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Colloque d'Albi Langages et Signification (CALS): La Mauvaise Parole

Colloque d'Albi Langages et Signification (CALS): La Mauvaise Parole

Publié le par Marc Escola (Source : Robert Gauthier)

 

XXXIIIe COLLOQUE D'ALBI LANGAGES ET SIGNIFICATION

 

LA MAUVAISE PAROLE

 

du 9 au 12 juillet 2012

 

Centre Saint -Amarand  16, rue de la République

FR  81000  ALBI

 

APPEL À COMMUNICATIONS

 

Quelques indications sur les modalités d'inscription.

Comme les années précédentes, les propositions de communications seront adressées par courrier électronique à

p.marillaud.cals@orange.fr

Les propositions seront soumises au Comité Scientifique du C.A.L.S avant d'être retenues définitivement. Les auteurs seront immédiatement informés en cas de suggestions de modifications à apporter à leurs propositions ou en cas de propositions refusées.

Les titres des propositions des communications doivent être accompagnés d'un résumé ( 5 à 30 lignes ) dont les normes de présentation, fixées par Robert Gauthier, se trouvent dans un fichier joint à cet appel.

Les auteurs des communications ne sont pas tenus de nous expédier avant le colloque les textes définitifs de leurs communications ( les normes de présentations des textes définitifs se trouvent également dans le fichier précité ).

Les textes définitifs des communications à ce colloque de juillet 2012 seront envoyés par courrier électronique avant le 1er février 2013

1) à Pierre Marillaud : p.marillaud.cals@orange.fr ( tél. 05 63 30 91 83 )

2) à Robert Gauthier :  gauthier@univ-tlse2.fr        ( tél. 05 61 27 11 10 )

En outre, une fois la confirmation reçue que sa communication sera retenue pour figurer dans les actes, chaque auteur devra envoyer le plus rapidement possible une version sur papier et sur disquette /cédérom par la poste à

Robert Gauthier

Roquefoulet

31560 Mongeard

France

Dès réception des propositions de , leurs auteurs recevront une fiche d'inscription qu'ils devront lire très attentivement et remplir avec la plus grande précision. Nous joindrons à cette fiche d'inscription une fiche d'hébergement pour ceux qui souhaiteraient être logés au Centre Saint-Amarand où se tient le colloque. Ceux-ci devront remplir cette fiche d'hébergement avec également beaucoup de soin. Nous rappelons que le montant de l'hébergement ( chambres et repas de midi) que nous collectons pour des raisons pratiques, est intégralement et immédiatement reversé au Centre Saint-Amarand auquel nous louons en outre les salles de conférence.

Chaque conférencier disposera d'un temps d'intervention de trente minutes, 20 minutes réservées à la communication et 10 aux questions posées par l'auditoire. Les intervenants qui  auront préféré ne pas se surcharger de leur matériel personnel pourront utiliser les vidéoprojecteurs et  ordinateurs prêtés par le CALS et le CPST.

Le colloque commencera le lundi matin 9 juillet 2012 à 9 h, mais il sera possible pour ceux qui décideront de se loger au Centre Saint-Amarand, d'être accueillis au Centre dès le dimanche 8 juillet après midi.

 

