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La mémoire de Port-Royal au XIXe siècle

La mémoire de Port-Royal au XIXe siècle

Publié le par Marc Escola (Source : Simon Icard)

Société des Amis de Port-Royal

 

Appel à communications

 

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Port-Royal au XIXe siècle

 

Colloque organisé à Lyon, en septembre 2014

 

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            La mémoire de Port-Royal a été, au moins jusqu’à la Révolution française, animée d’une ferveur militante. Véritable emblème du jansénisme au XVIIIe siècle, la célébration du monastère martyr a puissamment contribué à une « cristallisation identitaire » (C. Maire1, p. 191) et au maintien d’une vivace tradition anti-janséniste, alors même que les forces du parti déclinaient. Au-delà de la césure révolutionnaire, l’actualité de Port-Royal semble résulter d’autres processus d’identification et de rejet. Tout au long du XIXe siècle, malgré l’éloignement temporel et les effets de la sécularisation, la référence à Port-Royal ne disparaît pas, bien au contraire, mais tout indique qu’elle change alors de nature autant que d’horizon.

           C’est à une meilleure connaissance des avatars postrévolutionnaires de Port-royal que ce colloque aimerait justement contribuer. Immense, la matière est à la mesure du désintérêt qui fut longtemps la règle. Force est en effet de constater que « les études sur le jansénisme se raréfient lorsque le cap de la Révolution française est passé » (J.-P. Chantin1, p. 87). Le cas de Sainte-Beuve fait bien sûr exception – on pense notamment au colloque Pour ou contre Sainte-Beuve ou à l’étude que Raphaël Molho lui a  consacrée mais sa puissante faculté d’aimantation a peut-être joué un rôle plus ambivalent qu’il n’y paraît : en monopolisant l’attention des historiens et des littéraires, il n’est pas exclu que le Port-Royal ait paradoxalement fait écran à une connaissance moins mythologique de la trajectoire port-royaliste au XIXe siècle. Ce colloque interdisciplinaire se donnera donc pour ambition d’éclairer, sous des angles aussi divers que possible et sans forcément faire de Sainte-Beuve son centre de gravité, la présence multiforme de Port-Royal, en France et en Europe. On s’efforcera, en particulier, d’étudier l’« image mythique » du jansénisme (H.-F. Imbert, p. 18), à la fois dans ses conditions de possibilité, dans ses différentes manifestations et dans ses incidences sur l’histoire culturelle et politique au XIXe siècle.

       Au premier regard, cette image mythique semble avant tout tributaire de la patrimonialisation qui s’amorce dès le tournant du siècle. À la faveur de cette puissante lame de fond, l’emblème port-royaliste paraît sortir « de son cadre polémique et politique pour entrer dans la sphère culturelle » (C. Maire2, p. 511). Ce glissement est lourd de conséquences qui, dans leur grande majorité, restent à analyser. Processus graduel mais irréversible, la littérarisation de la référence port-royaliste s’inscrit bien dans cette perspective. Au-delà de Sainte-Beuve, et parmi d’autres exemples, les travaux de Victor Cousin sur les femmes illustres du XVIIe siècle mériteraient d’être envisagés à la lumière de ce changement de paradigme (Ph. Régnier). De même, il reste beaucoup à défricher pour mieux cerner le passage d’une mémoire identitaire à une histoire académique, le signe de ralliement devenant l’enjeu d’enquêtes érudites menées sous la bannière de l’expertise historienne.

             Cependant, ce changement de statut n’a pas suffi à dépassionner les débats sur Port-Royal et ce, bien au-delà du XIXe siècle. Si Port-Royal n’est plus principalement l’objet d’une mémoire identitaire, il reste en effet au cœur de mémoires farouchement militantes. Afin de mieux comprendre pourquoi et comment Port-Royal a pu rester un centre d’intérêt conflictuel tout au long du siècle, quatre domaines d’étude sont envisagés, sans que soient exclues d’autres pistes de recherche :

 

1 – La tradition janséniste au XIXe siècle

 

