Colloque de Peyresq
La poésie scientifique de Lucrèce à nos jours
Samedi 14 juin-Jeudi 19 juin 2008
Dans son Rapport à l’Empereur sur la littérature française, Marie-Joseph Chénier consacrait tout un chapitre à la « poésie didactique », à laquelle il donne comme modèles Lucrèce et Virgile. Mais à l’un il attribue seulement l’illustration d’une « doctrine » (la philosophie d’Epicure), et à l’autre la célébration d’un art particulier (celui des cultivateurs). Le critique ne mentionne pas la « poésie scientifique » et tout lui paraît sans doute achevé par la chute rhétorique concernant le poème de Delille - Les trois règnes de la nature - auquel des scientifiques avaient participé par de nombreuses notes accompagnatrices : « M. Delille est entré dans les détails des sciences naturelles, et même avec un succès qui agrandit notre poésie ; peut-être aussi en dépasse-t-il les bornes, qui sont celles du beau ».
Ce Chénier énonce un lieu qui va devenir commun avec le romantisme français, radicalement opposé à ce que son frère André avait si magnifiquement écrit dans son Hermès. Il faut attendre le Victor Hugo de la maturité pour retrouver une sorte de poésie scientifique, ou plutôt de célébration du progrès, poésie bien différente de celle de Ronsard et de quelques autres poètes du XVIe siècle. L’aventure historique de ces sortes de poésie en français est différente de celle en langue italienne, anglaise, allemande, et bien sûr de celle en langue latine, ou en hébreu.
Marie-Joseph Chénier ne parlait même pas de « poésie descriptive », qui a souvent pu être un autre nom pour la poésie scientifique. Il n’en envisageait pas les deux versants presque universels. D’une part, la célébration, éventuellement mystérieuse ou horrifiée de la Nature et du Monde, où la divinité joue souvent son rôle ; d’autre part celle de la connaissance, qui est quelquefois présentée comme une conquête et l’honneur de l’esprit humain. Felix qui potuit cognoscere rerum causas est une expression qui servait de signe de reconnaissance, idéologique sans aucun doute, à de nombreux savants concourant pour un prix aux nombreuses Académies des sciences à l’époque des Lumières. Et il est facile de citer nombre de scientifiques pour lesquels une certaine poésie joue un rôle qui n’est pas seulement de « distinction » comme une quelconque sociologie des sciences voudrait le présenter, justement pour éviter d’avoir à réfléchir sur l’imaginaire scientifique. Le livre Newton demands the Muse est un exemple réussi de travail sur cette poésie, une fois passée la révolution scientifique du XVIIe siècle. Il y a pourtant bien peu d’études sur le genre, après la révolution quantique ou la révolution relativiste, et bien peu sur la célébration à la façon de Saint John Perse. En sens historique inverse, ne serait-il pas utile d’ouvrir à nouveau un dossier tel que Lucrèce au XVIe siècle, ou pendant les Lumières ? Et ne serait-il pas intéressant de s’interroger en général sur la poésie scientifique, au-delà des périodisations historiques et même des langues ?
Un colloque dans les Alpes de Haute Provence se propose donc de réunir des personnes que le thème au sens large de la poésie scientifique intéresse, et de leur permettre de dialoguer dans un village fondé au XIIe siècle (dénommé aujourd’hui Peyresq) où une association humaniste Nicolas-Claude Fabri de Peiresc a fondé un lieu de rencontres et de colloques. Le jour d’arrivée du colloque est prévu le samedi 14 juin en fin de journée, et le dimanche sera plutôt léger en exposés. Le départ est prévu le jeudi 19. Le séjour des intervenants sera entièrement pris en charge.
