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La traduction comme source de découverte et de création

La traduction comme source de découverte et de création

Publié le par Marc Escola (Source : Université Jean Monnet - Allhis)

Appel à communication

Colloque international

17 et 18 juin 2016

La traduction comme source de découverte et de création

Université Jean Monnet de Saint-Etienne

Coordination : Anne Béchard-Léauté et Sylvain Trousselard

La traductologie examine inlassablement les sources de la traduction. Ces études comportent pour toile de fond des débats très relatifs sur la fidélité ou la trahison dont le traducteur fait preuve, qu'il soit « sourcier » ou « cibliste », à savoir qu’il privilégie la langue de départ ou la langue d’arrivée. La traductologie s'intéresse également aux ressources de la traduction en analysant les outils lexicographiques que sont les dictionnaires ou autres glossaires. L'exposition "(res)sources de la traduction », présentée récemment à la Bibliothèque universitaire de Lille iii, en est un bel exemple. En revanche, il est moins courant d'approcher la traduction en tant que source, à savoir s'intéresser non pas aux sources de la traduction, mais à la traduction comme source, ce qui sera l'objet de ce colloque.

En préambule, une approche historique semble incontournable, car dès l'Antiquité, la traduction fut source de découvertes et de création. Cet axe diachronique portera par exemple sur les textes ayant permis de connaître des langages ou des textes disparus ou jusqu'alors indéchiffrés. On pense d'emblée à l'exemple de traduction le plus célèbre de l'Antiquité, la Pierre de Rosette, qui permit à Champollion de déchiffrer les hiéroglyphes. On pourra également se pencher sur des traductions de textes perdus, par exemple la traduction de Cicéron des discours d'Eschine et de Démosthène, auquel d'autres textes font référence.

Pourtant, au delà de ces cas de découvertes ou de disparitions, on constatera aussi que, dès l'Antiquité, l'alternance historique entre traduction littérale et traduction libre favorisa un processus de création issu d’un acte de traduire encore pérenne. Dans une approche plus contemporaine comportant une réflexion élargie sur la tâche du traducteur, nous aborderons ainsi non seulement la traduction comme source de découvertes mais aussi comme source de création. De fait, la traduction ne se limite jamais à une simple transposition de sens littéral mais constitue une véritable re-création, au sens propre d'une seconde vie du texte, à laquelle vient parfois s’ajouter une véritable descendance, dans le cas d’œuvres célèbres imitées ou constamment retraduites. On s'attardera par exemple sur les recréations de l'époque romaine qui s'inspirèrent de textes grecs prestigieux, dans une activité de traduction-imitation qui sera reprochée à des auteurs comme Plaute ou Térence. Sans aller jusqu'à l'imitation, la traduction fonctionne aussi par échos puisqu'elle permet, par la prolifération de ses multiples, d'inspirer d'autres auteurs. Les reproches qu’on a pu faire aux traducteurs-imitateurs seront, au Moyen Âge, perçus comme des vertus : Bono Giamboni, par exemple, cite, imite et reprend Prudence sans mentionner sa source. On ne saurait aujourd'hui critiquer des auteurs comme Shakespeare, Molière ou La Fontaine d'avoir abondamment puisé dans ces sources antiques, souvent d'ailleurs par le biais de traductions. On pourrait ainsi revisiter le succès révolutionnaire du Tristram Shandy de Laurence Sterne chez ses confrères européens, comme Diderot ou Pouchkine, qui connurent cette œuvre uniquement en traduction. Nous verrons ainsi que, quelle que soit son degré de fidélité, la traduction sert toujours d'élément de base à la transformation d'un héritage en une culture nouvelle.

La traduction fut aussi source d'inspiration dans des circonstances plus tragiques qui conduisirent à la censure et qui demanderont à être rappelées dans le cadre de ce colloque. Par exemple, sous le fascisme italien, de nombreux auteurs se retrouvant au chômage ou sans éditeur eurent recours à la traduction d'abord comme pis-aller, puis comme moyen d'expression. Americana, une anthologie de littérature américaine publiée en 1941 chez Bompiani sous la direction d’Elio Vittorini eut pour traducteurs des auteurs aussi prestigieux qu’Eugenio Montale, Alberto Moravia ou encore Cesare Pavese. Les préfaces et annotations de Vittorini déplurent au Ministero di cultura popolare qui les censura mais qui accepta finalement la traduction, d’abord dépourvue de commentaires, puis préfacée l’année suivante par Emilio Cecchi, auteur jugé moins subversif. Un même phénomène fut observé en Union soviétique du temps de la Guerre froide où, selon le linguiste et théoricien de la traduction Efim Etkin, les poètes russes « communiquèrent avec leur lectorat par l’intermédiaire de leurs traductions de Goethe, Shakespeare, Orbéliani et Hugo ». Ces auteurs réduits au silence traduisirent pour continuer de se faire entendre tout en faisant silence sur une œuvre que, dans le meilleur des cas, ils continuaient secrètement d’écrire. Ainsi, malgré la censure, la traduction, cette deuxième voie, devint désespérément source d'écriture. On pourra alors également présenter comme source la traduction d'un texte qui ne put jamais être publié dans son pays et dans sa langue originale.

