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Les ouvriers de l’oubli (revue Ecrire l'histoire)

Les ouvriers de l’oubli (revue Ecrire l'histoire)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Muriel Louâpre)

 Ecrire l’histoire, Dossier « Les ouvriers de l’oubli» (2014)

 

La revue Ecrire l’histoire (Paris-Diderot/Cerilac), revue interdisciplinaire Littérature et Histoire, ouvre le dossier de l'oubli dans ses deux numéros semestriels de l’année 2014.

La question de l'oubli a fréquemment été traitée par les spécialistes de la chose publique, comme un enjeu politique. Les historiens du XIXe siècle, Michelet ou Quinet, ont déclaré la guerre à l'oubli, pire que la mort disent l'un et l'autre. La littérature semble les appuyer dans cette tâche de sortir de l'oubli la vie menue des temps passés, et pourtant c'est à cette intersection de la littérature et de l'histoire que l'oubli gagne des territoires. Le récent débat sur un ouvrage de vulgarisation dû à un amateur bien relayé médiatiquement (Métronome) a fait ressurgir la question de l'oubli actif, cette mémoire inventée qui vient recouvrir plus efficacement que tout silence les faits passés.

L’oubli se joue sur deux scènes, celle de l’historiographie et celle de la communauté.

La pratique historienne, qui choisit et rejette, voit dans l’oubli un sous-produit inévitable de son travail : l’oubli est la face sombre de l’archive.  De même qu’il est sur le plan individuel indispensable à la pensée comme à la mémoire, il permet à l’historien de construire dans la masse des archives des parcours signifiants, la masse d’informations négligées formant  ce fond noir sur lequel se détache ce qui fera sens. Sous-produit de l’interprétation, il peut être aussi sous-produit, intentionnel ou non, de la dimension narrative et fictionnelle de l’écriture de l’histoire.

A une autre échelle, la pratique collective de l’oubli s’exprime aussi par les formes les plus voyantes de « l’oubli de sélection » défini par Ricoeur, ce mécanisme actif et souvent politique qui consiste à mobiliser certains épisodes seulement dans des « histoires » qui fixeront l’image du passé : de l’histoire officielle (Jean-Michel Rey, L'oubli dans les temps troublés, 2010) au storytelling des communicants (Christian Salmon). Cet oubli actif peut être défensif, ou projectif, (l’oubli volontaire de Nietzsche), celui qui permet de s’engager dans l’avenir en se libérant du poids du passé. C’est pour libérer une communauté du poids du passé que la justice prévoit les conditions de l’oubli institutionnel (effacement automatique du casier, délais de prescription des peines, amnistie). Le rôle de l’oubli dans la réassurance de la communauté apparaît plus nettement encore lorsqu’il s’agit de clore des épisodes de guerre civile et de génocide, et plus près de nous des scandales éclaboussant un groupe social : de la lex oblivionis romaine aux lois d’ « oubliance » scellant les guerres de religion, au fameux couple « Oubli et Unité » gravé par Louis XVIII dans sa charte et sa devise ; du 17 octobre 1961 à l’affaire du sang contaminé, l’oubli est utilisé pour tenter d’éviter à une communauté de douloureux déchirements, avec des succès inégaux…  

Oublier, enfin, ce peut être aussi réemployer, transformer en matériau ce qui avait un sens et une valeur pour d’autres, et ainsi l’effacer : dès le néolithique la réoccupation de lieux mémoriels est attestée et interprétée par les préhistoriens comme une lutte active contre la mémoire, un travail d’oubliance.

C’est cet usage historique et historien de l’oubli, et notamment le travail de travestissement que produit, consciemment ou non, toute écriture, y compris celle due à l’art et méthode des historiens eux-mêmes, qui fera l’objet d’un dossier de Ecrire l’histoire, en contrepoint à celui consacré, dans les mêmes livraisons, à l’Archive.

Avec en perspective, l’émergence de nouvelles pratiques dont l’impact épistémologique reste à évaluer : si  l’oubli est produit à la faveur d’une narration, fût-elle historienne ou fictionnelle, comme que se passe-t-il, lorsque l’histoire quitte le champ de la narration pour celui de la dataviz, la visualisation de données, et coule donc son propos dans des formats visuels ? lorsque l’historien s’appuie sur l’exploitation non plus d’archives mais de bases de données construites par lui ? De nouvelles logiques d’oubli, de cécité, sont-elles à l’oeuvre au coeur de la surabondance informationnelle ?

 

Les propositions d'articles sont à envoyer  à Muriel Louâpre (m.louapre@noos.fr) avant le 10 avril 2013

Remise des textes complets : 30 novembre 2013