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La théorie des trois styles au Moyen Age et la pratique littéraire

La théorie des trois styles au Moyen Age et la pratique littéraire

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Institut de littérature mondiale, Moscou)

Institut de littérature mondiale, Moscou


Colloque franco-russe «La Théorie des trois styles et les littératures européennes au Moyen Age. Les arts poétiques et la pratique littéraire »


Le colloque que nous envisageons d'organiser aura lieu en 2008, 1-3 septembre.
Il se déroulera à l'Institut de littérature mondiale, Moscou, rue Povarskaïa, 25 a.


Il ne serait pas inutile de rappeler, d'une manière succincte et nécessairement schématique, certaines particularités de la doctrine médiévale des trois styles, afin de faciliter la compréhension des buts du colloque. La classification des styles exposée dans les arts poétiques médio-latins des XIIe-XIIIe siècles est basée essentiellement sur les critères thématiques ; les oeuvres de Virgile servent d'exemple pour les trois styles : l'« Enéide » pour le style sublime, les « Géorgiques » pour le style moyen, les « Bucoliques » pour le style bas. (On connaît la représentation graphique des trois styles sous forme de la « roue de Virgile », où chaque style figure avec les personnages appropriés, qui sont munis des attributs convenables). En ce qui concerne la matière verbale, sa place est secondaire : elle doit « convenir » aux sujets et aux personnages choisis ; la notion du « décorum » est primordiale à cette époque ; le mélange des styles, ainsi que l'infraction des règles du « décorum » sont considérés comme des défauts que l'écrivain doit éviter. A part le système des trois styles, les arts poétiques médio-latins proposent une autre gradation des styles : celle de l' « ornatus facilis » et de l' « ornatus difficilis » fondée sur le choix de certaines figures rhétoriques ; des auteurs médiévaux comparent parfois l'« ornatus difficilis » au style sublime, tandis que le style moyen s'avère exclu du système dichotomique. Aux XIVe-XVe siècles, d'abord en Italie, et plus tard dans d'autres pays, l'idéal esthétique de la « variété des styles » (la « varietas ») se répand progressivement ; l'épithète « varié » caractérise la matière verbale, le vocabulaire. En accord avec cet idéal, on impose maintenant au poète parfait d'utiliser des styles divers, afin d'éveiller les émotions différentes du lecteur et de ne pas l'endormir par une monotonie; parfois, la « variété des styles » est considérée comme l'expression de l'individualité d'un auteur. Aux XIVe-XVe siècles (en France, en particulier), des systèmes hétérogènes coexistent et se superposent, semble-t-il – , à cet égard l'époque du Moyen Age tardif apparaît comme la plus complexe et en même temps énigmatique.
Il existe beaucoup d'ouvrages consacrés à la théorie des trois styles – à ses origines gréco-latines, à son évolution à l'époque médiévale, ainsi qu'à ses modifications plus tardives et ses composantes diverses . Toutefois, le philologue-médiéviste se heurte à des difficultés considérables, lorsqu'il se fixe la tâche d'analyser une oeuvre littéraire en utilisant les termes médiévaux de la théorie des styles – autrement dit, s'il essaie de repérer les indices d'un style distinct dans un texte choisi ou bien de démontrer qu'on est en face d'un mélange des styles, conscient ou inconscient. Ceci n'est pas dû au hasard : la pratique littéraire, confrontée à la théorie des trois styles, est étudiée beaucoup moins que les traités eux-mêmes. A ma connaissance, il n'existe pas de travaux où ces problèmes seraient étudiés sur un matériel étendu – sur les exemples des plusieurs oeuvres appartenant à des siècles différents. Les observations à ce sujet sont dispersées pour la plupart des cas dans des livres consacrés à la théorie littéraire et elles ne forment pas de système ; les études où ces problèmes se posent par rapport à un genre, un auteur ou une oeuvre ne sont pas nombreuses .
Les difficultés de l'application de la théorie des trois styles à un texte médiéval sont conditionnées par le caractère imparfait et contractoire de la théorie elle-même. En effet, la classification thématique des trois styles est loin d'épuiser la diversité de la littérature médiévale. Presque tous les poèmes lyriques (à l'exception des pastourelles), de nombreuses oeuvres allégoriques et didactiques (y compris des traités courtois), les chroniques – voici la liste très incomplète des textes qui restent en dehors de la « roue de Virgile ». De plus, les styles reçoivent dans les traités des épithètes et des définitions différentes, ce qui complique l'affaire. Ainsi, le style bas est nommé tantôt « subtilis », tantôt « humilis », la première épithète a plusieurs significations (« simple », « clair », « exact », mais aussi, paradoxalement, « raffiné », recherché », « élégant » ; il n'est pas exclu que Guillaume de Machaut joue parfois d'une manière concsiente de ces significations, lorsqu'il définit les qualités de son « génie » (« engin si soutil » ). En ce qui concerne le style moyen, il représente, semble-t-il, le plus de difficultés pour les chercheurs. Dans les arts poétiques, il est décrit surtout d'une manière indirecte – il n'est pas trop élevé et, en même temps, il n'est pas trop bas. Quelquefois, on le lie uniquement à la narration ; mais est-ce que c'est vrai ? Enfin, notons que souvent la connaissance insuffisante de l'histoire de la langue ne nous permet pas de comprendre, si nous sommes en présence du vocabulaire « convenable » ou « inconvenable » à un sujet et que le désaccord des critères esthétiques modernes et médiévaux nous empêche de distinguer la « variété des styles » de leur « mélange », c'est-à-dire, de l'éclectisme. Il est clair toutefois que le commentaire stylistique constitue une partie inséparable de l'exégèse littéraire : il est impossible de comprendre une oeuvre sans essayer d'apprécier sa valeur stylistique. Ajoutons que le commentaire de ce type a une signification pratique indéniable pour le traducteur qui doit situer son original dans une hiérarchie des styles dès qu'il aborde son travail – d'ailleurs, la traduction et la compréhension sont toujours étroitement liées.

