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Les nouvelles formes de la vulgarisation et de l’écriture du savoir (Paris)

Les nouvelles formes de la vulgarisation et de l’écriture du savoir (Paris)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Anne Isabelle François)

Les nouvelles formes de la vulgarisation et de l’écriture du savoir

Vendredi 15 juin 2018, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

Dans le cadre de LégiPop, projet structurant MESHS-Lille Nord de France : legipop.hypotheses.org

 

 

Le contexte culturel de la postmodernité est marqué par une dé-hiérarchisation des pratiques « savantes » et « populaires » de plus en plus nette, accentuée encore par l’usage des outils numériques. Nous assistons à une explosion des supports de vulgarisation scientifique : blogs, vidéos, bande-dessinées, romans, expositions, conférences, essais, ateliers, théâtre, illustrations, etc. Le développement récent, dans l’université française, de nouveaux modes d’enseignements, sous la forme des MOOC, qui ouvrent les recherches en lettres à un nouveau public, propose ainsi de nouvelles formes de diffusion et, dans le même temps, redéfinit peut-être le domaine même de la recherche scientifique ainsi que celui de l’enseignement académique. Il est dès lors nécessaire, pour la recherche en littérature et sciences humaines, de réfléchir aux moyens de sa propre diffusion, d’examiner les (nouvelles) formes d’écriture entendant transmettre le savoir au grand public. L’invention de ces nouvelles formes et des nouveaux espaces de médiatisation – la « Petite bédéthèque des savoirs » lancée par les Éditions Lombard, les chaînes de youtubeurs pour apprendre l’histoire antique ou la mythologie grecque, etc. – sont-elles des exemples et leviers permettant l’émergence de véritables contre-propositions médiatiques de la part des SHS ? La mise en publicité des savoirs et des résultats de la recherche, leur circulation par des supports variés entre monde universitaire et société civile, largement traitée dans le cas des sciences dites dures (Boltanski et Maldidier 1977, Jacobi 1986, Fayard 1988), demeure encore un impensé dans le cas des humanités, des SHS, des études littéraires. L’écriture du savoir est certes soumise à des règles et des contraintes, pérennisées à travers des textes et des objets, relais d’une représentation d’un monde, dépendant du contexte culturel, économique et politique dans lequel ils se réalisent, mais aussi en constante mutation, suivant les mouvements d’évolution des savoirs eux-mêmes.

Il s’agira de réfléchir aux nouvelles pratiques possibles de l’écriture critique, tout en faisant retour sur les formes anciennes de la vulgarisation qui, pour certaines, revendiquaient l’appartenance à la sphère littéraire autant que savante. L’interrogation, actuellement prégnante chez certains historiens tels qu’Ivan Jablonka (2014), sur l’usage de l’écriture littéraire comme argument savant pourrait mener les chercheurs en littérature à inventer ou à recréer les formes littéraires populaires de la critique savante. À titre d’exemple, les chercheurs en littérature pourraient, comme les historiens, s’emparer de la forme de l’histoire littéraire contrefactuelle, souvent pratiquée dans les premières histoires littéraires du XIXe siècle, qui semble n’être efficace qu’à partir du moment où elle peut se déployer sur un socle commun et qui, dans le champ des sciences sociales, est souvent apparue comme peu « scientifique ». La journée d’étude et le projet « LégiPop » se proposent donc de poursuivre l’enquête sur les pratiques de vulgarisation ou de médiatisation scientifique disponibles et à inventer, les formes de diffusion des savoirs en SHS, les formes des écritures critiques et savantes, et d’en réévaluer les lacunes et les zones d’ombre :

- dans une perspective historique : le « populaire » des années 1960 n’est pas plus le « populaire » des années 1980 qu’il n’est celui des années 2010. Il s’agira de montrer, en acte, combien la diffusion permise par les outils numériques a pu modifier le sens même du « savant », du « populaire » et les procédés de légitimation : l’usage des MOOC n’est-il pas un moyen de vulgarisation participant de la légitimation des savoirs ? Sans doute est-il plus exact de considérer que le « populaire » (au sens plus neutre des cultural studies) est ce que les savants et ceux qui professent un savoir en dehors des institutions académiques entendent par « populaire » et que le « savant » est aussi ce que les « doctes » et ceux qui n’inscrivent pas leurs études dans le domaine des institutions scolaires ou académiques entendent par « savant » et par « légitime ». La vulgarisation ou la « popularisation » (pour reprendre le terme en cours en France au XVIIIe siècle dont l’équivalent anglais « popularization » n’est pas chargé de connotations péjoratives) s’oppose-t-elle encore à la « légitimation » ? L’une et l’autre démarches ne tendent-elles pas à se confondre dans l’usage ou l’échange de formes communes ? Où tracer les frontières entre critique et écriture savante ? L’essai ne constitue-t-il pas un terrain d’étude privilégié pour penser cette question du rôle critique des humanités à travers une médiatisation susceptible de toucher la sphère extra-académique ? Comment envisager l’activité de vulgarisation sans s’interroger sur les conditions historiques de son développement ?

- dans sa dimension pratique : quelles formes et modalités prennent ces nouveaux discours de la connaissance ? Comment le savoir académique s’arroge-t-il les formes non universitaires, invente-t-il des écritures de vulgarisation par la remédiation de discours savants (BD, twitter) ou l’investissement des supports numériques ? Le savoir peut-il se dire sous d’autres formes qui ne passent pas pour du « savoir » ou une écriture « savante » ? L’accès du plus grand nombre à un certain type de recherche universitaire ou encore à des procédés d’écriture ou de commentaires entraîne-t-il nécessairement, en retour, une redéfinition non seulement du savoir académique en littérature, mais aussi de ses objets et de ses catégories ? On pourra également interroger les enjeux de traduction des savoirs à des publics « non initiés » et se demander ce que ces formes de médiation font à l’écriture scientifique elle-même. Il s’agira enfin de réfléchir aux effets et aux mises en pratique de ces nouvelles ou anciennes formes d’écriture des savoirs, force de projection des idées.

- suivant une approche politique : l’émergence du concept de « citizen science » (science citoyenne) et la (re)politisation du champ du savoir (Sibertin-Blanc et Legrand 2009, Stilgoe 2009, Suchet 2016) soulignent la mobilisation des connaissances de la société civile en vue d’une co-construction des savoirs, ou orientant les recherches des chercheurs vers l’intérêt commun, pour élaborer un nouveau régime de savoir. Le lien entre choix scientifiques ou technologiques et choix politiques étant reconnu, le modèle de participation du public porte en lui un potentiel qui pourrait profondément changer la nature du travail académique, le rôle des citoyens et le jeu démocratique. Comment s’opère cette aptitude à constituer et transmettre des savoirs critiques, à savoir des savoirs conscients de leurs mécanismes d’élaboration, de leurs enjeux et de leur valeur dans le champ social ? Quelles formes prennent ces pratiques entendant exploiter la dimension opératoire des humanités, contribuant à mettre en question les partages établis et l’économie des savoirs ? Comment penser cette approche et quelles en sont les incidences dans les frontières entre science et opinion, dans les dialogues entre savoir et pouvoir ?

Les réponses sont à envoyer pour le 28 février 2018 à Anne Isabelle François et Sarah Lécossais.

anne-isabelle.francois@sorbonne-nouvelle.fr

sarah.lecossais@univ-paris13.fr

 

Bibliographie indicative

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