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Le réalisme magique comme stratégie narrative dans la réappropriation des traumatismes historiques (n°14/2014 de la revue Interférences littéraires)

Le réalisme magique comme stratégie narrative dans la réappropriation des traumatismes historiques (n°14/2014 de la revue Interférences littéraires)

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Hubert Roland)

Appel à contributions - ILLI 14

Le réalisme magique comme stratégie narrative dans la réappropriation des traumatismes historiques
 

Sous la direction de Eugene Arva (University of Miami) & Hubert Roland (Université catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve)
Interférences littéraires / Literaire interferenties, n° 14, octobre 2014.
(cf. aussi http://interferenceslitteraires.be/node/187)

Argumentaire

Toute tentative de recours au « réalisme magique » comme mot clé dans l’étude de la littérature européenne et/ou mondiale du début des années 1920 jusqu’à aujourd’hui s’avère complexe à maints égards, étant donné la difficulté d’homogénéiser le champ sémantique de ce concept. Bien que la recherche des dernières décennies se caractérise par une tendance à vouloir universaliser le « réalisme magique » (voir le travail déjà effectué par Weisberger, 1987, et Zamora et Faris, 1995), l’ensemble de son passé historiographique et théorique est marqué par de nombreux détours qui attestent de sa polyvalence intrinsèque.
Une partie du problème pourrait s’expliquer historiquement par le fait que des traditions de recherche parallèles (telles que le magischer Realismus dans les littératures germanophones de l’entre-deux-guerres et après-guerre, le realismo mágico/real marvilloso dans la tradition latino-américaine depuis les années 1950, et le magical realism comme esthétique postcoloniale et postmoderne), se sont juxtaposées sans davantage d’unification. Le principe consistant à étudier le réalisme magique d’après ses « localisations » (Bowers, 2004) renforce cette tendance à superposer les espaces linguistiques et culturels.


Quoi qu’il en soit, cette problématique n’a pas pour but d’exclure la possibilité d’une écriture magico-réaliste comme approche viable à une historiographie comparée de la littérature, mais plutôt de souligner son large domaine d’application, en tenant compte des prémisses et réserves possibles qui suivent :

1). Nous considérons le réalisme magique comme une poétique, un mode d’écriture, et non comme un genre canonique limité à une certaine géographie, culture, ou tendance littéraire. À cet égard, nous rejoignons la définition proposée par Wendy B. Faris, qui considère le réalisme magique comme une tendance narrative ou un style qui « combines realism and the fantastic so that the marvellous seems to grow organically within the ordinary, blurring the distinction between them » (Faris, 2004: 1). L’écriture magico-réaliste préconise et transgresse simultanément les limites traditionnelles entre réalité et imaginaire, en réarrangeant les niveaux ontologiques en apparence antithétiques faisant partie du texte littéraire : la réalité quotidienne, vérifiable par la logique et la perception, d’un côté, et les phénomènes sensoriellement insaisissables et inexplicables du surnaturel de l’autre.

2). Ayant conscience que cette définition générale peut être appliquée à une grande partie de la littérature européenne et mondiale depuis les Romantiques, nous proposons d’envisager l’écriture magico-réaliste à partir d’une perspective mettant en question sa propre fonction dans la littérature contemporaine, au-delà de ses différents modes narratifs et milieux culturels d’origine. Ce faisant, nous ne limitons pas le champ de recherche à la fiction postcoloniale et postmoderne, mais prenons aussi en considération les cultures et littératures dans lesquelles le réalisme magique n’a pas encore été canonisé et qui doivent encore faire l’objet de davantage de recherches (par exemple les littératures germanophone, francophone, néerlandophone ou italophone).

Pour mettre en évidence la pertinence psychologique et sociopolitique du réalisme magique, nous proposons la thèse générale selon laquelle l’écriture magico-réaliste est devenue, depuis son apparition au début du XXe siècle, l’un des vecteurs de représentation artistiques les plus efficaces, bien que controversé, des évènements extrêmes. Ce mode d’écriture a en effet démontré son potentiel d’adaptation et d’influence sur des productions littéraires appartenant à des espaces culturels variés et représentant des histoires de violence, comme l’esclavagisme, le colonialisme, la guerre, l’Holocauste, le génocide ou la dictature. En tant que représentation textuelle de l’indicible, le réalisme magique confère aux évènements traumatiques une expression à laquelle le réalisme traditionnel n’est pas parvenu, ceci étant manifestement lié au terrain ontologique commun partagé par le mode d’écriture magico-réaliste et le sujet traumatisé : l’appartenance à une réalité dans laquelle on échappe constamment au témoignage par la narration.
En transgressant les limites du réalisme traditionnel, le texte magico-réaliste transmet non seulement l’empathie de l’auteur (à travers ses narrateurs et/ou personnages), mais il suscite aussi par la même occasion l’empathie des lecteurs – non pas en s’appropriant les voix des victimes, mais plutôt en les rendant audibles pour la première fois. Même si les évènements extrêmes que le texte recrée ne peuvent être compris ni représentés (dans le sens mimétique traditionnel) sous la forme d’une histoire cohérente, l’écriture magico-réaliste prend en charge l’audacieuse (re)construction historique dans le but de familiariser le système conceptuel et le monde affectif des lecteurs avec elle. S’il existe un lien entre traumatisme, imagination et magie, il apparaît alors dans le processus de création ainsi qu’à travers l’expérience de la lecture, dans l’esprit de l’auteur tout comme celui du lecteur. À travers le réalisme magique, des évènements, privés initialement de narration par le traumatisme, bénéficient de la mémoire narrative apportée par l’ « imagination traumatique » de l’auteur. L’aspect magique du réalisme magique peut ainsi œuvrer à l’intégration d’évènements liés à des expériences à l’origine inimaginables, dans des réalités plus ou moins cohérentes au sein du texte littéraire. La magie est l’élément indispensable qui permet à l’imagination traumatique de ré-arranger et re-présenter le réel, lorsque le test de la réalité mimétique fait face à un évènement non-assimilé et non-assimilable.

