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Le drame conjugal dans l'oeuvre de Rétif de La Bretonne : désastre intime et enjeux politiques

Le drame conjugal dans l'oeuvre de Rétif de La Bretonne : désastre intime et enjeux politiques

Publié le par Florian Pennanech (Source : Claude Jaëcklé Plunian)

Le drame conjugal dans l’oeuvre de Rétif de La Bretonne :

désastre intime et enjeux politiques

 

Clermont-Ferrand, 7 et 8 juin 2012

 

Colloque organisé par l’équipe « Lumières et Romantismes » du CELIS (EA 1002)

avec le soutien de la Société Rétif de La Bretonne

 

Comité scientifique : Marie-Françoise Bosquet, Philippe Corno, Françoise Le Borgne

 

La forte proportion des naissances prénuptiales et illégitimes au XVIIIe siècle témoigne d’un relâchement du contrôle moral de l’Église qui coïncide avec une critique récurrente de l’institution matrimoniale. C’est à cette époque qu’émerge, dans la comédie et le roman, une nouvelle conception du mariage, fondé sur l’inclination réciproque des partenaires et compatible avec leur épanouissement personnel. Si l’opposition traditionnelle de la passion et de la conjugalité subsiste, elle tend à s’estomper, laissant place à une valorisation du mariage, condition de possibilité d’un bonheur simple et vertueux.

Dans leur volonté de faire de la famille une micro-démocratie, cellule de base de la République, les législateurs révolutionnaires ont encouragé cette évolution en sécularisant le mariage, qui devient, avec la loi du 20 septembre 1792 sur le divorce, un contrat révocable entre deux conjoints égaux en droits.

Au sein de l’abondant corpus primaire suscité à la fin de l’Ancien Régime et sous la Révolution par ces débats autour du mariage, l’oeuvre de Rétif de La Bretonne occupe une place à part :

Certes, Rétif a lui aussi choisi de mettre en scène le conflit du sentiment amoureux et de l’ordre social et familial traditionnel en faisant du mariage impossible d’un jeune Français et d’une Anglaise le noeud tragique de La Malédiction paternelle (1780) et de ses avatars scéniques (La Prévention nationale, 1784). Avec son Curé patriote (1790), il semble également défendre une libre dissolubilité de l’union matrimoniale garante des « moeurs, [du] bonheur et [de] l’union dans les ménages ».

Pourtant, l’idéalisation du mariage d’amour, librement contracté et dissous par les époux, se heurte chez lui à la conscience aiguë des limites de ce type d’union, entretenue par son expérience matrimoniale désastreuse avec Agnès Lebègue (dont il divorce en 1794) et les déboires de sa fille Agnès (mariée au sadique Augé de 1781 à 1794) : que devient l’union conjugale soumise aux aléas du seul désir – en particulier féminin ? à contre-courant de ses contemporains, Rétif prônera donc également une conception du mariage archaïque – celle d’Arnolphe dans L’Ecole des femmes, qu’il loue dans Les Gynographes (1777) –, faisant du couple parental fétichisé dans La Vie de mon père (1779) et « La Femme de laboureur » (183e Contemporaine) un modèle indépassable.

Ainsi, à l’effort pour formuler et promouvoir, dans maints textes fictifs et réglementaires disséminés dans l’oeuvre à la suite des Gynographes, une norme conjugale fondée sur la soumission « naturelle » de la femme à son époux et du couple à la famille, répond une série d’oeuvres qui dénoncent des unions « monstrueuses », soit que la femme y domine – Le Ménage parisien (1773), La Femme infidèle (1786) –, soit que l’homme y outrepasse par trop ses droits, discréditant l’autorité légitime du mari, comme on le voit dans Ingénue Saxancour ou la Femme séparée (1789).

La thématique du mariage traverse ainsi toute l’oeuvre de Rétif de La Bretonne, articulant en permanence mise en perspective d’une expérience intime conflictuelle et réflexion plus large sur les enjeux socio-politiques de l’institution conjugale. Le colloque de 2012 vise à analyser ces deux dimensions, en questionnant notamment :

-  La cohérence ou l’incohérence d’une théorie rétivienne du mariage et la tension qu’elle instaure entre des formes conjugales traditionnelles, fondées sur le primat du collectif sur l’individuel, du masculin sur le féminin, et des formes conjugales plus modernes ouvertes sur l’inclination personnelle et le droit au changement. On pourra insister en particulier sur le retournement de perspective qui caractérise parfois le traitement du motif conjugal chez Rétif, le conduisant par exemple à la revalorisation problématique de figures traditionnellement ridicules (le cocu) et à la dévalorisation corollaire des passions extra-conjugales de la femme mal mariée (mais non de l’époux déçu…).

-   La manière dont les réflexions de Rétif sur le mariage sont légitimées ou brouillées par des choix d’écriture. Comment et dans quelle mesure les thèses rétivienne sont-elles promues dans le roman épistolaire polyphonique (La Femme infidèle), les recueils de nouvelles (Les Contemporaines), l’utopie dramatique (L’An 200), etc. ? Comment, inversement, ces différents genres mettent-ils à l’épreuve la théorie conjugale de Rétif en faisant resurgir des conflits entre désir et ordre social qui en soulignent les limites ? Comment, enfin, des oeuvres plus fantasmatiques, qui présentent des configurations matrimoniales peu orthodoxes, fondées sur la polygamie ou les échanges de partenaires, peuvent-elles ramener la réflexion à une réalité vécue ou, à l’inverse, permettre d’échapper par la fiction aux apories d’une théorie en tension permanente ?

-  Les liens qu’entretient l’oeuvre de Rétif avec d’autres discours contemporains sur le mariage. On pourra s’intéresser dans cette perspective aux théories du mariage développées à la fin de l’Ancien-Régime (on pense au dernier chapitre de l’Émile) et, bien-sûr, à l’époque révolutionnaire, les débats sur le mariage des prêtres et sur le divorce trouvant un écho explicite dans les nouvelles qui composent la troisième partie du Palais-Royal ou des drames tels que Le Libertin fixé. Mais il sera également possible de confronter l’oeuvre rétivienne aux écrits intimes, fictionnels ou non, qui, à la même époque, contribuent à la revalorisation de l’union conjugale et à la modification de son statut.

Les propositions de communication (1000 signes environ) sont à adresser avant le 1er décembre 2011 à Françoise Le Borgne (flb75@yahoo.fr) ou à Siham Olivier, CELIS, équipe Lumières et romantisme, Maison des Sciences de l’Homme, 4, rue Ledru, F-63057 Clermont-Ferrand cedex 1. Tel : 04 73 34 68 44.