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La Partie et le tout. Les moments de la lecture romanesque aux XVIIe & XVIIIe s.

La Partie et le tout. Les moments de la lecture romanesque aux XVIIe & XVIIIe s.

Publié le par Marc Escola


La partie et le tout

Les moments de la lecture romanesque sous l’Ancien Régime
(XVIIe-XVIIIe s.)


Colloque international organisé par

l’EA 174 (Formes et idées de la Renaissance aux lumières)
de l’Université Paris 3 — Sorbonne Nouvelle

l’équipe Fabula à l’École Normale Supérieure

& l’équipe « Littérature et histoire » (EA 1579)
de l’Université Paris 8 — Saint-Denis

11, 12 & 13 septembre 2008
Sorbonne Nouvelle, École Normale Supérieure, Université Paris 8 à Saint-Denis


COORDINATION :
M. ESCOLA & J.-P. SERMAIN

COMITÉ SCIENTIFIQUE:

T. Belleguic (U. Laval) M. Delon (Paris 4), R. Démoris (Paris 3),
D. Denis (Paris 4), B. Didier (ENS),
M. Escola (Paris 8 & Fabula à l’ENS), F. Gevrey (Reims), J. Herman (KU-Leuven), F. Lavocat (Paris 7), J. Mallinson (Oxford), F. Piva (Verone),
I. Pantin (ENS), Th. Pavel (Chicago), J.-P. Sermain (Paris 3)



Poser la question du « tout et de la partie » s’agissant des fictions narratives d’Ancien Régime, c’est chercher à mesurer par différents biais la spécificité d’un vaste ensemble de romans — de Don Quichotte à Delphine pour donner à l’enquête les bornes les plus commodes — en s’attachant avant tout aux modalités de leur composition qui les rend par hypothèse inassimilables aux romans des XIXe et XXe dont la poétique moderne s’est surtout occupé.

• La question est d’abord celle de la valeur du dénouement et de la linéarité ou de l’unité de l’intrigue.
Le roman du XIXe siècle, dans sa recherche des déterminismes et des lois, inscrit les personnages dans des trajectoires conformes à leur condition et à leur situation : le projet romanesque d’un Balzac ou d’un Flaubert par exemple assure à l’intrigue son sens symbolique, et à la fin du roman sa valeur conclusive. On conçoit que le « formalisme » des années 1960 se soit surtout penché sur ce roman du XIXe pour envisager selon une perspective « fonctionnelle » chacune de ses composantes et analyser les lois comme les effets de leur enchaînement.
Le roman des XVIIe et XVIIIe siècles se caractériserait a contrario par le goût d’un matériau hétérogène, souvent versatile, dont les liens sont volontiers aléatoires : le récit ne dessine pas de ligne claire et la conclusion est souvent brouillée ou fuyante. La découverte du dénouement, et la saisie rétrospective de l’ensemble de l’intrigue n’apporte donc qu’une lumière indécise — si la succession des différentes parties s’organise, par exemple, sur le mode de la liste, de la succession, de l’échantillonnage ou du hasard. Depuis Cervantès au moins, les romanciers ont développé une conscience aiguë des dangers d’une intrigue trop bien ficelée qui oblige l’auteur à suivre son programme (ce qui inquiètera un Marivaux), à priver le personnage de toute liberté, ou si l’on veut, à ne plus laisser la moindre chance à la chance (ce qui suscitera la verve d’un Diderot).
Il conviendrait peut-être de prendre la mesure d’un écart du roman des XVIIe siècles et XVIIIe siècles, non avec le « réalisme » comme on l’a beaucoup dit, mais avec ce qui, dans le roman du XIXe, siècle répond aux exigences toute classiques de cohérence, d’exemplarité, d’économie : le roman du XVIIe et XVIIIe siècles illustre au fond la tendance des siècles classiques à ne pas être « classique » en ce sens-là…