Jean Dhombres ; Jackie Pigeaud
Samedi 14 juin 2008
18h30 : accueil et visite du village de Peyresq
19h45 repas
Dimanche 15 juin : présidence Jean Dhombres
Matinée libre
12h30 repas
14h Jean Dhombres (EHESS, Centre Koyré), La poésie scientifique et la double figure du doute et de l’enthousiasme : l’âge de Chénier et de Blake
15h Jean-Marc Lévy-Leblond (Université de Nice), L'atome de Lucrèce et le nôtre
16h Patricia Radelet-de Grave (Université catholique de Louvain), Voltaire et la pomme de Newton
17h Pause
17h30 Ana Siekiera (Université de Catane), La défense des artes mechanicae et la poésie de Bernardino Baldi
18h30 Apéritif et visite du village
19h15 repas
21h Eduardo Kac, Biopoésie : l’ingénierie du vivant au service de la création poétique
Lundi 16 juin : Présidence de Baldine Saint-Girons
9h Philippe Chométy (Université d’Aix en Provence et projet ANR Euterpe), Les poètes « scientifiques » au siècle de Louis XIV
9h45 Baldine Saint-Girons (Paris Nanterre), De la poésie comme science originaire chez Giambattista Vico
10h30 pause
10h 45 Nicolas Wanlin (projet ANR Euterpe), Peut-on parler d’une poésie évolutionniste au XIXe siècle ?
11h30 Patrick Née (Université de Poitiers), Poésie, médecine, inconscient : Lorand Gaspar
12h15 repas
14h30 Rafael Mandressi (CNRS, Centre Koyré), Poésie et médecine
15h15 Claudine Cohen (EHESS), La poésie géologique : Les fossiles de Louis Bouilhet
16h pause
16h30 Colette Camelin (Université de Poitiers), Le télescope et la lampe d’argile : Saint-John Perse et les sciences
17h15 Jacqueline Fabre Serris, Pythagore, Empédocle, Lucrèce et la nature des choses : les constructions virgiliennes (Buc., 6 ; Én., 6) et ovidiennes (Mét., 15).
19h15 repas
Mardi 17 juin : présidence Françoise Graziani
9h30 Lina Bolzoni (ENS Pise), Tommaso Campanella et la poésie comme flos scientiarum
10h15 Françoise Graziani (Université Paris 8), La “ science poétique ”
11h pause
11h15 Didier Kahn (CNRS), Un aperçu du spectre de la poésie alchimique
12h repas
16h30 Isabelle Pantin (Nanterre/ENS), Lucrèce à la Renaissance
17h15 Michel Plaisance (Université Paris 3), Une poésie retrouvée d’Antonfrancesco Grazzini sur la comète de 1577.
18h José Turpin (Université de Créteil), Une physiologie fantastique sous le patronage d’Apollon : Scévole de Sainte-Marthe, Paedotrophia (1584), I, vers 323-352.
19h repas
21h : Christian Lavigne, Ars mathematica
Mercredi 18 juin : présidence Hugues Marchal
9h30 Caroline de Mulder (Université de Gent, et projet ANR Euterpe), De l’utopie à l’industrie :la poésie scientifique et l’utilitarisme social
10h15 Hugues Marchal (Université Paris III, et projet ANR Euterpe), Les conditions d’impossibilité de la poésie scientifique après Delille.
11h pause
11h15 Jean Seidengart (Paris Nanterre), Science et métaphysique dans le poème inachevé sur l’éternité de Albrecht von Haller
12h repas
16h Catriona Seth (Université de Nancy et projet ANR Euterpe), Poésie et combat médical : le cas de l’inoculation
16h45 Jean-Marc Tetaz (Université de Lausanne), La poésie scientifique de Goethe dans le cycle Gott und Welt du recueil de 1827
17h30 Fritz Nies (Université de Düsseldorf), Fruits et fleurs ensemble : genres didactiques francophones à vue d’oiseau
18h15 Didier Laroque (Ecole des beaux-arts), Baudelaire
19h repas
21h Poésies Damien Schovaert-Brossault,(Paris 7) Frictions et fictions articulées : de la poïétique au poétique / Patrizia d’Alessio (Inserm Paris), Poétiques pseudo-biologiques (les maïeutike)
Jeudi 19 juin ; présidence Jackie Pigeaud
9h Jackie Pigeaud (Université de Nantes, IUF), Lucrèce et le problème de la poésie scientifique
10h30 Pause
11h Saulo Neiva (Université Blaise Pascal, Clermont II), L’émerveillement par la réhabilitation de la poésie scientifique : le cas d’Haroldo de Campos (1929-2003)
11h45 Giovanni Lombardo (université de Messine), Le sublime et la poétique cosmologique.
12h30 repas
Départ en car de Peyresq à 15h