Questions de société
La position de l'AECiut à propos de Projet Voltaire

La position de l'AECiut à propos de Projet Voltaire

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Rodolphe Dalle)

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La position de l'Association de Communication en IUT à propos de Projet Voltaire

Communiqué de RodolpheDalle (IUT de Nantes), président de l'AECiut,


Lasemaine passée, l'ensemble de la presse a repris l'information selon laquelleune trentaine d'IUT allait utiliser le logiciel de travail de l'orthographebaptisé "Projet Voltaire".

L'Associationdes Enseignants de Communication en IUT (AECiut) se félicite du souci desdirecteurs d'IUT de lutter contre une dégradation de l'orthographe desétudiants. Elle considère cependant que ce choix présenté dans Le Parisiencomme un retour à un purisme linguistique appelle quelques réflexions.

Ainsil'AECiut, réunie en assemblée générale le 2 octobre 2009, s'est prononcée àl'unanimité sur le projet Voltaire et a noté que si l'initiative du projetVoltaire de s'attaquer aux difficultés d'expression écrite était louable, ellepose en revanche de nombreuses questions. Il ne s'agit pas pour nous de nousinscrire contre nos directeurs, pas plus contre la société Woonoz[1] mais bien de poser les termes et lesenjeux du débat autour de la question de l'expression écrite. En escamotant ledébat, c'est aussi d'un diagnostic précis et efficace dont on se prive.

Unenseignement de la langue française existe déjà dans les IUT

Unenseignement en expression écrite est proposé dans les cours de communication.S'il est certain qu'à raison de 30 heures/semestre en moyenne il est difficiled'apporter une aide individuelle aux étudiants, nous avons réfléchi cependant àdifférentes perspectives de travail, ce qu'attestent d'ailleurs les diverstravaux de l'AECiut depuis 2001. Aussi aurait-il été souhaitable que lesenseignants de communication soient consultés. Pourquoi ? D'une part, parce quece type d'outil doit être coordonné à l'ensemble de la pédagogie del'expression écrite. D'autre part, parce que sur le terrain, l'enseignant de communicationrisque d'être amené à travailler avec le projet Voltaire (la prescriptionauprès des étudiants en étant la forme la plus évidente) sans avoir été dansbien des cas consulté sur la pertinence de l'usage de cet outil. N'aurait-ilpas été judicieux d'associer les principaux concernés à la décision ?

ProjetVoltaire, un outil adapté aux besoins réels ?

Onpeut dès lors se demander dans quelle mesure ce logiciel est adapté aux besoinsque nous avons identifiés chez nos étudiants [2]. Ainsi, et c'est d'ailleursl'écueil des articles du Parisien du 28 septembre, on classe sous le termeorthographe indifféremment ce qui est de l'ordre de la syntaxe, du bon usage decertaines tournures mais on oublie l'un des maux les plus courants : l'absencede cohérence verbale. La seule maîtrise des règles ne garantit pas le sens dece qui est exprimé, or le projet Voltaire n'avance rien en la matière. En fairela panacée et le remède révolutionnaire annoncé semble donc bien excessif.

Unepédagogie révolutionnaire... oui, celle du Bled ! [3]

Leschoix didactiques de projet Voltaire sont assez largement discutables et lesmesures de progrès affichées bien plus encore. L'acquisition de règles baséessur la seule répétition présente des limites : dès que l'étudiant sort de la situationd'exercices stéréotypés, applique-t-il les règles travaillées ? D'autant quel'accroissement de compétences n'est validée par rien. Le test final n'est enfait que la mesure de l'adaptation de l'étudiant à l'exercice, un test demémoire et non la validation de la bonne compréhension des règles, encore moinsun gage de leur utilisation dans le cadre de l'expression personnelle dans unesituation de communication réelle (lettre, courriel, rapport, etc...).

