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I. Riocreux, La négation dans le fragment moraliste (La Rochefoucauld, Pascal, Vauvenargues, Chamfort)

I. Riocreux, La négation dans le fragment moraliste (La Rochefoucauld, Pascal, Vauvenargues, Chamfort)

Publié le par Emilien Sermier (Source : Ingrid Riocreux)

 

Soutenance de thèse d'Ingrid Riocreux:

"La négation dans le fragment moraliste (La Rochefoucauld, Pascal, Vauvenargues, Chamfort)"

Université Paris-Sorbonne, amphithéâtre Chasles, le samedi 23 novembre 2013 à 14h

 

 

Le jury sera composé de Mesdames et Messieurs les Professeurs:

Delphine Denis (Université Paris-Sorbonne), directrice de recherche

Daniel Acke (Vrije Universiteit Brussel)

Claire Badiou-Monferran (Université de Lorraine)

Béatrice Guion (Université de Strasbourg)

Gilles Siouffi (Université Paris-Sorbonne)

 

Résumé de la thèse

Cette thèse met en lumière le rôle central de la négation dans l’écriture moraliste classique. Fait de langue omniprésent (la statistique lexicale le prouve) et multiforme, elle en constitue véritablement un trait de style caractéristique, qui fait l’objet d’une élaboration particulière de la part des auteurs : différents aspects de la négation sont abordés dans cette étude, notamment les notions de focalisation, d’incidence, de forclusion, de négation uniceptive, implicite, préfixale, lexématique, de même que les problèmes de polarité et de scalarité. Le statut de la négation permet aussi de saisir un positionnement énonciatif commun aux quatre auteurs du corpus autant qu’une prise de position philosophique spécifique à chacun d’eux. L’ambiguïté pragmatique communément associée à la négation est levée, dès lors que l’on admet la possibilité d’une lecture à plusieurs niveaux : la négation descriptive correspond à la représentation traditionnelle du discours moraliste comme une parole solitaire, isolée entre deux blancs typographiques. Mais précisément, lorsqu’on considère cette parole comme un discours adressé, la dimension polémique de la négation apparaît pleinement, plus précisément sa portée contre-doxique et métalinguistique. Les moralistes dénoncent le caractère faussé du discours commun ; ils conçoivent la négation comme un moyen de rompre le lien de référentialité abusif établi par celui-ci entre des concepts moraux et des comportements qui n’ont de vertueux que l’apparence. Le moraliste ne cherche pas tant à expliciter ce que sont vraiment les valeurs dont il traite qu’à indiquer ce qu’elles ne sont pas. Chez Pascal l’héritage de la théologie apophatique est sensible, quand la négation engage une dynamique psychagogique permettant d’atteindre les vérités indicibles que Dieu ne dit qu’au cœur. La démarche de La Rochefoucauld est proche, qui construit une véritable anthropologie négative au soubassement théologique discret mais présent, les Maximes devenant l’aiguillon d’une quête de la vérité des vertus contre la réalité de ce qu’elles paraissent souvent. Vauvenargues prend précisément pour cible de ses négations la négativité de ses prédécesseurs et la transcendance qui la fondait. Il plaide pour le renoncement à l’artificialisme éthique au profit d’une morale immanentiste avec laquelle il invite son lecteur à renouer. Chamfort franchit un pas de plus en niant non seulement toute transcendance mais l’existence même, fût-elle naturelle, des valeurs morales qu’il réduit donc à de pures chimères. L’évolution de l’éthique et de l’épistémologie moralistes s’appuie donc sur une philosophie du langage qui subit une radicale mutation : nous menant d’un réalisme transcendantal (qui postule le fondement théologique de la morale) à un nominalisme d’essence empiriste, le traitement moraliste de la négation dans ce genre littéraire nous conduit jusqu’à une forme de prénihilisme qui signifie la mort de la moralistique classique.

Thesis Abstract

This dissertation highlights the core status of negation in the writings of classical moralists. Based on quantitative data, my study shows how essential negation is in the understanding of moralistique as a literary genre that can be identified as such through precise formal elements. I examine many aspects of negation, including the questions of scope, internal and external negations, restricted negation, forclusion, implicit negation, prefixal and lexematic negation and polarity scales. Not only is negation a linguistic scheme (involving various morpho-syntactic as well as lexical patterns) but it also works as a stylistic device which the moralists make a constant and specific use of. Beyond the import of negation in the aesthetics of the moralist fragment, I also point out the impact of negation on the enunciation system. Whereas it is commonly held that negation is pragmatically ambiguous, I argue that, in focusing on the moralist as a spectator of society, the critiques have implicitly considered negation to be mostly descriptive. While correct, this interpretation should be qualified. The main aspect of the moralists’ negation rests in its polemical power, which aims for the doxa and more specifically the common use of language. The moralists intend to rectify a biased use of words resulting from a false conception of moral values. Therefore, these writers do not say what things are as much as what they are not. In so doing, they trigger off a quest for truth, the goal of which is very different depending on the philosophical ideas of every moralist. Pascal seems to take on the epistemology of apophatism, also known as negative theology, though it is hard to determine whether he found it in some of Augustine’s treatises or whether it results from the thomistic influence on Jansenism. According to the apophatic point of view, the via negativa leads to a mystical form of silence. And in this silence, God’s voice is to be heard by the heart of the chosen. La Rochefoucauld’s views are very similar to Pascal’s. He wants his readers to realize how wrong they are when they think they are virtuous persons. His negative anthropology is based on a theological ground, because people should first reach the truth of divine realia if they want to be able to change their way of life, as a consequence of this knowing. Vauvenargues’ philosophy is quite different, since he debunks his predecessors’ speech and refuses to see moral values as theologically grounded. His own morality may be considered positive in so far as he conspicuously negates the negations of previous moralists. Chamfort goes even further when he denies not only the existence of any divine or natural principle but also the legitimacy of morality. Rejecting the transcendental realism of the first two authors I have chosen to focus on, as well as the empiric nominalism of the third one, Chamfort develops a sort of pre-nihilism which ends up destroying the genre of classical moralistique itself.