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Langages (de) frontaliers : la traduction esthétique de situations-limites dans la littérature occidentale (19e-20e s.)

Langages (de) frontaliers : la traduction esthétique de situations-limites dans la littérature occidentale (19e-20e s.)

Publié le par Vincent Ferré (Source : Florence Godeau)

Langages (de) frontaliers : la traduction esthétique de situations-limites dans la littérature occidentale (19e-20e s.)

Organisation et comité scientifique : Université Jean Moulin-Lyon3 (porteur du projet : F. Godeau), Université Lumière-Lyon2 (C. Quéffelec, Pr. Littérature comparée), ENS Lyon (E. Dayre, Pr. Littérature comparée).

DATES du COLLOQUE : 11-13/01/ 2012

ARGUMENTAIRE

Le terme borderline, dans le domaine des sciences de l'homme, qualifie un dysfonctionnement psychique et comportemental. Au 20e siècle, les personnages borderline deviennent objets d'étude. Dans la littérature, ils expriment un mal être affectant les civilisations occidentales, au delà du Unbehagen freudien. Les « frontaliers » invitent en effet à une réflexion sur le devenir du sujet, plus que de cet individu dont le 19e siècle aurait consacré le triomphe. L'usage métaphorique du terme « frontalier » permet d'identifier des manifestations fictionnelles marginales, un habitus et un habitat singuliers, assortis de comportements d'autant plus déroutants, aux yeux des fauteurs de sanctions que la fiction met en scène, que l'être des frontières est aussi, dans la plupart des cas, un non violent : hors système, certes, mais pas nécessairement délinquant. Tout au long de l'histoire littéraire, la folie douce fut souvent tenue pour féconde. Mais, plus on avance dans le temps et l'histoire, jusqu'aux rives du monde contemporain, plus on observe un glissement du regard critique, a fortiori celui de l'écrivain lui-même, sur ces “cas-limites”.

Le langage des « frontaliers », traversé par leur double appartenance, conditionné par un état intérieur qui peut être un état de sécession intime, peut être traduit de multiples façons. Le texte donne la parole à ceux qui en sont privés, pour des raisons diverses, souvent en rapport avec la violence d'une Loi imposée par autrui. On songe aux « voix » singulières (et féminines) du théâtre de Sarah Kane : celle de Cate, réduite au bégaiement par la violence de l'agression subie, celle de Phèdre, celle de 4.48 Psychosis, dont la dislocation devient poème, Nocturne sans destinataire « to resist to coercion and constriction ».

Il faut aussi interroger, sans doute, la corrélation existant entre les personnages de l'« entre deux » (entre deux mondes, deux voix, deux langues) et une appartenance originelle à telle ou telle catégorie sociale. La question du déclassement intervient ici, qui, à l'époque contemporaine, croise celle de la paupérisation des classes moyennes, alors qu'au 19e siècle encore, l'appartenance à la bourgeoisie, qu'elle fût petite, moyenne ou grande, garantissait le plus souvent la perpétuation d'un way of life dont les maîtres mots, qui fondent la conscience bourgeoise dans les pays occidentaux, sont le confort et la sécurité. On songe à ces personnages erratiques dont le langage trahit le milieu d'origine et compromet l'intégration (White-Jacket, de H. Melville), ou à des situations exactement inverses, mais tout aussi ambiguës (le langage de Jean dans Fröken Julie, de Strindberg). À cet égard, s'interroger sur les langages frontaliers peut être une manière oblique et nouvelle d'évoquer la figure de l'apatride tel que le définit Judith Butler, soumis aux lois arbitraires d'un état qui n'est jamais qu'un espace transitoire, dépourvu de repères stables, où s'aventure une identité fragilisée, toujours susceptible de s'égarer en chemin.

Par ailleurs, au tournant des 19e et 20e siècles, le conflit entre l'ordre des Pères et les désordres des Fils prodigues semble un invariant du roman de formation. L'expulsion, le verdict, la réduction au silence, donnent aux errements ultérieurs une motivation et une coloration spécifiques. Or, qu'il ait été giflé par son père mourant, comme Zeno, condamné ou banni, beurteilt ou verschollen, comme chez Kafka, jeté dehors d'un coup de pied, comme dans Eleutheria, de Beckett, le fils porte les stigmates de ce rejet dans ses manières de penser et de dire. À la fois reliés à l'immémoriale mémoire mythique oedipienne et signes d'une mise en question radicale du patriarcat, de l'ordre colonial, ou de l'ordre bourgeois, ces reniements ouvrent sur une béance à laquelle les personnages n'ont pas toujours le pouvoir de s'arracher, quand même ils s'efforceraient de réinventer le langage, de forger leur propre parole au creuset de leur isolement. On peut rappeler ici la distinction soulignée par G. Gusdorf entre le langage, venu « de l'extérieur », et qui ferait écran entre le sujet et son « moi » profond (« je suis fait de mots, des mots des autres », dit l'Innommable beckettien) et la parole, entendue comme seule expression authentique ou comme ce langage incréé, forgé au creuset d'un exil, dont rêve Stephen Dedalus.

La question de l'expression du « sujet » en situation-limite est donc étroitement corrélée à une réflexion politique excédant largement le souci réaliste ou l'intérêt supposé pour les psychologies du débord. Le « frontalier », tout à la fois victime et bourreau, symptôme et remède, miroir et conscience critique d'une époque, est avant tout image ou signe, doté d'une puissance symbolique et d'une valeur herméneutique qui se confond avec le projet esthétique dont il est un acteur parmi d'autres.


OBJECTIFS


Comment l'écriture explore-t-elle ces zones intermédiaires ? Comment s'élaborent ces langages du passage, de l'entre-deux, de l'interstice ? Comment traduire l'affleurement d'une expérience traumatique, d'un refoulé retenu dans l'oubli, à moins qu'il ne se tienne, comme l'écrit Pascal Quignard, « au bout de la langue » ?

Le compte rendu d'états intermédiaires de la conscience (insaisissables sinon par approximation), l'exploration des zones de passage de la pensée « en soi » à son expression « pour autrui », la traduction textuelle de difficultés à (se) dire (parole empêchée, trouée, obscure ou opaque, parfois relayée par une voix narrative ou par quelque autre « truchement » bienveillant) sont autant de stratégies textuelles auxquelles on pourra, lors de ce colloque, consacrer des analyses approfondies. Il s'agira donc d'étudier le mode d'expression de personnages à travers lesquels, au sein d'un dispositif textuel précis, est interrogée une situation socio-historique problématique.

Il est souhaitable que les propositions, présentées sous la forme d'un résumé d'une quinzaine de lignes et accompagnées d'une brève notice bio-bibliographique, mettent en relation des domaines linguistiques et/ou artistiques différents.

Date limite pour l'envoi des propositions : 31 janvier 2011 aux trois adresses suivantes : florence.godeau@univ-lyon3.fr / Christine.Queffelec@univ-lyon2.fr / dayre@orange.fr