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Le Récit policier et l'interaction transatlantique

Le Récit policier et l'interaction transatlantique

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Benoît Tadié)

Transatlantica,revue en ligne de l'Association Française d'Etudes Américaines (AFEA) propose ledossier suivant :

LeRécit policier et l'interaction transatlantique : vers une nouvelletopographie du genre

Si l'échange transatlantiqueest souvent considéré comme un facteur déterminant dans la constitution desnouvelles formes culturelles du XXème siècle (en particulier le cinéma), sonrôle a plus rarement été souligné à propos de l'évolution du récit policier.Dans ce dernier domaine en effet, la critique spécialisée définit et fige deuxtraditions : d'un côté une tradition « intellectuelle », associéeà l'Europe, qui met des détectives cérébraux aux prises avec des énigmes apparemmentinsolubles (chez Conan Doyle, Agatha Christie ou dans le Mystère de la chambre jaune); de l'autre une tradition hardboiled ou « noire », vue commeaméricaine, qui met en scène héros cogneurs et femmes fatales, villes pourries,défoulement d'argot et de violence (de Hammett à James Ellroy).

Sans nier l'existencede ces tendances contradictoires (cérébrale contre violente) du récit policier,ni l'origine américaine du modèle hardboiled,né dans les années 1920 dans Black Masket d'autres magazines pulp, il esttemps de remettre en question les classifications géographiquement statiques etla frontière quasi-ontologique que l'on place souvent entre le récit policierd'Europe et celui d'Amérique. En ce qui concerne le XXème siècle, il s'agit deremettre en cause le paradigme critique qui considère que l'essence de la fiction policière américain est dans le récit hardboiled, de même que l'essence de la fiction européenne estdans le récit cérébral. Ce paradigme essentialiste qui, sous des formesdiverses, nourrit la critique littéraire depuis les années 1940 (George Orwell,Roger Caillois, George Grella, etc.), assigne des traits (psychologiques,formels, moraux, etc.) opposés aux cultures européenne et américaine, abstraitle genre de son contexte historique et masque le caractère dialogique de saconstitution, conduisant à sous-estimer ce qui, dans la fiction criminelleaméricaine, relève du roman à énigme et ce qui, dans le roman policiereuropéen, constitue la strate hardboiled.C'est ainsi qu'on a longtemps considéré tout récit « cérébral »américain (par exemple ceux de S.S. Van Dine), tout récit « violent »européen (par exemple ceux de Peter Cheyney ou Boris Vian/Vernon Sullivan),comme des imitations ou des ersatz sans valeur intrinsèque. Ce n'est que trèsrécemment que, à la faveur des travaux de critiques et historiens comme SteveHolland et John Fraser, le polar violent anglais d'après-guerre, continentenglouti depuis cinquante ans dans une espèce d'amnésie collective, a commencéà revenir à la surface, suscitant un nombre croissant de commentairesnostalgiques ou érudits.

Or un tel effort derésurrection et de réévaluation de textes qui, jusqu'ici, ne pouvaientapparaître que comme des sous-produits, n'aboutira que si, parallèlement, uneffort théorique est mené pour redonner au dialogisme transatlantique son rôlemoteur dans l'évolution du genre. Les articles proposés viseront donc à étudierla circulation et l'interaction transatlantiques auxquelles les formes du récitpolicier ont, depuis Edgar Allan Poe jusqu'à l'époque contemporaine, étésoumises. On pourra étudier ces phénomènes dans les décors (tel le cadre parisienchez Edgar Allan Poe, américain dans TheValley of Fear d'Arthur Conan Doyle) ou les scénarios (cf. le moment/motifcritique que constitue la traversée de l'Atlantique, dans The Good Soldier de Ford Madox Ford, The Talented Mr Ripley de Patricia Highsmith ou « Dilemma ofthe Dead Lady » de Cornell Woolrich/William Irish) ; dans l'entrecroisementde personnages, de voix, d'idiomes ou d'accents empruntés aux deuxcontinents ; dans la migration des auteurs (Elliot Paul, Leslie Charteris,John Dickson Carr, Georges Simenon etc.), la traduction des textes, leschangements de titres ou le repackagingdes contenus lorsqu'on passe d'un monde à l'autre ; on pourra s'intéresserà l'exportation de formes éditoriales (roman-feuilleton, magazine pulp, livre de poche (paperback), etc.)  entre les deuxcontinents, ou encore à la circulation de tropes critiques et définitionsgénériques, qui sont (comme le montre le terme noir, inventé en France pour caractériser des produits filmiques oulittéraires américains, rapatrié aux Etats-Unis plus tard) soumis aux mêmesprocessus de migration, traduction et transformation que les récits qu'ilsprétendent décrire.

Une telle approchecontribuera, espère-t-on, à réévaluer des auteurs et des oeuvres longtemps négligés.Elle permettra aussi de montrer que, surtout après la Première Guerre mondiale,les circuits de la fiction de masse, comme ceux de la poésie d'avant-garde,s'internationalisent, intensifiant l'interaction entre formes, styles,personnages, intrigues et idées des deux bords de l'Atlantique. On pourra alorsvoir dans le récit policier l'un des lieux de formation d'une culture, sinonencore mondiale, du moins internationale, exprimant les angoisses nées desviolences et paradoxes de l'histoire (de plus en plus internationale) du XXèmesiècle.

Dans cette perspectivetransatlantique, les articles proposés pourront être consacrés à un livre ou unauteur aussi bien qu'à des aspects généraux (esthétiques, linguistiques,historiques, économiques, politiques, sociologiques, etc.) propres au récitpolicier depuis ses débuts jusqu'à l'époque contemporaine.


Dossier de Transatlantica à paraître au printemps2012.
Les propositions d'articles (400-600 mots) sont à envoyer à Benoît Tadié (benoit.tadie@univ-rennes2.fr et tadiebenoit@yahoo.fr) avant le 1erjuillet 2011.

Envoi des articlesavant le 31 octobre 2011.
Tous les articles seront lus par un comité de lecture.