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Les irréguliers. Des écrivains en rupture de ban dans l’après-guerre

Les irréguliers. Des écrivains en rupture de ban dans l’après-guerre

Publié le par Arnaud Welfringer (Source : Julien Roumette)

Les irréguliers : Des écrivains en rupture de ban dans l’après-guerre : Gary, Guilloux, Malaquais, Vercors…

Université de Toulouse le Mirail

24 et 25 mai 2012

« Je suis un irrégulier. Je n’adhère à rien à part entière. Tous les camps me sont tantôt proches, tantôt étrangers. », déclarait Romain Gary. « Irrégulier » : combattant qui n’est pas du rang, franc-tireur, partisan. Le terme est lié, pour lui, à la France libre. Les Français libres ? « des insoumis », écrit-il. En se définissant ainsi, Gary tient à rester à part. Être un irrégulier, pour lui, signifie participer au combat sans se laisser enrégimenter. Il sait de quoi il parle, lui qui fut militaire pendant toute la durée de la guerre. Une fois celle-ci finie, il a quitté l’armée, et comme écrivain, il a toujours rejeté la littérature engagée – enjeu essentiel de l’après-guerre, où l’engagement devient la mesure de toute chose. Pour autant, il ne conçoit pas la littérature comme un domaine à part. Bien au contraire, il s’agit pour lui de rester fidèle à un certain idéal de l’homme qui exige de rester indépendant de toute idéologie, en particulier, parce que c’est celle dont il pourrait partager l’idéal, de celle du parti communiste et des diktats staliniens, autant politiques qu’esthétiques.

Pour des écrivains comme Gary, le refus de voir le monde en noir et blanc s’appuie sur une vision essentiellement morale de la nature humaine, lucide mais pas désenchantée. La nature humaine est mêlée, grise, contradictoire. Elle se laisse mal ranger en bons et mauvais camps. Mais ce constat ne les mène ni au nihilisme, ni à l’absurde, ni à l’universelle imprécation. Tout ne se vaut pas, l’homme est digne d’être aimé, malgré tout. Ils récusent, par leurs œuvres, l’alternative qu’il y aurait entre l’embrigadement, d’une part, et, de l’autre, une littérature du dégoût, de la haine, de la peur ou du panache désespéré (comme celles qu’ont pu incarner les Hussards, par exemple).

Des écrivains venant d’horizons très différents ont pu se reconnaître dans la figure de l’irrégulier : Romain Gary, par fidélité au gaullisme de la première heure ; Jean Malaquais, proche, lui, du trotskysme, et qui avait de solides raisons de se méfier de la mise au pas idéologique d’après-guerre ; Louis Guilloux, proche du roman prolétarien et refusant de se désolidariser publiquement de Gide à leur retour d’URSS, cultivant son indépendance ; mais aussi quelqu’un comme Vercors, mal à l’aise dans ses habits de président du Conseil National des Écrivains, finissant par rompre avec le Parti communiste, écrivant en solitaire, comme on dit d’un marin, une œuvre profondément originale.

Ces destins ne seraient que la passionnante (et souvent cuisante) histoire de ceux qui, à gauche, ont résisté à la pression stalinienne et à ses avatars si ce positionnement politique n’avait eu des implications littéraires. Se revendiquer irrégulier, refuser d’intégrer la troupe, conduit à concevoir la littérature en dehors de toute norme, quelle qu’elle soit. Leur affirmation d’indépendance fut une. Elle valait pour le domaine politique comme pour celui de la création littéraire. Pas de parti, pas d’école.

Leur époque ne leur a pas pardonné leur indépendance. Dans ces années qui ont cultivé jusqu’à l’excès le goût de la théorie, la critique a souvent été prompte à réduire leur démarche à un enfermement dans une conception passéiste du roman et de la littérature. Avec le recul, il paraît que c’était surtout une façon commode refuser de les lire. Et ce dont leur époque leur faisait grief est peut-être le plus sûr signe de leur réelle originalité.

De Planète sans visa (1947) à Les Animaux dénaturés  (1952), de La Danse de Gengis Cohn (1967) ou Chien blanc (1970) à OK Joe ! (1976), ces œuvres qu’on n’a pas su situer, et qui apparaissent encore souvent dans les histoires littéraires (quand elles y figurent !) comme d’étranges météores, prennent place dans la littérature de leur temps par la cohérence de leurs refus et les propositions originales que ces refus ont conduits leurs auteurs à faire.

Car refuser tout système littéraire n’a pas signifié pour ces solitaires des Lettres se contenter de la simple reproduction des techniques romanesques existantes. Bien au contraire. Particulièrement attentifs aux innovations narratives du roman anglo-saxon, en particulier ceux de Joseph Conrad ou de William Faulkner, ils ont beaucoup expérimenté. Sans se soucier de théoriser, en dehors de tout esprit de système, ils ont tenté des formules au coup par coup, souvent œuvre par œuvre. Ils prirent des libertés par rapport aux genres – ce qui a toujours été la façon de se renouveler du roman – brouillant en particulier les frontières entre fiction et autobiographie. Dans cette littérature inventive, vive, souvent accompagnée d’un sourire et d’une certaine malice, l’humour vient équilibrer ce que la lucidité du regard pourrait avoir de désespérant.

C’est à rassembler ces aventures individuelles, celles, notamment, de Romain Gary, de Louis Guilloux, de Jean Malaquais, de Vercors (la liste est bien entendue ouverte), à penser les refus qui les rapprochent au-delà d’œuvres très différentes, et à montrer la vitalité de ces refus, étudier la façon dont elles ont, à leur manière, renouvelé le roman pendant cette période d’une autre façon que le nouveau roman ou l’existentialisme, maintenant ouverts des chemins que les générations suivantes emprunteront à la fin du vingtième siècle, que nous voulons consacrer ce colloque, sur la période de l’après-guerre jusqu’à aujourd’hui.