        « Si le jansénisme devient objet d’étude, c’est que son heure est passée » (J.-P. Chantin1, p. 102). Pourtant, le XIXe siècle voit se maintenir des réseaux revendiquant l’héritage de Port-Royal, comme la Société libre de philosophie chrétienne (devenue Société Saint-Augustin sous la Monarchie de Juillet) ou les Amis de l’œuvre de la vérité, étudiés par Jean-Pierre Chantin. De même, le combat est livré au fil des divers périodiques qui, par-delà les turbulences, traversent tout le siècle. Dans la lignée des Nouvelles ecclésiastiques, la Chronique religieuse, la Revue ecclésiastique, puis l’Observateur catholique ne baisseront pas la garde. Publiés respectivement sous la Restauration, la Monarchie de Juillet et le Second Empire, ils assurent une relative présence médiatique de la sensibilité port-royaliste. Du côté de l’histoire du livre et de la librairie, la maison Égron, « l’éditeur du parti janséniste » (M. Leroy, p. 343), mériterait à n’en pas douter une approche en termes de stratégies éditoriales. On pourra également s’intéresser au rôle qu’a pu jouer la référence à Port-Royal chez les catholiques qui se séparent de Rome après le concile Vatican I. Plus largement, les grandes figures port-royalistes sont restées des modèles présentés à tous les catholiques pratiquants, comme le fait Léon Séché dans Les Derniers jansénistes, lorsqu’il les exhorte à s’inspirer « de l’esprit de conduite, de l’entente de la religion, du caractère et des mœurs des bons chrétiens [qu’il] leur offre ici pour modèles » (t. I, p. XXXVI).

 

2 – Exégèses de Port-Royal

 

        Dans le sillage d’études sur la place de Port-Royal et du jansénisme dans l’historiographie universitaire et ecclésiastique (Pour ou contre Sainte-Beuve et J.-L. Quantin), on pourra s’attacher à montrer ce que les travaux des érudits et des historiens doivent aux questions et aux problèmes de leur époque. Il serait notamment utile de comprendre pourquoi les arguments philo- et anti-jansénistes issus des querelles du XVIIe siècle sont restés si importants dans les études sur Port-Royal, alors même que ces querelles étaient éteintes.

        Ce colloque sera en outre l’occasion de contribuer à l’étude des sources du XIXsiècle, dans des disciplines comme la philosophie, la théologie ou l’histoire de la spiritualité. L’objectif sera double : prendre la mesure du rayonnement de Port-Royal et mettre en lumière les grilles de lecture que l’époque applique au corpus port-royaliste. Il serait tout particulièrement intéressant que ces travaux permettent de mieux connaître ce que les interprétations actuelles de ces auteurs doivent aux exégètes du XIXe siècle.

 

3 – Un mythe littéraire

            C’est en grande partie au XIXe siècle que Port-Royal doit d’être considéré comme un objet de la littérature française. Monument de la critique littéraire, le Port-Royal de Sainte-Beuve a joué sur ce plan un rôle capital, tout comme la fascination que n’a cessé d’exercer l’œuvre pascalienne – sur ce dernier point, le colloque Pascal au miroir du XIXe siècle a ouvert un vaste champ d’étude. Sainte-Beuve alla même jusqu’à parler d’une « mode » port-royaliste. De son côté, le contre-révolutionnaire Louis de Bonald prétendait entendre la littérature retentir « des louanges de tout ce qui tenait à Port-Royal » : « En combien de manières ne s’efforce-t-on pas de réveiller notre admiration pour cette maison qui n’est plus ? On nous entretient avec complaisance de ses héros et de ses héroïnes ; on les vante dans les cours publics ; l’Université recommande l’étude de leurs ouvrages » (cité par M. Leroy, p. 269). Or, il n’allait pas de soi qu’un mouvement de réforme religieuse soit si fortement identifié à une page glorieuse entre toutes de la littérature française. Il serait éclairant de comprendre à la fois les raisons et les conséquences d’une telle assimilation.

           

4 – Les usages politiques de Port-Royal

 

