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La religion des élites au XVIIe siècle

La religion des élites au XVIIe siècle

Publié le par Camille Esmein (Source : Denis Lopez)

Colloque international :

La religion des élites au XVIIe siècle

Centre de recherches sur le dix-septième siècle européen et Centre Aquitain d'Histoire moderne et Contemporaine, Université Michel-de-Montaigne Bordeaux 3

(30 novembre- 2 décembre 2006)

Le lien tissé entre les élites et la religion, en particulier le catholicisme, semble a priori si évident que les historiens des mentalités lui ont préféré le thème de la « religion populaire » dans la décennie 1975-1985. À tel point que Jean de Viguerie qualifiait récemment celle-ci d'« auberge espagnole » de l'histoire religieuse [1]... Les historiens spécialistes des élites, quant à eux, n'ont souvent traité l'expression de la foi que de manière accessoire. Nous en voulons pour preuve l'Histoire des élites en France du XVIe au XXe siècle écrite par Guy Chaussinand-Nogaret, Jean-Marie Constant, Catherine Durandin et Arlette Jouanna (1991) [2]. L'absence de référence à la religion dans le sous-titre de cet ouvrage (« L'honneur - le mérite - l'argent ») semble indiquer que celle-ci n'a occupé qu'une place secondaire dans le mode de vie de la sanior pars. De fait, seule Arlette Jouanna aborde la question, en étudiant les blocages sociaux qu'elle rend en partie responsables des violences des guerres de religion, et l'impact que ces dernières ont eu sur la noblesse à la fin du XVIe siècle.

Il est vrai qu'au moment où les méthodes des historiens croisaient celles des anthropologues, ce sont surtout les croyances des illettrés qui furent jugées opaques. On les connaissait essentiellement par le témoignage condescendant, et par conséquent suspect, des catégories supérieures de la société. Le sens du service étant l'apanage de la noblesse, cette dernière ne pouvait être que très fidèle à l'Église et à ses commandements. Or, dans leur Histoire religieuse de la France contemporaine, Gérard Cholvy et Yves-Marie Hilaire ont montré que l'association entre le château et l'église n'était qu'une image d'Épinal. La conversion massive du second ordre se serait produite assez tardivement au XIXe siècle, après que le courant ultramontain eut triomphé du gallicanisme, permettant l'expression d'une foi hantée par le souvenir de la Révolution déchristianisatrice[3]. Le facteur religieux serait alors devenu « un élément identitaire pour bien des familles nobles » [4]. Sous l'Ancien Régime, où faire ses pâques s'apparentait à un devoir social, ce facteur religieux n'aurait pas constitué un élément d'identité, les élites adoptant, dès lors, des attitudes contradictoires à l'égard de la religion. Entre le modèle du « dévot », dont le baron Gaston de Renty par exemple donne une belle image au milieu du XVIIe siècle, et celui du « libertin », de « l'esprit fort », ou du « grand seigneur méchant homme », toutes les attitudes sont possibles.

On sait la richesse des études sur ces positions, souvent présentées comme contraires, et qui impliquent bien des élites intellectuelles : lettrés, spritualistes, philosophes… Incité à réagir face à une vision noire et pauvre de la foi après les guerres de religion, l'abbé Bremond a composé jadis son très célèbre panorama littéraire et historiographique du Sentiment religieux en France (1916-1933) [5], montrant la foi, et surtout le mysticisme, de représentants des élites religieuses et intellectuelles, mettant en valeur l'oeuvre des fondateurs de congrégations, des Ecoles, des mystiques brûlants, rendant commune l'idée d'une généralisation de l'« humanisme dévot » parmi les élites. A cette fresque pouvait répondre Le Libertinage érudit de René Pintard (1943), [6] qui sonde les consciences des intellectuels d'avant 1660 et ouvre largement le champ des recherches sur les penseurs qui construisent de nouvelles visions, même s'ils n'arrivent « pas encore à avoir foi dans leur incrédulité ». Ainsi lorsque Henri Busson proposera en 1948 sa Religion des classiques (1660-1685), [7] qui parcourt le panorama littéraire de cette époque, la tendance sera moins de s'intéresser la foi des grands auteurs qu'à leur philosophie, dans ces grands débats qui semblent installer « la revanche du libertinage » annoncée par R. Pintard dans sa conclusion.