Ainsi, les contributions des participants du colloque doivent être consacrées à l'analyse des oeuvres littéraires concrètes sur un fond théorique – notamment, à la recherche des indices qui permettent soit d'établir un rapport entre une oeuvre et tel ou tel style, soit de démontrer qu'on est devant un mélange des styles qui, à son tour, peut être apprécier différemment, en dépendance des plusieurs facteurs.

Voici quelques questions qui peuvent être discutées lors du colloque.

Le champ d'application de la théorie des trois styles ; l'ensemble des textes qui peuvent être soumis (ou non) à l'analyse, dans le cadre de la théorie des trois styles.

Eléments de la réflexion littéraire dans une oeuvre (des références directes ou indirectes à un style, des mentions des concepts de la théorie des trois styles).

Des indices thématiques ou linguistiques des trois styles que l'examen des textes permet de dégager.

Des latinismes, des calques sémantiques et syntaxiques : des signes du style sublime ou de la variété des styles ?

Le style moyen, existe-t-il dans la poésie lyrique médiévale? Et si oui, à partir du quel moment ?

Des moyens d'expression du décorum dans des oeuvres littéraires.

Les signes de l'infraction des règles du décorum ; les manifestations de l'« inconvenant ».

Le « convenable » et l'« inconvenant » face aux traités didactiques qui établissent des règles du comportement d'un individu et des groupes sociaux : des princes, des chevaliers, des moines, des clercs, des « états », des amoureux, etc.

Les moyens de l'expression de la « variété »; peut-on considérer l'union des éléments thématiques élevés et bas, caractéristique de la fin du Moyen Age, comme une manifestation de l'idéal de la « variété » (en particulier, dans le « Voir Dit » de Guillaume de Machaut ou dans le « Décameron » de Boccace) ?

La trichotomie et la dichotomie des styles à des périodes différentes du Moyen Age.

La doctrine de l'excellence du style moyen par rapport à d'autres (en France, à la fin du XVe et au début du XVIe siècles) et la formation de la norme linguistique.


Le colloque aura lieu durant trois jours ; les communications et les discussions seront accompagnées de l'interprétation simultanée.
Les actes du colloque seront publiés.
Une table ronde sera probablemant organisée pour les doctorants qui doivent prévoir des communications courtes (15 minutes).

Veuillez envoyer un résumé d'une page jusqu'au 15 janvier 2008 à: ludmilaevdo@mtu-net.ru; levdo@mail.ru

La liste éventuelle des participants français :
J.Cerquiglini-Toulet (Univ. Paris-IV, Département de littérature médiévale) ; F.Cornillat (Univ.Rutgers, New Jersey) ; L.Dulac (équipe d'accueil EA 1970 « Moyen Age, Renaissance, Baroque », Univ. Paul Valéry, Montpellier), J.-C.Mühlethaler (Univ. de Lausanne, Département de littérature médiévale) ; M.Lacassagne (Univ. de Reims) ; T.Lassabatère (Laboratoire de Médiévistique Occidentale de Paris, Univ. Paris-I) ; M.Zinc (Académie des Inscriptions et Belles lettres, Collège de France).

La liste éventuelle des participants russes :
M.Abramova (Univ. Lomonosov de Moscou); M.Andreev (IMLI, Institut des hautes études en sciences humaines); E.Gourevitch (IMLI); L.Evdokimova (IMLI); I.Erchova (Université des sciences humaines de la Russie); A.Jourbina (IMLI); J.Ivanova (IMLI; Institut des recheches en historiographie auprès de l'Ecole des hautes études en économie); V.Loukasik (Univ. Lomonosov de Moscou); I.Matiuchina (Institut des hautes études en sciences humaines); E.Mourachkintseva (Université des sciences humaines de la Russie); M.Nenarokova (IMLI); V.Smirnova (Univ. Lomonosov de Moscou); I.Staf (IMLI); C.Tchekalov (IMLI)

L.V.Evdokimova,
Docteur ès lettres,
Directeur des recherches