Unequestion à envisager dans sa globalité

C'estpourquoi un enseignement efficace de l'expression écrite ne doit pas concernerseulement un apprentissage autonome, ni même une seule discipline mais doitrelever d'une stratégie d'ensemble où tous les acteurs du système de formationsont attentifs à ce problème. Que gagnera-t-on si nos étudiants améliorentleurs scores dans le projet Voltaire et continuent à rendre des documents dontl'expression écrite reste singulièrement insuffisante ? La question de lamaîtrise de l'expression écrite passe par une réflexion globale del'enseignement du français de l'école primaire au lycée. D'ailleurs faut-ils'étonner des difficultés d'expression écrite quand les horaires d'enseignementdu français n'ont cessé de diminuer et d'être la proie des querelles méthodologiques?

Lesétudiants d'IUT n'écrivent pas moins bien que les autres !

D'unautre point de vue, les choix de communication autour de l'adoption du projetVoltaire par une trentaine d'IUT avec une campagne nationale stigmatisent nosétudiants [4], cependant les étudiants d'IUT ne sont ni plus ni moins touchés parle problème. En outre, dans cet effet d'annonce, les IUT apparaissent comme unesorte de caution tout à la fois morale, scientifique et institutionnelle duprojet Voltaire (cf. la page d'accueil du site projet Voltaire, en particulierla citation des propos du Directeur de l'IUT de Lyon). Cette annonce fortementrelayée par les médias nationaux ressemble à une manipulation qui vise àimposer le projet Voltaire comme la solution unique et universelle au travailde l'expression. En effet, s'appuyer sur l'adhésion de la masse (comment ne peut-on pas être d'accordavec une si louable initiative ?) revient à tuer le débat pédagogique avantmême qu'il ait eu lieu. En l'occurrence, il se trouve que pour se construireune opinion il faut être au préalable informé ; la qualification du projetVoltaire comme étant un logiciel "révolutionnaire" (Le Parisien du28/09) montre qu'il s'agit moins d'information que de partialité [5]. Le faitd'être le premier n'est pas suffisant pour être révolutionnaire, de surcroît lemode d'apprentissage basé sur la seule répétition et la mémoire visuelle, nesemble guère révolutionnaire. Que l'argumentaire commercial soit partial, jen'y vois rien de choquant mais qu'il s'agisse d'information cela reste àdémontrer.

ProjetVoltaire, une solution aux réductions de budget ?

Lechoix de l'adoption du projet Voltaire peut aussi inquiéter les enseignants decommunication dans la mesure où on peut imaginer la tentation dans certainsdépartements d'IUT ne disposant pas d'enseignants titulaires de faire deséconomies d'heures en remplaçant les cours de communication par un travail del'expression écrite en autonomie. Il faut dire que les temps incitent àl'économie. Pour preuve dans l'enquête sur l'état de l'enseignement de lacommunication dans les IUT, conduite l'an passé par l'AECiut, un chef dedépartement a déclaré par mail, je cite : "Suite aux restrictionsdrastiques de moyens de la part de notre université de tutelle, lesenseignement de communication et les projets font partie des 15% du PPNsupprimés. Cela a été un choix politique et unanime du département X de l'IUT Y [6]. Une partie est compensée sous forme d'exposés scientifiques que plusieursenseignants des disciplines scientifiques assurent au cours de leurs TD(sic)." Faut-il donc voir dans projet Voltaire une compensation de cetordre ? Est-ce à dire que ce qui est reconnu par l'entreprise comme unerichesse de nos étudiants, sous prétexte de n'être pas coeur de métier doit disparaître,ou ce qui au fond revient au même se réduire à la seule question de la maîtrisede l'expression ? Qui plus est et ironie de l'histoire, dans certainsdépartements on a reproché très souvent aux enseignants du second degrérecrutés dans les spécialités de lettres modernes d'être simplement desprofesseurs de français pour maintenant s'apercevoir de la nécessité d'untravail en profondeur de la langue. Reste encore que ce travail ne peut pasvaloir pour la langue elle-même, cela constituerait une grave réduction duchamp d'application de la communication en IUT (ce que semble toutefoisindiquer les titres de la presse faisant référence au retour de la dictée dansles IUT. Jusqu'à présent, il ne me semble pas que la dictée fasse partie desprogrammes pédagogiques nationaux). En effet, le cours de communication en IUTdéveloppe des compétences qui ne sont pas réductibles aux seules compétencesd'expression (qu'elles soient écrites ou orales).

