Essai
Nouvelle parution
Le Jeu de l'Ordre et du Chaos. Comédie et pouvoirs à la Fin de règne, 1673-1715

Le Jeu de l'Ordre et du Chaos. Comédie et pouvoirs à la Fin de règne, 1673-1715

Publié le par René Audet (Source : Balzac-L)

Guy Spielmann, Le Jeu de l'Ordre et du Chaos. Comédie et pouvoirs à laFin de règne, 1673-1715. Paris, Honoré Champion, 2002. Collection«Lumière classique» No36. 608 p., relié. ISBN 2-7453-0446-1.

Alors que les recherches sur le «Grand Siècle» --- et surtout cellessur les arts du spectacle -- se concentrent en fait sur les deuxpremières décennies du règne de Louis XIV (1655-1675 environ), ce livrese propose de démontrer que la «Fin de règne», période oubliée, voireméprisée, constitua un moment fort de la création dramatique, ainsiqu'une étape cruciale dans le devenir de l'Ancien Régime etl'établissement de la modernité en France. Période marquée non par ladécadence, comme on le dit trop facilement, mais par une instabilitérévélatrice de désordres fondamentaux, au terme d'une courte période destabilité illusoire.

On croyait la question du pouvoir pratiquement réglée par le triomphede l'absolutisme, ou en tout cas suspendue jusqu'aux confins de laRévolution; on la trouvera posée toujours et partout dans une sphèresocio-politique constamment au bord de l'anarchie et de l'explosion.Pouvoir économique encore confus de la bourgeoisie; pouvoir du roi dontla translation exécutive se révèle parfois très faible; influencesocio-culturelle encore très marquée d'une noblesse pourtantdéclinante; pouvoir de l'argent, qui bouleverse les règles du jeupolitique et social; pouvoir de la foule, du public, à qui pour lapremière fois échoit une capacité décisionnaire sur la créationartistique; pouvoir du théâtre, enfin, qui permet d'exprimer lesaspirations réprimées des uns et des autres et sert de banc d'essai auxutopies sociales.

On croyait le théâtre à bout de souffle, épuisé, incapable desurpasser, d'égaler ou même d'honorer le legs esthétique des Corneille,Molière et Racine; on découvre, en dépit de conditions très précaires,un bouillonnement d'activité et de creativité, où s'élaborent des formesqui pourront encore sembler novatrices au XXe siècle. Cette étude obéità trois impératifs: privilégier la représentation, et prendre en comptela passion du spectacle comme les exigences de l'économie de marché;relativiser le rôle de l'auteur et de sa biographie pour mieux faireressortir l'aspect collectif de la création; circonvenir latraditionnelle typologie des genres, qui empêche de poser certainsproblèmes essentiels que soulève justement l'application d'une grille delecture générique à des oeuvres où le dialogue, le jeu, le chant, lamusique, la danse, et la machine participaient d'un ensemble biendifficile à résumer en un seul vocable.

L'approche interdisciplinaire des pratiques de scène les moinslittéraires (commedia dell'arte, opéra, opéra-comique, ballet, pièces àmachines, marionnettes, parades...) débouche sur une problématiquenouvelle pour l'abord de notre sacro-saint «théâtre classique», et surl'affirmation du caractère idéologique du classicisme dans ledéveloppement et le maintien de l'identité nationale française autour derepères culturels soigneusement sélectionnés.

Impossible à classer, irritant parfois par ses facilités, surprenantailleurs par ses audaces et ses trouvailles ce théâtre dérange. Oncomprend finalement pourquoi érudits et critiques se sont si longtempsingéniés à le proclamer inconséquent, à en décourager la fréquentation:qu'on y regarde d'un peu trop près, et la face du Grand Siècle en estdéfinitivement changée --- et avec elle une «certaine idée de laFrance».

Site d'accompagnement, voir la nouvelle http://www.fabula.org/actualites/article3885.php