Actualité
Appels à contributions
La violence du quotidien dans le théâtre et le cinéma contemporains

La violence du quotidien dans le théâtre et le cinéma contemporains

Publié le par Marie de Gandt (Source : Florence Vinas-Thérond)

Date prévisionnelle : 27-28 janvier 2011

La violence du quotidien dans le théâtre et le cinéma contemporains.

Ce colloque, prévu pour janvier 2011 et qui devrait s'étendre sur deux journées, s'inscrira dans la continuité des précédents travaux du champ « Littérature, discours critique, discours social » du RIRRA 21 (Université Paul-Valéry-Montpellier III) portant sur les liens entre littérature et société, littérature et histoire des idées et des mentalités : colloques « L'Empreinte du social dans le roman contemporain » en 2004, « Le théâtre du couple au XXe siècle » en 2006[1], « Le Proche », à partir des essais du sociologue Simmel, en 2008. Celui-ci est consacré essentiellement au théâtre (dans une moindre mesure au cinéma) des vingt dernières années et n'exclut aucune aire géographique.

La violence fait partie de l'art, elle traverse la production théâtrale depuis ses origines. Il suffit de relire les tragédies grecques, Shakespeare, pour comprendre que la violence est la question centrale posée par le théâtre. Mais elle est sujette à des mutations thématiques et esthétiques qui font évoluer sa nature d'une époque à une autre.

Aujourd'hui on fait le constat d'une apparition de plus en plus fréquente de la violence sur la scène contemporaine et ce dans toutes les cultures (scatologie, pornographie, cruauté et obscénité langagière). Quelles sont les raisons de cet engouement que certains jugent malsain ? Est-ce tout simplement le produit d'une société elle-même violente contre laquelle les dramaturges et les spectateurs veulent réagir ? Est-ce le signe d'une crise du théâtre, à une époque où il s'interroge sur son devenir, sa nature et ses modalités? S'agit-il d'une volonté de concurrencer le cinéma, dans une société où l'on n'a plus peur des images, où les medias modifient en profondeur notre regard sur le monde ? Par rapport au cinéma, à quelles difficultés particulières se heurte le théâtre lorsqu'il a à montrer des actes violents ? Notre conception de l'homme et de ses rapports avec ses semblables au sein de la société est-elle en train de changer ?

En réaction peut-être avec les journaux télévisés qui, malgré le flot d'images dont ils assaillent le téléspectateur, rendent toujours plus irréels, lointains et abstraits les conflits et problèmes de société dont ils traitent, le théâtre contemporain recherche la proximité : en même temps qu'il prête une attention plus grande à la situation de l'individu inscrit dans le devenir collectif en mettant en écho les névroses individuelles et les névroses collectives, ce théâtre nous fait pénétrer dans l'intime et nous confronte à la violence du proche, du quotidien, à la bestialité des relations privées. Comme l'avait montré les communications présentées au colloque de 2006 sur le théâtre du couple, les relations interpersonnelles sur lesquelles se structure socialement le groupe humain sont, dans ce théâtre, dévalorisées, les relations amoureuses et familiales en particulier, minées par l'egocentrisme et le désir cannibalique de faire disparaître l'Autre. La cellule familiale y est décrite comme un espace structuré en fonction du plus fort et verrouillé par l'ensemble culturel dans lequel il s'inscrit. Nous souhaiterions revenir sur ces conflits soi/couple/société en creusant la question de la violence.

On examinera donc avec un intérêt particulier la tendance du théâtre contemporain à aborder la violence de notre époque par un examen implacable des relations intimes, du désastre de la famille (voir actuellement au Théâtre du Rond-Point la mise en scène de la pièce de Petter S. Rosenlund « Un garçon impossible » par Jean-Michel Ribes, dans laquelle un garçon de huit ans tue au couteau son médecin, sa mère et son grand-père). Les poussées de violence contre des êtres proches, les aveux de haine entre membres d'une même famille sont monnaie courante. La promiscuité creuse des distances infinies. Le familier s'articule au monstrueux et à l'étrange avec une violence jusqu'alors inédite. Dans le même temps il est tentant de relier ce monstrueux huis-clos domestique à la sphère publique. Quels sont, dans ces pièces, les liens entre violence criminelle (notamment envers des proches) et violence sociale. Une lecture politique de celles-ci est-elle encore possible et laquelle ? La distanciation brechtienne intervient-elle encore dans le travail théâtral ? On réfléchira à des filiations possibles : avec le drame moderne du tournant du XXe siècle et en particulier le théâtre de Strindberg qui déjà soulignait « la barbarie de notre vie intime »[2], ou avec le théâtre du quotidien qui consacra, au milieu des années 70, le retour en force de l'intime et du domestique souvent perçu à travers le prisme du fait divers[3].