 Quelques remarques livrées en vrac sur le thème du colloque

La "bonne parole" , celle qui se prêche aisément, s'oppose à "la mauvaise", inquiétante, insultante ou simplement hors des normes de la société dans laquelle elle est proférée, voire exprimée maladroitement, car le "mal dit" ou le "vulgairement dit", "grossièrement dit" sont souvent assimilés à de mauvaises paroles. Le plus souvent antéposées, les épithètes bonne et mauvaise apportent des précisions fondamentales sur la nature de la parole au point que les expressions bonne parole VS mauvaise parole sont à la limite de ce qu'on appelle des expressions figées. Mais aborder le problème ainsi est trop réducteur, simplificateur, car "bonne parole" et "mauvaise parole" ne constituent pas deux ensembles disjoints, ne serait-ce qu'en raison des problèmes d'énonciation qu'elles posent. En outre la non-parole et certains non-dits, peuvent fonctionner comme des bonnes paroles ou des mauvaises paroles, certains silences pouvant être approbateurs et signes d'acquiescement, ou au contraire très réprobateurs ou accusateurs. Dans le chapitre 2, "De la subjectivité dans le langage", de son ouvrage L'Énonciation  Catherine Kerbrat-Orecchioni  donne comme exemples d'adjectifs évaluatifs axiologiques les adjectifs "bon" et "mauvais". Il est clair qu'ils sont utilisés d'une manière ou d'une autre selon les compétences idéologiques du sujet de l'énonciation, ainsi que selon les tensions qui agissent sur lui. La même parole peut être bonne pour un interlocuteur et  mauvaise pour l'autre, voire bonne ou mauvaise pour les deux interlocuteurs. O. Ducrot  a bien montré qu'"un très grand nombre de morphèmes, tours ou expressions, […], sans être eux-mêmes illocutoires, ne peuvent se décrire que par rapport à l'orientation pragmatique du discours, à l'affrontement des interlocuteurs, à leur façon d'agir l'un sur l'autre par la parole" . L'exemple qu'il cite de G. Lakoff " Il est républicain mais honnête ",  montrant qu'il y a incompatibilité apparente entre être honnête et être républicain, est une mauvaise parole à l'endroit de tout membre du parti républicain, parole qui a même un caractère accusateur et insultant. La sémantique des passions et des degrés, les structures tensives, permettent sans doute de détecter dans les actes de parole que sont, entre autres, l'injure et le blasphème, les différences tensives et graduelles telles qu'elles sont décrites par Jacques Fontanille  dans "Sémiotique du discours" .

L'expression vulgaire et le comportement vulgaire, qui peuvent être considérés comme de mauvaises paroles ou de mauvais gestes, sont pourtant naturels quand ils relèvent de la seule langue parlée par leur énonciateur. Nous pensons, écrivant cela, à l'analyse très connue des spécialistes qu'a faite François Rastier d'un extrait de L'assommoir : "Quel trou dans la blanquette !" où sont dégagés entre autres les sèmes / intensité / et / vulgarité /. 

La rhétorique de l'ironie résultant d'une énonciation peu claire, ambiguë, floue, peut faire une très mauvaise parole d'une parole apparemment bonne… Marc Bonhomme  signale une forme de l'auto ironie, le chleuasme, qui consiste pour le locuteur à s'adresser un blâme afin d'être loué… Bonne ou mauvaise parole ?

Enfin, le passage au XIXe siècle, s'agissant de la France, d'une économie rurale à une économie urbaine a eu pour effet d'opposer le français que nous appellerons standard aux dialectes locaux. Des pages émouvantes, pleines d'emphase parfois, furent et sont encore écrites sur l'attitude très sévère de l'École Publique de la très centralisatrice 3e République, qui imposa le français là où l'on parlait naturellement des dialectes que l'on désignait alors par le terme patois ( sauf pour le breton, le catalan et le basque considérés comme des langues et non comme des dialectes)… Tout élève des régions rurales, qu'il soit flamand, breton, béarnais, landais, périgourdin, pyrénéen, provençal, catalan, etc. était puni très sévèrement s'il parlait à l'école la langue de ses parents et grands-parents, même dans la cour de récréation ! Certes nous ne confondons pas parole et langue, mais toute phrase prononcée en "patois" devenait alors une "mauvaise parole" et entraînait des sanctions…

Nous avons donné ces quelques exemples pour montrer que faire un "tri écologique" entre la bonne parole et la mauvaise était une opération très délicate, et que de ce fait la définition même de la "mauvaise parole" était très difficile à cerner. La bonne parole ne peut même pas se confondre avec la belle parole, car il arrive que cette dernière soit considérée d'une manière péjorative, comme étant une "parole en l'air"…

Le jeune enfant fait très tôt l'expérience de "la mauvaise parole". Tout d'abord, Jakobson l'a bien mis en évidence, le "tout-petit" met au point un système phonétique provisoire, basé comme celui des adultes, sur la mise en opposition des sons. D'où le jargon des enfants qui va évoluer très progressivement vers ce que les spécialistes appellent le "petit langage", sorte de langue intermédiaire qui se situe entre le "pré-langage"  et le langage. L'enfant, s'il met en place ces systèmes transitoires d'expression, apprend à les abandonner pour accéder vers trois- quatre ans à une "bonne parole", au sens d'une parole correcte. Dans certains milieux, il est repris très tôt (parfois trop) pour ses "mauvaises paroles" au sens du "mal parler".

