Questions de société

"Les profs stagiaires témoignent de l'aberration de leur situation" (LibéLyon - 17/03/11) + préavis de grève mardi 25 mars

Publié le par Bérenger Boulay

Lire aussi "Stagiaires en galère, stagiaires en colère": Témoignages de stagiaires de l'Académie de Créteil (18/03/11)

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Réunis jeudi matin dans la cour de l'IUFM de Lyon qui les accueille pour une courte for­ma­tion, les stagiaires de l'Académie de Lyon ont décidé de témoi­gner de leur situa­tion. LibéLyon publie cer­tains de ces témoi­gnages. Ils sont ano­nymes car ces jeunes profs « res­sentent une pres­sion forte et craignent de ne pas être titu­la­ri­sés à la ren­trée ».

Un rendez-vous avec le rec­teur de l'académie de Lyon est prévu mardi pro­chain. Le même jour, un pré­avis de grève a été déposé par les pro­fes­seurs stagiaires. Voir l'agenda militant de Fabula.

Les profs stagiaires témoignent de "l'aberration" de leur situation

http://www.libelyon.fr/info/2011/03/a-lyon-les-profs-stagiaires-t%C3%A9moignent-de-laberration-de-leur-situation.html


Jusque là, ils n'avaient « pas osé ni trouvé le temps » de se plaindre de l' « aberration » de leur situation : à la rentrée de septembre, des milliers de jeunes profs ont été propulsés sans formation à l'enseignement, et à temps plein, devant des classes souvent surchargées. Conséquence de cette réforme de la formation des enseignants : surmenés, déboussolés, de nombreux profs stagiaires vivent « en apnée », incapables de prendre du recul. Ce matin, réunis à l'IUFM de Lyon qui les accueille pour une courte formation, ils ont décidé de lever la tête du guidon pour témoigner de leur situation. Libé Lyon publie certains de ces témoignages. Ils sont anonymes car ces jeunes profs « ressentent une pression forte et craignent de ne pas être titularisés à la rentrée ».

« C'est terriblement frustrant et culpabilisant »

« Titulaire d'une maîtrise, je suis stagiaire de  mathématiques en lycée avec 4 classes sous ma responsabilité (2 secondes et 2  premières STG) et à l'heure actuelle je n'ai toujours pas de tuteur.

Ma formation universitaire a uniquement été disciplinaire : je n'ai jamais eu de  cours relatif à l'enseignement, la didactique ou la pédagogie. Je n'ai jamais appris à construire une leçon ou à gérer un groupe d'élèves. 

Du fait de mon temps complet, je ne m'arrête jamais de travailler et suis complètement débordée, la semaine comme le week-end. Je n'ai donc pas le temps de prendre de recul nécessaire sur ma pratique pour essayer de progresser et de ne pas reproduire les mêmes erreurs, c'est terriblement  frustrant et culpabilisant. Ce qui me fait tenir, c'est clairement le contact avec mes collègues et mes élèves.»

« Naviguer sans boussole, à la dérive »

« Stagiaire en italien, j'enseigne depuis la rentrée dans deux lycées à 7 classes  différentes, soit 5 niveaux ! Les difficultés sont multiples : une classe à examen, des classes à double niveau, des classes divisées avec  un autre professeur, un tuteur merveilleux mais enseignant lui aussi à temps plein dans un autre lycée (il est donc très compliqué de se voir), les allers-retours entre  mes deux établissements, sans parler des pressions infligées par la direction de l'un de mes lycées.

Le début d'année a été d'une violence rare, physiquement et psychiquement. J'ai eu l'impression de vivre en apnée, sans jamais avoir le temps de souffler un peu, d'anticiper, de prendre du recul sur ce que je faisais en classe. Préparer mes cours dans l'urgence, proposer des cours qui ne me satisfaisaient que trop rarement car pas le temps de faire mieux, ça a été le quotidien des premiers mois de l'année. Naviguer sans boussole, à la dérive, sans savoir vraiment où j'allais. »

« Comment être un bon prof, « éthique et responsable » ? »

« Commencer à temps complet me semble être la source de tous les obstacles à un bon enseignement : avec 5 niveaux en collège, il m'est extrêmement difficile de  préparer avec une égale qualité tous mes cours, et ensuite de les assurer avec un  minimum de dynamisme et d'efficacité. J'ai un tuteur, mais il ne peut pas à lui seul compenser l'absence totale de formation en début d'année, et surtout il n'est pas là en cas de conflit (forcément inattendu) avec un élève ; et il a cours en même temps que moi, donc les observations sont quasi impossibles à organiser. (…) 

J'adore ce métier, je passe de bons moments avec les élèves, mais je ne vois pas  comment on peut exiger de moi d'être un bon prof « éthique et responsable » dans des conditions (loin d'être éthiques, pour le coup) où l'épuisement physique et  moral m'empêche de faire un travail correct.» 

« Je me sens quelque peu trahie »

« N'ayant eu aucune formation concrète sur la préparation de séquences, je passe encore aujourd'hui le plus clair de mon temps à me demander  comment construire des choses cohérentes et intéressantes. De plus, ne pas avoir de bases solides pour préparer ses cours entrave fortement la capacité à gérer convenablement une classe, et ce aux dépends non seulement des professeurs, mais bien entendu aussi des élèves. Nombre de fois je me suis dit que je n'étais pas à la hauteur, je culpabilise beaucoup et j'ai vraiment envie de faire mieux chaque jour et, si on ne peut pas attendre des formateurs ou inspecteurs de tout nous donner sur un plateau, je me sens tout de même quelque peu trahie quand je me rends compte  que rien n'a été fait pour éviter que les difficultés du métier nous submergent dès le premier jour de travail. Je ne me sens pas soutenue, je suis anxieuse la plupart du temps, que ce soit en pensant à mes cours ou aux conditions de titularisation, qui ne sont vraiment pas claires. »

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