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La Querelle des Anciens et des Modernes

La Querelle des Anciens et des Modernes

Publié le par Sophie Rabau (Source : Michel Murat)

La construction de l'histoirelittéraire :

Un cas d'étude : la Querelledes Anciens et des Modernes (ENS, mars 2006)

Larry F. Norman, University of Chicago

Lundi 6, 13 et20 mars l'ENS 45 rue d'Ulm, salle Celan

11h-13h

I. L'historicité de la littérature (6 mars 2006)

Lors de l'éclatement dela Querelle en 1687, le succès du« progrès » humain dans le domaine des connaissances scientifiquesfut plus ou moins universellement admis. Mais ce consensus occasionne un débatprofond sur l'applicabilité universelle de cette évolution historique. Leprogrès intellectuel et le progrès artistique suivent-ils le même cours, et aumême rythme ? Ou l'histoire littéraire existe-t-elle dans un autre paysagetemporel où elle serait déterminée par des facteurs autonomes ? C'est laquestion capitale qui divise les Anciens et les Modernes.

Cette question estd'autant plus complexe que les deux partis souscrivent à une conceptionlargement ahistorique de lalittérature, c'est-à-dire à certaines valeurs fixes et immuables comme la « raison »,l'unité poétique, l'utilité morale. Pourtant, nous verrons que la« poétique classique » se révèle un terrain instable, car chacune deces valeurs peut être profondément historicisée à un moment particulier (la findu XVIIe siècle) où une fissure indéniable s'ouvre entre l'Antiquitéet la modernité. Laméthode cartésienne, par exemple, peut prétendre transformer radicalementl'exercice de la « raison » (et de l'utilisation des règles) dans laproduction littéraire. D'un autre côté, « l'inspiration » poétique etl'intuition créatrice se voient elles aussi déclinées sur une gamme historique,celle-ci favorisant les époques plus « primitives » où l'imaginationinsoumise aurait régné.

En somme, c'estl'autorité conférée par le temps qui est en jeu dans la Querelle. Lesauteurs anciens sont-il des aînés, des premiers-nés, qu'il fautrespecter ? Ou sont-ils à l'inverse des cadets, voire des enfants, quiexistaient dans les premiers âges d'un monde qui n'a atteint sa majorité qu'àl'époque moderne ? Le débat ne se limite pourtant pas à la question del'autorité. Le parti des Anciens fait appel aussi à ce qu'on peut appeler lamystique de l'Antiquité — c'est-à-dire, non pas son autorité savante etpédagogique, mais plutôt l'exotisme de son éloignement temporel — qu'il opposeà un protocole d'évaluation littéraire fondé uniquement sur la raisonméthodique et « objective ». Bref, la place que peut tenirl'affectif, voire l'irrationnel, dans la critique littéraire est en jeu dans laQuerelle.


II. L'épopée, étude d'un casexemplaire (13 mars 2006)

Le succès que connaît auXVIIe siècle le théâtre en France, mais aussi la réputation bienmoins glorieuse de la production épique, favorisent un renversement de lahiérarchie des genres : la tragédie (voire, avec Molière, la comédie)parvient à supplanter l'épopée au sommet de la création poétique. Etant donnéecette situation, comment adapter, moderniser,une forme dont les modèles valables restent si éloignés dans l'Antiquitégréco-romaine ?

Bien que des textes commel'Art poétique de Boileau (1674) etle Traité du poème épique de Le Bossu(1675) prennent au sérieux l'actualité de l'écriture épique, le débat le pluspassionné sur le genre se penche non pas sur la création contemporaine, maissur la question la plus élémentaire de l'histoire littéraire : quelleplace faut-il assigner aux deux premières oeuvres poétiques dans les annaleslittéraires, L'Iliade et l'Odyssée ? Ces textes sont en effetles plus commentés de la Querelle — et ils donneront d'ailleurs lieu à leurpropre polémique, la « Querelle d'Homère » (1711-1716). D'Aubignac,Boileau, Anne Dacier, Perrault, Fontenelle, Alexander Pope, Houdard de LaMotte, Fénelon, Voltaire, Montesquieu, Marivaux, tous se sont engagés dans lapolémique et ses suites.

Outre les enjeux déjàsignalés dans notre première séance, le débat sur l'épopée homérique met enquestion :

1) le statut de l'Auteur(l'existence d'un seul poète nommé Homère est mise en doute) ;

2) les règles et l'unitépoétique (l'Iliade est-elle une rhapsodienégligemment « cousue ensemble » ?) ;

3) la primauté de l'écritsur l'oral (Homère est-il un poète oral, voire illettré ?) ;

4) la fonction morale dela poésie (peut-on relativiser historiquement les vertus héroïques ?)

5) l'esthétique de latraduction (faut-il être fidèle au contexte historique de l'original, ou lemoderniser ?).


III. Conceptualisation etréactivation de la Querelle (20 mars 2006)

La Querelle est unévénement qui redéfinit les contours de l'histoire littéraire. Comme tout événement,elle a ses acteurs, son moment historique et son cadre sociologique. De mêmeque la Querelle transforme le contenu de l'histoire littéraire, elle transformeaussi sa pratique, car la Querelle se joue à un moment capital dans la mutationdu champ littéraire et ses instituions, et dans la formation d'un espace publicoù les questions esthétiques sont largement débattues, et où l'opinion publiquejoue un rôle grandissant. Dans un premier temps, nous examinerons la façon dontles participants dans la Querelle se sont représenté leurs propres débats dansdes fictions brèves vouées à un grand public — les dialogues (Fontenelle, Fénelon) ou les récits allégoriques,parodiques et pseudo-journalistiques (Callières, Swift, Montesquieu).

La Querelle est pourtantun événement dont les enjeux et les conséquences se prolongent bien après saconclusion. La généralité même des termes d'« Anciens » (tout ce quiest dans le passé) et de « Modernes » (tout ce qui est de maintenant)ont favorisé une conception plus ou moins atemporelle de la Querelle ;elle est devenue un modèle quasi-universel pour schématiser les débats sur lesvaleurs historicisées de la littérature, des arts, de la « culture ».Dans un deuxième temps, nous nous pencherons donc sur quatre relectures exemplairesqui se réapproprient la Querelle dans le contexte du tournant du XXIesiècle : celles de Joan DeJean, de Marc Fumaroli, d'Alain Finkielkraut etd'Antoine Compagnon.