Questions de société

"La Sorbonne, bastion de la contestation, tient bon" (Libération) + "La Sorbonne rejoue mai 68" (Paris Match) - 16/05/09

Publié le par Bérenger Boulay

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Sur cette page:

: "La Sorbonne, bastion de la contestation, tient bon", par Véronique Soulé (Libération 16/05/09)

- "La Sorbonne rejoue mai 68", par Anne-Sophie Lechevallier (Paris Match 16/05/09)

La Sorbonne, bastion de la contestation, tient bon

http://www.liberation.fr/education/0101567564-la-sorbonne-bastion-de-la-contestation-tient-bon

Vendredi (15/05/09), la grève a été reconduite dans la vénérable fac.

Reportage de VÉRONIQUE SOULÉ (Libération 16 mai 2009)

Il est 13 heures vendredi ruede la Sorbonne, et deux gendarmes affamés sont descendus de leur carpour acheter un sandwich grec. Devant chacune des entrées de la plusancienne université de France, un gendarme ou un CRS se tient enfaction. Pour pénétrer, il faut montrer sa carte d'étudiant,d'enseignant, etc. Le journaliste doit s'annoncer à l'avance. Etfigurer sur une liste. On franchit alors un premier rang de vigiles, enuniforme bleu. Puis un autre, en noir, des privés embauchés par lerectorat après le début du mouvement avec le nom de leur société écriten gros dans le dos: «Centaure».

AG en série. La Sorbonne ressemble ces temps-ci àune forteresse assiégée. Et pour cause : elle est un des hauts lieux dela contestation. Des télés étrangères viennent même y filmer enrappelant mai 68… Elle abrite en effet deux des universités les plusmobilisées, Paris-I en partie (les premières années sont sur un autresite, à Tolbiac) et surtout Paris-IV, l'une des principales universitésde lettres et sciences humaines (23 000 étudiants). Malgré le refluxannoncé un peu partout par le gouvernement, la Sorbonne ne montre guèrede signe d'essoufflement. Les AG se succèdent dans les amphis ou, pourles enseignants, dans les locaux des UFR (les départements). Les sallesde cours restent généralement fermées car le personnel Biatoss(administratifs, bibliothécaires, etc.) est aussi en grève. Parfois laprésidence en fait ouvrir une. Mais les étudiants, avec leurs brassardsdu comité de grève, font aussitôt «le printemps des chaises»- ils les empilent pour interdire l'entrée. Les autres sites deParis-IV dans la capitale sont la plupart du temps bloqués. Comme unpeu partout, seuls les étudiants préparant le capes ou l'agrégation ontcontinué à avoir cours.

Amphi plein. Vendredi, l'amphi Richelieuaccueillait une AG commune étudiants-personnels de Paris-I et Paris-IV.A une écrasante majorité, la grève a été reconduite : sur les quelque5à 600 présents - l'amphi était plein -, seuls 24 ont voté contre et 15se sont abstenus. Une motion a aussi été adoptée, spécifiant qu'il n'yait aucun examen ni contrôle d'ici le prochain conseil d'administrationdu 5 juin, seule instance à pouvoir décider en la matière.

Vatican. A la Sorbonne, on ne compte plus les AG.L'affluence est inégale mais elle reste fournie. Le rituel est bienrodé. Les orateurs - militants de l'Ageps (le syndicat étudiant de laSorbonne, à gauche), de Sud et plus rarement de l'Unef, membres parfoisdu NPA (le Nouveau Parti anticapitaliste désigné par le gouvernementcomme le grand manipulateur), mais aussi des non syndiqués et desindépendants - respectent leurs trois minutes de parole, histoire de nepas lasser. Preuve, s'il en était besoin, que la contestation a prisune dimension politique, les sujets à l'ordre du jour, projetés parordinateur sur le mur, dépassent les questions universitaires.

On va parler des conclusions de la dernière coordination nationale,de la répression dans les facs, des gestes sur la réforme de laformation des enseignants, mais aussi de l'accord de reconnaissanceréciproque des diplômes entre la France et le Vatican ou encore de la«convergence des luttes» avec les témoignages d'un hospitalier, d'unprofesseur des écoles, etc.

Les intervenants, essentiellement des étudiants, se succèdent pourdénoncer le durcissement officiel. Ils citent les sanctions financièrescontre onze enseignants-chercheurs de Toulon, les interpellations degrévistes sur les campus, les attaques contre le président de la fac,Georges Molinié, très engagé contre la politique actuelle, et surtoutla dramatisation orchestrée par le gouvernement autour des étudiantsprivés d'examens et de leur année gâchée à cause de leurs profs engrève.

