Questions de société

"Le Papy Boom universitaire", par A. Tylski

Publié le par Marc Escola (Source : Alexandre Tylski)

Un billet d'Alexandre Tylski (Université Toulouse II):

"Le Papy Boom universitaire. Ou l'art de ne pas passer le flambeau

Depuis des années on le sait, et dans presque tous les pays, les universitaires peinent parfois à quitter leur(s) fonction(s) arrivés à l'âge de 60 ans. Les raisons sont multiples : un métier a priori moins éprouvant physiquement que celui d'un ouvrier d'usine ou de chantier, ou encore des acquis intellectuels précieux pour la communauté scientifique.

Pourtant, à la différence d'autres corps de métier, un(e) universitaire peut poursuivre son métier, ses recherches, ses échanges et sa transmission, sans être nécessairement en poste à l'université. Cet état de fait n'a hélas pas toujours mené les seniors à laisser leur terre aux jeunes générations. Des « jeunes » générations qui, en 2009, ne sont d'ailleurs plus toutes jeunes : la plupart des diplômés français ne peuvent désormais espérer être titularisés qu'à leur 40 ans, dans les sciences sociales notamment.

Ces « jeunes » générations, parfois outrageusement expérimentées, attendent donc patiemment que la génération « Baby Boom », devenue « Papy Boom », leur passe enfin le flambeau. On leur avait annoncé des départs à la retraite massifs, en l'an 2000, mais ce renouvellement vital ne semble pas s'incarner de manière aussi spectaculaire sur le terrain. Beaucoup d'universitaires veulent légitimement continuer à gagner encore de l'argent et, parfois même, espèrent tout aussi légitimement, une promotion attendue. A la cinquantaine passée, il n'est pas rare ainsi de voir des PRAG vouloir devenir maîtres de conférences pour alléger leur semaine ou obtenir du « prestige ». 

Les envies productivistes du gouvernement actuel consolident par ailleurs les plus âgés dans leur besoin de s'accrocher à leur trône : ils sont, plus que jamais auparavant, encouragés à travailler au-delà des soixante ans. Dans ces conditions, combien d'entre eux ont le courage ou la générosité de prendre une retraite anticipée pour aider un des milliers de docteur au chômage ? Réputés majoritairement « de gauche », certains universitaires seniors, ayant été témoins ou même acteurs de Mai 68, ne semblent pas toujours décidés à cultiver encore la solidarité ou à permettre à la nouvelle génération d'évoluer librement. Ironie du destin, renversement des valeurs ? 

Etonnamment, et c'est peut-être ici un des symptômes tragiques de l'université actuelle, le débat inter-générationnel entre universitaires ne semble pas vivace. Pourquoi tant de retenue chez les jeunes enseignants chercheurs ? En dépit d'organisations de lutte contre la précarité à l'université, celle-ci s'accentue comme jamais. L'individualisme de certains seniors semblerait ainsi au moins égal à celui d'une relève en mal d'union et de révolte collective. Une relève molle, domestiquée, fataliste ? En tout cas, son silence légitime malgré lui, et chaque mois davantage, l'indignité de certains papy boomers."

Alexandre TYLSKI
Université Toulouse II