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Les effets de l’Oulipo : Impact, continuités, détournements, réactions (Parramatta, Sydney, Australia)

Les effets de l’Oulipo : Impact, continuités, détournements, réactions (Parramatta, Sydney, Australia)

Publié le par Marc Escola (Source : Chris Andrews)

Les effets de l’Oulipo : Impact, continuités, détournements, réactions 

11-13 décembre 2019

Parramatta, Sydney, Australia

 

L’Ouvroir de littérature potentielle est à l’œuvre depuis presque soixante ans. Au cours d’une vie exceptionnellement longue, la notoriété et l’influence du groupe se sont accrues de manière progressive. Même si l’Oulipo reste un phénomène de niche, le nom du groupe est devenu une marque dont les commerciaux des maisons d’édition seraient mal avisés de se passer. 

Parmi les réussites incontestables de l’Oulipo, il faut compter le rôle qu’il a joué dans la conception de certaines œuvres qui bénéficient désormais d’une ample reconnaissance, telles que Si par une nuit d’hiver un voyageurd’Italo Calvino et La vie mode d’emploide Georges Perec. Si la grande ambition de servir de « laboratoire central » fournissant de nouvelles structures aux écrivains en dehors du groupe ne s’est pas pleinement réalisée, l’Oulipo a néanmoins eu des effets considérables sur l’écriture littéraire, la pédagogie et les arts plastiques, et cela bien au-delà du domaine francophone.

Dans le monde anglophone, l’Oulipo est désormais considéré comme un pôle important dans le champ de l’écriture expérimentale. En témoigne le chapitre sur « Oulipo and proceduralism » que Jan Baetens a contribué au Routledge Guide to Experimental Literature(2012). Eunoia(2001) de Christian Bök, l’un des livres de poésie les plus lus et discutés au début du vingt-et-unième siècle en Amérique du nord, s’inspire directement des monovocalismes de Georges Perec. Se référant à des livres récents des poètes Jeremy Over, Philip Terry et Matthew Welton, Simon Turner s’est réjoui de « l’invasion oulipienne de la littérature britannique » (120). Dans le domaine du roman, The Fountain in the Forest(Faber, 2017) de l’Anglais Tony White etThe Luminariesde la Néo-Zélandaise Eleanor Catton, prix Man Booker 2013 (Granta), entre autres, porte l’empreinte d’une influence oulipienne, même si Catton a dit que dans son cas il s’agissait d’une influence négative : « Je pensais à ce que j’aurais aimé trouver dans Le château des destins croisés ». 

Astrid Poier-Bernhard a recensé les textes à contraintes produits en Autriche dans les années 1980 et 1990, notamment autour de la revue « Der Pudel ». En Allemagne, un groupe d’écrivains se réunissant à la Romanfabrik de Frankfurt s’est chargé de diffuser la bonne nouvelle oulipienne à travers une anthologie de textes et de travaux graphiques: OU LI PO OU GRA PO: Eine Gebrauchsanweisung(2014). Comme l’Oulipo Compendium d’Alastair Brotchie et Harry Mathews, ce livre est conçu pour servir de manuel ou de boîte d’outils. Des anthologies similaires ont vu le jour récemment en Espagne (Oulipo, atlas de literatura potencial 1: Ideas potentes, ed. Hermes Salceda, Pepitas de calabaza, 2016), en Argentine (Oulipo. Ejercicios de literatura potencial, ed. Ezequiel Alemian et Malena Rey, Caja negra, 2016), et en Chine (Oulipo, New World Press, 2011). 

Par ses effets divers, l’Oulipo est devenu un « groupe-monde » (Bloomfield). L’intérêt pour l’oulipisme que manifestent les chercheurs, les écrivains, les artistes et les pédagogues ne fléchit pas en dépit de certains diagnostics sévères récemment émis. D’une part Lauren Elkin et Scott Esposito voient dans l’Oulipo un groupe qui n’a pas su se renouveler et dont l’énergie inventive s’est épuisée (The End of Oulipo ? Zero Books, 2013). D’autre part, et d’un tout autre point de vue, Jacques Roubaud accuse l’Oulipo des dernières années d’avoir trahi les principes des fondateurs (Peut-être ou la nuit de dimanche, Seuil, 2018). 