        Les combats politiques ont maintenu Port-Royal au cœur des controverses du temps. On pourra par exemple revisiter l’hypothèse, qui court de Michelet à Jaurès, d’un républicanisme port-royaliste, hypothèse qui remonte au moins à l’abbé Grégoire. Loin de n’offrir qu’un lieu de pèlerinage mélancolique, Port-Royal devient de fait, sous la plume de Grégoire, le carrefour stratégique d’une histoire en marche : « l’éloquence de ces ruines pénètre mon âme d’un sentiment religieux : le passé, l’avenir y accourent, tumultueusement » (H. Grégoire, p. 156). Le lieu de mémoire est indissolublement un laboratoire de l’avenir. À cet égard, il n’est pas anodin qu’il revienne avec insistance, dans les premières décennies du siècle, dans les débats à la fois institutionnels et épistémologiques préludant aux réformes successives du monde académique. Sous l’Empire puis la Restauration, Port-Royal est une source d’inspiration directe et explicite chez le ministre de l’Intérieur Champagny, puis chez le publiciste libéral Lacretelle. Chacun suggère de refonder la vie académique sur le modèle, à mi-chemin de la légende et de l’histoire, de Port-Royal. Mais si la permanence du modèle s’avère, en théorie, incontestable, il en va bien autrement sur le plan pratique, puisqu’aucun de ces projets ne voit finalement le jour. Il pourrait être instructif d’analyser les raisons de ces échecs.

        Plus généralement, l’invocation de Port-Royal est monnaie courante dans l’arène politique. Dès les années 1820, Villemain identifie discrètement sa cause (celle des libéraux et autres doctrinaires dont l’heure sonnera en 1830) à celle des jansénistes. Alors que les Jésuites tiennent de nouveau le haut du pavé, Port-Royal, qui représente « un symbole et un drapeau de liberté » (R. Molho, p. 270), est censé préfigurer la lutte de l’avant-garde pour l’émancipation politique et philosophique. La transposition est habile, qui fait des libéraux du jour les fils spirituels de grands esprits jadis martyrisés. Le procédé n’est d’ailleurs pas rare. Avant Villemain, des acteurs politiques comme Benjamin Constant ou Antoine Jay avaient soutenu la thèse d’une telle filiation. Quels que soient les raccourcis, voire les distorsions que suppose une telle identification, elle n’en témoigne pas moins de la vitalité historique d’une référence qui, oscillant entre projection fantasmatique et fidélité mémorielle, demeure irréductible à l’audience, incontestablement déclinante, de la tradition janséniste au XIXe siècle.

 

 

Études citées :

 

CHANTIN Jean-Pierre, Le Jansénisme. Entre hérésie imaginaire et résistance catholique (XVIIe-XIXe siècle), Paris, Cerf, 1996.

CHANTIN Jean-Pierre, Les amis de l'œuvre de la Vérité. Jansénisme, miracles et fin du monde au XIXe siècle, Lyon, P.U.L., 1998.

GRÉGOIRE Henri, Les Ruines de Port-Royal des Champs en 1809, année séculaire de la destruction de ce monastère (1809), éd. Rita Hermon-Belot, Paris, RMN, 1995.

IMBERT Henri-François, Stendhal et la tentation janséniste, Genève, Droz, 1970.

LEROY Michel, Le Mythe jésuite de Béranger à Michelet, Paris, PUF, 1992.

MAIRE Catherine, De la Cause de Dieu à la cause de la Nation. Le jansénisme au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1998.

MAIRE Catherine, « Port-Royal. La fracture janséniste », dans Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, III, 1, Paris, Gallimard, 1992.

MOLHO Raphaël, L’Ordre et les ténèbres ou la Naissance d’un mythe du XVIIe siècle chez Sainte-Beuve, Paris, Armand Colin, 1972.

Pascal au miroir du XIXe siècle, Paris, Mame, Éditions Universitaires, 1993.

Pour ou contre Sainte-Beuve, Chroniques de Port-Royal, n° 42, 1993.

QUANTIN Jean-Louis, « Port-Royal et le jansénisme du XVIIe siècle dans l’historiographie depuis Sainte-Beuve », Port-Royal au miroir du XXe siècle, Chroniques de Port-Royal, n. 49, 2000, p. 87-119.

RÉGNIER Philippe, « Victor Cousin et l’histoire littéraire de la France par les femmes du XVIIe siècle », dans Éric Fauquet (éd.), Victor Cousin homo theologico-politicus. Philologie, philosophie, histoire littéraire, Paris, Kimé, 1997, p. 177-209.

SÉCHÉ Léon, Les Derniers jansénistes depuis la ruine de Port-Royal jusqu’à nos jours (1710-1870), Paris, Perrin et Cie, 1891.

 

Les propositions de communications doivent être adressées avant le 1er novembre 2013,

à Simon Icard (icard.simon@orange.fr) et Stéphane Zékian (stephane.zekian@ish-lyon.cnrs.fr).