Mais les études sur la foi et sur la pensée libre dans l'ensemble du siècle ont été largement poursuivies depuis. Nombreuses sont les monographies ou les chapitres sur la religion des auteurs, ne serait-ce que dans le cadre de la collection Les Ecrivains devant Dieu, dans les biographies générales et les thèses (La Fontaine, Pascal, Racine, Fontenelle, Bossuet…). Un panorama extraordinaire pourrait être fait d'ores et déjà sur le sentiment religieux du monde des lettres à partir des innombrables articles qui traitent de la foi des écrivains et des penseurs. Parallèlement les études sur le libertinage  (Tullio Gregory, Godard de Donville, Prévot, Charles-Daubert…) sont devenues pléthoriques et ont fini par opposer dans des débats parfois acerbes, et jusqu'à très récemment, les émules de Lucien Febvre, qui, traitant du cas de Rabelais et du Problème de l'incroyance au XVIe siècle [8], statuait à l'impossibilité de l'athéisme dans ces époques, et les héritiers tardifs de R. Pintard, qui réagissent contre une tendance à édulcorer les hardiesses de pensée des libertins. Entre les tenants d'un grand siècle admirable de foi et ceux d'un siècle où basculent les croyances, avec une continuité du libertinage érudit aux Lumières et à la libre pensée XIXe, restent donc bien des nuances à mettre en valeur, témoignages à l'appui.

Le croisement entre les approches des historiens et entre celles des littéraires devrait aussi permettre des renouvellements. Certes les études lexicales et sémiotiques appliquées aux ouvrages de religion, les analyses des discours, dont on conçoit bien la diversité, et qui ont été le fait de membres du groupe de Bussières, depuis que Michel de Certeau l'avait rejoint, ont permis d'étudier un corpus tournant autour des pratiques religieuses et de la foi des masses, auquel se sont ajoutés certains textes mystiques dont l'étude précise a permis de saisir le sens de crises aiguës [9]. Certaines oeuvres littéraires majeures ont été étudiées aussi pour suggérer, à tort ou à raison, que le vécu de l'expérience religieuse se trouverait dans l'écriture, pas ailleurs (Jacques Le Brun). [10] L'oeuvre sert donc bien souvent de « document pour écrire l'histoire », pour valider ou invalider des expériences. Mais l'histoire pourrait aussi servir plus souvent en sens inverse à éclairer l'oeuvre. Et d'un côté comme de l'autre, des absences sont manifestes dans les approches de cette « littérature du christianisme » que constituent les oeuvres de théologie et de spiritualité. On comparera à titre d'exemple l'ample bibliographie se rapportant à Bossuet et le peu de travaux consacrés la très grande oeuvre de Claude La Colombière… De plus, les investigations méritent d'être renouvelées, à l'instar sans doute de récents travaux sur Malebranche [11] : en quoi et comment les différents genres de la littérature religieuse sont-ils conçus et écrits pour toucher, enseigner, convertir ? Ces oeuvres s'orientent-elles vers l'élite comme destinataire privilégié ?

Il importe, par conséquent, de se pencher sur des espaces encore insuffisamment explorés. Foi et politique interférant, le rôle joué par la noblesse au sein de la Réforme catholique a pu être montré à travers des travaux historiques récents, cependant que des études littéraires ont été fécondes, on l'a dit, sur les positions de résistance à la foi. Mais il serait bon de croiser les approches, et de comparer la foi de toutes les élites, urbaines et rurales, en incluant celles de la fortune et du talent. Il conviendrait par ailleurs de ne pas oublier dans cette démarche croisée et comparative les confessions minoritaires du XVIIe siècle, protestants et juifs, jansénistes parmi les catholiques…

Etant donné l'ampleur des domaines à explorer et l'impossibilité de tout traiter à court terme, trois axes de recherche seront ici privilégiés :

Ø      L'engagement religieux.

Les familles en phase d'ascension sociale, en particulier dans le milieu des officiers, doivent-elles être considérées comme le socle du renouveau catholique ? Les déviances et dissidences (jansénisme, quiétisme) furent-elles, avant tout, l'apanage des élites ? Le dialogue entre les confessions chrétiennes rivales s'avère presque inexistant au XVIIe siècle : les élites des différentes Eglises ont-elles contribué à creuser ou au contraire à combler le fossé séparant les confessions chrétiennes ? Le « libertinage érudit » recouvre-t-il les différents champs confessionnels ou doit-il être considéré comme une spécificité catholique ? Existe-t-il vraiment une transition du libertinage aux Lumières, pendant les années du règne de Louis XIV ? On aimerait en savoir plus sur les conséquences de certains engagements, comme le serment de 1651, fait entre elles par les élites nobiliaires contre le duel, qui d'après les travaux de M. Cuenin et F. Billacois [12] fut la seule mesure capable d'enrayer le fléau. Dans cette lignée, de nombreuses expériences restent à explorer sur l'influence sous-jacente de la foi dans l'engagement public, dans l'engagement communautaire secret, comme celui des « Compagnies » (Saint-Sacrement, Saint-Sulpice…) A rattacher à cette démarche de l'engagement, la direction spirituelle de membres de l'aristocratie : peut-on ouvrir d'autres études, à l'instar de celle bien connue de Jean Mesnard sur Pascal et les Roannez [13] ? La formation religieuse des élites, avec les oeuvres qui en sont les outils, constitue-t-elle une source de l'engagement religieux ?…

Ø      L'expression de la foi, intime et publique.

