Questions de société
La privatisation et le démantèlement de l'Education nationale : revue de presse, par Hervé Lamy

La privatisation et le démantèlement de l'Education nationale : revue de presse, par Hervé Lamy

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Bellaciao)

La privatisation et le démantèlement de l'Education nationale : revue de presse, par Hervé Lamy


Qui ?

Xavier Darcos a dit en octobre 2008 : « La plupart des mesures que je prends servent surtout d'habillage aux suppressionsde poste ». Une biographie sélective s'impose pour cerner l'auteur de cette citation. Dans les années 70, ilest secrétaire du Club de l'Horloge : ce club est encore aujourd'hui la boîte à idées de l'extrême droite, qui rêve del'intégration du FN dans une alliance avec le gouvernement. Ce club d'ultra-droite a pour mission de pourfendre lemonopole scolaire (comprendre l'école publique). En 1982, alors prof de lettres, il passe au tribunal administratif dePérigueux pour avoir divulgué à ses élèves de 1ère les sujets du bac… En 1992 il fonde avec ses potes « Créateursd'école », dont le credo est la privatisation de l'éducation avec des mesures phare comme la suppression de la cartescolaire. Parmi ses consultants, il faut citer aussi le non-moins craignos Vincent Laarman, président de Sos éducation,qui a lancé entre autres la campagne pour le service minimum et en ce moment une nouvelle offensive sur la carte scolaire.

Rappelons aussi ses accointances avec « Enseignement etliberté », dans la mouvance de l'Opus dei. Bref tous ses conseillerssontdes ultras réactionnaires, souvent catholiques, et tous pour uneprivatisation de l'Education nationale, qu'ils considèrent comme une« entreprise comme les autres ». Faut-il rappeler également queSarkozy, intronisé à l'occasion chanoine de Latran, a affirmé il y amoins d'un an que l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ? Decette nébuleuse qui tient actuellement les rênes de l'Educationdécoule tout ce qui suit.

Quoi ?

Supprimer au bas mot 50 000 postes d'enseignants en 3 ans.Comme Darcos le dit lui-même, toutes les réformes n'ont qu'un seul but : supprimer des fonctionnairesqui seraient trop nombreux. Il n'arrête pas de dire qu'il y a un prof pour 13 élèves. Son chiffrevient de la division complètement débile de 12 millions d'élèves pour 870 000 enseignants. Maisbon on sait qu'il est fâché avec le bon sens, les chiffres et la règle de trois en particulier.

Quelquesexemples non exhaustifs pour voir comment s'y prendre afin de supprimer à la hache tous ces enseignants« inutiles » :

9 000 Rased : En supprimant deux heures de cours par semaine en primaire et maternelle ( = 3 semainesde cours en moins), les instits sont censés se substituer à ces enseignants spécialisés soit à7h45, soit entre midi et 13h, soit jusqu'à 17h30. « Economie » de 3000 postes dès la rentrée 2009,puis les 6000 restant les deux années suivantes.

4 400 COP : Exemple au collège : notre nouvelle COP est contractuelle sur plusieurs établissements.

Elle découvre le métier et passe ses week ends às'auto-former. Au mois de juin, lorsqu'elleaura mieux compris les arcanes de l'orientation, son contrat seraterminé. Soit nous aurons quelqu'un d'autre l'année prochaine, soitpersonne : l'idée de Darcos est d'essayer de redonner tout ce travailaux profs principaux de 3° ou de Terminale, qui bien évidemmentutiliseront plus la tronçonneuse que la dentelle. Les COP restantrisquent de passer aux régions. Même logique pour les Assistantessociales. Quant aux TOS, ils ont déjà trinqué, avec les incidencesqu'on connaît. Enfin viendra notre tour, mais nous seronstous seuls pour nous défendre.

Tous les instits de maternelle : Le coup des institsavec bac + 5 censés changer les couches et surveiller les siestes estune façonde préparer le terrain à la suppression de l'école maternelle jusqu'à 5ans. Dans les cartons de Darcos se prépare en effet leur remplacementpar des Jardins d'éveil organisés par les municipalités et payés parles parents.

16 000 postes en lycée : en supprimant 5h par semaine aux élèves de seconde, la mal nommée « réforme des lycées »n'est qu'unhabillage grossier de 16 000 de suppression de postes en 2009, et à elle seule 50 000 dans les 3 ans à venir.

8 000 postes de Lycée professionnel : c'est le but avoué par Darcos du bac pro en 3 ans au lieu de 4 ans.

