Questions de société
«Le gouvernement fait preuve de mépris», J.-L. Fournel (02/02/09)

«Le gouvernement fait preuve de mépris», J.-L. Fournel (02/02/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Jean-Louis Fournel: «Le gouvernement fait preuve de mépris»

Interview. Recueilli par SYLVESTRE HUET (Libération 02/02/09)

Jean-Louis Fournel, professeur à Paris-8, est aussi le président de l'association Sauvons l'université.

Quelles sont les raisons de la mobilisation dans les universités ?

Nous n'avons pas voulu cette épreuve de force, elle nous est imposéepar un gouvernement qui fait preuve de mépris et d'arrogance. Troissujets expliquent notre mouvement. La réforme de nos statuts, celle dela formation et des recrutements des enseignants du primaire et dusecondaire et les nouvelles règles budgétaires liées à la LRU. Ellesvont radicalement changer la carte universitaire du pays, au seulbénéfice de quelques pôles, au détriment de l'aménagement duterritoire. La concurrence sauvage et non régulée entre individus,formations, diplômes, universités deviendrait le mode de fonctionnementde notre enseignement supérieur.

Les réformes ne sont-elles pas nécessaires si l'on veut adapter l'université ?

Adapter l'université ! Mais c'est elle qui, en vingt ans, a suabsorber l'arrivée massive des jeunes vers l'enseignement supérieur,une demande sociale légitime mais qui n'a pas déclenché de réactions àsa mesure de la part des pouvoirs publics. L'Etat a réagi avec retard,ne construisant les locaux indispensables ou ne créant les postesd'enseignants-chercheurs que dans l'urgence. De leur côté, lesuniversités ont créé des formations nouvelles, assuré l'accueil desétudiants dans des conditions matérielles souvent honteuses, recruté àtour de bras des personnels précarisés. Les universitaires ont vu leurcharge de travail, cours et administration, exploser. Nous avons tenubon dans la tempête, avec des résultats dont nous n'avons pas à rougir.Mais alignons quelques réalités désagréables : les universitairesfrançais sont parmi les moins bien payés d'Europe, ceux qui assurent leplus d'heures de cours, souffrent le plus de conditions matériellesdéplorables… Et il faudrait accepter le mépris dont le président de laRépublique et sa ministre nous accable ! Trop, c'est trop.

L'un des points durs du conflit concerne la formation des enseignants. De quoi s'agit-il ?

Cette réforme, appelée de façon barbare «mastérisation des concours»met à bas la formation disciplinaire et la formation pédagogique. Lasuppression de l'année de stage en responsabilité suivant la réussiteau concours, la concurrence instaurée à terme entre un diplôme (lemaster d'enseignement) et un concours de recrutement, l'affaiblissementde la formation disciplinaire sont porteurs d'une précarisation massivedes enseignants mais aussi des enseignements.

Votre statut date de 1984. N'est-il pas obsolète ?

Cet argument est audible et acceptable, dès lors qu'il ne débouchepas sur un diktat imposé par la ministre au terme d'une «concertation»où elle a écouté tout le monde et n'a tenu compte de l'avis depersonne. A condition aussi que l'objectif de cette réforme ne soit pasla pure et simple augmentation des charges d'enseignement au détrimentde la recherche.

Faut-il vraiment qu'une instance nationale, et non l'université, décide de promouvoir les enseignants-chercheurs ?

Aujourd'hui, le système n'est pas parfait, mais il reste équilibréentre le niveau national et le niveau local qui attribuent chacun lamoitié des promotions. Cet équilibre permet de compenser des dérives.Valérie Pécresse veut confier 100 % des promotions non seulement auniveau local, mais à un système centralisé à l'excès sur le présidentd'université. Cette rupture d'équilibre risque de soumettre touterecherche à des logiques d'établissement, locales, au détriment de laliberté de recherche et d'une politique nationale cohérente.

La ministre ne cesse d'affirmer que l'effort de l'Etat en faveur des universités est sans précédent…

Les chiffres d'augmentations annoncés - parfois considérables - sontla plupart du temps des leurres, en raison de charges nouvelles et doncd'un changement de périmètre budgétaire. Quant aux augmentations lesplus spectaculaires, elles proviennent de retards accumulés si grandsque leur simple rattrapage peut faire illusion.