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Le modèle végétal dans l'imaginaire contemporain

Le modèle végétal dans l'imaginaire contemporain

Publié le par Julia Peslier (Source : Marik Froidefond)

Le modèle végétal dans l'imaginaire contemporain

Journée jeunes chercheurs – Mai 2007
Université Marc Bloch (Strasbourg II)

Arbre généalogique, branches de la connaissance, ramifications de la pensée, terreau culturel, racines linguistiques, style fleuri… autant de métaphores passées dans la langue courante qui témoignent d'une imprégnation diffuse et ancienne du végétal dans les représentations occidentales, aussi bien dans les champs du savoir et du pouvoir que dans les arts. Si cette prégnance suscite la réflexion, c'est d'abord parce qu'elle est toujours vivace, le végétal continuant de modéliser bon nombre de systèmes scientifiques (ainsi les schémas arborescents en informatique, en mathématiques, ou encore en biologie ont pris le relais des « arbres » représentant et organisant en différentes branches l'évolution du vivant et sa diversité), mais aussi de modeler bien des démarches artistiques (citons simplement Rose-déclic de Fourcade, Lichen lichen d'Emaz, « Lises lisières liseron » de Dupin, ou encore, pour élargir la réflexion aux domaines architectural, pictural et musical, l'Art Nouveau nancéen, la série des arbres de Matisse, les Feuillées de Titus-Carmel, L'Arbre des songes de Dutilleux).

Mais cette prégnance du végétal, dans sa prolificité même, pose problème. D'une part, pour reprendre un terme emprunté à la phénoménologie bachelardienne, les « valeurs » d'unité, d'ordre et d'organicité qui lui sont traditionnellement associées font du modèle végétal un vecteur de hiérarchisation et de naturalisation. En témoigne par exemple la mise en exergue par Propp des propos de Goethe sur la validité et l'efficacité du modèle donné comme « naturel » pour légitimer la cohérence de son étude morphologique des contes. En témoigne aussi la valorisation des dimensions cyclique et verticale du végétal et la prédilection conjointe pour des formes d'organisation circulaires, en arbre ou en réseau centré (représentation à plat du schéma arbrifié), qui, dans leur diversité, semblent emprunter au végétal sa forme unifiée articulant le multiple en un tout cohérent. S'en démarquent d'autre part des modèles, proposés par des artistes aussi bien que par des théoriciens, qui permettent d'éviter cet écueil de l'organicisme : ces représentations valorisent tantôt la souplesse élastique du végétal (ainsi Fourcade à propos d'une « langue de bambou », matériau idéal pour une esthétique de « la continuation de la dérive » impliquant le refus d'un modèle de pensée axé ou centré), tantôt sa tenacité et sa continuité horizontale (ainsi A. Freixe à propos de Soirs d'Emaz: « 'Il faut pousser', disent les lichens. Avec. Contre. Contre la roche. Appuyé à elle. Et la perçant aussi bien. Insensiblement. Irrésistiblement. Et continuement s'étendant »), tantôt sa spontanéité et sa « folle prodigalité » (ainsi Jankélévitch à propos de la musique albenizienne comparée à une « plante tropicale » dont la « croissance monstrueuse » et « l'exubérance [font] éclater toute rigueur logique »), voire son « aspect orgiaque, luxuriant » instigateur d'une multiplicité proliférante menacée par le « fouilli », « l'atomisation » et « l'amorphe » (ainsi Adorno à propos de la musique de Berg apparentée d'abord, par sa « continuité vivante », à une « plante grimpante » puis à l'« enchevêtrement d'une luxuriance digne d'une jungle »). Autant de représentations donc qui, prenant acte de la formidable vitalité du végétal et de sa réversibilité latente en force étouffante, dispersante et destructrice, infléchissent le modèle végétal non seulement dans le sens d'une dynamique de déploiement spontanée, foisonnante et volontiers désordonnée - rendant caduque toute réduction du végétal à sa modélisation botanique -, mais plus radicalement encore - et le rhizome deleuzien constitue à cet égard un jalon décisif - dans le sens de la rupture, de l'hétérogénéité et de la multiplicité ouverte et acentrée.

Face à cette diversité, on pourrait se satisfaire d'une résolution binaire et chronologique qui consisterait à réduire la polyvalence à une ambivalence en distinguant, selon une terminologie désormais fameuse, l'arbre et le rhizome, l'un traditionnel et ordonné autour d'un « axe génétique » ou d'une « unité pivotale » reflétant la « loi de la réflexion », cette logique matricielle du « Un qui devient deux », l'autre complexifié et reproblématisé suite à la mise en crise de telles représentations. Mais Deleuze et Guattari, en opposant dans Rhizome ces deux « réalités spirituelles » qui englobent – c'est-à-dire homogénéisent dans leur dichotomie même – tous les autres modèles issus du végétal et occultent la somme des valeurs qui leur sont associées, ne jouent-ils pas aux limites de cette « logique binaire » qu'ils fustigent pourtant avec véhémence? Poser cette hypothèse, c'est attirer l'attention sur les implications idéologiques véhiculées par ces différents modèles végétaux et les valeurs qui leur sont associées, esquissant à eux seuls autant de modèles intellectuels et esthétiques. C'est aussi souligner que s'il y a nécessité à prendre en compte le cadrage deleuzien, cela ne signifie pas qu'on puisse faire l'économie d'un retour critique sur les présupposés et les conséquences théoriques de ce texte déterminant.

