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Les mots du développement. Genèse, usages et trajectoires

Les mots du développement. Genèse, usages et trajectoires

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Ould-Ahmed)

Colloque

                   13 - 14 novembre 2008, Paris

Les mots du développement :

genèse, usages et trajectoires

Appel à communications

Association Recherche et Régulation, Centre d'Economie de la Sorbonne - Université Paris1, Centre de Recherche Politique de la Sorbonne (CRPS), Centre de Recherche sur l'Industrie, les Institutions et les Systèmes Economiques d'Amiens (CRIISEA -Université de Picardie Jules Verne), Groupement d'Intérêt Scientifique pour l'étude de la mondialisation et du développement (GEMDEV), Institut de Recherche Interdisciplinaire en sociologie, économie et sciences politiques (IRISES - Université Paris Dauphine)

Enjeux et objet d'un colloque pluridisciplinaire

Depuis le début des années 1980, les politiques, autant que les recherches, consacrées au développement ont connu une rupture radicale. D'une part, en effet, l'épuisement des politiques d'industrialisation et de croissance à caractère « autocentré » déployées à partir de la fin des années 1940, dans nombre de pays « en voie de développement », y a entraîné de nouvelles stratégies de transformation économique et sociale, où la promotion de la propriété privée et la « libéralisation » des prix, des échanges et des mouvements de capitaux tiennent désormais une place centrale. De ce point de vue, les réformes économiques mises en oeuvre dans des pays à structures politiques aussi distinctes, voire opposées, que la Chine communiste (dès 1978), l'Inde (à partir de 1984), le Mexique et la Turquie (au milieu des années 1980), l'Iran islamique (depuis 1989), ou encore l'Egypte (depuis la fin des années 1980) sont quelques exemples saillants, parmi bien d'autres, qui portent témoignage de la convergence, bien avant l'effondrement du système soviétique (en 1991), des politiques de développement vers des modèles économiques et sociaux ayant pour matrice commune « l'économie de marché ».

D'autre part, dès le début de la décennie 1980, cet infléchissement des politiques entre en interaction avec l'évolution des idées, en sorte que l'éclipse des modèles de développement à orientation « radicale » (d'inspiration marxiste et/ou nationale…) a pour corollaire l'abandon de leurs présupposés doctrinaux, idéologiques et théoriques. D'où la disparition massive, dans la littérature hétérodoxe axée sur le développement, des catégories analytiques, à vocation à la fois positive (comme l'« échange inégal » et l'« accumulation dépendante ») et normative (comme le « changement social »), immanentes à ces modèles et dominantes jusqu'à la fin des années 1970.

C'est dans un tel contexte de métamorphose des politiques et des idées que surgissent, à l'orée des années 1990, de nouveaux concepts et de nouveaux termes qui structurent désormais le champ des études centrées sur le thème du développement. Et le but de ce colloque est de réfléchir aux conditions qui régissent la production, l'utilisation et l'évolution des « mots » et des discours relatifs au développement depuis cette période. Pour ce faire, ce colloque sera placé sous le signe d'une approche pluridisciplinaire, rassemblant les diverses disciplines des sciences sociales, en particulier, le droit, la science politique, la sociologie, l'anthropologie, la socio-linguistique, la géographie et l'économie. Il insistera sur la valeur heuristique du terrain et de la pratique d'acteurs impliqués dans des « actions » de développement, dans la recherche « sur » le développement, en relation directe avec les usagers des mots. Ce faisant, on essaiera de percer à jour, au sein des champs politique, social et économique, le rapport que nouent les divers groupes sociaux, les détenteurs des pouvoirs (politique et économique), ainsi que les différentes « autorités » et institutions, avec les vocables du développement. Il s'agit, en d'autres termes, de s'interroger sur les médiations au travers desquelles une fraction de ces agents forge et façonne les notions du développement, tandis que d'autres les reçoivent, les intègrent, ou, au contraire, les ré-interprètent, en leur assignant, le cas échéant, de nouvelles significations en marge de leur sens originel. Le colloque tentera également de clarifier les présupposés théoriques et méthodologiques mobilisés dans l'usage, la circulation, la production, l'adoption, l'emprunt, etc. de ces vocables.

Problématique

Depuis quelques décennies, les mots du développement changent. Aujourd'hui, on parle moins « d'échange inégal » et plus « d'ajustement structurel », moins de « politique industrielle » et plus de « stabilité macroéconomique », un concept attrayant mais flou, « développement durable » fait irruption… Qui ne voit que ce changement dans les mots correspond à des changements dans les choses ? En fait, le changement dans les mots indique un changement dans la manière de voir les choses, dans la manière de définir (de poser) la question du développement – et par conséquent les politiques à mettre en place. Ainsi, un certain lexique est utilisé pour parler du développement. Ce vocabulaire n'est évidemment pas neutre dans la mesure où il est l'indicateur des façons de concevoir les problèmes du développement, les priorités et les politiques à mener dans les pays concernés. Il nous renseigne aussi à propos des acteurs qui parlent du développement. Le pouvoir des mots du développement de mettre en forme les maux du développement, c'est-à-dire de les porter à l'existence d'une certaine manière et pas d'une autre, charrie nécessairement des enjeux décisifs. On ne s'étonnera donc pas qu'ils soient l'objet de grandes rivalités entre les acteurs académiques, politiques et professionnels qui parlent au nom du développement. Autrement dit, les mots du développement nous en apprennent au moins autant sur ses acteurs et ses politiques que sur le Développement lui-même.

