Actualité
Appels à contributions
Le polar dans tous ses états (Rennes)

Le polar dans tous ses états (Rennes)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Claire Sourp/ Néstor Ponce)

Le polar dans tous ses états

Texte de cadrage Journée d’études organisée par Néstor Ponce et Claire Sourp

Vendredi 25 novembre 2016

Université Rennes 2/ Erimit EA 4327

Date limite pour l'envoi des propositions: 4 mai 2016

 

« Le polar, c’est la littérature de la crise », telle est la façon dont Jean-Patrick Manchette définissait cette littérature singulière qui attire de nombreux lecteurs, une définition qui, dans le contexte actuel, semble plus que jamais adéquate. Crise des valeurs, crise politique, sociale, économique et même crise de foi se déploient dans le texte et le fécondent, mais quels sont les recours utilisés par les artistes pour sublimer les travers de l’homme et les failles de la société ? Comment s’esthétise la crise dont parle Manchette et qui se situe au cœur même de la fiction ? En dépit du titre que Thomas de Quincey choisissait pour son ouvrage On Murder considered as one of de Fine Arts, est-il même possible de concevoir cette esthétisation dans un genre qui souille l’espace de la fiction de nombreux cadavres, le comble de l’abject selon Julia Kristeva, dommages plus ou moins collatéraux d’individus à la dérive dans une société dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. A travers l’œuvre d’art, le sang de la victime est-il versé pour renouveler un lien social, comme l’était dans l’Antiquité le sang de la victime émissaire ou au contraire, ne dénonce-t-il pas une réconciliation impossible entre des individus et la société dans laquelle ils évoluent ? Le polar favorise-t-il une prise de conscience sociale et politique de l’environnement qui entoure ses lecteurs, réactive-t-il ou questionne-t-il la mémoire d’événements traumatisants, tant sur le plan individuel que collectif ? Comme le préconisaient Horace ou Miguel de Cervantès Saavedra, peut-on dire que l’auteur de polar enseigne en divertissant ? Dans ce sens, nous pouvons également nous interroger sur le statut de l’auteur et sur la réception des œuvres, en essayant de sonder les liens étroits qui se tissent entre autorité, po-éthique et public.

Nous pourrions aussi nous pencher sur les questions de genre en essayant de comprendre, à travers des œuvres de fiction empruntées aux littératures du monde, quelle place accorder aujourd’hui à la littérature policière qui, pendant longtemps, mais peut-être est-ce encore le cas, est considérée comme un sous-genre de la littérature. Paradoxalement, d’autres auteurs, comme l’ont déclaré Jorge Luis Borges, Manuel Vázquez Montalbán ou Ricardo Piglia, considèrent que les grands romans du XX siècle sont des romans policiers. Ces considérations nous amènent dès lors à appréhender la littérature noire à travers le prisme des codes d’écriture et de la transgression. L’intrigue, par une codification du texte et par l’horizon d’attente qu’elle crée chez le lecteur, n’est-elle que représentation discursive de la violence du monde ? Le texte n’est-il lui aussi envahi par elle, la répercutant sur le lecteur qui doit à son tour, assumer un rôle d’enquêteur et démêler les écheveaux que la fiction a tissé dans le texte ? La violence de la trame est-elle poreuse ? Imprègne-t-elle le discours et fait-elle violence au lecteur en faisant voler en éclat les repères qu’il a l’habitude de baliser dans les romans de cette catégorie ? Le roman noir et au-delà de la littérature, la culture du crime de façon générale, impliquent-ils une réversibilité de la violence qui aspirerait les personnages et les lecteurs à la suite de l’auteur ?

Nous pourrons également interroger les pratiques de la transgénéricité en nous demandant pourquoi certains écrivains empruntent au roman policier, roman noir ou polar des stratégies narratives ou un registre d’écriture pour les intégrer à une fiction qui n’est pas classifiée ou reconnue comme policière. Attestent-ils par-là de la perméabilité entre les genres romanesques, renvoyant à une perméabilité de territoires (concrets ou abstraits) qu’ils redessinent ? Comment comprendre ces emprunts et que révèlent-ils de l’autorité nouvelle du genre noir ?

                Si le polar est la littérature de la crise, il n’est pas lui-même en crise, à en juger par les nombreuses publications dans des maisons d’éditions spécialisées ou des collections qui lui sont consacrées. Les ventes et le nombre de lecteurs montrent bien que ce secteur de l’industrie du livre ne connait pas la crise. L’engouement pour ces ambiances noires est d’ailleurs manifeste dans les adaptations cinématographiques ou dans les séries télévisées toujours plus nombreuses à traquer malfrats, parrains de la drogue, tueurs en série ou fauteurs de trouble. Si la question de l’adaptation peut être un angle d’approche dans ces questions de représentation de la transgression, et de la violence, il ne faut pas non plus oublier de s’interroger sur ce que signifie ce goût pour de telles créations de la part du public. Nous essaierons alors de comprendre en quoi le texte peut-être révélateur d’un contexte de crise qui, en affectant le lecteur, conditionne (ou non) ses choix.

L’objet de la journée d’étude que nous organisons à l’université Rennes 2 le 25 novembre prochain est LE POLAR DANS TOUS SES ETATS. C’est par conséquent une approche pluridisciplinaire qui retient notre attention car nous pourrons ainsi, à la croisée des approches esthétiques et des sciences humaines et sociales, essayer de cerner un objet protéiforme qui parle à tous depuis la spécificité de sa discipline. Cela permettra d’essayer de définir cette culture polar que le festival rennais « La Vilaine était en Noir » promeut dans sa programmation. Nous pourrons alors nous demander si le Noir n’est pas une genèse des temps modernes, à l’image et ressemblance de ce que les hommes révèlent de plus laid de leur nature. Le verbe donne forme à l’informe, il organise le chaos, l’esthétise permettant ainsi peut-être d’affirmer, avec Maurice Merleau-Ponty, que « la violence —angoisse, souffrance et mort— n’est pas belle sinon en image, dans l’histoire écrite et dans l’art »[1].

 

                Nous vous invitons à adresser des résumés d’une longueur de 2000 signes à claire.sourp@univ-rennes2.fr et à nestor.ponce@univ-rennes2.fr pour le mercredi 4 mai 2016.

 

[1] Maurice Merleau-Ponty, Humanisme et terreur, essai sur le problème communiste.