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Colloque : "Le quotidien dans les cinémas français et japonais" (Paris)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Sarah Leperchey)

Colloque international - Le quotidien dans les cinémas japonais et français

En hommage à Hirozaku Kore-Eda - 20-21 juin 2019

 

En mai 2018, le Festival de Cannes a honoré le cinéaste Hirozaku Kore-Eda en lui attribuant sa Palme d’or pour le film Une affaire de famille (Manbiki Kazoku). Déjà gratifié du prix du jury en 2013 pour Tel père, Tel fils (Shoshite chichi ni naru), réalisateur entretemps de Notre petite sœur (Umimachi diary, 2015), Kore-Eda est notoirement un cinéaste du quotidien, plus précisément du quotidien de la famille dans la filiation d’Ozu.

Rendre hommage à Kore-Eda et penser la relation de son cinéma au quotidien semblent d’autant plus opportun que l’activité culturelle en France met en ce moment même le Japon tout entier à l’honneur. Japonismes 2018 : les âmes en résonance, ce grand ensemble de manifestations est dédié à la commémoration des 160 ans de relations diplomatiques de la France et du Japon en même temps que du 150ème anniversaire du début de l’ère Meiji. Celle-ci fut caractérisée par une ouverture à « l’Occident » dont les prolongements culturels et artistiques furent notables d’un côté, le japonisme européen, comme de l’autre, l’entrée du Japon dans la modernité.

À l’occasion de Japonismes 2018 : les âmes en résonance viennent en pleine lumière toutes sorte de « résonances », anciennes et actuelles, qui associent réciproquement le Japon et la France. Parmi elles, l’esthétique de Hirozaku Kore-Eda nous incline à considérer l’approche du quotidien. la saisie subtile des moments intimes et infimes de la vie sociale qui caractérise l’œuvre du cinéaste n’est-elle qu’un trait de son style, ou, par-delà, un trait de japonité ? Peut-on rencontrer et observer quelque chose de comparable dans un autre cinéma que le cinéma japonais, et plus particulièrement dans le cinéma français ? Ce sont les questions et la perspective interculturelle qu’on veut proposer aux intervenants du colloque Le quotidien dans les cinémas japonais et français.

Spécialistes des études cinématographiques, de l’esthétique, de l’histoire de l’art, spécialistes du cinéma japonais ou français — compte tenu du « caractère interdisciplinaire de la pensée du quotidien » (Michael Sheringham, Traversées du quotidien, Des surréalistes aux postmodernes, Paris, Presses Universitaires de France, 2013) — les intervenants sont invités à réfléchir sur le quotidien au cinéma, soit en considérant telle ou telle de ses versions françaises ou japonaises, soit dans une perspective directement comparatiste. En d’autres termes, la résonance France-Japon sera activée soit au sein même des communications, soit dans la confrontations des analyse et théories portant spécifiquement sur le cinéma japonais ou français ; dans cette optique on attend beaucoup des discussions entre les chercheurs au fil des séances.

Ce colloque s’intègre aussi à un projet de politique scientifique que l’Institut ACTE a présenté et réalisé sous la responsabilité de Sarah Leperchey. Son thème porteur était Filmer le quotidien. Partant du constat que, « au cours des trente dernières années, l’exploration de la vie quotidienne [avait] donné lieu à une production artistique et littéraire foisonnante, à la fois très riche et très variée », considérant que le même constat restait à faire dans le domaine du cinéma, le projet visait à examiner d’une point de vue esthétique les enjeux de la création cinématographique en relation avec la représentation du quotidien : qu’est-ce que le cinéma nous donne à percevoir à partir du “matériau” que constitue la vie quotidienne » ?

Le colloque international Le quotidien dans les cinémas japonais et français veut prolonger et enrichir la même problématique en la spécifiant selon les deux aires culturelles représentées par les cinémas japonais et français. La perspective comparative, à condition de dépasser les simplifications idéologiques du genre Orient vs Occident, doit permettre d’enrichir la théorie du quotidien comme grand thème cinématographique, en même temps que contribuer à la diversifier par l’examen de réponses plus ou moins différentes ou divergentes. Elle doit également mettre en évidence les points de convergence, de résonance.