Testaments et sources du for privé ont été abondamment sollicités ces dernières années. L'étude du mécénat religieux a alimenté la réflexion sur l'art et l'architecture. Peut-on désormais sonder les reins et les coeurs ? Bien des débats sont susceptibles d'être rouverts. Les préférences spirituelles des élites se sont-elles toutes orientées en direction de l'« humanisme dévot » au début du siècle ? Quelle position les élites civiles et intellectuelles ont-elles adopté par rapport aux grands débats religieux du temps ? Quelles répartitions s'effectuent entre les différents courants de la spiritualité ? Peut-on déceler chez les élites civiles la marque des courants spiritualistes, ceux qui subsistent de la spiritualité médiévale (réforme bénédictine, cartusienne, cistercienne, mystique abstraite et intellectualiste, devotio moderna anti-intellectualiste au contraire), ceux qui viennent du seizième siècle (humanisme chrétien érasmien, mystique carmélitaine et spiritualisme humanisé ignacien) ou les courants nouveaux et originaux au XVIIe, salésianisme et bérullisme (avec ses successions : Vincent de Paul, Saint-Cyran, Ollier, Jean Eudes…) ? De là il faudrait pouvoir aussi continuer le débat sur l'expérience religieuse, en l'appliquant aux élites : illusion, dérèglement, expérience purement littéraire, tartufferie, réalité ? De même pour l'influence des courants religieux sur les moeurs de l'aristocratie : la « démolition du héros » intervenue dans les mentalités, d'après Paul Bénichou, à partir des années 1650, liée semble-t-il à la sensibilité janséniste, opposée à l'optimisme jésuite, est-elle si nette que cela dans la société des élites ? On a pu en douter et le débat mérite d'être continué sur les constantes et la variété des tendances. On posera également le problème de l'apparition éventuelle d'un divorce entre la foi du peuple et celle des notables. Le premier mythe moderne, celui de Dom Juan, est-il symptomatique en France de l'impiété, voire de l'athéisme d'une noblesse attirée par la provocation, par l'occultisme, la magie blanche et noire ? Le mythe n'est-il que littérature, outil de polémique et de satire ? Les questions de la vocation et de la conversion méritent aussi d'être reprises. Si, pour la conversion, les travaux d'Elisabeth Labrousse [14] ont pu montrer une certaine désaffection de la noblesse pour le protestantisme, devenu le fait des églises et tournant à une démocratie dangereuse, si l'exemple de Turenne, mis en lumière par Jean Bérenger, peut être l'emblème d'une intégration nécessaire, d'autres études de cas peuvent révéler similitudes ou différences. Peut-on établir par ailleurs un rapport entre les mouvements démographiques et le comportement religieux des élites, comme le suggère Jean-Pierre Bardet à partir de son étude sur la population de Rouen ?…

Ø      La religion et le pouvoir.

La religion des rois, celle des reines, étudiée par Simone Bertière, l'éducation des princes, le rôle des confesseurs royaux et des aumôniers n'ont pas livré tous leurs secrets. L'image de la cour demeure équivoque : foyer d'irréligion pour les uns, centre de la dévotion pour d'autres… Le célèbre livre du jésuite Nicolas Caussin, La Cour sainte, reflète cette dualité en même temps qu'il vise le perfectionnement spirituel des gentilshommes. A-t-on suffisamment montré ces voies de dialogue ? Tout n'a pas été dit par ailleurs sur l'antimachiavélisme chrétien du XVIIe siècle, même si des oeuvres comme le Prince de Guez de Balzac ou les puissantes tragédies de Corneille sont bien connues en tant que telles. D'autres oeuvres méritent d'intégrer ce champ d'étude, des oeuvres contraires également. On aimerait connaître plus finement leur influence dans les milieux du pouvoir, la portée du dialogue de la « Plume et de l'Epée » en matière de religion et de foi, l'impact par exemple des sermons, des carêmes prêchés en présence des courtisans. Enfin, les rapports entre l'absolutisme et l'Eglise, trop souvent réduits à la position de Bossuet et des prélats les plus engagés au service de Louis XIV, demandent un examen plus poussé, de même que l'influence du parti dévot…

Pour toutes précisions, contacter les responsables scientifiques du colloque. Les propositions de communication sont à leur soumettre avant le 1er mars 2006

·        Denis Lopez (Bordeaux 3, Lettres), denis.lopez@u-bordeaux3.fr

·        Charles Mazouer (Bordeaux 3, Lettres) charles.mazouer@wanadoo.fr

·        Eric Suire (Bordeaux 3, Histoire), eric.suire@u-bordeaux3.fr

Centre de recherches sur le dix-septième siècle européen, Direction Charles MAZOUER
charles.mazouer@wanadoo.fr , http://lapril.u-bordeaux3.frfr, UFR de Lettres.
Centre Aquitain d'histoire moderne et contemporaine, Direction Josette PONTET
michelfigeac@yahoo.fr; http://www-cahmc.u-bordeaux3.fr/, UFR d'Histoire.
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3
Domaine universitaire, 33607 Pessac CEDEX, France.
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