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Le merveilleux scientifique en spectacle (1850-1940)

Le merveilleux scientifique en spectacle (1850-1940)

Publié le par Philippe Robichaud (Source : Claire Barel-Moisan)

2018-2 : Le merveilleux scientifique en spectacle (1850-1940)

Numéro de la revue Itinéraires

coordonné par Laurent Bazin (Université Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines)

et Claire Barel-Moisan (CNRS, ENS-Lyon, ANR Anticipation)

 

Date limite de réception des propositions : 14 juillet 2017

 

Argument

Dans la relation privilégiée, quoique paradoxale et souvent conflictuelle, que la culture occidentale entretient avec le domaine du visuel, le XIXe siècle occupe une place de choix. C’est en effet le moment où le goût pour l’image sous toutes ses formes se voit offrir une prolifération de modalités de consommation avec, entre autres : le recours en littérature, en histoire ou en histoire de l’art, aux stratégies rhétoriques de la visualisation (hypotypose, ekphrasis…) ; l’exploitation systématique de l’illustration, avec le développement de nouvelles techniques de gravure et d’impression qui en favorise l’essor dans l’édition grand public ainsi que dans la presse ; l’invention de la photographie, suivie des premières tentatives d’enregistrement du mouvement puis de la naissance du cinéma ; le développement de nouveaux supports de communication (brochures, affiches publicitaires, colonnes Morris…) ; l’apparition de lieux et événements dédiés (salons, musées, vitrines, expositions universelles) ; enfin l’explosion des arts du spectacle, y compris sous leurs formes les plus populaires (revues, cabarets, opérettes, pantomimes, cirques…). Dans cet environnement soumis à la passion du visible, perception et représentation occupent une place prégnante si bien que l’acte de montrer comme celui de contempler deviennent déterminants : on pourrait parler de pulsion scopique collective, si l’on entend par là une société en demande permanente de stimuli visuels et placée sous les auspices du spectacle généralisé. De cette culture du spectaculaire, Balzac donne un témoignage emblématique dans Gaudissart II (1844) : « Cet œil consomme des feux d’artifice de cent mille francs, des palais de deux kilomètres de longueur sur soixante pieds de hauteur en verres multicolores, des féeries à quatorze théâtres tous les soirs, des panoramas renaissants, de continuelles expositions de chefs-d’œuvre, des mondes de douleurs et des univers de joie en promenade sur les Boulevards ou errants par les rues [...], vingt ouvrages illustrés par an, mille caricatures, dix mille vignettes, lithographies et gravures. Cet œil lampe pour quinze mille francs de gaz tous les soirs ».

On ne s’étonnera pas alors que le champ de la communication scientifique, phénomène en plein essor dans ce qu’il est convenu d’appeler l’âge d’or de la vulgarisation (le mot est créé au milieu du siècle), en vienne à tirer parti de ces nouvelles modalités de diffusion pour investir à sa façon les univers du spectacle. Rappelons que le principe de la mise en scène de la science est devenu peu à peu un passage obligé des modalités d’existence de la discipline : d’abord parce que le passage à la Renaissance d’une science spéculative à une science expérimentale a conduit les savants à présenter leurs travaux auprès d’un public d’aristocrates leur tenant lieu de mécènes autant que de caisse de résonance ; ensuite parce que la légitimation de la médiation scientifique par Fontenelle (Entretiens sur la pluralité des mondes, 1686) et le pari d’accessibilité de la connaissance porté par les Lumières (avec tout le travail de dissémination véhiculé par l’Encyclopédie) ont conduit les scientifiques à élargir leur public en explorant de nouveaux modes de transmission (le cabinet de curiosités, la démonstration publique dans les salons…) ; enfin parce que l’imbrication toujours plus dense de la science et de la technique a conduit un nombre croissant d’acteurs (artisans, ouvriers, amateurs éclairés) à s’emparer des résultats et recherches en cours pour se les réapproprier sur un mode plus spectaculaire (démonstrations sur les champs de foire et autres fêtes foraines friandes d’expérimentations scientifiques). Le XIXe porte ce mouvement à son acmé, avec l’institutionnalisation des lieux de présentation (jardins des plantes, musées d’histoire naturelle, musées des sciences et/ou des techniques), la prolifération des magazines de vulgarisation et des feuilletons scientifiques consultés avec autant d’avidité que les feuilletons romanesques, la vogue des jouets scientifiques fondés sur les dispositifs optiques (comme le kaléidoscope ou le panorama), le développement de nouvelles formes de représentation dédiée (théâtre scientifique, fêtes et féeries scientifiques, conférences mises en spectacle, attractions de cirques, cabarets, spectacles de rue….) et le goût prononcé pour l’événement public de grande envergure (emblématisé par les Expositions Universelles). Le premier XXe, avec la Belle Époque suivie des Années folles, emboîtera le pas à cette fascination pour le spectacle scientifique désormais magnifié par l’essor des technologies nouvelles (vulgarisation scientifique à la radio, montée en puissance du film scientifique et des fictions d’anticipation qui se taillent une place de choix dans le paysage cinématographique) et le soutien appuyé de l’État, avec le développement d’une culture scientifique à l’École et la création de nouveaux lieux dédiés, à l’instar du Palais de la Découverte inauguré en 1937.