C'est pourquoi on se propose de saisir ici le développement comme une construction discursive, idéelle, politique et culturelle d'une certaine réalité sociale par un ensemble d'acteurs qui composent le champ du développement, et qui varie selon les contextes (historique, politique, économique, social, académique, etc.) internes et externes à ce champ. La signification des mots du développement peut évoluer en fonction de leur trajectoire, de leur utilisation et de leur réappropriation par les différents acteurs.

Les mêmes vocables sont utilisés dans différentes sphères – disciplinaires, professionnelles, linguistiques, culturelles, juridiques, historiques…– mais n'ont pas forcément le même sens : il peut y avoir désaccord de divers points de vue : idéologique, étymologique, fonctionnel… Dans le domaine du développement, ces sphères et leurs usages des mots sont en interaction, et il peut en découler des malentendus, des désaccords, voire des conflits de reconnaissance, de prééminence, non seulement autour du sens d'un mot, mais aussi entre les corps disciplinaire, institutionnel et professionnel qui le promeuvent.

Ces deux postures épistémologiques structureront l'organisation du colloque, dont l'objet sera d'étudier le procès de formation/transformation et les usages des mots du développement, sur un plan théorique, mais aussi à un niveau intermédiaire, inscrivant la naissance et les mutations des mots du développement dans le cadre des expériences nationales, institutionnelles et professionnelles qui les sous-tendent. Parmi ces mots peuvent figurer ceux de « capital social », « informel », « gouvernance », « développement durable », « sustainability », « participation », « société civile », « rente », « communauté », « solidarité », ou encore « genre », « droits » (de l'homme, humains, sociaux, de propriété…), « planification », « dépendance », « transition », « modes de production »… : des mots marqués par leur origine, leur polysémie, leur oubli ou marginalisation parfois puis leur réémergence, leur euphémisation. Certains ont donné corps à des écrits déjà bien nombreux ; d'autres, pourtant moins répandus et moins analysés, pourraient également être retenus pour leur pertinence, mais aussi pour leurs implications dans la réalité, et parce que tout n'a pas encore été dit sur la pluralité des champs qu'ils recouvrent, et les enjeux qu'ils portent : il en est ainsi, entre autres, de « sécurité » (qui fait l'objet d'usages militaires versus des usages dans le domaine du développement…), d'« empowerment », ou encore d'« humanitaire » (pour les ONG laïques versus chrétiennes versus islamistes), ou bien de « décommodification ».

Le s deux axes structurants du colloque

1 - Les acteurs des mots du développement. On privilégiera ici une entrée par les acteurs dans une perspective à la fois historique et dynamique : quelles sont les catégories d'acteurs sociaux, d'autorités, d'institutions et de pouvoirs à l'origine de l'élaboration, l'imposition et l'institutionnalisation de ces mots ? Corrélativement, perce la question du sens de ces derniers. Car, à peine « produit », chaque mot constitue, potentiellement, un objet de discorde et, partant, un opérateur de conflits de légitimité et d'hégémonie. Dans cette perspective, qui est le plus légitime à dire le sens de chaque terme ? Qui a la puissance de s'approprier, normaliser une définition, l'imposer aux acteurs d'un domaine ? Les outils, les arguments, les références, voire les « armes », mobilisés dans ces conflits sont divers : retours au sens « originel »; classement des producteurs de mots et de leurs usagers en fonction de leur capital symbolique et politique, leur langue (du moment que « accountability » ou « capability » sont intraduisibles en français, ce sont ceux qui parlent anglais qui en connaissent le vrai sens) ou selon le degré de reconnaissance dont ils jouissent (les chercheurs sont plus à même de décider ce que le mot veut dire que les opérateurs, les savants que les profanes, les anglophones que les autres, etc.) ou encore selon leur pouvoir (la définition administrative ou juridique pourrait être prééminente parce qu'elle a le plus d'effet dans la réalité, et qu'elle est la plus rigide). Il convient, par ailleurs, d'appréhender les « faits » au prisme des enjeux, des discours et de leurs effets : comment crée-t-on une réalité en inventant une catégorie, pourquoi et comment la capacité linguistique est-elle devenue fondamentale pour certains acteurs (ONG, experts, etc.) ? Comment les enjeux de communication sont-ils mis en oeuvre ; qui s'adresse à qui et comment (en quelle langue, au travers de quels médias) ; et, finalement, qu'est-ce qui se dit ? Comment se construit une dynamique d'amplification des effets d'hégémonie (par des financements de programmes, la mainmise sur des outils de communication…) ?