Disparition prochaine des CPE, « exception européenne», par la fermeture des postes au concoursLa polyvalence. C'est une autre façon grossière d'économiser despostes. La « réforme » du lycée prévoit par exemple la fusion dela Physique chimie avec les SVT, en « sciences expérimentales » :certains collèges l'ont déjà expérimenté en 6° depuis 2006.Ne plus faire redoubler : Enfin, la « réforme » du lycée afficheégalement la volonté de ne plus faire redoubler les secondes, par lejeu des modules, histoire d'évacuer les élèves par le haut.* Privatiser l'Education Nationale : L'idée est de privatiser avec unestratégie de contournement : plutôt que d'attaquerfrontalement le problème, il faut pourrir le système de l'intérieur,afin que les parents aillent d'eux-mêmes inscrireleurs enfants dans le privé. Les médias participent depuis denombreuses années à cette stratégie sournoise, àgrand renfort de démagogie et d'endormissement. C'est une techniqueadoptée à l'échelle européenne.

Aujourd'hui,sans complexe, le gouvernement ne semble même plus s'embarrasser decette stratégie pas assez rapide. Tout s'accélère,avec une arrogance sans précédent, dans toute la fonction publique,afin de mettre au pas et dégraisser dans leshôpitaux, la police ou ce qu'il reste de la Poste par exemple.Multiplication des contrats d'association avec les écoles privées. Cescontrats permettent dorénavant aux écoles catholiques d'êtreprises en charge financièrement de façon quasi intégrale par lescollectivités territoriales, tout en ayant toujours le droit d'exercerleur catéchisme 2 heures par jour. Cela s'est passé en mars 2008 dansla plus grande indifférence.

Les coupes drastiques dans le milieu éducatif ont unerépercussion directe dans les collèges et les écoles. De la suppressiondesplaces en ITEP ou en IME par exemple découle l'arrivée en collège et enprimaire d'élèves qui n'ont pas leur place dans des classesdéjà surchargées, avec des enseignants non spécialisés. Sous prétexted'intégration de tous les élèves, on économise des postes dansle système éducatif et on pourrit par la même occasion l'écolepublique, seule à être obligée d'accepter ces élèves en détresse.

Supprimer le bac : Un prof ou un élève de seconde nepourra plus dire le 1er septembre 2009, « je suis [ou j'ai les] 2°3 ».L'annéeest découpée en deux semestres avec 6 modules au choix en plus desenseignements « fondamentaux ». Chaque module sera évaluéen fin de semestre et les 36 modules sur trois ans remplaceront donc lebac : comme pour un empilage de lego, il y aura autant d'élèvesque de bac. Le Medef en rêvait : Darcos l'a fait. Dorénavant, il n'yaura plus un bac national, mais des médailles en toc que lebachelier devra marchander pour obtenir son contrat de travail.

Profs comme élèves feront donc deux rentrées par anavec des emploisdu temps différents, des élèves ou des profs différents, y compris enmaths ou en français. En fin de semestre ils devront faireune semaine « bilan et orientation ». J'imagine le foutoir d'un teldispositif où les élèves n'auront pas cours de la semaine et lesprofs ne sauront pas quels élèves prendre en charge… C'est donc laprogrammation d'un bordel généralisé.

Comment ?

Pour parvenir à ses fins, le gouvernement n'hésite pas à déployer lesgrands moyens, depuis plusieurs années, avec une nette accélérationdepuis cet été.

Nous diviser : Le lexique utilisé par cette nébuleuse d'ultra-droite esttrès agressif : Bataille , stratégie, réseau, alerte, contagion, belliqueux,assiégé, guerre... Leur idée est déjà de diviser pour régner : ence sens on peut comprendre par exemple la multiplication des servicespartagés, brisant les équipes et usant les collègues. On peut aussiévoquer le hochet des heures sups qu'ils agitent pour faire disparaîtreles esprits d'équipe. L'autre idée est de multiplier les attaques, car ilest plus difficiles de se battre sur plusieurs front à la fois.

De plus, ona souvent du mal à suivre : c'est pour ça que j'ai essayé de faire unesynthèse rapide, même si l'exercice demanderait davantage de tempset de documentation, mais aussi de place, car les mesures sont bienplus nombreuses que celles que je rapporte ici. Ils jouent aussi à fond,même si ce n'est pas nouveau, la carte de la division syndicale.

Nous précariser : Blocage des salaires à 0,5% pendant au moins 3 ans. Rappelons que l'Elysée a vu son train de vieaugmenter cette année de 170% ou que les 285 millions versés à Tapie correspondent à 15 000 postes d'enseignants.