Mais le jeune enfant va faire également très tôt l'expérience de la censure, c'est-à-dire de la parole qu'il n'est pas autorisé à prononcer. Alors qu'il prend plaisir à nommer les différentes parties de son corps, il va se voir interdit d'en nommer certaines, comme l'explique Genouvrier :

"Entre quatre et cinq ans, il apprend à distinguer, à partir de son propre corps, la gauche et la droite… Et il se perfectionne de longue date, surtout s'il est garçon et qu'il a des frères ou des copains, dans le maniement d'une collection de petits mots que les parents ont l'étrange habitude de dire " gros"… La période caca-boudin s'installe : «je regarde la télé-crotte »,«crottepisse et pissecrotte, je crotte»… Et tant d'autres, en passant par le concours des "zézettes" et l'admiration des fesses dénudées au hasard d'une sortie de salle de bains et dûment, hautement dénommées "les fesses, les fes-ses. Gros mots, mots tabous : le défoulement et le secret à la fois." 

Les interdits et les remontrances vont pleuvoir dans le pire des cas sur l'enfant dont on exige qu'il "parle bien", et qu'il ne dise pas ce qui est inconvenant  : "tu ne dois pas dire cela, c'est un vilain gros mot", etc.

L'antiquité gréco-latine ne méprisait pas le corps et ignorait la culpabilité d'exister introduite par le judéo-christianisme.  Diogène, Aristophane, Plaute, Térence,  pour n'en citer que quelques-uns, n'auront pas peur des mots, des gros mots, ni d'user de "la mauvaise parole". Certes les mots désobligeants et les railleries pouvaient blesser profondément ; on raconte que Postumius, au 3e siècle avant notre ère, dirigeant une délégation d'ambassadeurs dépêchés à Tarente, prit très mal les railleries des grecs qui se moquaient des fautes de syntaxe et des toges des Romains. À ces "mauvaises paroles" il répondit par un propos menaçant : " Riez, riez tant qu'il en est encore temps ; car vous pleurerez longtemps quand le moment sera venu de laver ce vêtement de votre sang" . Dans la série " Histoire de l'humour" que  Le Monde publia cet été, il est question de la "Confrérie des conards". Les membres de cette confrérie "faisaient des mascarades, des processions, appelaient à leur ban les maris jaloux et trompés, décochaient des satires à tort et à travers, et faisaient de toute la ville un véritable théâtre de Saturnales. Louis XIII prononça l'interdiction de cette société secrète." 

Les insultes, les injures, les blasphèmes, les malédictions sont, pour ne citer que quelques termes d'une très longue liste, des mauvaises paroles a priori dont il sera évidemment très intéressant d'analyser les fonctionnements respectifs, des points de vue linguistique, stylistique, rhétorique, syntaxique, grammatical, argumentatif, pragmatique, etc. Il est vrai que certains mots tuent, que les injures peuvent discréditer définitivement, et que le blasphème a pu valoir le bûcher…

Les paroles exprimées en argot sont-elles de mauvaises paroles ? Pas nécessairement et il  arrive que l'argot ornemente la littérature, voire y entre ( cas de certains grands romans ou films noirs),  et même la parodie:

                           . Exemple  "Le Lièvre et la Tortue"  de La Fontaine (fable inspirée d'Ésope " La tortue et le lièvre") dont nous ne donnons que les premiers et derniers vers :

 

                   Rien ne sert de courir ; il faut partir à point. 

                  Le lièvre et la tortue en sont un témoignage.

                  Gageons, dit celle-ci, que vous n'atteindrez point

                  Si tôt que moi ce but. Si tôt ? Êtes-vous sage ?

                 […]

                  Eh bien, lui cria-t-elle, avais-je pas raison?

                       De quoi vous sert votre vitesse?

                       Moi l'emporter ! et que serait-ce

                       Si vous portiez une maison ?

Ainsi que leur traduction en argot.

                   C'est pas l'tout d'se grouiller, faut prendre un bon départ

                  Comme disait la tortue au lièvre à l'air peinard

                  J'parie une thune tout sec que j'te gratte au poteau

                  Malgré mes p'tits panards et toi tes grands pinceaux.

