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Les marges des Lumières françaises au XVIIIe siècle : limites et seuils (1750-1789)

Les marges des Lumières françaises au XVIIIe siècle : limites et seuils (1750-1789)

Publié le par Eloïse Lièvre (Source : AUF)

Une tradition historiographique a longtemps incité à penser le XVIIIe siècle, exclusivement à travers le militantisme philosophique et ses adversaires. Ce colloque vise à étudier les marges de ce noyau dur, objet privilégié de lhistoriographie et de la tradition: courants de pensée les plus divers se situant à la frontière des Lumières, sans basculer pourtant dans lanti-philosophie, mais également ceux qui refusent demblée le militantisme philosophique, labandonnent, le dévoient ou laffadissent. On évoquera également les zones dinterférence dans lesquelles des courants intellectuels, à lorigine divergents ou opposés, se rencontrent et coexistent dans un état de tension et dinstabilité. On sintéressera aux jeux de bascule idéologiques durant lesquels tel philosophe est récupéré dans un sens conservateur, alors que sa pensée alimente encore des mouvements très critiques à légard de la monarchie. Nous pensons tout particulièrement au problème complexe de la référence à Rousseau à la veille de la Révolution. De 1775 à 1789, certains ouvrages favorables à lordre absolutiste se réfèrent de plus en plus fréquemment aux écrits politiques du philosophe de Genève (François Chas, Pierre-Charles Levesque, Pierre Louis Claude Gin), tout en se montrant très hostiles à Voltaire. Que signifient ces interférences? Ne nous invitent-elles pas à repenser la notion même de "Lumières" à la veille de la Révolution?
Limmense vague de vulgarisation qui affecte la production culturelle de la deuxième moitié du siècle, déplace les frontières entre les camps en présence et fait surgir de nouveaux seuils idéologiques et des zones dincertitude. Des polygraphes arborent les mots étendards des "Lumières", tout en édulcorant la pensée des figures de proue, dautres comme Antoine de Caraccioli ont recours à un vocabulaire philosophique, alors même quils adoptent des positions ouvertement ou vaguement apologétiques. Comment interpréter ces effets de brouillage?
Que dire de la mise au jour dune face obscure des Lumières quand elles en viennent à penser à leurs limites, leurs postulats même, comme le fait Diderot dans Le Neveu de Rameau où il prend la philosophie den bas, ou quand il en appelle à des refus antithétiques de ses valeurs contres Helvétius et contre les tenants dun ordre commerçant et bourgeois (Histoire des deux Indes)? Que dire de Sade? Que dire des pornographes? On rappellera ici que la marginalité sociale des écrivains plébéiens ne saccompagne pas nécessairement dune mésentente philosophique ou littéraire. Les exclus des Lumières ne rêvent que den occuper les postes et de jouir de ses prébendes. Sils choisissent la dérision, le journalisme, la parodie, cest plus par souci alimentaire que par volonté esthétique.
Lon sintéressera aussi aux gens de lettres que leur conception de la littérature, leur relation avec les institutions, leur attachement à un Grand, détournent des pratiques en vigueur dans les milieux philosophiques (Moncrif). Pensons encore aux érudits, membres dAcadémie des Inscriptions et Belles Lettres, et aux antiquisants (Caylus). Entretiennent-ils des relations avec les milieux philosophiques? Existe-t-il des passerelles entre ces mouvements? Pensons enfin aux sociétés badines qui prolifèrent dans les années 1780 et qui tournent en dérision les salons philosophiques et lesprit de sérieux triomphant, selon elles, dans lespace public des Lumières.
Il sagit donc détudier les positions de ceux qui se situent en marge des Lumières conquérantes et militantes, durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Les mots " limite "et " seuil " sont à prendre dans toutes leurs acceptions : proximité idéologique, sans appartenance réelle aux mouvements philosophiques, impossibilité daccéder aux marques de reconnaissance attribuées aux écrivains de lestablishment, marginalité choisie ou imposée, mais aussi zones incertaines et floues suscitées par des lectures contradictoires des grandes figures des Lumières.