Sans parler des 400 milliards de subventions auxbanquiers. On a tous noté aussi la multiplication des emplois précairesqui touche tous les personnels. Ce n'est pas pour rien que beaucoupd'entre nous hésitent de plus en plus à faire la grèvepour une question de moyens. Même si c'est une fuite en avant.Nous flexibiliser : En 2010 le Capes et l'agreg seront supprimés, mêmesi le nom sera gardé. La coquille vide consisteraà « dénationaliser » le concours car l'obtention du master sera laisséà la libre appréciation des universités devenues autonomes.

Ce qui implique que les profs de 2010 ne dépendront plus de la grille indiciaire de la Fonction publique. Lejury sera même composé de personnes de la société civile et seulement une épreuve sur 4 concernera la discipline.

Depuis 2008, les TZR et les profs en ZEP n'ont plus de bonification pour les mutations. Les nouvelles règles de mutationsemblent pour cette année présager également le pire.

Quant aux instits, ils voient leur temps de travail annualisé avec les 108h. En plus de leur journée, ils doivent dorénavantprendre les élèves en difficulté, déjà fatigués de leur journée. Cela donne des journées non stop.

Nous surveiller. Un appel d'offre hallucinant a été lancé par le ministère pour 220 000 €. Ils cherchent pour le 1er janvier2009 un bureau d'étude pour repérer les leaders d'opinion, les lanceurs d'alerte et analyser leur potentiel d'influenceet leur capacité à se constituer en réseau. Ce bureau devra anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise,alerter quotidiennement et préconiser en conséquence. La chasse aux sorcières est ouverte.

Nous bâillonner. Les instits doivent désormais prévenir l'Inspection 48h ouvrables à l'avance s'ils ont l'intention defaire grève, afin que les municipalités organisent un service d'accueil, pour briser la grève. C'est pourtant sous NapoléonIII (1864) que le droit de grève avait été reconnu.

Nous discréditer. Devedjian, un ancien d'Occident qu'on ne présente plus a récemment écrit un courrier à sespotes. Il dit en substance que les profs sont endormis et que la droite a l'opportunité de se serrer les coudespour tout faire passer en force. Certes tout ne va pas bien dans l'Education, mais on peut mettre en valeur aussice qui fonctionne : les seules mesures concrètes que Devedjian préconise sont l'obligation d'apprendre la Marseillaiseet la suppression de poste (il va sans vergogne jusqu'à dire que 100 000 profs ne servent à rien).

Nous enfumer : l'exemple récent de la médaille pour le bac est une idée du club de l'horloge. Ces petits hochetssont tombés en pleine « réforme du lycée » pour donner un os à ronger aux médias et leur faire oublierl'essentiel. De même pour la Marseillaise rendue obligatoire en primaire. Des pacotilles pour faire diversion.

Que faire ?

Les plus défaitistes d'entre nous disent que protester ne sert plus à rien. Personnellementje préfère avoir mon mot à dire lorsque je me fais entuber. A force d'avaler descouleuvres, la nausée monte vite aux lèvres. Et ce n'est pas parce qu'ils nous tiennentpar la baisse de notre pouvoir d'achat, qu'il faut baisser les bras.On a réussi en 2006 à faire reculer De Robien qui voulait faire passer aux oubliettes ledécret de 1950 : C'est donc un démenti pour ceux qui pensent que les syndicats ou lesgrèves ne servent à rien. La politique, contrairement à ce qu'on nous assène, peut sefaire ailleurs que dans l'hémicycle, ou qu'en mettant un chèque en blanc tous les 5 ans dans l'urne.

Vous l'aurez compris, j'estime qu'il est grand temps de rentrer en résistance sous peine de voir l'Education Nationalecomplètement privatisée.

Cela passe déjà par la syndicalisation : comment lessyndicats peuvent-ils être efficaces avec à peine 8% de syndiqués. Plusnous serons nombreux, mieux nous nous défendrons.

Dans l'immédiat, il y a déjà la grève du 20 novembrequi est la première grève unitaire depuis toutes ces attaques frontales : c'est un moment crucial pour enfin relever la tête. Nous auronsaussi une heure syndicale le 27 novembre à11h30 en salle de réunion pour discuter de tous ces points, même si letemps manquera. Le 2 décembre, il y a les électionspour élire nos représentants dans les commissions administrativesparitaires. A cette occasion, il me semble capitalde bien distinguer les syndicats qui défendent réellement nos intérêtset qui n'ont pas signé tout ce dispositif de démantèlement.

Sources : presse syndicale FO, Canard enchaîné, diverssites webs en particulier ceux résumant le bouquin Main basse surl'école publique, Siné Hebdo, Monde Diplo,Compte-rendu de l'assemblée nationale du 4 novembre...

Hervé Lamy