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Le sujet en question : ce qu'en pensent la littérature et la philosophie (Pau, Saragosse)

Le sujet en question : ce qu'en pensent la littérature et la philosophie (Pau, Saragosse)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Thierry Capmartin)

Colloque international UPPA/UNIZAR

Le sujet en question. Ce qu’en pensent la littérature et la philosophie

Université de Pau & des Pays de l’Adour

19-21 octobre 2016

On peut essayer dans un geste rétrospectif d’aborder l’histoire des idées au xxè s. de bien des façons. Prendre pour guide la question du sujet en est une. On croirait même pouvoir ajouter aussitôt qu’elle n’en est qu’une parmi d’autres possibles. Pourtant ce thème de la subjectivité a peut-être ceci de singulier, en ce qui concerne le champ intellectuel français, qu’il travaillerait à coup sûr, avec plus ou moins de visibilité, mais constamment, en y introduisant des continuités et des ruptures, l’entreprise de qui s’aviserait d’effectuer une telle rétrospection. Singularité française, serait-on tenté d’avancer, d’une pensée toujours hantée, en dépit de ses efforts postmodernes d’arrachement et de déconstruction, par le spectre cartésien. Un certain attachement à la phénoménologie de la philosophie dite institutionnelle, les succès d’exportation de la French Theory (a priori fort peu cartésienne) – semblant mieux s’épanouir ailleurs que chez elle –, les résistances à acclimater la philosophie analytique en seraient autant de symptômes.

La figure de Sartre, qui traverse le siècle intellectuel en lui imprimant une marque profonde, est à première vue emblématique de cette attache cartésienne qui cadenasserait de manière paradoxale la revendication de liberté, puisque c’est encore la première qui permet d’affirmer la seconde. Le cas de Sartre est intéressant parce qu’il est révélateur de ce qu’on pourrait appeler les intermittences du sujet, qui s’absente et fait retour. Le geste philosophique inaugural de Sartre, à la fin des années 30, fut d’abord un geste de rupture avec un sujet égologique et constituant, expulsé d’une intériorité qui se défaisait d’elle-même dès que lors que l’Ego était remis à sa place en quelque sorte, à la marge d’un champ transcendantal et impersonnel [Sartre, 1936]. À certains égards, L’Être et le néant pourra donner l’impression d’un retour en arrière et que finalement, tout est à refaire : « À vrai dire, il faut partir du cogito, mais on peut dire de lui, en parodiant une formule célèbre, qu’il mène à tout à condition d’en sortir. » [Sartre, 1943] À bien y réfléchir d’ailleurs, Descartes n’a peut-être pas grand-chose à voir dans cette affaire, puisque si on se replace à l’intérieur du débat cartésien lui-même, le sujet est en proie aux mêmes intermittences : il s’éclipsait avec Gueroult pour revenir en force avec Alquié. La percée des études heideggérienne en France dès le début des années 50, orchestrée par J. Beaufret, manifestera son impatience face à de tels atermoiements : « Tant que la philosophie maintiendra, sous quelque forme que ce soit, à la racine de ses propres certitudes, l’intériorité de l’étant-sujet, elle sera condamnée à n’organiser jamais que l’invasion du monde par une hémorragie de subjectivité. » [Beaufret, 1947].

C’est d’ailleurs de cette sortie (dont parlait Sartre) des philosophies de la conscience – comme on les appelait à l’époque ”existentialiste” – que la pensée des structures se réclamera massivement, à partir des années 60, et à laquelle elle cherchera à donner une tournure définitive, qui prendra la forme d’un assaut généralisé, mené « sous l’étendard d’une croisade unique contre le sujet en général », résume par exemple V. Descombes dans Le Même et l’autre. [Descombes, 95]. L’hémorragie subjective, dont parlait Beaufret, semble jugulée, plus que jamais. Mais avec le recul, on pourra faire l’hypothèse que la question du sujet n’en est pas moins restée en suspens dans la mesure où, dans la perspective que l’on a retenue, elle reste le pivot “dialectique” qui assure le passage d’un moment philosophique à un autre. Nier aussi vigoureusement le sujet c’est encore d’une certaine manière l’affirmer ; ou sur un mode moins dialectique, c’est s’exposer à ce que, encore une fois, il fasse retour, comme du refoulé.