D’où l’importance qu’il y a à se pencher sur cette relation privilégiée, quoique problématique, que la science entretient avec les univers du spectacle, en étudiant les formes et les contenus d’une telle interaction pendant le Second Empire et la Troisième République. Encadrée par des événements spectaculaires à forte visibilité (à une extrémité la toute première exposition universelle de Londres en 1851 suivie de près par celle de Paris en 1855, à l’autre en 1939 l’exposition de New York dédiée à « la construction du Monde de demain »), la période accompagne l’essor de la foi positiviste dans le progrès jusqu’à sa fragilisation dans de multiples périodes de crise, et sa remise en question radicale à l’occasion du second grand conflit mondial. Aussi se prête-t-elle tout particulièrement à une étude du merveilleux scientifique, dont il conviendra de se demander quelle place et quelle fonction il occupe dès lors qu’il fait l’objet de représentations quelles qu’en soient les formes (théâtrales, cinématographiques, événementielles, etc.).

 

Proposé dans le cadre du programme ANR sur « Le roman d’anticipation scientifique au tournant du XIXe siècle », ce numéro d’Itinéraires se donnera pour objet d’approfondir les modalités, la nature et les enjeux de cette spectacularisation du merveilleux scientifique. Il explorera de multiples pistes, parmi lesquelles peuvent figurer les questions suivantes : 

- Quelles formes esthétiques et quelles pratiques scéniques sont inventées pour faire du merveilleux scientifique un spectacle ? On pourra s’intéresser entre autres aux débats autour de la « féerie scientifique » (« ces deux mots hurlent d’être ainsi rapprochés », écrit Zola à propos de l’adaptation par Adolphe d’Ennery des Enfants du Capitaine Grant, de Jules Verne). Comment la science se substitue-t-elle aux fées et aux génies pour devenir le clou de ces pièces à grand spectacle ?

- transmédialité du merveilleux scientifique : un imaginaire scientifique commun traverse la fin du siècle, avec de fréquentes transformations de textes migrant d’un support à un autre, de romans en féeries, puis en courts-métrages. Ainsi un roman comme Un Drame au fond de la mer, publié par Richard Cortambert dans le Journal des voyages et aventures de terre et de mer en juillet 1877, se voit-il adapté en une pièce en 5 actes et 6 tableaux par Ferdinand Dugué (jouée en 1877 et reprise dans son Théâtre complet en 1892). Le texte est enfin repris sous forme de court métrage par Ferdinand Zecca pour les studios Pathé Frères en 1901. Quelles continuités et quelles ruptures thématiques et esthétiques se dessinent entre les univers de la féerie, de la prestidigitation, et le premier cinéma de Méliès et Zecca ? La féerie de d’Ennery et Clairville Les Sept châteaux du diable (1877) où Satan fait surgir un tableau magique de la terre grâce à un gigantesque télescope se voit adaptée par Zecca en 1901. De même, Méliès réinvestit dans les productions de la Star Film la fantaisie conjuguant merveilleux, science et spectaculaire qu’on trouvait dans des œuvres comme Les Pilules du diable, féerie en 3 actes et 20 tableaux, de Ferdinand Laloue, Auguste Anicet-Bourgeois et Laurent, jouée d’abord au Théâtre du Cirque-Olympique en 1839, puis reprise au Châtelet en 1880 et finalement adaptée par le réalisateur en trente-quatre tableaux accompagnés d’effets spéciaux filmés dans Les Quatre cents farces du diable en 1906.

