Essai
Nouvelle parution
La Mothe Le Vayer, Petits traités sceptiques.

La Mothe Le Vayer, Petits traités sceptiques.

Publié le par Marc Escola



La Mothe Le Vayer, De la patrie et des étrangers et autres petits traités sceptiques, éd. J.-Ph. Salazar, Desjonquères, 2003, 333 p.


" Quant aux écrivains [...] qui prennent la licence de mettre sur le papier tout ce que bon leur semble, nous nous devons toujours souvenir en les lisant, que l'incrédulité a été nommée par un des anciens sages le nerf de la prudence " (p. 51). Cette remarque est extraite de l'un des Petits traités sceptiques de La Mothe Le Vayer que présente J. Ph. Salalzar pour lédition Desjonquères. Elle n'est pas sans évoquer la " Lettre de l'auteur " qui ouvre les Dialogues faits à l'imitation des Anciens du même Le Vayer : " Ma main est si généreuse ou si libertine qu'elle ne peut suivre que le seul caprice de mes fantaisies et cela avec une licence si indépendante et si affranchie qu'elle fait gloire de navoir autre visée qu'une naïve recherche des vérités ou vraisemblances naturelles [...] ". Les Petits traités choisis pour cette édition rendent enfin accessibles au lecteur des entretiens philosophiques qui participent de la même plume " libertine " et de la même " licence " d'écriture et de pensée.

Les quatorze titres retenus ici (sur une trentaine de titres parus entre 1643 et 1647) sont, à la différence des Dialogues (Fayard 1988), des conversations philosophiques apparemment plus légères sur la vieillesse, lamitié, le mensonge, a bonne chère, etc., mais qui cachent sous la " badinerie " des objets (badinerie chère à Sorel et à Cyrano de Bergerac), les vérités fortes d'une raison déniaisée. Les notes et les citation éclairées dans cette édition attestent d'une écriture philosophique sceptique qui sait bien que rien ne peut être dit qui ne l'ait été auparavant (p.270) et que la vérité ne vient jamais que d'une pratique de la variété et de la citation contrastive qui permet de dire un avis singulier. " Et beaucoup vous trouveront trop libre et vous sauront mauvais gré d'avoir parlé avec autant de licence qu'ils vivent " (p.264) : le conseil adressé ici dans " De la lecture des livres et de leur composition " vaut aussi pour ce recueil. Si La Mothe Le Vayer se méfie du " sens commun " et du " jugement de la multitude " (264), il s'emploie ici à les débusquer et à les entrechoquer pour que la réflexion se saisisse de leurs contradictions et les passe à l'étamine de la raison. Le lecteur de cet ouvrage n'en tirera pas un " agrément universel " introuvable, ni une vérité pure, aussi improbable qu'une société civile sans dissimulation (Du mensonge ; Du secret et de la fidélité), mais un profit " toujours accompagné de plaisir ". L'éloge, sans cesse réaffirmé, d'une curiosité intellectuelle sans ombre de piété, vaut pour ces courts traités qui nous offrent une belle leçon de lecture où chacun devra se faire un jugement autonome.

Sophie Houdard, Université de Paris-III.