Soi-même comme un autre, l’ouvrage de Ricœur de 1990, qui a fait date aussi bien dans le champ de la philosophie que dans celui des études littéraires, se fera l’écho de cette logique du tout ou rien qui marque les modalités de la prise en considération de la subjectivité – ou de son absence. Une herméneutique du soi (non expressément égologique) serait, pour le dire vite, une troisième voie s’enlevant sur le fond de cette valse-hésitation subjective, à partir de ces « étonnantes oscillations que semblent présenter les philosophies du soi, comme si le Cogito dont elles sont issues était inéluctablement soumis à un rythme alterné de surestimation et de sous-estimation. Du “je” de ces philosophies, devrait-on dire, comme certains le disent du père, qu’il y en a soit pas assez, soit trop ? » [Ricœur, 1990] Entre un « Cogito brisé » et un « Cogito exalté », l’ipséité peut se comprendre comme la tentative de sauvetage d’une subjectivité (avec une visée éthique chez Ricœur) qui échappe précisément à cette logique du tout ou rien, étant entendu que la subjectivité n’est plus sujet et qu’elle a perdu tout ou partie de ses ambitions fondationnelles. De ce point de vue, l’entreprise de Ricœur regarde la littérature. Car c’est finalement à elle qu’il reviendra désormais de rendre compte, par-delà la définition (obsolète) d’un sujet transparent et rigoureusement identique à lui-même, de la cohésion de subjectivités singulières qui s’éprouve de manière insigne à travers le récit de soi.

Avec les modifications qui s’imposent, mais le même statut privilégié accordé à la littérature, on retrouverait chez le dernier Foucault une réflexion sur une « pratique de soi » qui serait en même temps une « entreprise de dé-subjectivation » [Foucault, 1980], que l’auteur tire précisément d’une expérience d’écriture, telle qu’elle se donne à voir chez Blanchot, Bataille ou Nietzsche notamment.

Tout se passe comme si, en fin de compte, la littérature était mieux à même que la philosophie de saisir le sujet dans sa singularité, son historicité. Comme si, mieux que la philosophie, la littérature avait saisi que tout sujet prenait naissance dans une culture particulière et que cette culture supposait une territorialisation de la connaissance socialement significative, un imaginaire partagé, un corpus d’idées et de modèles (normes ?) au travers desquels le sujet se rapporte au monde, et c’est ce legs qui contribue pour une bonne part à configurer son identité. Le sujet se développe en se mettant en rapport avec d’autres sujets dans le champ social où sa culture vient buter sur d’autres cultures pour s’y entremêler en tissant des systèmes aux formes et à la dynamique complexes. C’est par cette même complexité que le sujet répond non pas d’une identité culturelle mais de plusieurs. Tant et si bien que l’identité culturelle individuelle caractéristique de notre époque tiendrait à une sorte d’« hybridité dissolvante », à une construction « d’identités éphémères », changeantes et réglées sur les désirs [Tortosa, 2008]. C’est peut-être ce qui explique finalement que cette catégorie de l’identité a été consubstantiellement toujours en crise, tout au long de son histoire, même si c’est à l’aube de la Modernité que son statut fait l’objet de la remise en question la plus profonde. Ainsi la célèbre phrase de Rimbaud dans une lettre à Paul Demeny : « Je est un autre. » Par quoi il donnait un tour neuf mais définitif à des formules antérieures allant dans le même sens. Keats : « Un poète est la chose la moins poétique qui soit ; car il n’a pas d’identité. » ; Hugo : « C’était bien à lui qu’on parlait ; mais lui-même était autre. » ; ou encore de Nerval : « Je suis l’autre. » Ce qui a eu pour effet d’ouvrir une fêlure compromettant la ligne de flotaison du sujet, en élargissant la question de l’identité à son horizon psycho-social pour la faire rentrer sur le théâtre de l’altérité et de la différence, en traçant de la sorte une voie dans laquelle aller s’engager notamment la psychanalyse. Est sujet celui qui est capable de se construire en rapport avec autrui, et dans ce sens c’est à partir de cette collaboration collective que son identité se définit. Mais dans le même temps il est ce qu’il est par cela même qui le distingue des autres.

