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Le complot dans l'imaginaire politique contemporain

Le complot dans l'imaginaire politique contemporain

Publié le par Ivanne Rialland (Source : Sylvie Servoise)

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Appel àcontributions, Raison Publique, n°16,« Le complot dans l'imaginaire politique contemporain ».

L'imaginaire politique est le lieu où s'exprime l'écart qui sépare complot et théorie du complot, le premier désignant une réalité aussi ancienne quela politique elle-même, alors que la seconde est une grille interprétativen'apparaissant qu'avec la modernité politique et dont le succès estgénéralement proportionnel au mépris intellectuel qu'elle suscite. Mais, si lesthéories complotistes constituent bien « une vision magique du politiquenon moins qu'une philosophie sommaire de l'Histoire[1] »,reste à comprendre la signification de leur succès contemporain, ne serait-ceque pour y déchiffrer les nouvelles superstitions politiques de notre époque.

Car ces théories envahissent le champ de la créativité artistique autantque politique. Ainsi, la contestation de la version officielle du 11-Septembrerevêt explicitement les habits de l'action citoyenne tandis que les figures ducomplot envahissent l'art, sans distinction entre les médiums (BD, série TV,jeux vidéos, cinéma, littérature) ni entre une pratique « noble » ou« populaire », rassemblant sous ce même motif aussi bien best-seller ou blockbuster (Da Vinci Code, Matrix) qu'écrivains reconnus ou cinéma d'auteur (Pynchon,DeLillo, Coppola, Stone). Du rôle supposé des francs-maçons et des Illuminati dans la Révolution française aux soupçons pesant surle virus A(H1N1) en passant par l'assassinat de Kennedy ou les attentats du11-Septembre, les théories conspirationnistes semblent à la fois s'étendre (extension de leur champ aux catastrophes naturellesou aux épidémies mondiales qui se trouvent ainsi enrégimentées dans la sphèredu politique) et s'intensifier(l'adhésion à ces théories n'étant plus le fait d'une minorité, éventuellementidentifiable idéologiquement, mais devenant un réflexe politique relativementcommun). Tout se passe désormais comme si tout événement, quel qu'il soit,pouvait et devait être lu à travers ce schéma interprétatif qui dédouble lesens de la politique, séparant une figure classique de l'action, dont laconscience moderne ne serait plus dupe et se désintéresserait, de son doublecomplotiste, d'autant moins saisissable que ses contours sont vagues et que sonadhésion admet des degrés divers.

La théorie du complot remplirait une première fonction évidente, celle defournir un schème d'explication global et surtout intentionnel à une réalitépolitique jugée de plus en plus complexe du fait de sa mondialisation. En cesens, le mythe du complot mondial répond à la mondialisation effective de lapolitique. Il fait écho à l'inquiétude et à l'impuissance de l'individu face àune réalité politique jugée immaîtrisable aussi bien par l'action que par lapensée. Les théories du complot auraient pour première signification de rendreintelligible la « chose publique », mais en la situant paradoxalementdans une sphère qui n'est plus celle de la publicité politique.

Se révèle alors la nécessité d'une analyse critique en ce que la posturecomplotiste servirait de masque à ce qui l'engendre et supprimerait de lacompréhension de la mondialisation politique ce qui en est peut-être l'enjeumajeur : comment celle-ci engendre ses contradictions, si ce n'est sanégation. Epistémologiquement, la théorie du complot fait en effet l'économiede ce qui est l'enjeu des sciences humaines : l'intermédiaire ou, entermes économiques et sociologiques, « l'effet pervers ». Elle oublieque « le résultat final de l'activité politique répond rarement àl'intention primitive de l'acteur[2] »et revient à nier l'existence des conséquences non intentionnelles de l'action.Le conspirationnisme est donc seulement en apparence l'opposé de la théorie« officielle » du Choc des civilisations : il est en faitl'envers de cette même posture épistémologique et idéologique du« tout-intentionnel » où l'Axe du Mal répond aux Illuminati. En dernier ressort, la pensée conspirationnistefait paradoxalement écran à la réalité contre laquelle elle prétend s'élevertandis qu'une critique véritable du monde contemporain consisterait aucontraire à analyser comment, sans complot, il produit ses proprescatastrophes.

La question du conspirationnisme est à la croisée des champsdisciplinaires et appelle la mobilisation de nombreux savoirs, tous bienvenus.Afin d'éviter cependant que la multiplicité des approches n'entraîne ladissolution de leur objet, on privilégiera les points suivants :

1) Une « épistémologie du complot », qui s'avèred'autant plus nécessaire que les théories conspirationnistes prennent la posed'un scepticisme salutaire, voire d'un bastion de rationalité, face à des massmedia soupçonnés d'incompétence ou deconnivence avec le pouvoir.

2) Le tour résolument contemporain que prendrait cettequestion : sans nier ni oblitérer l'ancienneté des scenarii complotistes, il s'agirait de saisir ce qui, dans cephénomène, a trait à « l'ère du temps » et témoigne ainsi de sonéventuelle nouveauté. Si l'émergence des théories complotistes esthistoriquement située, la période de leur généralisation ne constitue-t-elle pas à son tour unmoment distinct de cette histoire ?

3) De manière corollaire, mais plus spécifique encore, querévèle la prolifération de la figure du complot dans le champ contemporain desarts et de la littérature ? Son usage met-il nécessairement fin à uneconception classique de l'action et de la subjectivité ? Et dans ce cas,au-delà donc de la simple reprise du « thème » du complot, faut-il yvoir quelque chose de comparable à ce que Panofsky appelait à cerner parl'iconologie et, en interprétant ainsi « le sens de la forme », ylire l'expression d'un moment spécifique de la culture ?

4) Subversion et contre-subversion

Les propositions d'articles devront êtreadressées à Aurélie Ledoux (aurledoux@gmail.com) pour le 30 septembre2011, avant d'être transmises au comité de lecture de la rédactionpour évaluation. Des propositions détaillées, d'au moins 5000 signes (espacescompris), sont attendues. La remise définitive des articles est prévue pour le 1er décembre 2011.

Afin de permettre un traitement plusrapide des manuscrits, merci de joindre, sur un feuillet distinct, une brèveprésentation biographique de l'auteur et ses coordonnées. Des informationssupplémentaires sur le format des contributions et la revue Raison publique sontdisponibles sur le site : http://www.raison-publique.fr/article37.html.

Les articles retenus seront publiés dansle numéro 16 de la revue, à paraître au printemps 2012.


[1] Pierre-André Taguieff, L'Imaginaire du complot mondial, Aspects d'unmythe moderne, p. 9.

[2] Max Weber, Le Savant et le Politique, Plon, Paris, 1963, p. 165.