Qu’en est-il de l’Oulipo aujourd’hui et de ses effets sur les littératures du monde ?

Qu’est-ce qui distingue l’invention littéraire telle qu’elle est pratiquée par l’Oulipo ? S’accorde-t-elle aux modèles d’invention proposés par la tradition rhétorique ou plus récemment par Derek Attridge (dans The Singularity of Literature) ? L’Oulipo tend-il vers une maîtrise globale de la composition littéraire, ou vers une focalisation sur des aspects bien précis du texte et de sa production ? Peut-on considérer la contrainte comme un outil qui permet de diriger de l’attention de l’écrivain, et par la suite celle du lecteur ? Qu’est-ce que la contrainte permet d’ignorer ? Quels sont les bénéfices et les dangers potentiels d’une ignorance ainsi procurée ? 

Comment l’artisanat et l’automatisation cohabitent-ils dans le travail de l’Oulipo ? Pour quelles raisons l’Oulipo s’est-il éloigné de l’utilisation des ordinateurs ? Est-ce un éloignement définitif ? L’Oulipo est-il devenu un mouvement d’arrière-garde du point de vue numérique ? Ou fait-il plutôt preuve d’un scepticisme raisonnable à l’égard de positions comme celle de Kenneth Goldsmith, pour qui l’existence de l’internet devrait changer l’art d’écrire du tout au tout ?

Comment fonctionnent précisément les mathématiques dans la pratique de l’Oulipo ? Quels aspects du langage et de la littérature l’Oulipo a-t-il réussi effectivement à mathématiser ? Comment et à quelles fins la mathématisation a-t-elle pu servir de “fantasme de maîtrise” et de “fiction” au sein de l’Oulipo (Reggiani 20, 28) ? Comment l’Ouvroir s’est-il servi de l’expertise mathématique comme capital intellectuel dans ses relations avec d’autres groupes littéraires et d’autres écrivains ?

Dans l’écriture oulipienne, l’élément syntaxique est-il voué à « dévorer » l’élément sémantique, comme c’est le cas dans les mathématiques selon Gilles Gaston Granger (39) ? Est-ce que le privilège accordé aux mathématiques implique un laisser-aller sémantique ?

Comment l’Oulipo a-t-il réinventé sa pratique en trouvant de nouveaux types de règles qui portent non seulement sur le texte lui-même mais aussi sur le processus de sa composition et sur sa lecture à haute voix, voire sa mise en scène ? Quels autres aspects de l’activité littéraire pourraient être susceptibles d’un traitement oulipien ? Quels champs l’Oulipo a-t-il jusqu’ici laissés en friche ?

L’Oulipo est-il lui-même une invention sociale, un nouveau type de groupe littéraire ? Est-ce un « agent collectif » (List et Pettit) ? S’agissant de l’élaboration d’œuvresoulipiennes, le groupe n’est-il pas plutôt un cadre propice à des collaborations plus restreintes, à deux ou à trois ? Quelles sont les relations entre l’Oulipo et les divers groupes qui s’en inspirent, comme les Ou-x-po, et, plus éloignés, Invisible Seattle aux Etats-Unis ou Kanganoulipo en Australie ?

Y a-t-il des rapports entre règles littéraires et règles sociales dans la pratique de l’Oulipo ? Qu’en est-il de l’apolitisme que l’on a parfois reproché au groupe ? 

Depuis le commentaire de Jean Paulhan, évoquant « l’ennui sordide » dégagé par la première publication collective de l’Oulipo (Bens 180), le groupe n’a pas manqué de détracteurs. Sur quoi se fondent les réactions négatives au projet oulipien ? Comment varient-elles selon les époques et les lieux de réception ? Quels présupposés révèlent-elles concernant ce qui constitue la « bonne » ou la « vraie » littérature ?

