Collectif
Nouvelle parution
Le Livre entre le commerce et l'histoire des idées. Les Catalogues de libraires (XVe-XIXe siècle) (A. Charon et alii, dir.)

Le Livre entre le commerce et l'histoire des idées. Les Catalogues de libraires (XVe-XIXe siècle) (A. Charon et alii, dir.)

Publié le par Matthieu Vernet

Le Livre entre le commerce et l'histoire des idées. Les Catalogues de libraires (XVe-XIXe siècle)

Études réunies par Annie Charon, Claire Lesage & Ève Netchine.

Paris : École nationale des Chartes, 2011.

EAN 9782357230200.

280 p.

Prix 30EUR

Présentation de l'éditeur :

Vitrine du fonds, des assortiments et des livres d’occasion des libraires, les catalogues reflètent l’offre et les stratégies commerciales d’une officine en direction de ses clients, particuliers ou professionnels du commerce du livre. Précieux témoins de la diversité des discours tenus sur le livre, ces catalogues, en général de modeste apparence, doivent souvent leur conservation au détournement de leur fonction toute pratique, dont ils portent souvent la trace, en faveur d’usages bibliophiliques et bibliographiques. La journée d’étude organisée par l’École nationale des chartes en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, dont ce volume est issu, dresse un panorama européen des études menées sur cette source essentielle de l’histoire du livre, du XVIIe siècle à la fin du XIXe siècle.

 

***

 

Maël Rannou a fait parvenir à Fabula cette note de lecture à propos de ce livre :

 

Portant sur un objet d’étude mésestimé, nous découvrons via un corpus large et complet les diverses ressources qu’offrent les catalogues de libraires.
 
Un outil sous-estimé
 
Le Livre entre le commerce et l'histoire des idées reprend les communications d’une journée d’étude organisée par l’École nationale des chartes et la Bibliothèque nationale de France portant sur les catalogues de libraires, complété par deux articles venant apporter des éclairages supplémentaires.
 
Le catalogue de librairie est un recueil administratif, sans création, peu passionnant à la lecture. Il a par conséquent rarement été étudié. Sa richesse est pourtant certaine : il est le témoin de premier plan de l’usage commercial du livre, de son évolution, et porte également en lui les goûts de son époque. La journée d’étude et l’ouvrage qui en découle tentent de résorber cette injustice dans la recherche, à travers des textes aux sujets variés montrant les diversités d’approches qu’offre le sujet.
 
Structuré en trois grands blocs définissant ces différents aspects – « Les catalogues, sources de l’histoire du livre », « Pratiques commerciales », « Les collectionneurs et les catalogues » – le différents auteurs, mêlant universitaires et bibliothécaires, ont tenté d’établir à la fois une histoire des catalogues de libraires et un état des lieux de la recherche à ce sujet.
 
Des angles variés
 
Le premier bloc porte une volonté explicative et légitimante, expliquant via de nombreux exemples l’inscription des catalogues de libraires dans l’histoire du livre. La majorité des textes de cette partie sont des textes à vocation historique, assez limpides, présentant de grands libraires et leurs utilisations de catalogues (textes de Vladimir Somov sur Pierre François-Fauche, de Virginie Meyer sur la maison Charpentier et de Christian Péligry sur la foire St Germain). Deux textes diffèrent dans leurs façons de faire. Celui d’Otto S. Lankhorst fait office d’introduction éclairante, en détaillant les différents types de catalogues de libraires – de fonds, de ventes, d’assortiment – ainsi qu’en décrivant les capacités d’exploitation de ces documents par les chercheurs à travers l’étude d’un large projet de publication de catalogues. Ceux-ci sont sauvegardés sur microfiches aux Pays-Bas, où ils sont depuis longtemps appréciés. Le texte de Claire Lesage, malgré un sujet d’apparence rébarbatif : les libraires catalogueurs, s’avère une véritable mine d’informations, permettant de jauger de manière fine la généralisation de l’usage du catalogue au fil des siècles et la naissance de normes qui s’affineront jusqu’à donner celles que nous connaissons aujourd’hui. Tout à fait intéressant, le texte semble cependant peu à sa place au milieu des autres.
 
