Agenda
Événements & colloques
Le contretemporain poétique

Le contretemporain poétique

Le contretemporain poétique
Louvain-la-Neuve, jeudi 9 - vendredi 10 - samedi 11 octobre 2003
Faculté de Philosophie et Lettres
Département détudes romanes
Programme de recherches en philosophie de la littérature


Dans les discours contemporains sur la poésie, on peut déceler deux tentations opposées. La première consiste en une démocratisation et une inflation des termes poésie, poète : la poésie est partout, elle est devenue le signifiant majeur de lindéfinissable, dun sentiment de beauté facilement accessible et communicable La poésie désigne létat dune foule de choses qui nen ont pas et chacun est un peu poète à ses heures. Au contraire, parmi ceux que lusage commun continue dappeler poètes, le terme poésie est devenu hautement suspect, voire détestable (de Ponge et Bataille à Roche ou Gombrowicz). A leurs yeux, si une telle chose existe, la poésie désigne un état de la langue rare, incommunicable, lié aux signifiants de lillisible, de linnommable.


Nous partirons de cette tension de la poésie dans les discours contemporains : non pas que ça ne se fait plus en poésie, au contraire, mais bien que ça ne se lit plus ou, en tout cas, que ça ne se lit plus là où ça sécrit : divorce, rupture avec le public qui, ne comprenant plus, nen veut rien savoir. Si nombre dexpériences poétiques contemporaines ne disent plus que le langage, son jaillissement, son fonctionnement et laccès au sens quil produit (Nancy, Résistance de la poésie), lindifférence énonciative qui sy engage ne répond pas aux attentes dun lectorat qui refuse, refoule, dans une réaction de défense, la poésie en tant que manifestation sans alibi de la face sombre de la littérature pour lui préférer une « poésie partout », parfaitement lisible dans une ère culturelle facilement consommable.. Poésie, aujourdhui, est le nom dun ratage, mais ce ratage est peut-être lessence même du dire poétique : comme si la poésie sétait mise elle-même en retrait, en avance sur son temps. Résistance de la poésie : elle nest plus quune poche de résistance (poésie et psychanalyse ?) ; elle résiste à mourir, elle résiste à sintégrer, elle résiste à se donner à lire, elle résiste au langage, au brouhaha, au bavardage, elle résiste à se taire


Lobjectif de ce colloque est détudier le rapport de la poésie au monde contemporain, avec ou contre quoi elle sécrit. Divers points de vue sont proposés :


- Rapport à la technologie : « le langage nest pas une technique, mais bien la technicité même [] si la technologie de la poésie désigne lensemble [] des procédés du langage pour se désigner lui-même dans sa nature de tekné, alors, en effet, il nest pas surprenant que lexhibition technologique généralisée de arts [] aille de pair avec une disqualification de lart majeur et avec une remise en jeu [] de sa technicité propre. » (Nancy) Selon quelles modalités la poésie sinscrit-elle dans les nouvelles technologies de linformation ? Quel rapport au(x) média(s), virtuel(s) et actuel(s) ? Peut-on encore se contenter dune approche de la poésie en fonction du couple oralité / écriture ?


- Rapport à léconomie : dun côté, dans limmense machine éditoriale quest devenue notre société, la poésie est absolument non rentable. Cest un phénomène qui échappe à toute logique économique et a trait à la notion de dépense et dhétérogène. La poésie, bien quelle ait pu être récupérée socialement, politiquement, répond au départ à une logique de la disjonction qui travaille toute égalité possible, disloque, dissocie, déboîte, tronque, interrompt tout. La poésie dérange. Mais de lautre côté, si lon se réfère par exemple à Paul Valéry, seuls les poètes ont idée du prix du discours, de ce que coûte la mise au monde dune parole juste Comment la poésie articule-t-elle les signifiants de capital et de dépense ?


- Rapport à la philosophie : Dans la République, Platon fait état dun différend ancien entre la philosophie et la poésie, différend dont Socrate provoque lexplosion dans lIon : depuis la nuit du logos grec, poètes et philosophes tentent dapprocher, avec des moyens radicalement différents, le méta-physique. Existe-t-il une poésie philosophique propre au XXe siècle ? Existe-t-il une philosophie poétique ? Ces deux disciplines ont-elles encore leur mot à dire sur le monde ? Quen est-il des signatures respectives du philosophe et du poète ?


- Rapport à la science : de Lucrèce à Ponge ou Queneau, il existe une longue tradition de poésie scientifique occidentale, qui semble pourtant faiblir au XXe siècle. Comment expliquer la rupture entre discours poétique et discours scientifique ? Sagit-il simplement dune incompatibilité du discours poétique contemporain avec toute forme de positivité ? Si la poésie rate à communiquer la science (cf. Chris Andrew, Poetry and cosmogony, Rodopi, 1999), nest-ce pas parce que celle-ci épuise ses forces à éviter la rencontre avec la figure de linnommable, de limpensable, de limpossible, située au cur de lexpérience poétique ?


- Rapport au politique : face aux phénomènes de globalisation linguistique (émergence dune koine internationale), deffacement des frontières, de traductions généralisées, de transparence absolue, la poésie prend ses racines dans lidiomatique, lexpérience de la marque, du trait, de la cicatrice à même le corps propre, de lintraduisible sans reste. Comment allier machine et événement ? Quelle place pour le nom du poète dans un monde qui voit saccélérer les mouvements de transferts, communication, communautarisation ? Existe-t-il une poésie transnationale ? européenne ? française ? Dans quelle(s) langue(s) sécrit la poésie ?


- Rapport à la poésie : existe-t-il une distribution spécifique au XXe siècle des termes poésie / poème / poétique Mais aussi des termes poésie / littérature, poésie / roman / drame / autobiographie La poésie na-t-elle pas pour spécificité de brouiller la question du genre ? Quen est-il de la littérarité poétique aujourdhui ? Quest devenue lalternative poème versifié / poème en prose ? Dans quelles directions les poètes ont-ils développé ce qui constitue peut-être une des caractéristiques essentielles de la poésie : le « métalangage » prothétique, la réflexion incessante du discours poétique sur soi, qui complique et soutient tout à la fois ladresse du poète ?


Renseignements complémentaires: hayez@rom.ucl.ac.be