Impossible dans ces conditions de passer sous silence les implications politiques remarquables que soulève une telle question. Le Sujet en crise, et sa mort annoncée, auront été compris parfois comme la crise, ou la mort, de la politique elle-même. Même si cette thèse ne rend aucunement justice à l’approche foucaldienne par exemple, une bonne part de la pensée contemporaine s’est vue dans l’obligation de réajuster le discours politique sur une compréhension renouvelée de la subjectivité et des processus de subjectivation qui la sous-tendent. Si l’on adoptait finalement le point de vue de Negri sur cette question, la politique pourrait désormais s’entendre précisément comme ce processus de construction de subjectivité(s) lui-même.

Ce sont ces formes de subjectivités – dont on a ébauché ici une liste forcément non exhaustive –, comme autant de rejetons du Sujet, qu’il faudrait entreprendre d’examiner en cherchant, entre autres, à savoir pourquoi la philosophie y appelle, en bien des occasions, la littérature à la rescousse. Conjointement, si cette catégorie du sujet est bien d’abord un héritage philosophique, il conviendrait de se demander si la Philosophie peut véritablement en faire l’économie ou pourquoi elle s’en défait pour toujours y revenir.

Juan Manuel Aragüés Estragués

Thierry Capmartin

Alfredo Saldaña

 

Bibliographie indicative

Beaufret, Jean, « M. Heidegger et le problème de la vérité », Fontaine, n° 58, 1947

Descombes, Vincent, Le Même et l’Autre, 1979

Foucault, Michel, Dits et écrits, iv, 1980

Ricœur, Paul, Soi-même comme un autre, 1990

Sartre, Jean-Paul, La Transcendance de l’Ego, 1936

—, L’Être et le néant, 1943

Tortosa, Vigilio (ed.), Escrituras digitales, 2008

Cette manifestation sera la deuxième du cycle de colloques internationaux, « Philosophie et littérature-UPPA/UNIZAR », sous la direction de Juan Manuel Aragüés Estragués (UNIZAR), Thierry Capmartin (UPPA), Nadia Mékouar-Hertzberg (UPPA), Alfredo Saldaña (UNIZAR).

Comité scientifique : Philippe Ducat (U. de Pau & des Pays de l’Adour), Sabine Forero-Mendoza (U. de Pau & des Pays de l’Adour)  Sebastian Husch (U. d’Aix-Marseille), Camille Lacau St Guily  (U. Paris-Sorbonne), Francisco José Martínez (UNED), Miguel Morey (U. de Barcelona), José Luis Pardo (U. Complutense de Madrid), José Luis Rodríguez García (U. de Zaragoza).

Les propositions de communication en français ou en espagnol (titre de la contribution et résumé de 20 à 30 lignes) devront être envoyées avant le 24 juin 2016 à :

Juan Manuel Aragüés Estragués (aragues@unizar.es),

Alfredo Saldaña (asaldana@unizar.es) [langue espagnole] ;

Thierry Capmartin (thierry.capmartin@univ-pau.fr) [langue française].

Elles seront accompagnées d’une notice de cinq à six lignes (nom, prénom, affiliation universitaire, éléments marquants de la production scientifique). Les communications n’excéderont pas 25 minutes et pourront être prononcées en langue française ou espagnole.

Les frais d’inscription s’élèveront à 25 €.

Les actes du colloque feront l’objet d’une publication sous réserve d’acceptation par le Comité scientifique.