«Tous nos étudiants étrangers rentreront chez eux avec des diplômes, intervient une enseignante d'anglais,tous nos étudiants partiront en stage avec des diplômes. Nous nous enpréoccupons contrairement à ce que le gouvernement veut faire croire,et chacun dans nos départements, nous déciderons des modalités pourvalider l'année.» Selon un enseignant d'histoire de Paris-I, laplupart des départements ont déjà pris des mesures. Voyant la grève seprolonger, ils ont donné une liste de lectures à leurs étudiants etdéfini un programme allégé en vue d'examens, en juin ou en septembre.Beaucoup ont aussi proposé des cours alternatifs. «On est tous mobilisés pour trouver une solution», assure-t-il.

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- "La Sorbonne rejoue mai 68", par Anne-Sophie Lechevallier (Paris Match 16/05/09) 

 http://www.parismatch.com/Actu-Match/Societe/Actu/La-Sorbonne-rejoue-mai-68-96426/

La plus vieille université française entame sa quinzième semaine de grève. Un mouvement national contestataire et contesté

Presque toutes les mains selèvent. Il est 13 heures dans l'amphithéâtre Richelieu en Sorbonne, cejeudi 7 mai. «Les RG ne prennent pas part au vote», plaisante leprofesseur Pascal Boldini, le chef d'orchestre de l'assemblée généralequi réunit Paris-I et Paris-IV. Sous l'oeil du cardinal et de Socrate,dans ce lieu prisé par les touristes japonais, plus de 600 étudiants,enseignants-chercheurs et administratifs, assis sur les bancs en boiset massés dans les travées, viennent de reconduire la grève.L'assistance s'époumone, en canon, sur son refrain de ralliement: «LaSorbonne, elle est à nous. On s'est battu pour la garder. On se battrapour la garder.» La filiation à Mai 68 signalée, la quinzième semainede grève commence. Sous les applaudissements.

Paris-IV, une université à la réputation pourtant conservatrice avecses 23 000 étudiants en histoire, lettres, ou philosophie, figure parmiles principaux foyers de contestation aux réformes du gouvernement.«D'abord parce que Paris IV est l'une des premières facs à préparer auxconcours de l'enseignement, explique Maxime Lounas, vice-présidentétudiant et membre de l'Ageps, le syndicat majoritaire. Et aussi car leprésident a encouragé le mouvement.» Georges Molinié, élu l'an derniercontre le sortant Jean-Robert Pitte à la tête de Paris IV, le reconnaîtd'ailleurs volontiers: «J'ai été l'un des présidents qui a eu le moinspeur de dire ce qu'il se passait. Les phrases méprisantes de NicolasSarkozy et de Xavier Darcos, écoutées en boucle dans les labos, ontbraqué le corps universitaire dans une unité inédite. Outre le décretsur le statut des enseignants-chercheurs, la réforme de la formationdes enseignants fait durer le mouvement. D'autant que le gouvernementenchaîne les fausses reculades!».

«Je n'ai jamais voté à gauche. Je fais grève pour la première fois»

Dans l'amphi Richelieu résonne un constat similaire. Devantl'estrade, une vingtaine de personnes — dont une poignée opposée à lagrève — se succèdent, micro en main, pendant trois minutes maximum.Leurs paroles, transcrites simultanément sur ordinateur, sont projetéessur grand écran, comme une volonté de fabriquer, à chaud, des archives.Ils ont entendu les propos contre les «quelques extrémistes» tenus laveille par François Fillon, lors de la fête pour les deux ans de lavictoire de Nicolas Sarkozy: «Je dis à la petite minorité qui bloqueles universités et qui use de la violence qu'elle est coupable degâcher l'avenir d'une majorité des étudiants de notre pays.» Nicolas,étudiant en philosophie, avec son brassard jaune «Sorbonne en grève»,répond devant un auditoire conquis: «Oui, il y a des gens d'extrêmegauche dans cette salle. [Rires de la salle.] Oui, il y a des genscontre Sarko dans cette salle. [Rires.]» Pendant que la caisse de grève(un bonnet noir qui se remplira de 250 euros pour financer banderoleset tracts) passe de main en main, Benjamine captive l'amphi. Cettemaître de conférence, agrégée d'anglais, lance: «Je n'ai jamais voté àgauche. Je fais grève pour la première fois», avant de dénoncer, dansun discours enlevé, les conséquences des réformes engagées.

La question des examens ponctue les interventions. La neutralisation dusemestre, avec une licence validée en cinq semestres, au lieu de six,est évoquée. Georges Molinié n'a pas de réponse: «On me pousse àenvoyer la police pour faire sauter les piquets de grève! Que lesexamens se tiennent en juillet, ou en septembre, ne résoudra pas lefait que les cours n'ont pas eu lieu. C'est la faute du gouvernement.»Il est presque 14 heures, l'AG prend fin. Dix minutes et un sandwichplus tard, les grévistes se retrouvent sur la place du Panthéon pourune «ronde des obstinés».blank.png