Akira Tamba grand spécialiste des musiques japonaises et contemporaines constate :

« La comparaison de la technique vocale du  avec celle de la musique occidentale révèle leur profonde divergence. Autrement dit, la technique vocale du  est constituée uniquement de règles interdites dans la musique occidentale. En effet, une technique artistique est le véhicule d’une civilisation façonnée par des facteurs socio-culturels très complexes. Nous pouvons relever cinq facteurs prépondérants qui ont joué un rôle considérable dans la constitution de la technique vocale du  » (« La technique vocale du  et son esthétique », Cahiers d’ethnomusicologie, 4, 1991).

L’idée d’une technique artistique qui serait constituée uniquement de règles interdites dans la musique occidentale retient l’attention. Elle trace une frontière apparemment infranchissable entre les duex cultures et les productions artistiques respectives. On peut se demander si le cinéma révèle le genre de disparité franche entre la technique vocale du et celle de l’opéra classique, ou, au contraire, comme Tamba le syggère à la fin de son texte si un rapprochement a pu exister entre les deux la première et la musique contemporaine quand celle-ci a tourné le dos à ses règles « classiques » (harmoniques, vocles, etc.).

Le quotidien est un thème qu’on peut censément privilégier à l’égard de ce questionnement. Le quotidien fait référence à l’habitus culturel et, de ce fait, donne accès aux particularités qui caractérisent telle ou telle aire géographique ainsi que différentes ères historiques. La cérémonie du thé, chère aux Japonais, est un bon exemple de la manière dont le quotidien associe une pratique ordinaire avec le plus extrême raffinement. L’inscription du pratique dans l’esthétique, autant que la réciproque, fait partie de ces caractéristiques qui semblent différencier la culture japonaise des cultures européennes.

Le cinéma japonais nous le montre. Que fait de son côté le cinéma français ? Est-il aussi (dé)monstratif ? L’intellectualisme qu’on lui associe souvent est-il un obstacle envers la monstration de pratiques simples, de ce « raffinement dans la simplicité, [cette] élégance rustique » (Alain Delaye) qu’on désigne par le vocable de wabi ? Au contraire, en considérant de possibles analogies entre des cinéastes pour qui le quotidien compte, par exemple Ozu et Ackerman, peut-on considérer que l’idéal japonais se rencontre hors de sa sphère de prédilection ?

En d’autres termes, notre hypothèse serait que le quotidien est un biais par lequel les cultures européennes, à commencer par la culture française, en se rapprochant de l’idéal du wabi, en quelque sorte se japonisent. Ce qui expliquerait la fascination que la France éprouve à l’égard de ceux ou celles qui, tels Kore-Eda ou Noami Kawase, proposent des films imprégnés de cet idéal. Ceux ou celles, parmi les cinéastes venus du pays du soleil levant, qui décrivent des relations humaines intimes, fragiles, ténues, sous lesquelles se sent une tension sociale qui ne s’expose jamais avec ostentation — qu’il s’agisse d’un échange de parents (Tel père, Tel fils) ou d’un vendeur de dorayaki et de la vieille femme, atteinte de la lèpre, qui lui apprend à faire la pâte de haricot rouge (Les Délices de Tokyo)…

Outre cette résonance dont nous faisons l’expérience envers la manière japonaise de représenter le quotiden, on peut également se demander si ce que nous offre le cinéma contemporain japonais est nluveau ou bien puise dans une tradition où, bien évidemment, Ozu serait en première ligne. On peut aussi se demander si ce cinéma japonais contemporain se définit par la japonité qu’il assume ou s’il ne dépend pas d’influences européennes, à commencer par celle de la Nouvelle vague et soin idéal de cinéma direct.

Les influences marchant dans les deux sens, on peut encore se demnder si le cinéma français quotidien porte trace du mode japonais d’expression du quotidien. On peut aussi relever certains spécifictés du traitement du quotidien qui manifestent la différence et la richesse du cinéma français (comme la « pensée française » le fait dans la littérature en philosophie et esthétique).