                  […]

                   Alors p'tite tête d'anchois, non mais dis, tu gamberges !

                  J't'ai  drôlement possédé malgré mes cinquante berges,

                  Et encore t'es verni , t'as couru en maillot,

                  Vise la piaule que ses zig, j'me trimballe sur le dos !

 

Les paroles qui font rire sont très souvent de bonnes paroles… En  fait les argots sont des langues où fonctionnent bonnes et mauvaises paroles.

 

Il arrive qu'un roman, un poème, une chanson, soient considérés par certaines autorités à la fibre démocratique peu développée,  comme des mauvaises paroles et soient censurés. J'irai cracher sur vos tombes en est un exemple entre mille. Peut-être B.Vian mourut-il de cette censure puisque c'est lors d'une projection privée du film tiré de son roman qu'il fut terrassé par une crise cardiaque. Le crachat sur les tombes de B. Vian, les crachats sérieux sur les axiomes sacrés de Lautréamont, l'humour noir, certaines chansons de Brassens, Léo Ferret,   certaines "chansons paillardes", des pamphlets, des films,  etc. furent considérés un certain temps comme de mauvaises paroles dans la mesure où ces paroles choquaient l'institution, la classe dirigeante, les autorités militaires et religieuses, même si  elles restaient considérées comme des bonnes paroles par d'autres, et si elles étaient au moins tolérables pour ceux qui ne pouvaient concevoir la démocratie sans liberté d'expression. L'affaire des caricatures concernant l'Islam nous a montré à quel point certaines paroles jugées mauvaises par des extrémistes peuvent déclencher des réactions d'une extrême violence et pousser à des comportements fanatiques. Il arriva dans l'Histoire que la "bonne parole" prêchée par un laïc fût considérée comme "mauvaise", car il était interdit à un laïc au XIIe siècle de prêcher sans l'autorisation de l'évêque. Il arriva aussi en ce temps là qu'une parole considérée comme bonne par certains, mauvaise par d'autres fût (ou ne fût pas, car elle n'est citée que par un seul chroniqueur, le moine cistercien Césaire d'Heisterbach qui se trouvait en Allemagne lors de la prise de Béziers) prononcée au cours du terrible "sac de la ville", par le très chrétien commandant en chef de l'armée des croisés, Arnaud-Amaury : " Tuez - les tous, Dieu reconnaîtra les siens" ! Si le message du Christ est un message d'amour, ce propos est-il une bonne parole prononcée par l'un de ses adeptes ? Prononcée ou pas, cette phrase montre l'état d'esprit qu'avait créé le Pape Innocent III en "prêchant une croisade", donc "la bonne parole"… qui fit , pour la seule ville de Béziers, au moins 10 000 morts, femmes et enfants compris... Au nom de leurs "bonnes paroles" respectives, les religions allument des incendies qui ne font souvent qu'accentuer les malheurs de l'homme…   Que les choses soient claires : nous respectons ceux qui ont la foi, qui croient en un dieu ou des dieux, mais pour quelqu'un qui s'intéresse au fonctionnement du discours, de la langue et de la parole,  aucun texte ne peut être mis de côté, même s’il est considéré comme sacré par certains ; d'ailleurs aucun texte n'est reconnu universellement comme sacré. Il en est de même pour les textes de droit, les textes des constitutions, etc. qui, même quand on s'y réfère pour gérer les nations,  peuvent être soumis à l'analyse des chercheurs de différentes disciplines.

Se référer à des textes anciens comme, par exemple,  ceux de l'Iliade ou de la Genèse n'éclaire pas mieux notre lanterne et ne  simplifie pas le problème.

