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Le langage des larmes aux siècles classiques

Le langage des larmes aux siècles classiques

Publié le par Marielle Macé

Le langage des larmes aux siècles classiques.
Entre représentations conventionnelles et explorations émotionnelles.



Dans une « histoire des larmes » (A. Vincent-Buffault) qui reste encore largement à écrire pour les siècles classiques, nul doute qu’une place décisive devrait être accordée à la période charnière qui s’écoule entre la parution des Lettres portugaises (1669), dont le succès retentissant marque la « révélation soudaine de nouveaux paysages sentimentaux » (J.M. Pelous), et celle de La Nouvelle Héloïse (1761), qui consacre le plaisir de la contagion des larmes mais aussi et surtout la valorisation de l’âme sensible comme âme d’élite. Comme l’ont montré les historiens et sociologues du for privé, cette période est marquée par une montée en puissance de notions telles que celles d’individu, d’intimité et de sensibilité. Tandis que la seconde moitié du XVIIème siècle est caractérisée par les infléchissements des relations interpersonnelles en général et amoureuses en particulier, notamment sous l’influence du climat galant, qui préside à l’émergence, théorisée et valorisée, de la « tendresse amoureuse » (M. Daumas), le XVIIIème siècle découvre à sa suite et expérimente avec délices les territoires inexplorés de la sensibilité, les épanchements et les effusions des âmes sensibles envahissant au fil du siècle le champ des représentations culturelles.

Durant toute cette période, le langage des larmes - de plus en plus placé sous le triple signe de l’individualité, de l’intimité mais aussi de la féminité - constitue une forme d’expression spécifique, qui établit son propre système de valeurs et de signification, et qui peut être définie par ses tensions constitutives (sociabilité/intimité, pudeur/épanchement, manifestation corporelle/traduction textuelle). Notre intention n’est pas de nous en tenir à un simple panorama des différentes poétiques, rhétoriques ou sémiotiques des larmes. Nous souhaiterions déplacer la question vers une réflexion sur l’évolution de ce langage que constituent les larmes, à un moment très particulier de l’histoire des sensibilités et de la vie privée. Il s’agit en fait de prendre la mesure des interférences entre l’écriture des larmes et l’imaginaire culturel dans lequel elle s’enracine, ce qui implique d’articuler au plus près approches textuelles et démarche historique.

Une telle réflexion ouvre deux perspectives de recherche. La première, d’ordre anthropologique, rassemble trois optiques appelées à se croiser et à se compléter : une approche morale, philosophique et théologique (la réflexion sur les passions et les émotions) ; une approche scientifique (l’inquiétude épistémologique sur l’expressivité du « corps parlant » analysée par L. Desjardins) ; une approche sociologique (les mutations d’une économie des signes corporels de l’émotion qui se libère des contraintes sociales, s’insinue dans des lieux a priori inattendus et donne naissance à de nouvelles pratiques de sociabilité marquées par la prééminence des liens électifs). La seconde perspective, d’ordre esthétique et littéraire, implique quant à elle d’étudier non seulement la mise en scène des larmes dans les écrits personnels, pièces de théâtre, romans, poèmes, etc. mais aussi l’histoire d’une réception toujours marquée davantage par les exigences du movere, le succès des pièces ou des romans se mesurant désormais souvent à leur « succès de larmes » (J.J. Roubine), tandis que se développent, en même temps que de nouvelles pratiques de lectures (lecture individuelle, plus rarement dans des cercles intimes), de nouveaux lecteurs - lectrices ? - aimant à être émus aux larmes.

Par-delà un tour d’horizon de la représentation des larmes telle qu’elle évolue au cours des siècles classiques ; par-delà la valorisation sans cesse accrue de la sensibilité et de la vie émotionnelle conçues comme dévoilant l’identité véridique de l’être ; par-delà les formes auxquelles participe ce langage des larmes (effusions, épanchements, accès de tendresse, mélancolie, confidence, rêverie…), on reviendra sur des catégories critiques telles que celles du doux, du tendre, du sensible ou du larmoyant.

Ce faisant, on aura peut-être mieux saisi les enjeux d’un langage des larmes qui, s’il constitue une page essentielle et trop peu souvent interrogée de l’histoire des sensibilités, représente en outre l’immense avantage de susciter une remise en question des périodisations et des catégorisations littéraires généralement admises.

Adélaïde CRON (doctorante à Paris III) et Cécile LIGNEREUX (doctorante à Paris IV)

Ces journées d’étude auront lieu les 27 et 28 septembre 2006 à la Maison de la Recherche (salle de conférence D 035) : 28 rue Serpente Paris 6ème (métro Odéon).