L'orthographen'est pas une compétence mais un outil

Ilsemble important de rappeler la finalité du cours de communication qui a pourbut en matière d'expression de permettre aux étudiants d'accéder à uneautonomie en communication écrite et orale dans le cadre de leurs études maiségalement pour leur vie professionnelle. Or l'autonomie, si elle passe par unemaîtrise des règles orthographiques et syntaxiques, en tant que codes, recouvreaussi d'autres enjeux. Ce que propose le projet Voltaire n'est pasl'acquisition d'une compétence écrite mais la mise en pratique systématique depoints linguistiques. Parler du projet Voltaire cache le fond de la question :nous sommes dans la situation où il est devenu nécessaire d'enseigner à nosétudiants des techniques de lecture et d'écriture, sur textes brefs comme longs(rédaction de rapports par exemple). Mettre l'accent sur la seule maîtriselinguistique, c'est ignorer que la compétence écrite fait appel à dessavoir-faire tels que 
 savoir repérer ou exprimer des contenus essentiels, 
savoir synthétiser, savoir distinguer propos objectifs/subjectifs, savoiridentifier une source d'information, savoir choisir des stratégies. Lacompétence écrite, comprenant compréhension et expression, si elle s'exprime autravers de codes linguistiques (dont la non-maîtrise est facilement repérable),fait appel à des savoir-faire complexes. Faire croire que trois exercicesstructuraux même s'ils ont un support informatique règleront la question del'autonomie de nos étudiants, c'est méconnaître les enjeux véritables.

Lesdangers de la délégation de la certification des compétences

Enfin,il reste à mettre en perspective le retour particulièrement vif des questionsd'expression dans l'ensemble du système éducatif français et de s'interrogersur le sens d'une délégation de compétence de certification du niveau desétudiants. Il me semblait que jusqu'à présent seul l'État garantissait lacertification des compétences à travers des diplômes. Les certificationsextérieures à l'université et à l'éducation nationale plus généralement ne sontelles pas une nouvelle forme de réduction de la légitimité même desenseignements dispensés ? Accepter ainsi que le bac ou que le DUT nesanctionnent plus un niveau de maîtrise de la langue (ou plus globalement unensemble de compétences) et qu'il faille avoir recours à des certificationsvenues d'organismes dont la qualité n'est attestée par personne et contrôléepar rien revient à jeter sur les diplômes le plus grand discrédit. Si l'onvoulait saper les fondements de notre système éducatif, il ne faudrait pas s'yprendre autrement. Si certification du niveau d'expression écrite il doit yavoir, il est impératif qu'elle soit l'oeuvre de l'éducation nationale. Le TOEICest l'exemple même de la difficulté soulevée. Nous préparons les étudiants, lesfaisons travailler mais ne pouvons pas garantir lorsque nous accordons undiplôme leur niveau en anglais. Les pragmatiques diront qu'il faut affinerl'évaluation et l'individualiser. Mais alors si cette démarche est valable pourl'anglais, maintenant pour l'expression écrite et pour la maîtrise del'informatique, pourquoi demain ne faudrait-il pas créer des indicateurs pourchaque discipline ? Cette démarche revient dire de la manière la plus simple :ce que nous certifions n'a aucune valeur. Mais peut être faut-il faire de l'éducationun secteur marchand comme les autres et ouvrir à la concurrence les diplômes,car c'est là le sens exact de la prolifération des certifications descompétences hors des diplômes ? Donc s'il faut être pragmatique et répondre auxbesoins de recrutement des entreprises qui souhaitent avoir un indicateur plusprécis du niveau des candidats dans certains domaines spécifiques, alorscertifions nous-mêmes ces compétences. L'informatique a aussi ouvert des voiesavec les B2II et C2II. Dans une société où l'école et les institutions desavoir voient leur image se dégrader et perdre de son éclat, il est plus queprudent de conserver la valeur de nos diplômes et qu'ils restent communémentadmis comme les seuls référentiels ayant une véritable valeur. Sinon commentjustifier pour les professeurs dans leurs classes la légitimité de leur parole,de leur savoir, donc de leur autorité ?