Maintenant que le travail de divulgation est largement accompli, quels nouveaux angles d’approche peut-on proposer pour permettre à la critique d’approfondir l’exploration du corpus oulipien et d’y repérer les convergences, les tensions et les affaires en suspens qui sont peut-être les prémices d’inventions futures, que ce soit au sein de l’Oulipo ou dans son aire d’influence ?

Voici quelques-unes des questions que nous souhaitons aborder lors du colloque Les effets de l’Oulipo : Impact, continuités, détournements, réactions, qui aura lieu à Western Sydney University à Sydney, en Australie, du 11 au 13 décembre 2019, conjointement avec le colloque annuel de l’Australian Society for French Studies

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Les propositions de communication en français ou en anglais (d’une durée de 20 minutes) sont à envoyer par courriel à Chris Andrews (c.andrews@westernsydney.edu.au) au plus tard à la date du 20 janvier 2019.

Elles doivent contenir un résumé (200-250 mots) et une brève présentation bio-bibliographique. Les décisions du comité scientifique seront communiquées le 4 février 2019.

 

Comité scientifique : Chris Andrews (Western Sydney University), Christelle Reggiani (Université de Paris IV – Sorbonne), Christophe Reig (Université de Perpignan, UMR-Thalim), Hermes Salceda (Université de Vigo).

 

Références

 

Attridge, Derek. The Singularity of Literature. Abdingdon : Routledge, 2004, 2017.

Baetens, Jan. “Oulipo and Proceduralism.” The Routledge Companion to Experimental Literature. Ed. Joe Bray, Alison Gibbons and Brian McHale. London and New York: Routledge, 2012. 115-127.

Bens, Jacques. Genèse de l’Oulipo 1960-1963. Paris: Le Castor Astral, 2005.

Bloomfield, Camille. Raconter l’Oulipo (1960-2000). Histoire et sociologie d’un groupe. Paris: Honoré Champion, 2017.

Bök, Christian. Eunoia: The Upgraded Edition. Toronto: Coach House Books, 2005.

Catton, Eleanor. The Luminaries. London: Granta, 2013.

———. « Eleanor Catton on how she wrote The Luminaries ». The Guardian. 12 April 2014.

Elkin, Lauren and Scott Esposito. The End of Oulipo ? An attempt to exhaust a movement.Alresford : Zero Books, 2013.

Goldsmith, Kenneth. L’Écriture sans écriture - du langage à l’âge numérique. Traduit par François Bon. Paris : Jean Boîte, 2018.

Granger, Gilles Gaston. Pensée formelle et sciences de l’homme. Paris : Aubier, 1960.

List, Christian and Philip Pettit. Group Agency: The Possibility, Design, and Status of Corporate Agents. Oxford: Oxford University Press, 2011.

Oulipo. Oulipo, atlas de literatura potencial 1: Ideas potentes. Ed. Hermes Salceda. Logroño: Pepitas de calabaza, 2016.

Oulipo. Ejercicios de literatura potencial. Ed. Ezequiel Alemian et Malena Rey, Caja negra, 2016

Oulipo. Oulipo Compendium. Ed. Harry Mathews et Alastair Brotchie. London: @las Press 1998, 2005. 

Oulipo. OU LI PO OU GRA PO: Eine Gebrauchsanweisung(Heidelberg: Das Wunderhorn, 2014).

Poier-Bernhard, Astrid. « Littérature à contraintes en Autriche à partir de 1980 ». Formules : Le goût de la forme en littérature : Écritures et lectures à contrainte(2004) : 123-131.

Reggiani, Christelle. Poétiques oulipiennes. La contrainte, le style, l’histoire. Genève: Droz, 2014.

Roubaud, Jacques. Peut-être ou la nuit de dimanche. Paris : Seuil, 2018.

Turner, Simon. “Arranging excursions to disparate worlds.” In Stress Fractures. Ed. Tom Chivers. London: Penned in the Margins, 2010. 115-133.

White, Tony. The Fountain in the Forest. London: Faber, 2017.