La mauvaise parole ne s'impose-t-elle dès la première page de l'Iliade (peut-être le premier chef-d'oeuvre de la littérature mondiale), quand le prêtre Chrysès  vient demander à Agamemnon qu'il lui rende, contre de grands trésors, sa fille qui avait été enlevée par les grecs lors d'une razzia qu'ils avaient faite dans la ville du père d'Andromaque. Alors que les Argiens avaient donné leur approbation unanime à cette proposition, la réponse d'Agamemnon ( deuxième énonciation énoncée dans le texte si on ne tient pas compte de l'invocation introductive ) peut difficilement être considérée autrement que comme une mauvaise parole :

« Ah ! crains, vieillard, si je te vois près des nefs creuses aujourd'hui t'attarder ou revenir demain, d'être mal protégé par ton sceptre et par la bandelette du dieu ! Je ne te rendrai pas ta fille, pas avant du moins qu'elle ait vieilli sous mon toit, en Argos, loin du pays natal, travaillant au métier et partageant mon lit. Va, ne m'irrite plus, si tu veux partir sauf.» 

Dans la Genèse la mauvaise parole semble également s'imposer. Passons sur la contradiction qui tient au fait que le texte après avoir fait référence à la création par Yavhé Dieu de l'homme et de la femme à son image ( Gen. 1- 27) , relate une deuxième création à un moment différent: "[il] modela l'homme avec la glaise du sol"  ( Gen. 2- 7 ) , puis il endormit l'homme , prit une de ses côtes à partir de laquelle il façonna une femme et amena cette femme à l'homme." (Gen. 2-22). (Il est vrai que pour certains Adam eut pour première compagne Lilith, et pour seconde Ève…). Ce texte manque vraiment de clarté mais là n'est pas notre propos. Ce que l'on constate en revanche c'est que la mauvaise parole s'impose dès qu'il y a dialogue entre l'homme et Dieu.  Bien sûr, c'est d'abord la parole trompeuse du serpent, le "plus rusé des animaux", qui s'impose parce qu'il est plus informé sur les desseins de Dieu que ne le sont Adam et Ève, cette dernière se laissant séduire,  mangeant un fruit de l'arbre défendu et en offrant à Adam…

Quand Dieu interroge Adam, celui-ci dénonce Ève ( Gen.3-12), laquelle dénonce le serpent (Gen.3-13).  Ainsi, les premiers mots échangés avec Dieu par les parents de l'humanité sont, pour le lecteur de la Genèse, deux dénonciations.  Le Petit Robert définit la dénonciation de quelqu'un comme une accusation, une délation, une trahison, un cafardage…L'intervention orale de Dieu va-t-elle arracher cette conversation à la tonalité pour le moins dysphorique dans laquelle elle se déroule ? Il n'en est rien car à la dénonciation et la délation humaines, succèdent la malédiction et la condamnation divines :

« parce que tu as fait cela, maudit sois-tu entre tous les bestiaux et toutes les bêtes sauvages.

Tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie.

Je mettrai une hostilité entre toi et la femme,

Entre ton lignage et le sien.

Il t'écrasera la tête et tu l'atteindras au talon.»  ( Gen.3 -14-15)

Nous ne tenons pas à ajouter d'autres commentaires à tous ceux déjà faits, ou en train de se faire, sur la Bible, mais le moins que l'on puisse dire est qu'il est difficile de prendre le propos de Dieu pour une "bonne parole"….! Il annonce à Ève qu'elle enfantera dans la douleur , que sa convoitise la poussera vers son mari qui la dominera ( Gen.3 -16), et à Adam que le sol sera maudit à cause de lui qui a écouté la voix de sa femme, et que c'est par la peine qu'il tirera subsistance de ce sol. ( Gen.3.17)….

« Il (le sol) produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l'herbe des champs.

À la sueur de ton visage tu mangeras le pain, jusqu'à ce que tu retournes au sol

Puisque tu en fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise.»  (Gen.3-18-19).

