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La Querelle du Cid ou la naissance de la politique culturelle française au XVIIe siècle  

La Querelle du Cid ou la naissance de la politique culturelle française au XVIIe siècle

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Jörn Steigerwald)

La Querelle du Cid ou la naissance de la politique culturelle française au XVIIe siècle

Journée d’études à l’université de Paderborn,

25.-27. Mars 2015

 

La Querelle du Cid marque un tournant décisif dans l’histoire de la littérature française. Incitant la critique à prendre position par rapport au Cid de Corneille, elle contribue tout d’abord à la formulation des aspects centraux de la doctrine classique, et jouit ainsi d’une influence notable sur l’esthétique et les genres littéraires de cette époque. Si l’on se focalise sur la politique menée par le régime absolutiste à l’égard de la littérature, son importance est également considérable, puisque l’intervention de Richelieu et de l’Académie française dans la Querelle consacrent une mainmise systématique (quoique non exempte de tensions) de la politique sur la littérature. L’ « édition critique intégrale » des documents de la Querelle de Jean Civardi (publiée en 2004) offre une vue synoptique des discussions des contemporains de Corneille ainsi qu’un précis de la recherche actuelle sur le Cid. Ces deux axes se concentrent sur les paradigmes de la doctrine classique qui se forment dans le sillage de la Querelle du Cid : les trois unités, la vraisemblance et la bienséance.

            Néanmoins, l’étude de Civardi soulève des interrogations que la recherche n’a jusqu’aujourd’hui pas ou tout au plus que marginalement examinées, bien qu’elles soient constitutives aussi bien du Cid que de la Querelle. Citons par exemple la ‘place des femmes’, l’hétérogénéité des textes qui forment le corpus en question ou les implications sociales du Cid et de la Querelle du Cid. Partant des axes de recherche relevés dans l’édition de Civardi, la journée d’études organisée à l’université de Paderborn sera consacrée à la politique culturelle qui émane des questions discutées autour du Cid.

La réflexion se fonde sur l’idée que la politique culturelle qui se fait jour lors de la Querelle du Cid s’articule autour de questions d’un intérêt primordial pour les contemporains de Corneille, alors reprises, voire peut-être même déclenchées, et discutées par l’intermédiaire du Cid. Il résulte de cette constellation, telle est la thèse qui guide notre réflexion, une configuration intégrant à la fois les domaines de la politique de la famille, de la relation entre les sexes et de la politique littéraire, qui, à son tour, sert de base à des débats ultérieurs et prolonge de la sorte la politique culturelle amorcée par la Querelle du Cid. Dans cette optique, il est possible de replacer la césure marquée par la Querelle du Cid dans son contexte culturel et historique et peut-être même de voir dans les discussions d’ordre littéraire et culturel développées dans la Querelle le moment initiateur d’un ‘siècle des querelles’.

La politique de la famille, des sexes et de la littérature qui apparaît avec le Cid et la Querelle peut être esquissée de la manière suivante :

Le Cid de Corneille s’organise autour d’un conflit qui oppose une génération d’enfants à celle de ses pères, et qui remet en question leur qualité de modèle, voire même leur autorité (avec Don Gomès, Don Diègue et Don Fernand d’un côté et Rodrigue, Chimène et l’Infante de l’autre). Une analyse de cette confrontation et de ses répercussions dans la Querelle nous offre une idée de ce que les contemporains de Corneille entendaient par le concept de ‘famille’. Il s’agira alors d’examiner dans quelle mesure la crise d’autorité représentée par ce conflit de générations est à mettre en relation avec le changement profond que subit la famille française aux environs de 1630, et qui se définit non seulement par une restructuration de la maison, de l’ « oikos », mais aussi par l’émergence d’un nouveau modèle de famille.

L’analyse de ces paramètres familiaux engage à son tour une réflexion sur le genre de relation entre les sexes qui transparaît dans la Querelle du Cid. C’est tout particulièrement à la fin de la tragédie de Corneille que cette problématique se dessine, lorsque Chimène demande grâce au Roi afin qu’il repousse l’échéance de son mariage avec Rodrigue. Devant assumer à la fois le rôle de fille, de dame de la Cour, de femme et d’(ancienne) amante de Rodrigue, elle montre qu’elle ne peut que repousser et non pas résoudre cette situation dans laquelle elle est enchevêtrée. La violence des réactions des critiques face au comportement de Chimène et d’autres protagonistes, qu’ils n’hésitèrent pas à qualifier d’amoral et de contre-nature, indiquent que la relation entre les sexes, mais aussi la morale et l’identité sexuelle sont partie intégrante d’un processus de transformation de la société. Cette évolution a pour conséquence la recherche de nouvelles formes d’identité sexuelle, discutées dans la Querelle du Cid à l’exemple concret de la ‘femme’ (Chimène), du héros (Rodrigue) et du souverain (Don Fernand).

En focalisant la relation entre littérature et politique, on remarque que la Querelle du Cid réunit les domaines du public, du théâtre et de la poétologie. Cette constellation conduit à des questions concrètes touchant à la moralité qui, déjà débattues dans le Cid (à l’exemple du mariage ou de l’honneur), sont reprises et deviennent des points de discorde centraux de la Querelle. Dans cette perspective politico-littéraire, il faudra se demander si la Querelle du Cid est à mettre en rapport avec d’autres querelles, telle que la Querelle de la moralité du théâtre, ou, si l’on se penche sur des questions de transfert culturel, avec les discussions engagées dans la Querelle des Suppositi qui analysent l’importance des modèles italien et espagnol et jouent un rôle décisif dans la constitution d’un modèle culturel français.

Partant de là, les différents textes qui trouvent leur origine au sein de la Querelle se laissent systématiser avec plus de précision : outre les écrits rédigés à des fins poétiques et poétologiques, c’est-à-dire ceux axés sur les problèmes posés par la vraisemblance et la bienséance, ou, en d’autres termes, ceux qui s’intéressent à la relation entre moralité et genre, on trouve également des textes à caractère poiétologique. Ces derniers sont le résultat d’une pratique artistique guidée par la théorie, ainsi les drames de certains acteurs de la Querelle qui ne sont qu’une réaction productive aux critiques développées lors des débats. C’est par exemple le cas de Georges de Scudéry qui, en ajoutant à la critique explicite qu’il expose dans ses Observations sa tragédie Didon, un contre-modèle au Cid de Corneille, participe à la Querelle à un niveau à la fois poétologique et poiétologique. Il s’agira alors d’examiner dans quelle mesure la structure argumentative de la Querelle du Cid pourra avoir servi de base à des querelles postérieures, pour autant que celles-ci s’organisent autour des champs d’analyse introduits ci-dessus (pensons par exemple à la Querelle de l’Ecole des Femmes).

Modalités de soumission

Les propositions de communication, comportant un titre et un résumé d'une demi-page environ, devront être adressées au plus tard le 15 septembre 2014 à Jörn Steigerwald. Elles s’inscriront dans une réflexion sur l’influence exercée par la politique de la famille, des sexes et de la littérature du siècle classique sur la Querelle du Cid, et vice versa, et / ou se concentreront, dans une approche plus globale, sur des paradigmes permettant de rendre compte de la politique culturelle autour de laquelle la Querelle du Cid s’organise.