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Légendes noires & identités nationales en Europe

Légendes noires & identités nationales en Europe

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Alexandra Merle)

Dans la continuité d’un colloque organisé en avril 2013, « Construction, diffusion et usages des légendes noires en Europe », qui s’intéressait aux processus d’élaboration d’un certain nombre de « légendes noires » concernant surtout des monarques et autres grands personnages de l’histoire européenne, et dont les actes sont en cours de publication, l’équipe ERLIS (EA 4254, Université de Caen) prépare un ouvrage collectif sur le thème « Légendes noires et identités nationales », qui constituera le premier numéro de la revue électronique Histoire culturelle de l’Europe.

Les rapports entre représentation collective dépréciative et notion d’identité nationale ont été particulièrement observés dans le cas de la légende noire de l’Espagne, qui fut d’ailleurs la première à être étudiée. L’expression de « légende noire » a en effet été employée dans un ouvrage qui a fait date, au début du XXe siècle[1], pour qualifier un ensemble d’accusations diffusées au cours des siècles et embrassant tout à la fois le caractère, la culture, les mœurs collectives des Espagnols. Les nombreux travaux consacrés à cette légende noire anti-espagnole, outre qu’ils ont permis d’expliquer sa naissance puis son développement par un contexte historique précis marqué par la belligérance et la rivalité entre États[2], ont révélé toute la richesse et la complexité des répercussions de cette représentation collective, et notamment d’intéressants effets spéculaires. On a ainsi signalé à plusieurs reprises le rôle qu’a pu jouer dans la persistance de cette légende noire la réaction des Espagnols eux-mêmes : Pierre Chaunu[3] a été l’un des premiers à observer à quel point cette image d’elle-même avait affecté l’Espagne ; puis François Lopez et Joseph Pérez ont montré que la prise de conscience des regards dépréciatifs dont ils étaient l’objet a modifié la perception qu’avaient les Espagnols de leur propre identité et suscité des débats vigoureux. Comme l’écrivait François Lopez, « tout grand pays dont la puissance représente une menace pour ses voisins est en butte à des attaques, à des satires qui dénoncent sa volonté d’hégémonie, mais l’Espagne est peut-être le seul qui depuis l’aube des Temps modernes ait été si constamment vilipendé ; à l’époque de sa prépondérance, puis à celle de son déclin, et plus encore quand elle apparaissait affaiblie et déshéritée. L’Espagne est peut-être le seul pays qui durant des siècles ait été stigmatisé par une persistante légende noire qui a contribué à lui faire prendre conscience du cours particulier de son histoire, du caractère anachronique de sa société, de ses mœurs, de ses valeurs »[4]. Bien plus, les Espagnols – et surtout ceux des Lumières, puis du XIXe siècle – ont manifesté une propension certaine à intérioriser les critiques, à les reprendre et à les amplifier encore, au point que Joseph Pérez n’hésite pas à parler de « masochisme »[5].

Ces considérations sur une légende noire particulièrement célèbre et pour ainsi dire fondatrice laissent entrevoir plusieurs pistes de recherche pour ce dossier. Son propos sera d’explorer les rapports variés entre réputations collectives dépréciatives et construction ou évolution d’une identité nationale, en Europe, dans un cadre chronologique large qui, partant de la fin de l’époque médiévale, abordera l’aube de l’ère contemporaine. On envisagera d’une part le processus d’élaboration ou de renforcement de la cohésion d’une communauté et la création d’un sentiment national par contraste avec l’image collective de l’ennemi ou de l’Autre, érigée en repoussoir, et d’autre part les effets des légendes noires sur leurs propres objets, de la réfutation à l’intériorisation. Enfin, on ne négligera pas, dans l’analyse des jeux spéculaires, les possibles détournements auxquels peuvent donner lieu certaines légendes noires bien établies, et le rôle que la fiction littéraire peut jouer dans ce processus.

La revue Histoire culturelle de l’Europe se voulant non seulement pluridisciplinaire mais aussi plurilingue, des contributions en langues étrangères pourront être publiées à condition d’être accompagnées d’un résumé substantiel en français.

Modalités

Les propositions de contributions (titre et résumé d’une quinzaine de lignes), accompagnées d’un bref CV, devront être adressées avant le 15 avril aux deux directeurs de la revue,

 alexandra.merle@unicaen.fr  et eric.leroyducardonnoy@unicaen.fr

Les articles devront être remis avant le 15 juillet 2015, et seront soumis à une double expertise anonyme, pour laquelle il sera fait appel aux membres du comité scientifique et du comité de lecture de la revue et éventuellement à des experts extérieurs.

 

[1] Julián Juderías, La leyenda negra y la verdad histórica, 1914. L’ouvrage a été réédité en 1917 sous le titre La leyenda negra, et a été l’objet d’une nouvelle publication au XXIe siècle : La leyenda negra. Estudios acerca del concepto de España en el extranjero, Junta de Castilla y León, 2003.

[2] Voir notamment les travaux de Ricardo García Cárcel, dont son ouvrage bien connu La leyenda negra. Historia y opinión, Madrid, Alianza, 1992.

[3] « La légende noire anti-hispanique. Des Marranes aux Lumières. De la Méditerranée à l’Amérique. Contribution à une psychologie régressive des peuples », Revue de Psychologie des Peuples, 1er trimestre 1964, p. 188-223.

[4] Juan Pablo Forner et la crise de la conscience européenne au xviiie siècle, Institut d’Études Ibériques et Ibéro-américaines de Bordeaux, 1976, p. 318

[5] Joseph Pérez, La Légende noire de l’Espagne, Paris, Fayard, 2009.