• Il s’agira encore d’examiner les différentes façons dont le roman se prive de continuité, aime les arrêts, les boucles, les traverses ; comment chaque partie sort de son lieu, s’émancipe, comment le tout tente de s’en accommoder, de la ramener à soi ou lui consent quelque autonomie… De mesurer également les intentions et les effets d’un tel mode de création romanesque, d’une invention aussi capricieuse ou savante : la ligne du roman n’y est pas assurée, nécessaire ; elle dessine une fable complexe dont tous les éléments peuvent différemment arrêter l’attention.
La chose est notamment manifeste pour les romans publiés par « parties séparées », comme c’est massivement le cas pour les longs romans de l’âge baroque ou les romans-mémoires du premier dix-huitième siècle : les témoignages de réception qui nous ont été conservés, et parfois les interventions des romanciers eux-mêmes telles qu’en attestent leur correspondance ou la suite donnée à tel roman, révèlent que les premiers lecteurs n’attendaient pas l’achèvement de l’œuvre pour proposer des interprétations de telle ou telle « partie » ; il est également des exemples où le romancier eut à s’élever contre l’interprétation de tel épisode au prétexte que la suite encore à paraître devait la démentir complètement…  Mais le problème mérite d’être également soulevé s’agissant des romans épistolaires comme des nouvelles historiques et galantes : le sens d’une fiction s’établit-il seulement au dénouement, ou tout au moins au terme d’une lecture achevée, et que peut-on faire des interprétations et jugements locaux par lesquels le lecteur est presque nécessairement « passé » ?

• Toutes ces questions, qui relèvent d’une poétique historique de la fiction narrative, comptent aussi, on le conçoit, un versant méthodologique : les travaux critiques sur les fictions narratives regardent bien souvent les romans auxquels ils s’intéressent comme des œuvres achevées et des totalités sinon closes tout au moins complètes — on ne commente jamais qu’un texte déjà lu, et généralement relu pour l’occasion, en se donnant de la fiction une mémoire pour ainsi dire totale pour regarder presque toujours l’intrigue depuis son dénouement. C’est faire trop peu de cas de la dynamique réelle de la lecture comme première découverte, qui passe par différents « moments » dans son appréhension de l’intrigue : toute lecture progresse d’épisode en épisode, ou de séquence en séquence, en échafaudant des hypothèses locales que la continuation du récit viendra confirmer ou démentir, en élaborant aussi bien une interprétation provisoire sur le sens même de la fiction qui devra ensuite négocier avec les significations arrêtées au dénouement ; et tout lecteur de romans se trouve avoir affaire à des personnages ou des « caractères » qu’il sait en devenir mais qu’il ne peut éviter de juger aux différents moments de leur « formation »  ou de leur destinée. Entre la lecture d’un texte en devenir et la saisie du texte depuis son dénouement, on doit postuler encore quelque chose comme un écart.

*  *  *

Le présent colloque voudrait donc proposer, pour une période qui va du premier XVIIe siècle à la toute fin du XVIIIe, une réflexion tout à la fois sur les modes de composition des intrigues romanesques, la dynamique de la lecture et l’interprétation des fictions narratives : comment juger, par exemple, d’un personnage et du sens même du roman dans le cours même de la lecture et dans l’ignorance du dénouement ? Et le romancier lui-même comptait-il avec le dénouement dans l’élaboration des premiers épisodes ?
Il accueillera volontiers des « études de cas » (réception de tel roman singulier), mais aussi des analyses au long cours des transformations liées à la continuation d’un long roman.
Il pourra être encore l’occasion d’une réflexion sur les modes de composition par « parties séparées », l’inachèvement et les continuations, les suites apocryphes, ainsi que sur les « divisions » matérielle des fictions narratives (chapitres, tomes…) ou les notions par lesquelles nous distinguons les « unités » narratives : qu’est-ce qu’un épisode ? comment déterminer une séquence narrative ?