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Le jeu vidéo, une herméneutique en acte (Université de Liège)

Le jeu vidéo, une herméneutique en acte (Université de Liège)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Liège Game Lab)

Le jeu vidéo, une herméneutique en acte

Les 14 et 15 janvier 2021 à l’Université de Liège.

Appel pour le 5 juillet 2020

 

« Qu’est-ce qu’un jeu vidéo ? » : cette interrogation, par référence à l’essai de Paul Ricoeur intitulé « qu’est-ce qu’un texte ? » (Ricoeur, 1986), invite à penser le jeu vidéo en tant que poiêsis, une construction « littéraire » faite pour être donnée à comprendre et à interpréter activement. Si l’œuvre vidéoludique ouvre vers un questionnement, il s’agirait de répondre sur le mode dynamique de la fiction et non par une élucidation qui figerait le sens une fois pour toutes.

La tradition poétique et mythographique ancienne considère la production de sens comme une stratification continue de formes et de figures qui sont toujours à interpréter, comme un ciel voilé de nuages cache la lumière du soleil qui pourtant ne cesse de briller (Pétrarque). Mais si les sens cachés par un esprit concepteur demandent toujours à être interprétés ils n’en demeurent pas moins multiples, indéfinis et ouverts. Et cette polysémie permet à la fois de les actualiser et de les appliquer à tous les champs du savoir ou de l’action pratique.

En considérant le jeu vidéo comme une actualisation de l’ancienne tradition herméneutique, nous proposons de « dévoiler » ce que retient le jeu vidéo de cet héritage : par exemple, le gameplay (Ian Bogost, 2010) rompt-il cette stratification de sens ou, au contraire, construit-il une nouvelle couche de significations, à la manière de Fumito Ueda dans Ico (2001) ? Beaucoup d’auteurs l’ont démontré : la création vidéoludique est toujours politique, du fait de son existence à l’intérieur d’une communauté (polis), c’est-à-dire qu’elle convoque nécessairement des imaginaires socialisés et institués (Castoriadis, 1975). Le dévoilement du sens caché à l’intérieur d’une œuvre (Cayatte, 2016) permet d’en montrer toute la force d’impact sur l’individu (Castoriadis, 2002). Si la création médiatique peut combattre les imaginaires d’une société, elle peut aussi les vérifier et les densifier, tendant ainsi à les rendre ou nécessaires ou contingents (AristoteÉthique à Nicomaque).

Au premier abord, il s’agit bien de considérer cette science de l’interprétation comme faisant la synthèse de toutes les modalités du jeu vidéo, qu’elles soient narratives ou ludiques. Néanmoins, cette herméneutique est-elle seulement dialectique, quand elle met en correspondance game et play, ou paradigmatique ? Si elle s’appuie toujours sur les enjeux narratologiques et ludologiques, elle les dépasse afin de se donner une forme propre, sur le mode du symbole (Fink, 1960) ou de l’allégorie (Möring, 2013).

Toutefois, cette « spirale herméneutique » (Arsenault, 2011) n’est jamais une obligation pour le joueur, et nous devons nous demander si l’herméneute doit être considéré plutôt comme une excroissance de l’interacteur ou comme une entité à part, à qui il revient de faire somme et de composer une « texture » interprétative à partir des différents aspects du jeu. Une série de questions s’impose : joue-t-il, est-il joué par son activité ludique, se joue-t-il précisément du jeu ? Allant ainsi jusqu’à l’aporie : peut-on interpréter sans être joueur, sinon sans jouer ? Finalement, les machinima ou les montages cinématographiques de jeux vidéo déplacent-ils la question interprétative vers un autre format, sont-ils plutôt le chaînon manquant de cette équivocité et ambigüité inhérente à la nature de toute œuvre d’art ?

Ces différents problèmes peuvent finalement se réduire aux trois catégories fondamentales de la recherche de sens aristotélicienne : le quoi, le comment et le pourquoi :

  • Le quoi : tous les jeux vidéo appellent-ils un acte herméneutique ? Si la réponse paraît évidente, elle s’imbrique dans une réflexion plus large en game studies. De quelles méthodes usent les chercheurs eux-mêmes pour composer un corpus de jeux vidéo ? en privilégiant un genre ou sous-genre, un game director ou un studio (considérant ici une continuité artistique ou un modèle de création), des mécanismes, des idéologies ? ou encore par période historique ou par récits typiques (Le Voyage du Héros de Joseph Campbell) ?   
  • Le comment : Quelles sont les modalités à privilégier dans l’interprétation d’une œuvre (images, sons, textes, dialogues, concept arts, esthétique) et comment les concilier afin de développer des correspondances ? Comment les grammaires vidéoludique, cinématographique ou littéraire se conjuguent-elles afin de mieux comprendre et analyser une œuvre ? Enfin, à l’heure où les jeux vidéo inventent des espaces virtuels dont la densité d’appropriation appartient aux joueurs et joueuses, particulièrement dans le cas des mondes ouverts ou d’un gameplay systémique, comment parvient-on à appréhender ces jeux sans fin ?
  • Le pourquoi : quel est l’intérêt et la finalité (telos) d’un commentaire ou d’une exégèse, qu’en faire, notamment dans une démarche qui dépasse la création pour aller vers une interrogation philosophique ou politique ? Les pratiques herméneutiques de la première modernité, telles que la mythographie et la tradition conceptiste, peuvent-elles aider à comprendre les enjeux et les fins de l’herméneutique vidéoludiques ?

Chacun, et chacune, comprendra que seul un travail d’équipe interdisciplinaire peut permettre de tisser une toile plus large autour de ce que pourrait être une nouvelle science de l’interprétation, réévaluée à travers la pratique vidéoludique. Si le jeu vidéo est l’objet de cette recherche, la visée serait une nouvelle approche de la philosophie de la création, ayant pour finalité de repenser le monde dans son environnement tout en reconnectant les manières de penser et d’agir au présent avec celles du passé.

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Le colloque se tiendra le 14 et 15 janvier 2021 à l’Université de Liège. Les communications dureront une vingtaine de minutes mais un temps plus long peut être accordé dans le cas de formats particuliers. Les frais de déplacement et d’hébergement des intervenants ne pourront pas être pris en charge.

Les propositions de communication d’environ 400 mots devront être envoyées avant le 5 juillet 2020, et seront accompagnées d’une courte bio-bibliographie du proposant.

Elle seront envoyées à l’adresse suivante : paulantoinecolombani@gmail.com.