On sera donc particulièrement sensible aux démarches artistiques venant défaire cette répartition dichotome par la coexistence de valeurs antagoniques associées au végétal. Ainsi chez Claude Simon, les arbres généalogiques tracés par l'écriture romanesque bousculent l'ordre chronologique, perturbent la syntaxe phrastique et narrative, mais, porteurs d'une poétique du bruissement, de l'entrelacs et de la rencontre, demeurent, dans cette réinvention même, des principes structurants. Ainsi la rose fourcadienne se fait simultanément éloge de la continuité et de la discontinuité en étant à la fois porteuse d'une dynamique destructrice (« rose cyclonique », « rose bombe à neutrons») et d'un ordre salvateur, les images architecturales venant discipliner la tendance au désordre et à la scission inhérente à la rose (« rose ô colonne d'air structure du poème », « manège à pivot », « maison de verre »).

Parler d'« imaginaire » et de « modèle » végétal, c'est donc mettre à distance la pesanteur du symbole tout autant que la fausse évidence du « naturel » biologique, c'est ouvrir la réflexion à la dimension fictionnelle, discursive, construite, voire contradictoire de cet imaginaire. C'est aussi s'interroger sur la nature même des images végétales irriguant le vocabulaire analytique, interrogation qui s'inscrirait dans le cadre plus large d'une réflexion sur la légitimité des métaphores spatiales pour décrire la forme d'une oeuvre. Faut-il simplement les considérer comme décoratives ou faut-il apprendre, en se souvenant de l'avertissement derridien prononcé à l'encontre de J. Rousset, à se méfier des déformations qu'elles infligent aux oeuvres qu'elles prétendent décrire ? Parler de « modèles » végétaux, n'est-ce pas déjà leur concéder le statut de « métaphores épistémologiques » (U. Eco), et les faire glisser insensiblement du concret de la métaphore à l'abstrait de la notion ? Pourtant, si Celan évoque dans Grille de parole « l'idée du végétal » et Deleuze parle de l'arbre et du rhizome comme de deux « réalités spirituelles », les modèles végétaux, en tant que formes-forces décrivant un mouvement dans l'espace, ne conservent-ils pas, malgré tout, quelque chose d'une « essence concrète » (J.P. Richard)?

Dans une approche interdisciplinaire croisant histoire, philosophie, épistémologie, littérature, musique et arts plastiques, il s'agira ainsi de déployer les configurations de sens fondées sur les modèles végétaux, d'interroger la tension entre organisation et foisonnement, continuité et discontinuité, unité et multiplicité qui semble leur être inhérente et d'envisager les spatialités et les temporalités spécifiques qu'ils élaborent. Dans cette perspective, on sera particulièrement attentif aux questions de composition, à un niveau microstructural (phrase) ou macrostructural (structuration de l'oeuvre) esquissant le portrait de l'artiste en jardinier-architecte jouant d'opérations tantôt soustractives (coupes et élagages, préludant par exemple à la composition des Feuillées de Titus-Carmel), tantôt additives (herbier, « cahier de verdure » (Jaccottet), série d'azulejos variant à l'infini la même arabesque végétale et autres montages substituant à la croissance organique du végétal un principe d'extension par addition et répétition), tantôt divisantes enfin (bouture, greffe, hybridation, et autres pratiques procèdant d'une entaille divisant la forme originelle du végétal afin de générer artificiellement un surgeon). Autant de manières donc de prendre le risque du végétal tout en déjouant son aspect à la fois séduisant et mortifère, de s'abandonner à sa formidable puissance de démultiplication mais aussi de la contrôler par le choix d'une écriture instaurant un chaos organisé. On s'interrogera enfin sur les possibles modes de réception portés par les modèles végétaux (quelle lecture, quelle écoute, quel regard ?).

Co-organisation : Inès CAZALAS et Marik FROIDEFOND, monitrices en littérature comparée (Université Marc Bloch, Strasbourg II, EA 1337 « Configurations littéraires »).

Les propositions de communication (une page maximum) sont à envoyer aux deux adresses suivantes inescazalas@hotmail.com et mfroidefond@tiscali.fr jusqu'au 15 février 2007.