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Appels à contributions
Le roman policier français contemporain

Le roman policier français contemporain

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Fixxion)

Appel à contributions: n° 10

Le roman policier français contemporain

Au début des années 80, la littérature française prend un nouveau cap; après les expérimentations formelles du Nouveau roman ou de Tel Quel, l'Histoire, le référent, le sujet reviennent en force sur le devant de la scène: ce diagnostic, que les travaux pionniers de D. Viart ont bien documenté, est aujourd'hui admis. Mais qu'en est-il du roman policier? On constate un seuil ici aussi, mais il intervient plus tôt, dans le sillage immédiat de Mai-68. Un nom emblématise le renouvellement du genre, celui de Jean-Patrick Manchette, dont l'oeuvre paraît pour l'essentiel au cours des années 70. Dans un horizon dominé par la haute figure de Simenon et les collections à grande diffusion du Fleuve noir, Manchette retrouve - et bouleverse de fond en comble - la tradition du romanhard boiled à l'américaine popularisé par la Série noire de Marcel Duhamel; le "néo-polar", qu'illustrent aussi des auteurs comme Francis Ryck, ADG, Vautrin ou Siniac, politise le genre, fait une place aux exclus et aux marginaux, prend en charge les plaies sociales de l'heure: racisme, extrême-droite, cités-dortoir, etc. En jouant avec le langage et les formes, il rencontre progressivement un public plus averti et étend son influence jusque dans la littérature "blanche" (Echenoz par exemple se réclame volontiers de Manchette); inversément, le genre séduit des écrivains exigeants (Daeninckx, Jonquet, Pouy, Raynal), qui l'adoptent comme terrain d'exercice littéraire. Depuis les années 80, le roman policier français, assoupli et revalorisé, se déploie dans un espace littéraire en propre, où l'intention critique et l'inventivité formelle se tressent en variations sans cesse renouvelées. Le numéro que la revue lui consacre entend reconnaître le territoire, dans une perspective résolument ouverte. Voici quelques directions possibles, pour cet arpentage.

La décade prodigieuse: le renouvellement thématique et formel du genre, dans les années 70.

"Blanchiment": depuis Les Gommes, la forme du polar est régulièrement empruntée par des auteurs qui l'inscrivent dans des projets d'écriture personnels; ainsi chez quelques écrivains Minuit (Bon, Ravey, Echenoz, Gailly, Viel), mais aussi chez Modiano, Japrisot, ou encore J. Roubaud (la trilogie d'Hortense), etc.

Métatextualité, jeux: comme tout genre parvenu à maturité, le roman policier connaît les mises en abîme et les jeux réflexifs. Demouzon, dans Dernière station avant Jérusalem, inscrit un livre, en abîme, où figure déjà l'histoire qu’il est en train de raconter; de même, Gardens of love (Marcus Malte); le même Marcus Malte prolonge (et détourne) le grand classique de Hammett dans Le vrai con maltais, puis Maïté Bernard lui emboîte le pas avec Même pas Malte. Jean-Pierre Gattégno, Fred Vargas multiplient les références intertextuelles; et Jean-Bernard Pouy, les contraintes à la manière de l'Oulipo.

Thriller à l'américaine: La Disparition de Jim Sullivan (Tanguy Viel) et La Vérité sur l'affaire Harry Québert (Joël Dicker) ont relancé récemment l'ambition de naturaliser en terres françaises les ressorts du thriller à l'américaine. Depuis Les Racines du mal (Dantec, 1995) et le succès des Rivières pourpres (Grangé, 1998), Chattam (La trilogie du mal), Le Roy ou DOA (Citoyens clandestins) se sont approprié le genre, et son efficacité.

Anabases et fictions critiques: Daeninckx, avec Meurtres pour mémoire, écrit une fiction à étages, qui remonte du moment présent (les années 80) vers les années 60 (la guerre d'Algérie), puis celles de l'Occupation. Le roman policier se fait ainsi accueillant à un travail d'enquête sur deux périodes sombres de l'histoire française. Ce modèle thématique et narratif connaît des variations nombreuses, de Fajardie (La Théorie du 1%) à François Muratet, en passant par Joly (Be-bop à Lola) ou Dominique Manotti (Nos fantastiques années fric). La catégorie, plus généralement, renvoie à des textes investigateurs, qui interrogent les mensonges et les dessous de la politique, de l'économie. Le genre du roman policier se prête bien à ce travail d'enquête et de dénonciation. Ouverte par Manchette et le "néo-polar", la veine critique du roman policier se prolonge en particulier dans les oeuvres de Dominique Manotti, de Jean-Hugues Oppel ou de Christian Roux.

Anomie: la violence criminelle menace le lien social; pourtant, des "classes dangereuses" du XIXème siècle aux pédophiles du XXIème, les formes et les seuils de la violence socialement intolérable changent; le roman policier est l'exact sismographe de ces mutations. Parmi les explorateurs du Mal contemporain (serial killers, sadiques, satanistes, etc.) on peut retenir les noms de Thierry Jonquet, Caryl Ferey, Franck Thilliez, ou encore ceux de Pascal Garnier, de Fred Vargas.

Villes et régions: le roman noir américain a promu la grande ville moderne au rang d'acteur majeur. Ainsi y a-t-il un "polar marseillais" (Izzo, Barrière ou Carrese); les quartiers populaires de Belleville et de l'est parisien sont très présents chez Pennac, Picouly, Quadruppani, de même que Nice chez Raynal, Toulouse chez Dessaint. Les mythes et mystères de certaines régions nourrissent à leur tour les enquêtes de divers écrivains : Pierre Magnan a su valoriser le thème provençal, Fred Vargas fait renaître la hantise du loup dans le Mercantour, enfin Jean-Luc Bannalec (alias Jörg Bong), encore inconnu en France mais hautement populaire en Allemagne, poétise le crime dans la région de Concarneau.

Au-delà de la France : les créations de Yasmina Khadra, Abasse Ndione, Janis Otsiemi, mais aussi d’Alain Mabanckou (African Psycho) constituent des variations originales du genre par des auteurs francophones du continent africain. D’autre part, l’œuvre du Français Caryl Ferey, par l’intérêt qu’elle porte, entre autres, à la culture des Maori, montre que l’identité hexagonale d’un écrivain n’empêche pas que son enquête se déroule à l’autre bout du monde.

Les propositions de contributions, environ 300 mots, en français ou en anglais, sont à envoyer d’ici le 1er novembre 2014 aux adresses Jean Kaempfer et André Vanoncini
Les articles définitifs seront à remettre sur ce site pour évaluation par le comité de la Revue critique de fixxion française contemporaine avant le 1er mars 2015.
La revue accepte également des articles hors problématique du numéro.