Cesquestions ne sont pas simplement des problèmes techniques, elles sont bien pluslargement des signes donnés à la société, il faut y être attentif et en pesertoutes les conséquences sur le court terme mais aussi à long terme. Les bonnesintentions, pour louables qu'elles soient, ne suffisent pas : il est nonseulement nécessaire d'en évaluer la portée pratique mais encore de réfléchiraux effets qu'elles produisent sur la société.

Ceque nous demandons

Enconséquence, je demande, au nom de l'AECiut que les enseignants decommunication soient associés à la décision d'utiliser le projet Voltaire,qu'une réflexion pédagogique soit conduite autour de la question del'expression écrite et qu'elle prenne en compte non seulement des outils detravail mais encore la réalité des connaissances des étudiants et les besoinsqu'ils rencontreront dans la vie professionnelle, enfin, que soit posée laquestion de la certification des compétences. Il ne s'agit nullement pour l'AECiutd'aller contre les initiatives pour lutter contre ce que depuis bien longtempsnous considérons comme un fléau mais au contraire de chercher à développer dessolutions innovantes : pour cela il faut un minimum de concertation et deréflexion sur les enjeux et les objectifs d'une telle démarche.

Ceque nous proposons

S'ilfaut donc mettre en place une certification des compétences d'expressionécrite, nous proposons donc qu'elle soit définie et mise en oeuvre àl'initiative des ministères de l'éducation nationale et de celui del'enseignement supérieur et de la recherche. Nous suggérons dans le même ordred'idée que le référentiel servant de base soit défini par un conseil réunissantdes experts reconnus (linguistes, spécialistes de l'apprentissage des langues),des recruteurs représentant les entreprises et les besoins qu'elles expriment,des enseignants, acteurs de la formation et, si nécessaire, des spécialistes dela démarche qualité. Encore une fois, si la demande d'une certifications'exprime alors qu'on l'entende mais qu'on travaille réellement sur le besoinafin d'obtenir un indicateur fiable, compatible avec la réalité des diplômesexistants, cohérent avec l'ensemble du système et non un prétexte àl'utilisation d'un outil. Dans ce cadre, alors, l'AECiut est prête à tenirtoute sa place et entend jouer son rôle. Nous restons ouverts au débat etactifs en vue de fournir à nos étudiants la meilleure formation possible.


Leprésident de l'AECiut,

RodolpheDalle (IUT de Nantes)

<!> [1] Goutons au passage leparadoxe qui consiste à demander à une entreprise au nom franglais basé sur uneécriture phonétique, sorte d'exemple typique du langage SMS et du tchat, d'êtregarante de la bonne orthographe . [2] Letop 10 des fautes les plus fréquemment commises, présenté dans Le Parisien et évoqué dans 20 minutes le 28 septembre mériterait àlui seul une analyse plus approfondie. [3] 1ère édition : 1947. [4]Cf l'article de 20 minutes : "LaFrance a mal à sa langue" (http://www.20minutes.fr/article/350775/France-La-France-a-mal-a-sa-langue.php): " En attendant une hypothétique réforme del'orthographe, les étudiants d'une trentaine d'instituts universitaires detechnologie (IUT) sont priés de se remettre à plancher sur la langue française.La raison? Leur niveau serait loin d'être à la hauteur, d'après une étude menéefin 2008 à l'IUT de Lyon." [5]C'est l'exacte reprise de l'argumentaire présenté en page d'accueil du site. [6] Par discrétion, je maintiensla confidentialité de l'information, néanmoins je la tiens à la disposition dessceptiques.

Sitede l'AECiut :

www.aeciut.fr

Contact:

Rodolphe.Dalle@univ-nantes.fr