Questions de société
Les deux morts de Jacqueline de Romilly - dossier (décembre 2010)

Les deux morts de Jacqueline de Romilly - dossier (décembre 2010)

Publié le par Bérenger Boulay

"Vousavez le droit de faire de la littérature ancienne, mais le contribuable n'a pasforcément à payer vos études de littérature ancienne si au bout il y a 1000étudiants pour deux places. Les universités auront davantage d'argent pourcréer des filières dans l'informatique, dans les mathématiques, dans lessciences économiques."


Disparition de Romilly : tous les hellénistes n'ont pas 97 ans !

http://www.rue89.com/2010/12/29/disparition-de-romilly-tous-les-hellenistes-nont-pas-97-ans-182667

Par Elsa Biguet | Professeur de Lettres classiques | Rue 89 29/12/2010 

J'ai 25 ans, je suis professeur stagiaire de lettres classiques en lycée, fraîche émoulue de l'agrégation, dans un petit établissement où le grec a été supprimé à la rentrée mais où, par chance, le latin subsiste.

Le 18 décembre, Jacqueline de Romilly, helléniste et grande passionnée de l'Antiquité, est partie, mettant, une dernière fois peut-être, le grec sur le devant de la scène médiatique.

Mais qui parle de la disparition progressive et programmée des sections de grec et de latin dans les collèges et les lycées ?

Et madame Roselyne Bachelot, invitée d'un journal télévisé, de lui rendre hommage comme une grande dame qui enseignait « le vivre ensemble » (sic).

Le grec ancien comme alternative aux cours d'ECJS (enseignement civique, juridique et social), une voie à creuser dans la prochaine réforme du lycée, madame Bachelot…

Bref un éloge funèbre, un « logos epitaphios » dans les règles de l'art et à la mesure de la personne de Jacqueline de Romilly.

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Les deux morts de l'helléniste Jacqueline de Romilly

19 Décembre 2010 Par Christophe Pebarthe

http://www.mediapart.fr/club/blog/christophe-pebarthe/191210/les-deux-morts-de-lhelleniste-jacqueline-de-romilly

Chaque officiel, derrière lequel il y avait un plumitifdiplômé quelconque, de service le dimanche, fut sommé de s'exprimer. Une grandehelléniste était morte, Jacqueline de Romilly. L'exercice était convenu. Unebatterie de normaliens, quelques forts en thème pour lesquels le grec n'étaitsans doute qu'un souvenir après avoir été un marchepied vers les miettes dupouvoir, harmonisaient leurs commentaires. Le plus titré d'entre eux, ilécrivait pour le président, avait préséance sur tous les autres qui le regardaientavec envie. Nulle limite à la grandiloquence, puisque c'est la France quiparlait. Et pas n'importe laquelle, celle de Nicolas Sarkozy. Après quelquesmouvements d'épaule saccadés, signe d'émotion et de mimétisme, un phénomènebien connu chez les plumes, il prononça son éloge : "Jacqueline deRomilly a creusé inlassablement le même sillon, avec cette conviction si simpleà comprendre et parfois si difficile à réaliser : les langues et les‘humanités' sont indispensables à l'être humain car elles lui permettent depenser, de peser avec discernement les termes et les idées, d'éviter le piègedes dogmes qui conduisent au fanatisme. Elle nous confie ainsi l'exigence deveiller au maintien d'un enseignement littéraire de qualité".

Par respect pour le protocole républicain, venait ensuitela plume du Premier Ministre. Recrutée depuis peu, elle était encore très émue.Et puis, jusque-là, le dimanche, elle le passait avec sa compagne. Tout à sessouvenirs d'après-midi coquines dominicales, elle se méprit dans ses fiches."Le Premier ministre, François Fillon, a appris avec une grande émotionle décès d'un sous-officier..." avant dese reprendre : "Le Premier ministre, François Fillon, aappris avec beaucoup de peine le décès de Jacqueline de Romilly". Elle avait dû lui téléphoner très tôt cematin, dérangeant le Premier Ministre en plein examen des derniers sondages leplaçant largement devant le Président. François Fillon avait vaguement demandédes renseignements sur la défunte, mais avait très vite écourté laconversation. Il devait recevoir à déjeuner un expert de la SOFRES. "Élèvede l'École Normale Supérieure (ENS), agrégée de lettres classiques, elle fittrès vite autorité dans son domaine de prédilection, la Grèce antique et lapensée hellénistique".

Le normalien du Ministère de l'Enseignement Supérieur, unhelléniste de première force, major de l'agrégation de Lettres Classique,connaissant par bonheur quelqu'un à l'UMP, sinon c'était l'enseignement enlycée, étouffa un sourire. Pensée hellénistique ? Il connaissait certesles travaux de Jacqueline de Romilly sur les sophistes, Thucydide, l'époqueclassique quoi! Il se retint toutefois de faire corriger cette coquille. Ilsaurait bien le moment venu faire remarquer cette ignorance à qui de droit. Ilne comptait pas rester très longtemps plume de Valérie Pécresse. D'autant quela culture classique, ce n'était pas son fort à l'ambitieuse élue de la Région.En privé, elle n'avait jamais caché sa profonde aversion pour les Humanités,comme ils disent. Des inutiles, incapables d'accepter les réformes, enfincertains d'entre eux. Elle avait quand même été surprise de l'empressement des autresà fabriquer des maquettes de master, tuant leurs disciplines qu'ils défendaientdans la rue quelques jours avant. Dans leur majorité, les universitaires enLettres, Sciences Humaines et Sociales se sentaient coupables d'enseigner desdisciplines sans utilité. Alors le grec et le latin! Si mai 68 les avaitéliminés, elle en aurait accepté l'héritage. Elle comptait à présent sur la réformede la formation des enseignants pour en finir avec cette survivance d'un autretemps. Elle avait bon espoir. On murmurait chez son collègue de l'ÉducationNationale qu'il y avait moins de candidats au CAPES de Lettres Classiques quede postes. Elle n'osait y croire.

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