Le discours de Dieu à Ève, Adam et le serpent est tout simplement celui de l'ordre dont l'énonciateur est le supérieur hiérarchique incontestable et incontesté.  Adam, Ève et leurs descendants subiront les effets funestes de la malédiction divine pour cause de désobéissance…Ainsi, cette "bonne parole" du Dieu déjà vengeur de l'Ancien Testament se traduit par le malheur et la misère de l'homme… lequel sera  en outre puni par des châtiments supplémentaires après sa mort s'il considère justement cette parole divine comme étant une mauvaise parole…! L'homme ne pourra même pas ne plus exister !    En somme le rapport établi entre le destinateur et le destinataire dans ce "dialogue" biblique est un rapport despotique au sens qu'Aristote donne à cette expression. Il s'agit d'un énoncé performatif se caractérisant par ce que Bourdieu définissait comme "les stratégies de la condescendance". La rhétorique argumentative sur laquelle se construit la "bonne parole divine" déploie toute la panoplie du discours d'autorité, du type "p est vrai car l'énonciateur de p fait autorité en la matière".  Notons que cette " bonne parole divine" déprécie le sensible, l'empoisonne de la douleur pour donner la vie, comme pour se nourrir, et finalement apprend l'homme, à peine présent, à ne pas être là en tant qu'être pensant, à aller vers la mort, et l'homme se rendra compte, comme le professeur Palomar, le héros de Calvino, " qu'être mort est moins facile que ce qu'il peut sembler […][car] il ne faut pas confondre être mort et ne pas être là".  

Il est vrai que les dieux et déesses des religions polythéistes manipulent également les mortels, mais aussi eux-mêmes, par de bonnes et mauvaises paroles, voire par des mauvaises paroles déguisées en bonnes. Ainsi quand Junon dit "[qu'] elle brûle, l'amoureuse Didon et fait pénétrer sa passion jusque dans ses os",     ( Ardet amans Dido traxitque per ossa furorem" ) , discours qu'elle tient à son ennemie jurée, Vénus, discours de "belles paroles" puisque quelques vers plus haut dans le texte elle n'a pas hésité à se montrer conciliante :

"Mais quel sera le terme de nos inimitiés ? Jusqu'où nous mèneront de telles rivalités ? "

Or,  cette bonne parole de conciliation n'est qu'un piège tendu hypocritement à Vénus, car Junon veut se servir de Didon pour empêcher Enée de gagner le Latium, contrairement à la volonté de la protectrice du Troyen, laquelle va se montrer aussi hypocrite que l'épouse de Jupiter en faisant semblant d'aller dans son sens:

" Qui serait insensé au point de refuser ta proposition et préférer la guerre contre toi ? "       ( Quis talia demens / Abnuat, aut tecum malit contendere bello ?) 

Ce discours entre les deux déesses rivales est "trop poli pour être honnête" et ainsi ces "bonnes paroles" s'avèrent plutôt "mauvaises"…

La mauvaise parole semble "se lancer" plus facilement que la bonne,,, On lance une bordée d'injures… et l'on reste dans le domaine de la balistique avec les métaphores "envoyer des flèches", ou "des piques". Est-ce la trace sémantique de la racine indo-européenne /bha/ ( = parler), et de la racine grecque /bâl/ /ble/ /bol/  d'où vient  βάλλω  je lance ) , le diabolon (= la calomnie, la fausse accusation), d'où le diable, c'est-à-dire le calomniateur.

La rumeur n'a pas bonne réputation non plus. Quand Didon et Enée s'aimèrent dans la grotte qui les abrita de la tempête, Enée étant ainsi  piégé par Junon, la rumeur gagna très vite toute la Libye. Virgile nous décrit cette rumeur comme un monstre :

" La renommée ( au sens de bruit qui court) se met aussitôt à traverser les grandes villes de Libye. La renommée, plus rapide qu'aucun autre fléau. Elle s'accroît par sa rapidité et multiplie ses forces en avançant. Humble et craintive au début, elle ne tarde pas à s'élever dans les airs ; son pied touche le sol et sa tête se cache dans les nues. La terre génératrice, pleine contre les dieux d'une fureur irascible, enfanta, dit-on, cette dernière soeur de Céus et d'Encelade. Pourvue de pieds agiles et d'ailes promptes, cette fille est un monstre horrible et colossal : elle a autant d'yeux vigilants que de plumes au corps et, sous ses plumes, ô prodige!  autant de langues, autant de bouches sonores, autant d'oreilles qu'elle maintient dressées. La nuit, elle vole entre ciel et terre, sifflant dans les ténèbres, et le doux sommeil ne ferme pas ses yeux. Le jour, elle se poste en observation sur le plus haut sommet d'un édifice ou sur de hautes tours ; de là, elle sème l'épouvante parmi les grandes villes, messagère aussi tenace à propager l'erreur et le mensonge que la vérité. Elle se plaisait alors à déverser sur les peuples de multiples rumeurs ; elle annonçait également ce qui était fait et ce qui n'était pas fait : qu'Enée, issu de sang troyen, était venu, que la belle Didon daignait s'unir à cet homme, que tous les deux passaient dans la mollesse tout le long hiver, oublieux de leurs royaumes et captifs d'une honteuse passion. Tels sont les bruits que la hideuse déesse fait çà et là courir sur la bouche des hommes". 