2 – L'agir des mots du développement: Dans cet axe, l'entrée privilégiera les mots eux-mêmes, inscrits dans le cadre des espaces et des champs politique, économique et social où ils se déploient. En évitant d'imposer la seule légitimité historique, supérieure, on tentera de retracer les trajectoires des vocables : en d'autres termes, on s'efforcera d'inscrire les origines attestées, puis les héritages et les circulations, les acteurs porteurs dans leurs contextes politique, fonctionnel et économique, dans leurs débouchés doctrinaux ou opérationnels. On examinera les rôles de passeurs (que peuvent jouer des administrations, des organisations, des experts, des chercheurs, des traducteurs, des rédacteurs, des formations universitaires ou humanitaires…), les jeux de diffusion, d'imposition, de réappropriation, les vecteurs (communication, guerre, financements, publication…), les passages du domaine savant au domaine des praticiens et à celui des politiques, dans un sens ou un autre, ou d'une discipline à l'autre.

Calendrier

Les propositions de communication (d'une page maximum), avec le titre et les mots-clés, indiquant clairement vos coordonnées et votre appartenance institutionnelle, ainsi que le cadre dans lequel s'inscrit votre communication (professionnel, recherche, autre expérience…), sont à envoyer, pour le 1er mars 2008 au plus tard, au secrétariat du colloque : colloquelesmots@gmail.com

Une réponse vous sera donnée avant le 15 avril 2008, et les textes définitifs des communications devront être remis le 15 octobre 2008 au plus tard.

Le colloque débouchera sur une ou plusieurs publications. La Revue Tiers Monde et la revue La régulation ont confirmé qu'elles accueilleraient favorablement la publication de certaines des communications sous réserve d'approbation par les comités de rédaction respectifs. Sont également envisagées des publications dans les revues Les mots et Economie et Institutions.

Comité scientifique

1. Michel Agier (Anthropologue, IRD, EHESS),

2. Laetitia Atlani-Duault (Anthropologue, Université Lyon II),

3. Jean-Claude Barbier (Sociologue, CNRS, Université Paris 1-CES),

4. Irène Bellier (Anthropologue, LAIOS-IIAC, CNRS/EHESS),

5. Jean Copans (Anthropologue, Université Paris V René Descartes),

6. Jean-Marie Harribey (Economiste, Université Bordeaux IV-GRETHA-UMR CNRS 5113),

7. Barbara Harris-White (Politologue, Oxford University, Department of International Development, Queen Elizabeth House),

8. Béatrice Hibou (Politologue, CNRS/CERI-Sciences Po),

9. Philippe Hugon (Economiste, Université Paris X-Nanterre),

10. Michèle Leclerc-Olive (Sociologue, Centre d'Étude des Mouvements Sociaux (CEMS-IMM) de l'EHESS-UMR8178),

11. Federico Neiburg (Anthropologue, Département d'Anthropologie-Museu Nacional (UFRJ), Rio de Janeiro, Brésil),

12. Christian Palloix (Economiste, Université de Picardie Jules Verne-Centre de recherche sur l'industrie, les institutions et les systèmes économiques d'Amiens (UPJV-CRIISEA)),

13. Hélène Rivière d'Arc (Géographe, CNRS-CREDAL),

14. Ebrima Sall (Sociologue, CODESRIA, Dakar),

15. Patrick Schembri (Economiste, Université de Versailles St Quentin- C3ED, GEMDEV),

16. Jean-Fabien Steck (Géographe, Université de Nanterre, GECKO, GEMDEV),

17. Bruno Théret (Economiste, IRISES, UMR 7170 CNRS-Université Paris Dauphine),

18. Michel Vernières (Economiste, Université Paris 1, MATISSE-CES et GEMDEV),

19. Christine Verschuur (Anthropologue, Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement (IHEID), Genève).

Comité d'organisation

1. Christian Azaïs (Socio-économiste, Université de Picardie Jules Verne- IRISES, UMR 7170-Université Paris Dauphine),

2. Jean-Cartier Bresson (Economiste, Université de Versailles St Quentin-C3ED, UMR UVSQ-IRD)),

3. Blandine Destremau (Sociologue, CNRS / GRASS),

4. Vincent Géronimi, (Economiste, GEMDEV, UVSQ, Economix),

5. Elsa Lafaye de Micheaux (Economiste, CES, UMR 8174, Université Paris 1-CNRS),

6. Bruno Lautier (Sociologue, IEDES-Université Paris I),

7. Jaime Marques-Pereira (Economiste, Université de Picardie Jules Verne-Centre de Recherche sur l'Industrie, les Institutions et les Systèmes Economiques d'Amiens (UPJV-CRIISEA)),

8. Ramine Motamed-Nejad (Economiste, Université Paris I-Centre d'Economie de la Sorbonne),

9. Pepita Ould-Ahmed (Economiste, IRD/TeM),

10. Stéphanie Treillet (Economiste, IUFM Créteil-Université Paris 12),

11. Yves Viltard (Politologue, Département de Sciences politiques de la Sorbonne, UFR 11, CRPS, GEMDEV).