Les thèmes des articles incluront de préférence, mais ne seront pas limités à :


la réappropriation de mémoires traumatiques à travers l’écriture magico-réaliste dans différentes cultures et périodes historiques ;
la question de l’autorité morale soulevée par le témoignage et la représentation de traumatismes historiques à travers des images magico-réalistes ;
les enjeux théoriques du réalisme magique par rapport à la « prose poétique », l’allégorie ou l’imagerie métaphorique ;
la capacité intrinsèque du mode d’écriture magico-réaliste à simuler le « sentiment » de vécus extrêmes ;

Afin de préserver la cohérence thématique du questionnement, les études de cas individuelles sur le réalisme magique n’étant pas liées à la question des traumatismes historiques ne seront pas prises en considération.

Modalités

La longueur des articles devrait être de 4500 à 7500 mots. Veuillez envoyer vos propositions avant la date limite du 30 juin 2013 aux deux éditeurs : Eugene Arva (magicreal@aol.com) et Hubert Roland (hubert.roland@uclouvain.be). Veillez également à joindre un résumé de plus ou moins 300 mots, ainsi qu’une courte biographie comprenant l’appartenance à une institution, les domaines de recherche et les principaux accomplissements académiques.

Suite à la sélection opérée début juillet, les articles seront soumis dans leur entièreté électroniquement avant le 31 décembre 2013.

Bibliographie introductive :

Arva, Eugene L, The Traumatic Imagination: Histories of Violence in Magical Realist Fiction, Amherst, New York, Cambria Press, 2011.
Barroso VIII, Juan and Daniel, Lee A, “Realismo Magico: True Realism with a Pinch of Magic”, The South Central Bulletin, 42.4, 1982, 129-130.
Benito, Jesús, Manzanas Ana María, and Simal Begoña. Uncertain Mirrors: Magical Realisms in US Ethnic Literatures, Amsterdam, Rodopi, 2009.
Bowers, Maggie Ann, Magic(al) Realism, London & New York, Routledge, 2004.
Blustein, Jeffrey, The Moral Demands of Memory, Cambridge, Cambridge University Press, 2008.
Carpentier, Alejo, “De lo real maravillosamente americano,” in: Tientos y diferencias, México, Universidad Nacional Autónoma, 1964, 115-135.
Durst, Uwe, Das begrenzte Wunderbare. Zur Theorie wunderbarer Episoden in realistischen Erzähltexten und in Texten des „Magischen Realismus“, Berlin/Münster, Lit, 2008.
Faris, Wendy B, Ordinary Enchantments. Magical Realism and the Remystification of Narrative, Nashville, Vanderbilt University Press, 2004.
Flores, Angel, “Magical Realism in Spanish American Fiction”, Hispania, 38, May 1955, 187-192.
Hart, Stephen M. and Wen-chin Ouyang (eds.), A Companion to Magical Realism, Woodbridge, Tamesis, 2005.
Harte, Joyce C. (ed.), Come Weep with Me: Loss and Mourning in the Writings of Caribbean Women Writers, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2007.
Leal, Luis, “El realismo mágico en la literatura hispanoamericana,” Cuadernos americanos, 153, 1967, 230-235.
Moran, Patricia, Virginia Woolf, Jean Rhys, and the Aesthetics of Trauma, New York, Palgrave Macmillan, 2007.
Parkinson Zamora, Lois & Faris, Wendy B. (ed.), Magical realism: theory, history, community, Durham, Duke University Press, 2000 [1995].
Roland, Hubert, “La catégorie du réalisme magique dans l’histoire littéraire du 20e siècle : Impasses et perspectives”, in: Hubert Roland & Stéphanie Vanasten (eds.), Les nouvelles voies du comparatisme, Gent, Academia Press, 2011, 85-98.
Roland, Hubert, “Is Magischer Realismus compatible with Magical Realism? A Case Study for an International Historiography of Literature”, in: Theo D’Haen (ed.), A World History of Literature, Brussel, Koninklijke Vlaamse Academie voor Wetenschappen en Kunsten, 2012, 81-89.
Rothberg, Michael, Multidirectional Memory: Remembering the Holocaust in the Age of Decolonization, Stanford, Stanford University Press, 2009.
Scheel, Charles W, Réalisme magique et réalisme merveilleux: des théories aux poétiques, Paris, L’Harmattan, 2005.
Scheffel, Michael, Magischer Realismus. Die Geschichte eines Begriffes und ein Versuch seiner Bestimmung, Tübingen, Stauffenburg, 1990.
Valbuena Briones, Angel. “Una cala en el realismo mágico,” Cuadernos americanos, 166, 1969, 233-241.
Warnes, Christopher, Magical Realism and the Postcolonial Novel, London, Palgrave, Macmillan, 2009.
Weisgerber, Jean (ed.), Le Réalisme magique. Roman, Peinture et Cinéma, Bruxelles, L’Âge d’Homme, 1987.

 

Interférences littéraires - Literaire interferenties est une revue en ligne créée en 2001 par l’Institut de littérature, qui constituait l’espace commun des chercheurs en littérature à l’Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique). Engagée depuis novembre 2008 sous la forme d’une nouvelle série de périodicité semestrielle, la revue est, depuis le numéro 6 (mai 2011), co-gérée en partenariat intercommunautaire par l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve) et la Katholieke Universiteit Leuven, en vue d’un programme scientifique redéfini et selon un organigramme de gestion administrative et scientifique élargi.