Pour Virgile la rumeur est indiscutablement une "mauvaise parole".  Beaumarchais s'est sans doute souvenu de ce texte en écrivant Le Barbier de Séville ( scène VIII de l'Acte II ), lorsque Bazile explique à Bartholo que le meilleur moyen de se défaire d'un homme est d'user de la calomnie. Notons que le mot diable figure deux fois dans l'envolée de Bazile :

" […] Le mal est fait ; il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable ; […] un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait ? "

Un événement récent, l'affaire DSK, qui a alimenté les chaînes de radio et de télévision de la terre entière, et toute la presse écrite, a confirmé ce que Virgile,  Beaumarchais et bien d'autres écrivirent sur le sujet. Ces mauvaises paroles dont parle Bazile,  la rumeur et la calomnie,  ont inspiré près quarante ans plus tard  Rossini qui fit un opéra de la pièce de Beaumarchais et écrivit ce "grand air de la calomnie"  dont la renommée a franchi les siècles et les frontières, et que tous les amateurs d'opéra attendent intensément à chaque représentation. On peut ainsi chanter magnifiquement… la mauvaise parole ! 

La mauvaise parole se rencontre partout en littérature, et, pour ne prendre que trois exemples chez La Fontaine, reconnaissons que le " Et bien ! dansez maintenant " de la Fourmi à la Cigale, ou les accusations successives portées par le Loup à l'encontre de l'Agneau, voire les flatteries du Renard à l'adresse du Corbeau, pour n'en citer que quelques-unes des plus connues parmi un très grand nombre, ne peuvent être considérées comme de "bonnes paroles".

La langue de bois est a priori reconnue comme une langue de mauvaise parole dans la mesure où elle endort le destinataire afin de lui masquer la vérité tout en ayant l'air de le prendre en considération. Le discours du Renard dans "Les animaux malades de la peste" en est un bel exemple, quant à celui du Conseiller Lieuvain aux Comices de Yonville, dans Madame Bovary, il semble qu'il continue à faire école chez bon nombre des hommes politiques d'aujourd'hui ! Si nous avions à citer un texte politique s'opposant à la langue de bois, nous choisirions la Lettre au roi, en prenant possession de la place de contrôleur général adressée par Turgot à Louis XVI. 

Il arrive qu'un discours exprimé masque un non-dit considéré sans doute par le sujet parlant comme risquant d'être une mauvaise parole.  Dans les "Notes sur ma vie", pensées détachées et écrites au jour le jour par Alphonse Daudet, et publiées par Julia-Allard Daudet en 1899, Les souvenirs d'un homme de lettres s'ouvrent sur cette note choisie par l'épouse de l'écrivain:

" Homo duplex, homo duplex ! la première fois que je me suis aperçu que j'étais deux, à la mort de mon frère Henri, quand Papa criait si dramatiquement :      « Il est mort ! il est mort !»  Mon premier moi pleurait et le second pensait : « Quel cri juste ! Que ce serait beau au théâtre ! » J'avais quatorze ans."  

L'autocensure fonctionne sur une parole considérée comme mauvaise ou coupable, du moins quand elle est exprimée dans des conditions qui la tiennent plutôt comme irrecevable.

Les lieux communs, les clichés, les idées reçues, les idées toutes faites, les poncifs, les préjugés, ne sont pas toujours considérés, au moins depuis la fin du XVIIIe siècle, comme de bonnes paroles, surtout à partir de la parution du Dictionnaire des idées reçues de Flaubert.

Dans l'avant-dernière page de Madame Bovary, après la mort d'Emma, Flaubert fait se rencontrer Charles  et Rodolphe , qui fut un amant de sa femme.  La scène est fort connue et souvent citée, mais elle nous intéresse car Charles, en prononçant un lieu commun, une banalité fait converger sur lui le mépris de Rodolphe et celui du narrateur. Prenant une bière au cabaret, les deux hommes parlent et Charles finit par dire:

- Je ne vous en veux pas […]

- Non, je ne vous en veux plus !