- Quelles représentations sont proposées de la science, entre fascination et terreur, héroïsation et satire ? Quels sont les enjeux idéologiques de ces œuvres et quel rapport au progrès illustrent-elles ? Du théâtre scientifique d’Antoine Andraud faisant de Galvani (1854) une figure romantique ambiguë, aux pièces de Louis Figuier célébrant des savants persécutés comme Kepler (1889), jusqu’au Grand-Guignol avec un drame comme L’Horrible expérience (1909) d’Alfred Binet et André de Lorde où le docteur Charrier entreprend de ranimer des cadavres, comment mettre en scène les questions éthiques, les conquêtes et les transgressions de la science ? Quels moyens dramaturgiques, quels effets visuels permettent de problématiser les frontières entre science, fantastique et surnaturel, comme dans la folie-vaudeville La Femme électrique de Cordier et Clairville (1846), inspiré du cas réel d’Angélique Cottin ?

- Comment le merveilleux scientifique circule-t-il dans l’ensemble de la société, des textes dramatiques à la sphère médiatique – que ce soit pour le célébrer ou s’en moquer ? Les attractions à sensation des Expositions universelles entreprennent de faire de la science une expérience intime pour le visiteur, tandis que les « soirées fantastiques » de l’illusionniste et créateur d’automates Jean Eugène Robert-Houdin enchantent les spectateurs en conjuguant science, merveille et énigme. Les revues de fin d’année font la satire de la modernité scientifique et des découvertes nouvelles à travers des personnages allégoriques comme la Lumière électrique et mettent en scène des scientifiques au cœur de l’actualité tel Edison. Au tournant du siècle, Loïe Fuller fascine les Symbolistes en incarnant dans sa danse non seulement la « fée Électricité », mais un art synthétique reposant sur la combinaison du mouvement, d’une musique contemporaine, d’éclairages colorés expérimentaux, et de multiples effets visuels élaborés entre autres avec l’aide de Pierre et Marie Curie pour la Radium Dance et la Danse Ultra Violette. Quels échos, quels contrastes entre ces esthétiques multiples qui investissent le merveilleux scientifique ?   

Les corpus envisagés dans le cadre de ce numéro pourront relever d’une multitude de champs : théâtre, pièces à grand spectacle et féeries scientifiques, revues de fin d’année, spectacles de cabaret et music-hall, cinéma, panoramas, attractions, expositions universelles, spectacles de rue, arts du cirque et de l’illusion…

 

Modalités de soumission

Les contributions sont ouvertes pour des articles relevant de l’histoire littéraire, de l’étude du texte théâtral, des arts du spectacle et du cinéma, et de l’histoire culturelle, afin d’étudier le merveilleux scientifique en spectacle, en France, entre 1850 et 1940.

Les articles veilleront à respecter la limite de 40 000 signes et à suivre les consignes éditoriales de la revue : https://itineraires.revues.org/2255.

Ils pourront être accompagnés d’illustrations (libres de droits) et contenir des liens hypertextes. Les articles feront l’objet d’une expertise en double aveugle : https://itineraires.revues.org/2252.