C’est par le biais d’une approche résolument transversale qu’on étudiera enfin la traduction comme source de création dans des domaines autres que la littérature. Par exemple, dans le domaine des arts et plus particulièrement du livre d'artiste, la traduction est non seulement une source de création mais aussi un véritable outil expérimental. De fait, l'ambition universelle du livre d'artiste s'accompagne souvent d'expériences linguistiques ; la traduction s'écarte alors diamétralement de son rôle traditionnel de passage pour devenir un dispositif allant démultiplier le concept initial de l'œuvre pour l'élargir. Dans cet espace expérimental de nouvelles écritures qu'est le livre d'artiste, la traduction n'est plus seulement un outil conceptuel, elle devient source de créativité. Pour exemple, il existe de nombreux livres d'artistes emblématiques comme les 10 premiers nombres classés par ordre alphabétique de Claude Closky, dont l'ordre est inévitablement bouleversé, précisément par le jeu du classement alphabétique, par son passage à la langue anglaise qui crée alors une œuvre autre : The First Thousand Numbers Classified in Alphabetical Order.

Dans un souci d'ouverture et d'échange propre au séminaire interdisciplinaire ALLhis, ce colloque accueillera autant les communications historiques ou pratiques que les interventions d'ordre théorique. Ainsi, on pourra également étudier les travaux d'auteurs allant à l'encontre de la conception traditionnelle de la traduction comme pratique ancillaire. Des auteurs tels que Walter Benjamin, Antoine Berman, Jacques Derrida, Henri Meschonnic, Valery Larbaud et Paul Ricœur ont permis de revoir la hiérarchie du passage de l’œuvre à sa traduction, redonnant un rôle principal à celle-ci et la transformant en source d'inspiration. Pour ces auteurs, si la traduction doit toujours accompagner le texte original, elle n'est plus subalterne à ce dernier ; le passage à l'acte de traduire acquiert dès lors une véritable valeur de (re-)création de l’œuvre, dans ce que Berman qualifie de nouvelle visée traductive. Meschonnic souligne aussi le rôle de créateur du traducteur lorsqu’il le décrit comme « sourbliste » ou « circier » plutôt que comme sourcier ou cibliste. À l’encontre des herméneutes confondant selon lui langue et langage, Meschonnic souhaitait sortir de cette « opposition dramatique » entre langue de départ et d’arrivée. Ce fut pour lui une question programmatique, la traduction devant immanquablement transcrire le rythme, ce « poème de la pensée ». Enfin, tout en reconnaissant cette propension créative du traducteur, Ricœur l’évoque en même temps comme un risque quand il écrit que la « trahison créatrice de l'original, [est l’]appropriation également créatrice par la langue d'accueil : construction du comparable ».

 

 

Les propositions de communication (un titre, un abstract de 500 mots maximum, une bio-bibliographie de 10 lignes maximum et 5 mots-clés en anglais ou en français) seront à envoyer pour le 25 juin 2015, délai de rigueur, à

Anne Béchard-Léauté : anne.francoise.leaute@univ-st-etienne.fr

et

Sylvain Trousselard : sylvain.trousselard@orange.fr

Le Comité scientifique se réunira en juin pour établir le programme des communications du colloque. Les réponses seront communiquées pour le 15 juillet 2015.

Les communications ne devront pas excéder 20/25 minutes afin que chaque intervention puisse donner lieu à une discussion ouverte. Cette obligation devra être strictement respectée par les participants. Les langues des communicants seront l’anglais, l’italien ou le français.

A l’issue du colloque, les intervenants seront invités à transmettre une version rédigée de leur communication. Cette dernière fera l’objet d’une expertise en vue d’une publication des actes dans les « Cahiers d’Allhis » aux éditions Chemins de tr@verse.

Comité scientifique : Anne Béchard-Léauté, Isabelle Baudino, Elisa Bricco, Sandrine Coin-Longeray, Yona Dureau, Rosa Fréjaville, Florence Garambois, Gérard Gâcon, Simina Mastacan, Christian Roinat, Sylvain Trousselard.

Comité d’organisation : Anne Béchard-Léauté, Sandrine Coin-Longeray, Isabelle Furnion et Sylvain Trousselard.