Il ajouta même un grand mot, le seul qu'il ait jamais dit :

C'est la faute de la fatalité !

Rodolphe, qui avait conduit cette fatalité, le trouva bien débonnaire pour un homme dans sa situation, comique même, et un peu vil."

Sans doute le lieu commun prononcé par Charles est, comme l'écrivait Remy  de Gourmond,  "une banalité, mais si universellement acceptée qu'elle prend alors le nom de vérité "  . À l'ironie du narrateur s'ajoute le mépris de Rodolphe, ce qui laisse penser que ce "grand mot" était une mauvaise parole pour son énonciateur, c'est-à-dire Charles. Charles est issu du peuple, or le bourgeois antibourgeois qu'est Flaubert, comme le décrit Bourdieu, ne se fait aucune illusion sur "le peuple"… Mais il est connu qu'on ne fait pas de littérature avec de beaux sentiments, ou plutôt, comme l'écrivait André Gide dans son journal ( 2 septembre 1940) que "C'est avec les beaux sentiments qu'on fait de la mauvaise littérature"….Le cher Gustave écrivait à Ernest Chevalier en août 1853 : " Il n'y a pas, dans mon fait, d'envie démocratique. Cependant j'aime tout ce qui n'est pas le commun, et même l'ignoble quand il est sincère. Mais ce qui ment, ce qui pose, ce qui est à la fois la condamnation de la Passion et la grimace de la Vertu me révolte par tous les bouts. […] L'état politique des choses a confirmé mes vieilles théories a priori sur le bipède sans plumes, que j'estime être tout ensemble une dinde et un vautour."

Les paroles des hymnes nationaux seraient a priori de  bonnes paroles, mais nous savons que des couplets ou des vers  de la Marseillaise sont considérés par certains comme de mauvaises paroles, incitant à la violence. C'est oublier les circonstances dans lesquelles elles furent écrites…! Elles posent aujourd'hui d'autres problèmes puisque certains champions de foot ne veulent pas la chanter lors des ouvertures de compétitions internationales… Bonnes ou mauvaises paroles ? Théoriquement "bonnes" puisqu'elles doivent rassembler…

Très loin d'avoir fait le tour de la question, nous terminerons en signalant que si la "mauvaise parole" peut se glisser sous la forme d'une écriture littéraire magistrale comme celle de Céline, dont certaines oeuvres ne méritent pourtant que le mépris, il lui arrive aussi de contaminer la philosophie. En 1916 Heidegger, philosophe adulé après la Deuxième Guerre mondiale par la gauche intellectuelle française (Char, Sartre, Levinas et bien d'autres), écrivait à Elfride, sa fiancée :

" L'enjuivement de notre culture et des universités est en effet effrayant et je pense que la race allemande devrait trouver suffisamment de force intérieure pour parvenir au sommet"  

Recteur de l'Université de Fribourg élu pour remplacer l'ancien recteur social démocrate dont Hitler ne voulait plus, Heidegger se fait nommer par le ministère national-socialiste, recteur-Führer à partir d'un texte mis au point par lui-même…Bien qu'ayant eu plus tard pour maîtresse une étudiante juive devenue célèbre, Hannah  Arendt, Heidegger n'a jamais eu une seule "bonne parole", celle de l'expression d'un regret de son engagement et de son action en faveur du régime nazi, de son racisme qui l'amenait à penser que la race allemande était la race supérieure, la seule digne d'hériter de la Grèce antique… Dans un article du journal Le Monde du 25 mars 2005 Roger-Paul Droit analysa avec une grande pertinence " Les crimes d'idées de Schmitt et de Heidegger" et nous sommes d'accord avec Michèle Cohen-Halimi  quand elle considère que, dès Être et temps, la philosophie est trahie…La mauvaise parole de Heidegger et de quelques autres doit être débusquée et il est heureux que depuis les années 2000 certains s'y attachent, car le discours nazi, explicite ou masqué, est sans doute la plus mauvaise parole qu'ait jamais produite l'humanité !

Pierre Marillaud

président du C.A.L.S