texte à l’autre. Articuler ces deux propositions littéraires retrace l’évolution d’une maternité à laquelle la psychanalyse à balisée la voie.
Qui plus est, une écrivaine qui, à l’instar de Darrieussecq, a fait la cure lance de nouveaux défis à la critique d’obédience analytique. Qu’est-ce que la psychanalyse peut apporter à l’entendement des relations intra familiaux dans une littérature qui l’englobe pour la dépasser ?  

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L’espace familial de l’enfermement dans le théâtre de Tremblay : l’exemple de Marcel.
Kinga Zawada
Université de Toronto

« J’ai lu dans le Sélection, l’aut’jour, qu’une famille c’est comme une cellule vivante,
que chaque membre de la famille doit contribuer à la vie de la cellule…
Cellule mon cul… Ah! oui, pour être une cellule,
c’est une cellule, mais pas de c’te sorte-là! […]
Une gang de tu-seuls ensemble, c’est ça qu’on est! »    
                       Michel Tremblay, À toi pour toujours ta Marie-Lou

Comme l’indique la réplique de Marie-Louise, un des personnages les plus connus de Tremblay, l’espace familial dans le théâtre tremblayen, loin de représenter un lieu de complicité ainsi que de partage, est fréquemment caractérisé par la solitude, l’enfermement et la claustration.
    Bien que le concept de la « cellule » ou de la « cage » revienne constamment dans les œuvres de l’auteur québécois, il convient d’attirer l’attention sur le fait qu’il se manifeste de façon particulièrement curieuse dans les textes dramatiques auxquels participe Marcel, le fou, puisque, de par sa folie, ce personnage évolue simultanément dans plusieurs espaces et s’associe par conséquent à plusieurs « cellules ». Trois pièces de théâtre permettent d’examiner ce même « fou » dans divers espaces et à des âges différents. Dans La maison suspendue (1990) Marcel est un enfant de 11 ans, qui vient passer ses vacances dans la maison de campagne à Duhamel, en compagnie de sa mère, de son oncle Édouard et de sa tante. Dans Marcel poursuivi par les chiens (1992), il est un adolescent de 15 ans, qui se cache dans l’appartement de sa sœur Thérèse afin de fuir les « chiens » qui le poursuivent. Dans En pièces détachées (1966/1994), il est un adulte de 35 ans, qui s’évade d’un asile et s’introduit en plein milieu de la nuit dans le salon de sa mère.
    Gardant à l’esprit que « la dimension irréductible de tout texte destiné à la mise en scène est celle de la spatialité » (Issacharoff), ainsi que le fait que « les signes spatiaux peuvent parler d’autre chose que d’espace » (Vigeant), nous proposons d’identifier et de définir les espaces dramatiques mimétiques aussi bien que diégétiques qui concernent Marcel et d’interroger leur influence sur les relations entretenues par celui-ci avec les personnages qui en font partie. Dans des croisements et des juxtapositions d’espaces représentant le monde réel et la configuration du délire d’un aliéné mental, nous allons voir de quelle manière les données spatiales illustrent les liens entre Marcel et les femmes de son cercle familial: sa mère, sa sœur, sa tante, sa nièce et sa grand-mère, ainsi que les liens entre Marcel et les femmes de sa famille onirique subrogée: Rose, Mauve, Violette et Florence.     
    Il nous sera ainsi possible d’observer les diverses « cellules » familiales dans lesquelles Marcel s’enferme. Il s’agit de systèmes de communication dysfonctionnelle (le paradoxe et la double contrainte) dans son environnement familial réel qui le pousse à se retirer dans un délire où il se créé une « cellule » familiale de remplacement idéale. Nous espérons aussi montrer que la co-présence de multiples cellules familiales dans les pièces à l’étude permet d’appréhender la folie de Marcel de deux façons contradictoires (intervention divine ou maladie) et que les traits attribués à sa folie changent en fonction de son rapport aux groupes qui peuplent les espaces auxquels il appartient.