Les communications présentées aborderont donc cette barbarie qui se présente sous les traits de gens ordinaires, dans des oeuvres dramatiques ou cinématographiques qui proposent au public une plongée dans un enfer qui lui est étranger, mais proche cependant , aux frontières de l'humain et de l'inhumain.

Si dans un premier temps on pourra se demander comment l'écriture théâtrale contemporaine aborde de façon spécifique la question de la violence (par exemple, refus de toute position idéologique, dans la lignée postmoderne.), on verra ensuite que la représentation de la violence au théâtre pose des problèmes d'ordre dramaturgique et scénographique. Comment représenter la barbarie ? Comment montrer des actes obscènes ? (viols, masturbation, meurtres, actes de torture, etc…). Des comédiens auront à les exécuter sur scène devant un public. Si ce n'est pas un problème au cinéma, cela le devient au théâtre : la représentation théâtrale, comme production en temps réel, et en chair et en os, met face à face des acteurs et un groupe de spectateurs institués dès lors en voyeurs.

Donc qu'en est-il du spectateur ? Pour lui, plus de protection, plus de distance : il est directement pris à parti par ce à quoi il assiste, d'autant plus si les situations présentées sur scène évoquent en partie son quotidien. Quels sont les effets de la représentation de la violence ? Qu'acceptons-nous ou pas d'entendre, nous spectateurs ? Sommes-nous voyeurs, passifs ou dans une démarche critique et réflexive ? Dans l'Epreuve du feu de Magnus Dahlström, qui rassemble une série de confessions de meurtriers, l'un d'eux raconte qu'il laisse sa femme enceinte tomber dans l'escalier sans intervenir. Le metteur en scène François Berreur, à propos de cette situation, disait lors d'une table-ronde[4] : «  Le monologue le plus violent est celui où le personnage ne fait rien. L'acte le plus violent ramène à notre statut de spectateur. La plus grande violence est l'absence de violence. Le plus violent est la description du monde dont on est spectateur ». Le spectateur peut avoir le sentiment d'être piégé, voire violenté par cette description du monde dont il est spectateur, surtout s'il s'agit de l'exposition d'une parole qui est habituellement de l'ordre d'une expérience intime. C'est cette exposition qui peut sembler malsaine. De façon générale d'ailleurs, le clivage privé/public tend à s'amenuiser dans les arts contemporains, comme dans la société : reality shows à la télévision, body art de Vito Acconci, et Gina Pane, opérations performances d'Orlan…Les notions d'hyperréalisme, de théâtre-réalité peuvent-elles rendre compte de cette tendance majeure du théâtre contemporain à « servir comme sur un plateau l'exposition froide des pulsions des protagonistes »[5]. La catharsis est-elle encore possible et de quelle catharsis s'agit-il ?

Le spectateur qui place le théâtre (ou d'autres formes d'art) en gardien de sa bonne conscience est mis sur la sellette, conduit à l'auto-critique. La séduction perverse de ces objets théâtraux limite reflète souvent une réflexion sur la représentation. Le théâtre en se confrontant aux limites de l'expérience humaine se pose aussi la question des limites de l'art dramatique : c'est une nouvelle approche de la notion de « représentation » (c'est-à-dire la mise en scène de quelque chose qui n'est pas du réel mais se situe sur « une autre scène ») qui se profile. Pourquoi va-t-on au théâtre ? Acteurs ou spectateurs, qu'allons-nous y chercher ?

Les propositions de communication comporteront un titre, un résumé de 300 à 500 mots et une brève notice biographique. Elles seront envoyées avant le 4 mai 2009 par courriel à Florence Thérond, Maître de conférences de littérature générale et comparée à l'Université Montpellier III et organisatrice du colloque (therond.florence@wanadoo.fr).


[1] Ce colloque devrait être mis en ligne dans le courant de l'année 2009 par les Presses Universitaires de la Méditerranée.

[2] L'expression est de Jean-Pierre Sarrazac in Théâtres intimes, Actes Sud, 1989 p. 35.

[3] Voir les travaux d'Armelle Talbot à ce sujet, « Théâtres du quotidien : enjeux politiques et esthétiques », disponible sur le web.

[4] Conversation n°3 : « la question de la violence au théâtre », Université d'été de la Mousson d'été édition 2000.

[5] Roland Fichet, « Le théâtre : fabrique de littérature », ref. webzine/article/lecture/fabrique, p. 5.