MERCREDI 27 SEPTEMBRE 2006

10 h-10 h 15 : Présentation

Première partie : Quête spirituelle et écriture de l’intime

1) Littérature spirituelle (président de séance : Gérard Ferreyrolles)

- 10 h 15-10 h 45 : « Les larmes dans la poétique de la prédication de la deuxième moitié du XVIIe siècle », Aurélien Hupé (thèse en cours sur la poétique de la prédication au XVIIe siècle, dir. Gérard Ferreyrolles, Université Paris IV- Sorbonne)

- 10 h 45-11 h 15 : « Les larmes dévotes : imitation et conversion », Antoinette Gimaret (thèse soutenue en 2004: Extraordinaire et ordinaire des Croix. Les représentations du corps souffrant, 1580-1650, dir. Jackie Pigeaud, Université de Nantes)

- 11 h 15-11 h 45 : « La sécularisation des larmes mystiques au début du XVIIIe siècle », Frédéric Miquel (thèse en cours sur les écrits mystiques du XVIIe siècle, dir. Christian Belin, Université Paul- Valéry Montpellier III)

- 11 h 45-12 h 15 : « Les pleurs des traducteurs dans les Psaumes », Claire Fourquet (thèse en cours sur la traduction des psaumes en langue française 1635-1715, dir. Delphine Denis, Université Paris-IV- Sorbonne)

- 12 h15-12 h 30 : discussion

2) Écrits personnels (président de séance : Jean-Paul Sermain)

- 14 h-14 h 30 : « Les larmes des religieuses captives de Port-Royal : chute et rédemption », Michèle Bretz (thèse en cours sur les relations de captivité des moniales de Port-Royal, dir. François-Xavier Cuche, Université Marc Bloch Strasbourg)

- 14 h 30-15 h : « Larmes et tendresse maternelle dans les lettres de Mme de Sévigné à sa fille », Cécile Lignereux (thèse en cours sur l’écriture de la tendresse dans les lettres de Mme de Sévigné, dir. Delphine Denis, Université Paris IV- Sorbonne)

- 15 h-15 h 30 : « Larmes et identité féminine dans l’écriture mémorialiste », Adélaïde Cron (thèse en cours sur les mémoires féminins de la fin du XVIIe siècle à la période révolutionnaire, dir. Jean-Paul Sermain, Université Paris III- Sorbonne)

- 15 h 30-15 h 45 : discussion
- 15 h 45-16 h : pause


Deuxième partie : Le spectacle des larmes

1) Opéra ( présidente de séance : Anne Coudreuse)

- 16 h-16 h 30 : « La fonction des larmes dans l’opéra classique français : l’exemple de Jephté (Pellegrin, Montéclair, 1732) », Benjamin Pintiaux (thèse en cours sur l’abbé Pellegrin et la tragédie en musique, dir. Catherine Massip, EHESS)

- 16 h 30-17 h : « L’opéra français de l’âge classique à l’épreuve du pathétique », Marion Lafouge (thèse en cours sur la tragédie lyrique française au XVIIIe siècle et le dramma per musica de Métastase, dir. Élisabeth Rallo-Ditche, Université de Provence, Aix-Marseille I)

- 17 h -17 h 15 : discussion


JEUDI 28 SEPTEMBRE 2006

Deuxième partie : Le spectacle des larmes, suite

2) Théâtre ( président de séance : Georges Forestier)

- 10 h-10 h 30 : « L’Ariane de Thomas Corneille (1672) : des larmes de l’héroïne à celles des spectateurs », Hélène Prigent (thèse en cours sur le personnage monstrueux dans la tragédie en France de la fin du XVIe siècle au milieu du XVIIIe siècle, dir. Jean Garapon, Université de Nantes)

- 10 h 30-11 h : « Le tissé dramaturgique des larmes. Pénélope (1684) de l’abbé Charles-Claude Genest », Nicholas Dion (thèse en cours sur la tragédie classique française des années 1680-1730, dir. Éric Van der Schueren et Delphine Denis, co-tutelle Université Laval-Université Paris IV-Sorbonne)

- 11 h-11 h 30 : « Mythologies de l’effet pathétique au XVIIIe siècle : nature et enjeux de la réception sentimentale », Sophie Marchand (thèse soutenue en 2003 : Théâtre et pathétique au XVIIIe siècle : pour une esthétique de l’effet dramatique, dir. Jean Dagen, Université Paris IV- Sorbonne)

- 11 h 30-12 h : « Le partage des larmes au XVIIe siècle », Denis Roche (thèse en cours sur les souffrances du moi face à la société dans la seconde moitié du XVIIe siècle, dir. Hélène Merlin-Kajman, Université Paris III- Sorbonne)

- 12 h -12 h 15 : discussion

Troisième partie : la fiction des larmes (présidente de séance : Delphine Denis)

- 14 h-14 h 30 : « La représentation des larmes dans les romans de Mme de La Fayette », Chrystelle Barbillon (thèse en cours sur les adaptations théâtrales de L’Astrée, dir. Georges Forestier, Université Paris IV- Sorbonne)

-14 h 30-15 h : « Manon Lescaut : un exemple pour une métaphysique des larmes », Florence Chapiro (thèse en cours sur le traitement romanesque des passions aux XVIIe et XVIIIe siècles, dir. Jean-Charles Darmon, Université de Versailles- Saint Quentin en Yvelines)

- 15 h-15 h 30 : « Les larmes de Marianne », Audrey Ortholland (thèse en cours sur la représentation des maladies de l’âme et de la mélancolie dans le récit libertin au XVIIIe siècle, dir. Jean-François Perrin, Université Stendhal Grenoble III)

- 15h 30- 15h45 : discussion