            L’appel à contributions est consultable en ligne : https://itineraires.revues.org/3516

 

Calendrier

- Les propositions d’articles (d’environ une page), accompagnées d’une brève bio-bibliographie seront adressées à Laurent Bazin (laurent.bazin@uvsq.fr) et Claire Barel-Moisan (claire.barel-moisan@ens-lyon.fr) avant le 14 juillet 2017

- Les textes retenus seront à rendre avant le 31 décembre 2017.

- La publication du numéro est prévue au 2e semestre 2018.

 

Bibliographie indicative

- Bara, Olivier, Piana, Romain et Yon, Jean-Claude (dir.), 2015, Revue d’Histoire du Théâtre, no 266, « En revenant à la revue. La revue de fin d’année au xixe siècle ».

- Béguet, Bruno (dir.), 1990, La Science pour tous : sur la vulgarisation scientifique en France de 1850 à̀ 1914, Paris, Bibliothèque du Conservatoire national des arts et métiers.

- Bensaude-Vincent, Bernadette, 1993, « Un public pour la science : l’essor de la vulgarisation au XIXe siècle », Réseaux, vol. 11, no 58, p. 47-66.

- Cook, James W., 2001, The Arts of Deception. Playing with Fraud in the Age of Barnum, Harvard University Press.

- Crary, Jonathan, 1999, Suspensions of Perception: Attention, Spectacle and Modern Culture, Cambridge Mass., The MIT Press.

- Daly, Nicholas, 2010, Literature, Technology and Modernity, 1860-2000, Cambridge, Cambridge University Press.

- Ducrey, Guy, 2010, Tout pour les yeux. Littérature et spectacle autour de 1900, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne.

- During, Simon, 2002, Modern enchantments. The Cultural Power of Secular Magic, Harvard University Press.

- Gaudreault, André, 2008, Cinéma et attraction : pour une histoire du cinématographe, Paris, CNRS Éditions, coll. « Cinéma et audiovisuel ».

- Gaycken, Oliver, 2015, Devices of Curiosity. Early Cinema and Popular Science, New York, Oxford, Oxford University Press.

- Gleizes, Delphine et Reynaud, Denis (dir.), 2017, Machines à voir : pour une histoire du regard instrumenté (xviie-xixe siècles), Lyon, Presses universitaires de Lyon, coll. « Littérature & idéologies ».

- Hamon, Philippe, 2007, Imageries. Littérature et image au XIXe siècle, éd. revue et augmentée, Paris, José Corti, coll. « Les essais ».

- Laplace Claverie, Hélène, 2007, Modernes Féeries. Le Théâtre du XXe siècle entre réenchantement et désenchantement, Paris, Honoré Champion.

- Martin, Roxane, 2007, La Féerie romantique sur les scènes parisiennes (1791-1864), Paris, Honoré Champion.

- Milner, Max, 1982, La Fantasmagorie. Essai sur l’optique fantastique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Écriture ».

- Moindrot, Isabelle (dir.), 2006, Le spectaculaire dans les arts de la scène : du romantisme à la Belle époque, Paris, CNRS Éditions, coll. « Arts du spectacle ».

- Nadis, Fred, 2005, Wonder shows. Performing science, magic and religion in America, New Brunswick, N.J., Rutgers University Press.

- Pierron, Agnès (dir.), 1995, Le Grand-Guignol : théâtre des peurs de la Belle Époque, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins ».

- Raichvarg, Daniel, 1993, Science et spectacle, figures d’une rencontre, Nice, Z’Éditions, coll. « Giordan-Martinand. Investigations scientifiques ».

- Raichvarg, Daniel et Jacques, Jean, 2003, Savants et ignorants : une histoire de la vulgarisation des sciences, nouvelle édition, Paris, Seuil, coll. Points. Sciences.

- Singer, Ben, 2001, Melodrama and Modernity. Early Sensational Cinema and its Context, New York, Columbia University Press.

- Schwartz, Vanessa, 1998, Spectacular realities. Early mass culture in fin-de-siècle Paris, Berkeley, University of California Press.

- Yon, Jean-Claude (dir.), 2010, Les Spectacles sous le Second Empire, Paris, Armand Colin.