Le deuxième bloc a une cohérence plus certaine et décrypte l’évolution des utilisations commerciales des catalogues. Ces derniers, nous l’avons vu, peuvent en effet être multiples, un catalogue d’enchères ne contenant pas les même informations qu’un catalogue de libraires, qui sera moins détaillé, ou qu’un catalogue de fonds, qui se contentera d’un inventaire sans fioritures. Véronique Sarrazin nous parle de la tarification des livres et de l’affichage de ses prix dans les catalogues. S’il apparaît aujourd’hui insensé de faire un catalogue sans indiquer de prix, c’est une chose qui n’avait rien d’évidente au début. Dans un texte très structuré l’auteur va détailler les raisons de cette généralisation, en faisant un petit tour par le calcul du prix du livre il y a quelques siècles. Bien involontairement ce texte, qui nous parle déjà d’encadrement légal de l’édition, offre un certain écho en ces temps ou la loi sur le prix unique est contestée… Autre texte à souligner dans cette partie, celui d’Anita Van Elferen, qui retrace la conception et le contenu du Guinea Catalogue d’Henry George Bohn, célèbre éditeur qui fut également libraire. Son catalogue était le plus volumineux de tous, laissant place à de véritables notices descriptives complètes. L’auteur en fait une analyse synthétique et juste, à l’iconographie riche. Le texte de Maria Gioia Tavoni sur les approches commerciales dans les catalogues italiens du XVIIIe traite correctement d’un exemple précis sans pour autant réussir à vraiment captiver. Avant toute autre chose il nous convainc de la difficulté qu’il y a à étudier ce type de documents, non catalogués et à l’éparpillement massif, ce qui est certes instructif mais n’est pas l’objectif affiché. Enfin, un bref texte met en avant les prospectus. Ces annonces, uniquement dédiées à la réclame, généralement co-écrites avec les auteurs des ouvrages vendus, sont encore plus négligées que leurs confrères. Jean-Daniel Candaux les présente avec un véritable talent mais laisse ensuite place à une longue liste (36 pages !) visant à établir année par année un corpus des prospectus conservés dans les bibliothèques. Si ce travail est tout à fait louable, on aurait préféré lire un développement sur leur usage plutôt que cette liste parcellaire, qui n’a qu’un intérêt très limité au sein d’un ouvrage traitant d’un autre sujet. C’est réellement dommage car ce petit texte était prometteur et, à l’heure du web, on aurait très bien pu imaginer cette liste mise en ligne –  pourquoi pas dans un outil collaboratif ? – , où elle aurait été plus à sa place et surtout plus visible que dans un ouvrage où les gens n’iront pas spontanément la chercher.
 
Le troisième bloc est le plus bref et traite de l’usage des catalogues par les collectionneurs. Deux portraits d’hommes assez fascinants sont dressés par Gilles Mandelbrote, qui traite de Sir Hans Sloane, et Catherine Faivre d’Arcier, qui nous présente l’incroyable machinerie mise en place par Lovenjoul. Ce dernier était un amateur de livres boulimique et perspicace : contemporain des romantiques, il a réuni une des plus complètes collections à ce sujet, avant même que le genre soit reconnu. Pour ce faire, il a créé une véritable structure basée sur les catalogues de différents libraires qu’il annotait, corrigeait, voire complétait afin de ne rater aucun des ouvrages paraissant en France alors qu’il résidait en Belgique. Basé sur une vigilance extrême et un réseau de commissionnaires parisiens agissant parfois en véritables détectives, Lovenjoul montre comme personne l’extrême importance et l’utilité que pouvaient avoir les catalogues entre des mains expertes.
 
Un nouvel objet d’étude
 
Le Livre entre le commerce et l'histoire des idées parcourt donc de manière assez large les divers axes d’études de ces catalogues. Les auteurs font tous preuve d’un véritable travail de recherche, et on ressent à la lecture une volonté de synthèse. Elle rend l’ensemble assez agréable à lire, car le style n’est ni jargonnant ni  pontifiant. Mais on va parfois un peu vite sur certains sujets qui mériteraient indéniablement plus d’approfondissement. Par ailleurs, le choix de découpage est un peu bâtard, on comprend la nécessité d’ordonner les communications mais on voit bien que certaines d’entre elles ne sont pas réellement à leur place. La cohérence globale en souffre mais cet aspect parfois désordonné apparaît comme le revers inévitable – et assumé –  d’une volonté marquée de diversité.
 
Autre revers de ce souhait de brassage complet du spectre des usages des catalogues : une dommageable impression de flottement, soit parce que le sujet est intéressant mais reste trop vague (les Guinea catalogue), soit parce qu’il est trop pointu pour une étude généraliste et mériterait une étude séparée (les prospectus). Il ne faut pas pour autant sacrifier un des seuls ouvrages à se pencher sur un objet d’études trop méprisé faisant partie intégrante de l’histoire du livre. L’amateur devra donc s’y pencher, le lire et, malgré quelques frustrations, accepter de laisser des questions en suspens en espérant que ce premier pas laissera place à des études plus précises sur chacune des thématiques esquissées.